Les deux textes que nous examinons poursuivent le processus législatif et sont l'aboutissement d'une initiative parlementaire forte. C'est avec une légitime fierté que nous constatons le consensus sur cette question.
Les violences conjugales sont mal connues et donnent lieu à un contentieux atypique. Les données sont rarement fiables, nous manquons de statistiques scientifiques. Les violences conjugales sont nimbées d'un voile de secret, de pardon plus ou moins librement consenti ; tous les milieux sont touchés, l'âge, le chômage ou l'alcool étant des facteurs aggravants. La connaissance parcellaire du phénomène se répercute au niveau judiciaire : dans ces affaires là, la victime renonce souvent aux poursuites et la justice hésite à aller au-delà. Les violences conjugales, cet espace sombre de douleurs, sont des atteintes aux libertés fondamentales. De tous bords sont donc venues des initiatives auxquelles, collectivement, nous avons adhéré. Au Sénat, M. Roland Courteau et Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, à l'Assemblée nationale Mme Bousquet et M. Geoffroy, ont élaboré des textes.
Dès 1994, dans le nouveau code pénal, les peines ont été aggravées. En 2004, une disposition a été votée pour que le conjoint violent puisse être évincé du domicile. En avril 2006, on a introduit en droit les notions de viol, d'agression sexuelle et de vol entre époux. On a aussi étendu cette circonstance aggravante aux pacsés et ex-pacsés, aux concubins et ex-concubins. En 2007, le législateur a créé un suivi socio-judiciaire éventuel ; et la loi de mars 2009 a accordé une priorité d'accès au logement social pour les victimes. Lorsque des femmes étrangères sont menacées de mariage forcé dans leur pays, la loi leur accorde la possibilité d'une protection subsidiaire.
Les pouvoirs publics ont mis en oeuvre des politiques volontaristes, interministérielles : plan de lutte en 2005, second plan en 2008, grande cause nationale en 2010. La sensibilisation du public et des professionnels a beaucoup progressé - accueil plus adapté dans les commissariats et les gendarmeries, numéro vert, formation,...
Les parquets ont eu des initiatives opportunes : les procureurs de Versailles et de Strasbourg m'ont donné des informations très intéressantes et je suis étonné qu'on n'opère pas une synthèse de ces pratiques pour en faire profiter les autres procureurs partout en France. Les associations jouent un rôle irremplaçable, aux différents stades.
Les progrès sont réels mais des efforts restent à accomplir. Les deux propositions de loi visent à mieux protéger, mieux prévenir, mieux réprimer. L'aspect novateur est la protection. L'ordonnance de protection vise à stabiliser, pour quatre mois ou pour toute la durée de la procédure de divorce, la situation matérielle et juridique de la victime, en garantissant sa protection. Le juge aux affaires familiales deviendrait compétent pour prendre des mesures à connotation pénale - telle l'interdiction de détenir une arme ou de rencontrer la victime - en plus de ses pouvoirs classiques, attribution du logement, éviction du conjoint violent, modalités d'exercice de l'autorité parentale. Il pourra aussi prononcer des mesures de protection spéciale, autorisation de dissimulation de l'adresse de la victime, accès provisoire à l'aide juridictionnelle, intervention d'une association pour l'accompagnement. Ce point satisfait l'article 2 de la proposition de loi de M. Roland Courteau.
Les personnes majeures menacées de mariage forcé pourraient demander une ordonnance de protection. Lorsque la présentation des enfants risque de donner lieu à des violences, l'espace médiatisé sera privilégié. Les députés ont reformulé les conditions de privation du droit de visite.
L'ordonnance de protection constitue une mesure très innovante en droit de la famille et dans les procédures civiles. Les personnes étrangères bénéficiant d'une telle ordonnance auront accès à l'aide juridictionnelle sans condition de séjour régulier. Ce qui satisfait partiellement l'article 5 de la proposition de loi de Roland Courteau.
La violation des obligations imposées par le juge est pénalement sanctionnée. Le recours au placement sous surveillance électronique est dans ce cas facilité, des mesures de protection supplémentaires proposées à la victime. L'auteur des violences pourra être retenu par les forces de police ou de gendarmerie pendant 24 heures, avant d'être présenté devant le juge d'instruction s'il viole les obligations de son contrôle judiciaire. Le champ du délit de dénonciation calomnieuse est resserré, la situation administrative des étrangers sécurisée ; l'application des mesures aux ressortissants algériens fera l'objet d'un rapport au Parlement et des conventions seront passées avec les bailleurs de logements et les CROUS, afin de réserver des places aux victimes.
Parmi les dispositions, plus classiques, visant à mieux prévenir, signalons que les députés ont voulu créer un observatoire national des violences faites aux femmes et instaurer des formations spécifiques pour le personnel amené à prendre en charge les victimes, mais ces propositions se sont heurtées à l'article 40 de la Constitution. De même, l'article 4 de la proposition de loi de M. Roland Courteau ne peut être intégré à la rédaction.
Afin de mieux punir, l'article 12 élève les peines lorsque les violences revêtent un caractère habituel.
Quant aux violences psychologiques, le texte issu de l'Assemblée nationale pose quelques problèmes, je proposerai donc sur certains points une rédaction différente. Nous y reviendrons dans la discussion des amendements.