Intervention de Gérard Le Cam

Réunion du 15 mars 2005 à 10h30
Services dans le marché intérieur — Discussion des conclusions du rapport d'une commission

Photo de Gérard Le CamGérard Le Cam :

Afin de résoudre les contradictions inévitables entre les dispositions de cette directive à caractère transversal et celles d'autres directives concernant des services qu'elles régissent, la commission des affaires économiques propose de demander que « soit affirmée la primauté du droit communautaire sectoriel sur la directive sur les services dans le marché intérieur ».

Cette disposition n'a malheureusement aucun sens juridique. Ni dans les traités existants, ni dans la jurisprudence communautaire, ni dans le traité établissant une Constitution pour l'Europe il n'existe de hiérarchie des normes reconnaissant la primauté entre ces deux types de directives.

En cas de contradiction, c'est la Cour de justice des communautés européennes qui sera amenée à trancher, selon une lecture libérale du droit communautaire.

Par ailleurs, à l'heure où l'élargissement entraîne de fortes disparités au sein de l'Union européenne, cette proposition entérine un renoncement injustifié à la méthode communautaire d'harmonisation des législations nationales, et ce afin de rendre légal le dumping fiscal, le dumping social et juridique ainsi que le dumping environnemental.

Nous demandons résolument le rejet du principe du pays d'origine. Nous ne pouvons donc souscrire à la proposition de résolution qui nous est soumise, laquelle se contente de demander l'abandon de ce principe « en l'attente des résultats des études d'impacts » réalisées par le Gouvernement.

On sait d'ores et déjà que le principe du pays d'origine sera appliqué .

C'est inacceptable. Avec cette directive, les salariés issus de pays bénéficiant de législations sociales moins protectrices pourront travailler sur notre territoire dans les domaines des services, y compris des services publics, aux conditions de leurs pays d'origine. En effet, les services d'intérêt général ne sont pas explicitement exclus du principe du pays d'origine.

D'ailleurs, la proposition de résolution de la commission des affaires économiques demande une précision quant aux « conditions de la non-application du principe du pays d'origine aux services d'intérêt économique général », ce qui laisse entendre que, sous certaines conditions, le principe du pays d'origine pourrait s'appliquer.

Plus généralement, nous soulignons la confusion terminologique qui règne en la matière et qui est largement entretenue par les tenants de la directive.

L'ambiguïté est un mode de rédaction prisé par les services de la Commission européenne. Or ce genre de procédé constitue une source d'insécurité juridique et sociale que nous ne pouvons accepter.

On ne peut méconnaître que le traité constitutionnel, non seulement ne protège en rien contre ce genre de dérives, mais les conforte juridiquement puisqu'il érige en objectif de l'Union « un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée » et considère comme « libertés fondamentales » la « libre circulation des personnes, des services des marchandises, ainsi que la liberté d'établissement ».

En outre, la partie III du projet de Constitution, notamment en son titre III, offre une seconde base juridique à la proposition de directive Bolkestein. Elle prône en effet la liberté d'établissement et la liberté de circulation des personnes et des services et interdit toute restriction à ces libertés.

L'attitude des tenants du oui au traité constitutionnel face à la proposition de directive sur les services est contradictoire. Ils prétendent s'opposer à cette directive alors même qu'ils soutiennent le traité constitutionnel qui lui confère une base juridique.

La contradiction ne s'arrête pas là : le parti socialiste européen et la droite du Parlement européen ont tous deux approuvé la directive lors de sa présentation le 13 février 2003, tandis que le parti communiste votait contre.

Les Françaises et les Français doivent être informés du double jeu auquel se livrent les tenants du oui au traité constitutionnel et du non à la directive Bolkestein.

Cette contradiction éclatante a été confirmée par la voix du ministre espagnol de l'économie, Pedro Solbes, le 9 mars dernier, lorsqu'il affirmait que « le principe de l'application du pays d'origine (...) est un principe de base de la construction européenne ».

Rappelons également que le Gouvernement avait soutenu cette proposition lors de la réunion du Conseil européen des 25 et 26 novembre dernier.

Devant le mécontentement, le Premier ministre changeait son fusil d'épaule et annonçait en janvier que cette directive était « inadmissible », qu'il convenait qu'elle soit « remise à plat ».

Depuis, le Gouvernement clame haut et fort que « la directive est inacceptable en l'état et doit faire l'objet d'une remise à plat ».

L'attitude du Gouvernement est fonction des circonstances.

Les déclarations faites hier par M. Barroso sont extrêmement claires. « Quand je dis que nous sommes prêts à répondre aux véritables préoccupations sur la manière de fonctionner du principe du pays d'origine, cela ne signifie pas que nous allons abandonner ce principe », a-t-il expliqué.

La Commission européenne ne rend donc pas les armes. Pour le moment, elle remise la proposition au fond de ses tiroirs pour ne pas effaroucher les électeurs français. Mais cette directive sera bel et bien adoptée en l'état, ou presque, après le référendum français du 29 mai prochain. Ni la Commission européenne, ni les gouvernements des Etats membres ne réviseront fondamentalement ce texte.

La constitution d'une véritable Europe sociale et solidaire appelle une remise en cause profonde des fondements de sa construction.

Il est vrai que depuis plus de cinquante ans elle reste à construire si l'on en croit les affirmations de Dominique Braye, qui, en commission, a tenu les propos suivants : « Il n'existe pas d'Europe sociale et il n'est pas près d'en exister pour un moment ! ».

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