L'article 6 pose à nouveau l'intéressante question du recours au suffrage universel direct et au référendum dans l'entreprise.
Le recours au suffrage universel est considéré comme indiscutable en matière politique, même si l'histoire nous apprend que l'auteur de la question, la teneur de celle-ci, la manière dont les choses sont présentées à l'opinion, peuvent aboutir à des effets inattendus.
En ce qui concerne la démocratie dans l'entreprise, il faut distinguer deux moments pour le recours au référendum - appelons ainsi, par commodité, la consultation.
S'il s'agit de demander au personnel de se prononcer à froid sur le contenu d'un accord, on peut considérer que les conditions sont réunies pour que la démocratie directe s'exerce dans des conditions sereines. Même en l'absence de consensus des organisations syndicales sur les termes de l'accord, le débat peut avoir lieu et les explications sur les différents points de vue peuvent être discutées. On est, toutes proportions gardées, dans le même cheminement que dans la démocratie politique : chacun fait valoir son opinion et, à l'issue de ces exposés, les citoyens, ici les salariés, se déterminent dans le secret de l'isoloir.
En revanche, si ce que prévoit l'article 6 est apparemment la même chose, c'est en réalité strictement l'inverse. En effet, la consultation sera organisée, dans des conditions sur lesquelles nous aurons à revenir, au plus fort de la crise interne à l'entreprise.
Si, après tous les obstacles que pose le projet de loi à l'exercice du droit de grève, les salariés, ou un nombre non négligeable d'entre eux, décident de se mettre en grève, il leur aura fallu une réelle détermination ! Il aura fallu aussi que l'état des relations sociales dans l'entreprise soit à ce point dégradé que la procédure de négociation préalable ne permette pas d'aboutir à un accord, fût-ce a minima, conduisant à éviter la grève. Et c'est dans ces circonstances difficiles, monsieur le ministre, que vous prétendez qu'une consultation soit organisée !
Bien entendu, il ne s'agit que d'une faculté, d'un pari en quelque sorte. Dans un climat particulièrement lourd, le remède peut s'avérer pire que le mal : le résultat de la consultation pourrait être à ce point négatif pour l'employeur qu'il obérerait toute tentative de dialogue. De votre point de vue, il convient donc de laisser une certaine latitude à l'employeur, qui risque sinon d'être placé dans une situation à peu près intenable.
En revanche, si un accord a été trouvé, et même s'il ne satisfait que partiellement les revendications des salariés, grévistes ou non, une consultation est tout à fait superflue. La grève prend fin parce qu'une majorité se dessine très vite en assemblée générale pour choisir la reprise du travail. De plus, vous le savez, les syndicats ont toute capacité pour expliquer ce qu'ils ont pu obtenir et ne pas conduire les salariés dans des impasses.
Mais là n'est pas l'essentiel. Il est évident que l'article 6 parie sur les difficultés financières qui peuvent apparaître dans certaines familles au bout de huit jours de grève. Il est vrai que le niveau des salaires dans les services de transport publics permet d'espérer cette réaction ! Cet article, dans la plus pure tradition réactionnaire, vise donc à exploiter les difficultés des grévistes pour les conduire à accepter eux-mêmes de reprendre le travail, même s'ils n'ont rien obtenu.
L'objet de la consultation n'est pas seulement de parvenir à un résultat immédiat : il s'agit de diviser durablement les salariés, entre les plus déterminés et ceux qui sont le plus en difficulté. Il s'agit de casser toute dynamique revendicative dans l'entreprise en pariant sur le découragement des uns et la soumission des autres, il s'agit aussi de permettre à l'employeur de tenter de jouer sur d'éventuelles divisions syndicales. Sinon, pourquoi préciser qu'une seule organisation syndicale peut demander l'organisation d'une telle consultation ?
Au demeurant, une question se pose : quelle sera la portée juridique du résultat du vote, quel qu'il soit ?
La grève est un droit individuel. Il ne peut donc être soumis à une décision collective. La rédaction du projet de loi précise, avec prudence, que le résultat de la consultation « n'affecte pas l'exercice du droit de grève ». C'est une évidence !
La Cour de cassation, dans ses deux arrêts de 1985 et 1987, a bien précisé sur ce point que, « malgré un vote en faveur de la reprise du travail, une fraction minoritaire peut poursuivre la grève. Le droit de grève constitue un droit personnel que chacun peut exercer sans être lié par la loi de la majorité. Lorsque les revendications ont été considérées comme satisfaites par la majorité du personnel, la grève ne saurait être poursuivie par une minorité sans revendications nouvelles. » C'est dire que, si une majorité du personnel se prononce pour la reprise du travail, rien n'empêchera une minorité de poursuivre la grève au motif de revendications non satisfaites !
Nous voyons dans cette affaire deux conséquences fâcheuses, monsieur le ministre. D'une part, vous conduisez les entreprises dans une impasse juridique puisque le résultat du vote n'aura pas, et ne peut constitutionnellement pas avoir de portée contraignante. C'est une excellente chose sur le plan des libertés ; sur le plan de la logique de votre texte et de vos objectifs, toutefois, c'est une démonstration flagrante d'inutilité. D'autre part, sur le plan pratique, c'est un piège : des réactions jusqu'au-boutistes, émanant y compris de salariés ou de membres de syndicats représentatifs dans l'entreprise, sont possibles.
Les effets pervers de cette mesure sont donc nombreux, au détriment tant des salariés que de l'employeur, de l'entreprise dans son ensemble et, par conséquent, des usagers.
Ce que votre volonté de réduire le droit de grève met le plus en lumière, c'est que, dans une entreprise gérée de manière responsable, le dialogue social doit être permanent. Le respect et l'écoute des salariés sont un moyen beaucoup plus responsable et efficace de prévenir les conflits que ces mesures de contrainte qui interviennent forcément trop tard, dans un climat social dégradé. Pour les employeurs comme pour les syndicats et les salariés, elles ne feront que rendre les choses plus difficiles dans l'avenir.
L'intitulé du projet de loi apparaît comme une antiphrase : le texte constitue un obstacle au développement du dialogue social et peut donc déboucher sur une sévère interruption du service public.
C'est pourquoi nous demandons la suppression de l'article 6 et demandons un scrutin public.