Intervention de Jean Arthuis

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 7 avril 2010 : 1ère réunion
Table ronde sur l'impact du développement du commerce électronique sur les finances de l'etat

Photo de Jean ArthuisJean Arthuis, président :

Tout d'abord, M. Jean Arthuis, président, a indiqué que l'impact du développement du commerce électronique sur les finances de l'Etat est pleinement d'actualité, comme en témoigne le débat récent sur l'instauration d'une taxe sur les revenus de la publicité en ligne, dite « taxe Google », proposée par la commission présidée par M. Patrick Zelnik. Il a rappelé que la commission des finances du Sénat s'était saisie de cette question en proposant, par la voix de son rapporteur général, un amendement à la loi de finances rectificative pour 2010, celui-ci ayant été retiré suite à l'engagement du Gouvernement d'explorer les conditions juridiques et techniques nécessaires à la mise en place d'une imposition la plus juste et la plus adaptée au secteur de la publicité sur Internet.

Il a ajouté que le débat sur le développement du commerce électronique et son impact sur les finances de l'Etat ne se résume pas à la seule question de la publicité en ligne. Ainsi, il a noté que l'essor des transactions électroniques entre particuliers a amené la commission des finances à intervenir dans la lutte contre la fraude via Internet dès la discussion de la loi de finances rectificative pour 2008.

Constatant que les exemples sont nombreux d'optimisation fiscale des grands sites Internet dans les pays dont la fiscalité est jugée plus légère qu'en France, M. Jean Arthuis, président, a cité le Luxembourg et l'Irlande. Il a précisé que ce phénomène, rendu possible par la dématérialisation croissante des services, pose la question de la compétitivité de la France pour accueillir les sites étrangers et celle du risque de délocalisation des activités présentes sur notre territoire. Plus largement, il s'agit d'appréhender les formes nouvelles de transactions dématérialisées et de création de richesse afin d'étudier les adaptations nécessaires de la fiscalité.

Il a déclaré que, pour ce motif, la commission des finances a demandé, en 2009, la réalisation d'une étude d'impact sur les finances de l'Etat du développement du commerce électronique, indiquant que cette mission a été confiée au cabinet Greenwich Consulting.

Puis, il a précisé que, afin de rendre public le contenu de cette étude, la commission des finances a jugé utile d'organiser cette table ronde, pour étudier, en outre, les problématiques soulevées par le développement du commerce électronique au regard des recettes fiscales de l'Etat et identifier des propositions d'évolution législative qui prennent en compte à la fois les innovations technologiques et l'amélioration de la compétitivité de la France.

Procédant à l'aide d'une vidéoprojection, M. Jean Arthuis, président, a ensuite présenté une synthèse de l'étude réalisée par Greenwich Consulting.

Il a noté que, en France, le poids du commerce électronique reste encore relativement limité : celui-ci représentait 1,1 % de la consommation des ménages en 2008 (15 milliards d'euros pour une consommation des ménages français s'élevant à 1 409 milliards d'euros). A périmètre comparable, le e-commerce représente 3,4 % du commerce français mais il possède, néanmoins, un fort potentiel de croissance.

Il a précisé que la croissance du secteur devrait amener le marché du commerce des entreprises vers les particuliers à doubler pour atteindre une taille de 28 milliards d'euros avant 2014, sous l'effet cumulé de deux facteurs :

- l'augmentation du taux de pénétration d'Internet qui passerait de 58 % des ménages en 2007 à 73 % en 2012,

- l'augmentation du nombre de cyberacheteurs qui progresserait de 20 millions en 2007 à 30 millions en 2014.

a relevé que quatre principaux segments (le tourisme, les produits technologiques et équipements de la maison, l'habillement et les produits culturels) représentent les trois quarts du marché.

Il a précisé que le « e-tourisme » domine le « e-commerce » en raison du fort développement des modes d'achat par Internet et de la taille du panier moyen : plus de 1 000 euros pour les offres de forfaits séjour et transport tout compris, contre moins de 30 euros pour l'achat moyen de biens culturels.

Il a estimé que, dans la mesure où le secteur du tourisme vend des prestations dématérialisées et où la réservation est centralisée, Internet est le média idéal pour permettre au consommateur un accès direct et rapide à l'information ainsi qu'un achat à distance. Il a indiqué que, selon le Benchmark Group, 76 % des cyberacheteurs ont déjà acheté un produit de tourisme (hébergement, billets d'avion seuls dits « vols secs », séjours tout compris en « packages »), ce qui en fait le deuxième motif d'achat après l'accès aux produits culturels (78 %).

Il a observé que, selon la définition de l'OCDE, la structuration du commerce électronique, désigné globalement par le terme « e-business », qui englobe les transactions de biens et de services effectuées au moyen d'un réseau électronique, recouvre en fait plusieurs réalités :

- le e-commerce B2C (« business to consumer »), constitué d'entreprises ayant mis à profit Internet pour développer un nouveau canal de vente de produits et/ou services à destination des particuliers ;

- l'intermédiation C2C (« consumer to consumer »), qui permet la structuration du secteur informel de la vente entre particuliers ;

- le commerce B2B (« business to business »), qui concerne le commerce interentreprises.

