Intervention de Françoise Férat

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 19 octobre 2011 : 1ère réunion
Patrimoine monumental de l'état — Examen du rapport en deuxième lecture

Photo de Françoise FératFrançoise Férat, rapporteur :

Merci madame la présidente. Mes chers collègues, l'heure est grave. Elle est grave car nous sommes aujourd'hui confrontés à une situation très particulière : nous devons examiner en deuxième lecture la proposition de loi que Jacques Legendre et moi-même avions déposée, avec une disposition dangereuse pour le patrimoine, introduite à l'initiative de l'Assemblée nationale.

Mais permettez-moi de vous rappeler les origines de ce texte qui vise à encadrer la dévolution des monuments historiques appartenant à l'État aux collectivités territoriales volontaires.

La première étape de ce processus de décentralisation fut mise en oeuvre en application de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales. Son article 97 prévoyait le transfert de propriété à titre gratuit des monuments historiques appartenant à l'État et gérés par la direction du patrimoine et de l'architecture du ministère de la culture. Le principe du transfert reposait sur le volontariat des collectivités territoriales qui devaient faire acte de candidature dans un délai d'un an. Le texte prévoyait qu'une convention rappelle les obligations en matière d'ouverture au public et de développement de la connaissance.

Une commission présidée par René Rémond, dont nos collègues Jacques Legendre et Yves Dauge faisaient partie, avait dressé la liste des monuments devant rester propriété de l'État sur la base de critères tels que la mémoire de la nation, la notoriété internationale, le rayonnement culturel, l'importance des moyens accordés, la nature du site ou l'acquisition récente par l'État.

65 monuments ont été ainsi transférés dont 6 à des régions, 16 à des départements, et 43 à des communes.

Alors qu'aucune évaluation de cette première vague de transferts n'avait été réalisée, le gouvernement proposa de relancer ce processus de décentralisation à travers un article rattaché au projet de loi de finances pour 2010. Deux différences majeures tranchaient pourtant avec l'article 97 de la loi de 2004 :

- premièrement, le champ d'application était très élargi et concernait tous les monuments historiques appartenant à l'État, pas seulement ceux gérés par le ministère de la culture. On passait donc d'environ 400 monuments à 1 700 ;

- deuxièmement, plus rien n'encadrait ce processus : ni dans le temps, ni sur le fond, puisque la référence aux critères de la commission Rémond avait disparu.

Notre commission avait souhaité encadrer cette dévolution en faisant adopter des amendements à l'occasion de l'examen de l'article 52 du projet de loi de finances. L'article visé fut ensuite censuré par le Conseil constitutionnel qui l'analysa comme un cavalier budgétaire. Mais une proposition de loi reprenant cet article fut déposée à l'Assemblée nationale dans la foulée. Le président Legendre confia alors à un groupe de travail un rapport d'information sur le Centre des monuments nationaux dans le contexte de la relance de la dévolution du patrimoine de l'État.

Ainsi, au mois de juillet 2010 je présentai les conclusions de ce groupe dans un rapport d'information intitulé « Au service d'une politique nationale du patrimoine : le rôle incontournable du Centre des monuments nationaux », rapport que je tiens à votre disposition. Adopté à l'unanimité, il proposait qu'un principe de précaution encadre toute relance de la dévolution avec la mise en place d'un Haut conseil du patrimoine (HCP) chargé de donner un avis avant tout transfert de propriété, s'inscrivant ainsi dans la logique de la commission Rémond.

Dans les mois qui suivirent, Jacques Legendre et moi-même avons déposé une proposition de loi relative au patrimoine monumental de l'État, reprenant les préconisations de ce rapport d'information. Ce texte fut adopté en première lecture au Sénat le 26 janvier 2011, puis modifié par l'Assemblée nationale le 5 juillet 2011.

C'est cette version que nous devons aujourd'hui examiner. Or, dans le flot de modifications rédactionnelles mineures opérées par l'Assemblée nationale, quelques amendements dangereux ont été adoptés, le principal portant sur l'article 7 de la proposition de loi.

Cette disposition modifie profondément la philosophie du texte. Elle fixe pour la convention de transfert une durée déterminée pendant laquelle la collectivité s'engage à mettre en oeuvre le projet culturel.

Vous comprenez donc qu'il s'agit d'une rupture totale avec l'idée du transfert à titre gratuit qui implique un projet culturel à durée indéterminée. Si notre commission avait prévu plusieurs mesures de précaution en cas d'échec du projet culturel par souci de réalisme, elle n'en n'avait pas fait un principe !

La version actuelle de l'article 7 est particulièrement dangereuse à plusieurs titres :

- tout d'abord, aucun seuil n'est prévu : le préfet et la collectivité pourraient très bien se mettre d'accord sur un projet culturel d'une courte durée, deux ans par exemple, puisque rien ne l'interdit en l'état et que le ministère de la culture n'a aucun contrôle sur ce point dans le texte ;

- ensuite, le garde-fou qui était prévu sur une durée indéterminée (prévoyant qu'en cas de revente du monument la collectivité prévient l'État qui peut s'opposer à la cession) n'est valable que pendant la durée fixée par la convention. Le retour à l'État n'est même pas nécessairement envisagé à titre gratuit dans ce cas !

Le seul « verrou » conservé est celui de l'avis du Haut conseil du patrimoine qui doit se prononcer sur le déclassement du domaine public avant toute revente. Mais à partir du moment où la collectivité aura respecté la convention, sur quels critères pourra-t-il fonder un avis négatif ? Le système que nous avions défini ensemble prévoyait un avis sur la base de l'évolution du projet culturel qui était alors prévu pour une durée indéterminée !

Cette disposition qui introduit une sorte de CDD (convention à durée déterminée) est par conséquent extrêmement dangereuse pour l'avenir du patrimoine monumental de notre pays.

Trois autres articles méritent à mon sens d'être modifiés et je vais vous proposer des amendements car leur rédaction peut être source de difficultés pour l'efficacité du principe de précaution qui était le fil conducteur de notre texte.

Il s'agit notamment de l'article 1er qui réintroduit la liste détaillée des critères de la commission Rémond dans le code du patrimoine, ce qui risque d'empêcher le Haut conseil de définir sa propre jurisprudence et de définir de nouveaux critères, par exemple à caractère social. Quant à la nouvelle version de l'article 13, elle empêche l'application directe de mesures telles que celles relatives à la protection du patrimoine mondial, pourtant très claires dans la proposition de loi.

Encore une fois, le vrai danger se situe dans l'article 7 pour les raisons que j'ai détaillées. Je crois qu'il est de notre devoir de montrer clairement que le Sénat, dans son ensemble, quelle que soit sa majorité, sera toujours vigilant pour défendre le patrimoine national. Ne pas amender ces dispositions reviendrait à renoncer à adresser un signal fort dans le cadre de cette navette parlementaire. Je sais que nous partageons la même inquiétude et le même désir ardent de définir les garde-fous qui sont plus que jamais nécessaires à la préservation de notre patrimoine.

Je vous remercie de votre attention.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion