Intervention de Françoise Férat

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 30 juin 2010 : 1ère réunion
Contrat d'objectifs et de moyens de l'institut national de l'audiovisuel pour 2010-2014 — Communication

Photo de Françoise FératFrançoise Férat, rapporteur :

Vous avez confié au groupe de travail dont j'ai l'honneur d'être aujourd'hui le rapporteur, une mission extrêmement importante et passionnante sur l'avenir du CMN.

À l'occasion du débat en séance sur le projet de loi de finances pour 2010, notre commission s'était interrogée en découvrant l'article 52. Son contenu nous avait paru discutable pour deux raisons : tout d'abord il prévoyait de relancer la décentralisation opérée en application de la loi du 13 août 2004, sans aucun bilan préalable de la première vague de transferts ; ensuite et surtout, il n'encadrait ce processus d'aucune précaution permettant de garantir la cohérence de la politique patrimoniale nationale. Cette carence mettait en danger l'avenir du Centre des monuments nationaux. Rappelons que sa mission séculaire est de mutualiser les moyens entre les monuments historiques dont il a la charge, au profit d'une politique nationale cohérente du patrimoine monumental de l'État.

Le groupe de travail a constaté que le CMN est un outil précieux au service d'une politique dynamique de protection et de valorisation du patrimoine de l'État. Avec sa présidente, l'établissement a poursuivi ses efforts pour définir une approche pragmatique de ses missions. Celles-ci devaient nécessairement évoluer pour tenir compte la nouvelle compétence de la maîtrise d'ouvrage, renforcer et valoriser la compétence scientifique de l'établissement, et développer l'offre culturelle, notamment grâce à des ressources propres plus importantes. Le groupe de travail a pu apprécier la cohérence du projet global de réforme du CMN qui privilégie à la fois le fond, à savoir l'offre culturelle et l'expertise scientifique, et la forme, avec le développement économique et les relations extérieures.

La réforme de l'établissement s'est également traduite par le renforcement du rôle des administrateurs. On peut souhaiter que le CMN et le ministère de la culture arrêtent rapidement le contrat de performance qui était attendu pour le premier semestre de l'année 2010.

Il est évidemment trop tôt pour dresser un bilan de la réforme du CMN. Cependant, notre groupe de travail a pu constater que de nombreux travaux ont été engagés pour optimiser les équipements, pour améliorer les parcours de visite et l'accessibilité des monuments. En outre, la stratégie de développement des ressources propres du CMN s'inscrit dans une politique globale où « l'économie est au service de la culture ». En dressant ce premier bilan, on peut penser que tout ce savoir-faire pourrait être davantage valorisé au profit des sites reconnus patrimoine mondial de l'UNESCO ou encore des cathédrales.

Notre groupe de travail a néanmoins constaté plusieurs difficultés qui compliquent la mise en oeuvre des missions du CMN : la transition de la maîtrise d'ouvrage, les contraintes pesant sur la gestion des ressources humaines et surtout les incertitudes relatives à l'évolution de son périmètre. Notre position ne consiste pas à refuser tout changement. Notre inquiétude concerne la pérennité du système de péréquation qui fonde la mission du CMN.

Or la relance de la dévolution aux collectivités est toujours d'actualité avec la proposition de loi de Mme Marland-Militello déposée à l'Assemblée nationale. Il nous paraît donc urgent de réaffirmer notre choix d'une dévolution encadrée, respectueuse de la politique patrimoniale nationale dont le CMN constitue l'un des acteurs majeurs.

Les propositions que je vous présenterai dans quelques instants partent de trois constats.

Le premier constat est fondé sur le témoignage des collectivités devenues propriétaires d'un monument de l'État en application de la loi de 2004. 22 d'entre elles - soit environ un tiers - ont répondu à notre questionnaire qui visait à faire un bilan des transferts. Leurs réponses ont permis de constater une politique de restauration et d'animation extrêmement dynamique de la part des collectivités, mais aussi des défaillances qui nous font penser que tout transfert devrait s'accompagner non seulement d'une obligation d'information s'imposant à toutes les conventions mais d'un réel suivi pour ne pas laisser aux collectivités les moins importantes des situations difficiles à gérer.