Il a noté que ces secteurs sont d'une importance économique inégale :

- les transactions entre particuliers demeurent limitées (environ 650 millions d'euros pour les transactions de type « petites annonces » et 100 millions d'euros pour les places de marché, dont eBay et Priceminister détiennent 75 % du marché) ;

- le e-commerce des entreprises vers les particuliers atteint environ 17 milliards d'euros ;

- et, enfin, le secteur des transactions interentreprises représente 90 % du commerce électronique total, soit 150 milliards d'euros de revenus répartis entre l'Internet (80 milliards d'euros) et les échanges électroniques de données (70 milliards d'euros).

Il a relevé que le commerce électronique est animé par des typologies d'acteurs très différentes :

- les acteurs français du commerce traditionnel qui développent une activité de commerce en ligne, notamment voyages-sncf.fr ou FNAC.com ;

- les « Pure players », qui sont des entreprises dont l'activité est exclusivement menée sur l'Internet (Pixmania, Rueducommerce ou iTunes) ;

- les multinationales extracommunautaires, qui s'implantent en Europe (Amazon, Expedia).

Il a remarqué que le e-commerce souffre de marges réduites qui affectent négativement l'impôt sur les sociétés et la TVA, trois raisons principales expliquant ce phénomène :

- l'existence d'une zone de chalandise unique qui provoque une pression à la baisse sur les prix ;

- la concentration des acteurs sur des marchés de masse à marge brute réduite ;

- la course aux parts de marché dans un contexte de forte croissance motivée par le développement du secteur et par la perspective du rachat de leur société.

Il a constaté que, dans ce contexte, les multinationales extracommunautaires sont à la recherche d'un environnement global favorable, leur permettant d'atteindre l'ensemble du marché européen, depuis un point unique et que la fiscalité semble jouer un rôle fondamental dans la localisation de leur siège social. Il s'est alors demandé dans quelle mesure le critère fiscal intervient dans la décision de localisation par rapport à d'autres critères que sont la taille du marché local, la proximité culturelle pour le management, la qualité des infrastructures technologiques et logistiques pour l'exploitation, la disponibilité, le coût et la flexibilité des compétences d'une façon générale.

Il a fait valoir que les nouvelles activités du e-business élargissent « l'assiette à risque » globale de l'économie française. En effet, en cas de migration massive des entreprises vers un modèle d'externalisation complète des services informatiques, les activités d'achats de matériels informatique et d'externalisation seraient aussi en partie menacées. A cet égard, il a relevé que, selon Greenwich Consulting, l'externalisation représente d'ores et déjà 15 % des dépenses de services informatique en France, soit 10 milliards d'euros. Ce marché, qui se développe fortement, pourrait atteindre, à terme, des niveaux proches de ceux de l'Allemagne (14,8 milliards d'euros) ou du Royaume-Uni (26,6 milliards d'euros).

Il a alors estimé que, en outre, 60 milliards d'euros d'activités aujourd'hui non-externalisées dans d'autres secteurs pourraient l'être à terme, soit au total plus de 70 milliards d'euros d'activités qui pourraient, à l'avenir, se situer à l'étranger.

Abordant l'étude de trois impôts (la TVA, l'impôt sur les sociétés et la taxe sur les surfaces commerciales), M. Jean Arthuis, président, a noté que, dans les secteurs où la marge est réduite, tels que la vente de musique en ligne, l'écart de compétitivité fiscale en matière de TVA constitue à lui seul la source de profit pour le « e-commerçant ».

Il a cité en exemple le cas d'iTunes, dont Greenwich Consulting estime que la marge commerciale, qui est de 15 centimes au Luxembourg, serait nulle en cas de paiement de la TVA en France, pour un prix total comparable.

En effet, les règles en vigueur sur la vente de produits immatériels permettent au site marchand qui opère depuis le Luxembourg de bénéficier, jusqu'en 2015, du taux de TVA luxembourgeois (15 %) plutôt que du taux en vigueur dans le pays d'origine du client (19,6 % en France). Il a ajouté que le Conseil Ecofin de décembre 2007 a entériné la fin de ce système en 2019 (avec une période transitoire entre 2015 et 2019) ; ainsi, à partir de cette date, la TVA devra être versée et facturée au taux en vigueur dans le pays du consommateur.

Tout en s'interrogeant sur la pertinence d'un tel délai d'application, il a souligné que la mise en place technique de la mesure posera deux problèmes:

- premièrement, ce sera à l'Etat luxembourgeois de contrôler les entreprises établies sur son sol afin de veiller à ce que les recettes de TVA devant être versées à l'Etat du consommateur ne lui soient pas attribuées par erreur ;

- deuxièmement, il conviendra d'éviter qu'un internaute se déclare dans un pays où il ne se trouve pas physiquement.

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