Les crédits du programme « Sécurité et affaires maritimes » baissent de 1,8 % en crédits de paiement et de 2 % en autorisations d'engagement. Leur modestie n'enlève rien à l'importance géopolitique et économique de ce budget : la France doit contrôler le deuxième domaine maritime au monde, qui comprend certaines des zones de transit parmi les plus fréquentées. Puisse le Grenelle de la mer être traduit rapidement dans le budget.
Je me réjouis de la réforme de l'enseignement supérieur maritime avec la création d'une École nationale supérieure maritime, à la suite de la loi dite ORTF du 8 décembre 2009. Fédérant les sites du Havre, de Marseille, de Nantes et de Saint-Malo, cette nouvelle école, érigée au rang de grand établissement, délivrera, en sus des brevets maritimes existants, un titre d'ingénieur pour les formations d'officiers, de capitaines et de chefs mécaniciens. Je demanderai en séance publique des précisions au ministre quant à l'organisation et aux localisations envisagées. En outre, l'enseignement secondaire maritime est modernisé, au travers notamment de la réforme des baccalauréats professionnels en trois ans. Je suivrai avec attention la mise en oeuvre de la réforme du statut de l'Établissement national des invalides de la marine à la suite de la publication du décret du 30 août 2010.
L'examen de ces crédits est l'occasion de dresser un premier bilan de la réforme portuaire. Nous ne sommes pas parvenus à enrayer le déclin dramatique de nos grands ports : le tonnage de tous nos ports équivaut au tonnage du seul port de Rotterdam tandis que le port d'Anvers est devenu le premier port français... Situation pour le moins inquiétante quand la France dispose de tous les atouts pour être une grande nation maritime. Le déclassement de nos ports s'accentue année après année. La compagnie maritime MSC a déserté le port du Havre pour Anvers. De grands groupes français, sous la pression d'acheteurs extérieurs, évitent de transiter par les ports français.
Dans le même temps, les investisseurs chinois prennent place dans les ports grecs et font valoir leurs intérêts : l'avenir du port de Marseille, déjà éclipsé par les ports de Barcelone, Gênes ou encore Algésiras, est désormais menacé par les ports grecs.
Ce constat dramatique, tout le monde le partage, depuis de nombreuses années. La loi du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire, dont j'ai eu l'honneur d'être le rapporteur, va dans le bon sens mais elle demeure inappliquée sur le terrain et, à la lumière du constat que nous pouvons faire aujourd'hui, justifierait de larges aménagements.
La principale difficulté pour les directoires des grands ports maritimes est de céder l'outillage de manutention portuaire et d'assurer le transfert des personnels. Ces mesures constituent le coeur de la réforme. La loi oblige les grands ports maritimes de cesser, sauf cas exceptionnels, de détenir ou d'exploiter des outillages de manutention et de les transférer aux opérateurs privés dans un délai maximal de deux ans suivant l'adoption de leur projet stratégique, soit au plus tard entre fin mars et début avril 2011 selon le calendrier propre à chaque port. A ces dates, le transfert des quelques 1 065 personnels concernés devra être achevé. Mais sur le terrain, les choses avancent beaucoup trop lentement. Les outillages ont été cédés par le port de Rouen aux entreprises de manutention seulement le 17 mai dernier, et pour le port du Havre le 1er juillet dernier. A Dunkerque et La Rochelle, ils sont cédés depuis le 1er octobre et seront cédés à Bordeaux au plus tard le 1er janvier 2011. Enfin, le port de Marseille a cédé l'essentiel de ses outillages fin octobre et celui de Nantes suivra le pas en décembre prochain. Ce n'est qu'une fois les outillages cédés que peuvent commencer les négociations pour le transfert des personnels du port vers les entreprises privées. Les dispositions de l'accord-cadre national du 30 octobre 2008, qui comprend en particulier tout le volet social de la réforme, font l'objet d'une déclinaison au niveau de chacune des places portuaires sous forme d'accords locaux, en cours de négociation dans les sept Grands Ports Maritimes.
