Il faut tout de même être réaliste dans cette affaire ! Voilà pourquoi je replace cette question de l'échec scolaire dans son contexte, car vous êtes tous des gens de terrain assez responsables pour comprendre ce que je veux dire.
Des enseignants de grande qualité et au dévouement sans limites m'ont dit qu'ils ne continueraient pas indéfiniment à exercer un métier devenu par trop difficile. Ils ne sont pas tous âgés, comme on pourrait le croire, et ils avaient une ambition ; ils croyaient qu'ils « tiendraient ».
Cette question de l'échec scolaire en appelle une autre, monsieur le ministre : celle du métier. Nous-mêmes, politiques, remettons en cause notre métier. Pourquoi celui d'enseignant ne serait-il pas remis en cause, lui aussi ? Car il ne suffit pas de savoir ; encore faut-il pouvoir, dans sa classe, résister aux diverses pressions et faire face à toutes sortes d'injustices ; il faut être capable d'ouvrir l'école sur le monde extérieur. Aujourd'hui, IUFM ou pas, tous les enseignants affirment n'avoir ni le temps ni les moyens d'apprendre ce métier.
C'est une réalité, monsieur le ministre, qui nous préoccupe tous, indépendamment des clivages politiques.
Je terminerai sur la question des collectivités locales et des territoires pour aborder, monsieur le ministre, le problème de la gestion du système éducatif, les mécanismes de la programmation, la façon dont on gère les équipes pédagogiques, les enseignants, et la manière dont nous, élus, sommes traités par l'institution.
Je dois vous dire, monsieur le ministre, que si les préfets et les sous-préfets se comportaient comme les recteurs et les inspecteurs d'académie, il y aurait vraiment des problèmes en France. Parce que ces gens-là nous ignorent. J'apprécierais d'ailleurs beaucoup que vous nommiez de temps en temps - mais vos prédécesseurs auraient pu le faire avant vous - des personnes issues d'autres milieux, ayant d'autres références que celles de l'éducation. Nos interlocuteurs actuels sont certainement très compétents, mais ils n'ont aucune culture du terrain ; ils ne savent pas ce qu'est un bassin d'emploi ou une revendication d'une collectivité locale.
En d'autres termes, nous sommes ignorés et mis devant le fait accompli ; nous sommes soumis en permanence à des programmations mathématiques qui ignorent présent et avenir. D'ailleurs, monsieur le ministre, pour avoir vous aussi exercé des responsabilités d'élu, vous savez très bien ce qui se passe dans les quartiers urbains en grande difficulté ou dans les zones rurales qui connaissent des fermetures de classes, aujourd'hui de collèges et, demain, de lycées.
Dans mon département, qui n'est pourtant pas très éloigné de la région parisienne, puisqu'il s'agit de l'Indre-et-Loire, on ferme le lycée professionnel de Descartes. Et deux ou trois collèges sont menacés. Mais qui s'en préoccupe, sinon les élus ? Tous les contacts que je peux avoir avec l'éducation nationale n'aboutissent à rien, et depuis des années.
A Nouâtre, commune rurale dont le collège est en péril, il suffirait, pour sauver l'établissement, d'ouvrir un pensionnat de quelques dizaines de places. J'observe d'ailleurs qu'il n'y a aucun pensionnat dans l'enseignement public, en tout cas dans ma région. Cet établissement accueillerait des élèves issus de zones défavorisées, de quartiers difficiles, par exemple de Joué-lès-Tours. Ces enfants seraient ainsi soustraits, pendant la semaine, aux milieux dans lesquels ils sont en train de se perdre. Ils pourraient, à peine à trente kilomètres de chez eux, faire du sport, découvrir la nature, tout en rentrant à la maison le week-end. On créerait ainsi une alternance entre ville et campagne et on sauverait le collège.
Voilà ce que je demande depuis des années, mais je n'ai aucun retour ; je n'ai même pas l'écoute minimale d'un fonctionnaire de l'institution, une institution dont on comprend qu'elle désespère les enseignants eux-mêmes.
Qui s'occupera demain de l'évolution démographique catastrophique amorcée sur une partie importante du territoire ? Personne ! Et l'on ne répondra pas davantage à d'autres questions, tout aussi évidentes, qui se posent. On n'entendra que les cris de révolte des personnes qui se battent contre les fermetures de classes !
Nous sommes dans un système institutionnel qui est incapable de gérer les conflits, d'anticiper quoi que ce soit. La machine est aveugle, monsieur le ministre, et nous aurons beau discuter des cycles, des enseignants, des méthodes pédagogiques, ce sera en pure perte tant que le système continuera à ne pas regarder le monde tel qu'il est, tel qu'il bouge et tel qu'il doit être ouvert sur l'extérieur. C'est regrettable !
Faut-il pour autant une loi ? Je n'en suis pas sûr ! Mais l'on ne peut pas indéfiniment fermer les yeux et aller dans le mur en suscitant la révolte aussi bien des élus locaux que des parents, bref, des citoyens. Car n'oubliez pas que nous sommes dans une démocratie vivante, qui se réveille devant l'épreuve et qui manifeste, associations en tête, pour porter haut ses exigences.
C'est absence totale d'écoute, de compréhension de l'évolution de la société, est insupportable.
Ma conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est que la société civile, la vie démocratique dans nos campagnes comme dans nos villes, est en avance sur les institutions, et sans doute aussi sur la pensée politique !