Le deuxième élément dont il nous semblait devoir tenir compte est relatif aux règles de la domanialité publique. Nous craignons une multiplication des décisions de déclassement du domaine public de monuments historiques ou de certaines parcelles, parallèlement au développement des projets de valorisation touristiques. Réaffirmer que les monuments historiques à vocation culturelle forment un tout nous paraît indispensable.

Le troisième et dernier constat est relatif au contexte de la politique immobilière de l'État qui ne prend pas en compte la signification patrimoniale et symbolique des monuments historiques qui ne relèvent pas du ministère de la culture. La cession de ces biens chargés d'histoire est aujourd'hui envisagée au même titre que celle de simples bâtiments de bureaux. À cet égard, la polémique de l'hôtel de la Marine est regrettable à deux titres. Tout d'abord parce qu'elle choque les personnes attachées à notre patrimoine monumental qui peuvent douter de la volonté de l'État à demeurer le garant d'une politique nationale cohérente du patrimoine, ce que nous ne pouvons accepter. Ensuite, parce qu'elle jette inutilement l'opprobre sur la nouvelle politique immobilière de l'État qui pourtant paraît indispensable pour nos finances publiques. Fort de ces constats, le groupe de travail estime qu'il devient urgent de définir les contours d'un principe de précaution appliqué au patrimoine monumental de la nation, dont les propositions suivantes constitueraient la base.

Il s'agirait premièrement de « réactiver » le principe de « transférabilité » des monuments historiques appartenant à l'État, dont les critères avaient été définis par la commission Rémond. Cette première proposition implique de reprendre la liste, établie par ladite commission, des monuments dont le ministère de la culture avait la charge. Une nouvelle commission similaire devrait être constituée pour poursuivre ce travail sur l'ensemble des monuments historiques aujourd'hui gérés par France Domaine et identifier ceux devant rester propriété de l'État.

La deuxième étape serait l'identification, par cette même nouvelle commission, des monuments historiques ayant une vocation culturelle. Le critère de la vocation culturelle, que la commission détaillerait, pourrait avoir trois effets :

- dans l'hypothèse d'un transfert possible, il entraînerait la cession à titre gratuit ;

- en cas de conservation par l'État, le critère de vocation culturelle et les prescriptions afférentes serviraient de guide pour la définition des cahiers des charges quels qu'ils soient, par exemple dans le cadre d'une convention de transfert de gestion d'un monument ou d'un bail emphytéotique administratif de l'État ;

- enfin, tout projet de déclassement du domaine public, total ou partiel, d'un monument ainsi identifié, pourrait se voir imposer l'avis préalable de la commission, y compris donc à la suite d'un transfert à une collectivité. Ce troisième aspect est fondamental, car il constitue une garantie de protection du caractère inaliénable des monuments historiques, reprenant la philosophie du rapport Rigaud sur l'inaliénabilité des oeuvres des collections publiques des musées. Ce « verrou » scientifique répond aux inquiétudes exprimées par notre commission quant au devenir des monuments transférés dont on pourrait craindre une revente inappropriée, puisque tout acte de cession à une personne privée nécessite un acte de déclassement du domaine public.

Enfin, il faut prévoir les conditions encadrant la procédure de transfert des monuments de l'État aux collectivités. Elles concerneraient les délais, les obligations d'information, réaffirmeraient le rôle prééminent du ministre en charge des monuments historiques pour autoriser un transfert, et interdiraient le dépeçage du patrimoine via des transferts partiels.

Ces mesures essaient de trouver un double équilibre entre l'État et les collectivités d'une part, et entre le principe de libre administration des collectivités et celui d'inaliénabilité du patrimoine de l'État d'autre part. Elles offriraient en outre au CMN la garantie du maintien des fondamentaux qui sous-tendent son rôle. Elles permettraient enfin sans nul doute d'apporter un peu de sérénité aux débats actuels sur le patrimoine monumental de l'État.

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