Certes, la crise économique a considérablement touché le commerce maritime international et a diminué l'ambition des projets d'investissements des entreprises de manutention portuaire. Mais retarder la mise en oeuvre de la réforme portuaire est le meilleur moyen pour déclasser définitivement les ports français.
C'est pourquoi j'en appelle solennellement à la responsabilité de l'ensemble des acteurs : les directeurs des grands ports maritimes, les organisations syndicales et les chefs d'entreprise pour mener à son terme la réforme portuaire. Les perturbations à répétition que nous avons connues depuis de longs mois se sont traduites par des pertes économiques considérables et par des emplois détruits du fait des délocalisations de plus en plus nombreuses. On ne pourra maintenir et attirer en France les compagnies maritimes qu'en garantissant la fiabilité du fonctionnement de nos ports, en baissant les coûts de manutention portuaire et en assurant la desserte rapide et fiable de l'arrière-pays. Ce sont des dizaines de milliers d'emplois qui pourraient être ainsi créés. Quand on voit que les transporteurs doivent attendre des heures dans nos ports pour le chargement d'un conteneur, on ne peut que s'interroger sur les modalités d'organisation et sur leurs conséquences.
Je propose que l'on réfléchisse à une évolution du statut des établissements qui géreront les nouvelles installations portuaires, voire pour les établissements existants. La loi portant réforme portuaire a fait le pari de conserver le statut d'établissement public de l'Etat, à caractère industriel et commercial (EPIC) pour les grands ports maritimes, dans la continuité du statut des ports autonomes. Or, manifestement, ce statut comporte plus d'inconvénients que d'avantages, et il est source d'inertie et de blocages persistants. Pour mémoire, les ports d'Anvers et d'Hambourg, au développement très dynamique, sont administrés par les autorités locales. Si de nouvelles installations portuaires devaient voir le jour sur l'embouchure de la Seine pour alimenter en marchandises le Grand Paris, comme je le souhaite à titre personnel, il faudrait donner au nouveau port le statut d'un EPIC rattaché à une collectivité territoriale ou le statut d'une société anonyme, afin de donner plus de place aux élus et responsables locaux.
Enfin, je déplore le manque d'ambition des projets de développement portuaire inscrits dans le Schéma national des infrastructures de transport (SNIT), surtout quand on les compare aux projets d'aménagement décidés à Anvers, Barcelone ou Rotterdam. Le SNIT, qui est la « feuille de route stratégique » de l'Etat pour les 20 ou 30 ans à venir, prévoit une enveloppe de 2,7 milliards d'euros seulement pour le développement portuaire, à comparer aux quelque 170 milliards d'euros pour l'ensemble des projets inscrits dans ce schéma. Ces projets sont indispensables, que l'on songe à la création de nouveaux terminaux à Dunkerque ou d'un nouveau terminal au Havre et au prolongement du grand canal havrais jusqu'au canal de Tancarville ou encore à l'aménagement d'un terminal multimodal. Le SNIT prévoit également l'amélioration des accès maritimes à Rouen, la création d'une plate-forme trimodale à Achères et de nouveaux terminaux à Nantes-Saint-Nazaire, la réalisation des projets Fos 2XL et 3 XL à Marseille, ainsi que l'amélioration des dessertes ferroviaires et fluviales pour l'ensemble des ports français. Je constate en le regrettant que le SNIT n'a pas retenu la réalisation d'une écluse fluviale directe au Havre permettant la desserte de Port 2000. Cette écluse est pourtant indispensable pour permettre une connexion entre Le Havre et l'arrière pays par la voie fluviale, et elle avait été évoquée dès la conception de Port 2000.
Lors du débat sur le Grand Paris, j'avais suggéré qu'une étude soit engagée sur les aménagements portuaires qui pourraient être réalisés en vallée de Seine, et plus précisément en amont et en aval du Pont de Tancarville. Ces travaux pourraient peut-être apporter une réponse aux lacunes du SNIT, et permettre de disposer d'un outil moderne plus compétitif. Là encore, j'interrogerai en séance publique le ministre pour savoir où en est la rédaction de cette étude.
En conclusion, je vous propose d'adopter sans modification les crédits inscrits au programme 205 « sécurité et affaires maritimes ».