Intervention de Marcel-Pierre Cléach

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 29 mars 2011 : 1ère réunion
Répartition des contentieux et allègement des procédures juridictionnelles — Examen du rapport pour avis

Photo de Marcel-Pierre CléachMarcel-Pierre Cléach, rapporteur pour avis :

Ce projet de loi, qui reprend les recommandations de la commission Guinchard, vise à simplifier l'organisation judiciaire ; s'il relève au premier chef de la commission des lois, trois de ses 27 articles concernent directement notre commission : l'article 23, qui supprime le tribunal aux armées de Paris, l'article 24, qui assouplit les peines applicables aux militaires et l'article 26 qui concerne l'entrée en vigueur et les dispositions transitoires. Notre commission ayant reçu une délégation au fond pour les articles de sa compétence, sa rédaction sera reprise intégralement dans le texte final établi par la commission des lois.

Déposé en mars 2010, ce projet de loi a été victime de l'encombrement de l'ordre du jour. À la demande du ministère de la défense, j'avais donc déposé une proposition de loi en février dernier, reprenant et complétant les dispositions relatives à la justice militaire. Le Gouvernement ayant finalement inscrit le projet de loi « Guinchard » à l'ordre du jour du 14 avril prochain, j'ai estimé préférable, en accord avec le président de notre commission, de vous présenter un rapport sur la base du texte du gouvernement. Ma proposition de loi a toutefois inspiré plusieurs amendements, que vous proposerai d'adopter.

J'ai auditionné les représentants du ministère de la défense et du ministère de la justice, le major général des armées, le procureur général près de la cour d'appel de Paris et le Procureur de la République de Paris, mais aussi des avocats, des officiers de la gendarmerie nationale, qui assure la mission de prévôté auprès des armées, ainsi que Robert Badinter, auteur de la réforme de 1982. Je me suis rendu au Tribunal aux armées de Paris, afin de rencontrer le président, le procureur, le juge d'instruction et le personnel.

J'étais initialement assez réservé sur l'idée de supprimer le tribunal aux armées de Paris, craignant une moindre prise en compte de la spécificité militaire devant les juridictions ordinaires. Toutefois, ma position a évolué au fur et à mesure des auditions et je suis désormais rassuré sur ce point.

L'histoire de la justice militaire est marquée par une tendance régulière au rapprochement avec la justice de droit commun. La justice militaire a longtemps été une justice d'exception, caractérisée par l'existence de tribunaux et de règles de procédures fortement dérogatoires, définies par le code de justice militaire. Ce régime était justifié, d'une part, par la volonté de garantir la discipline des armées, d'autre part, par le souci de protéger la spécificité du métier des armes. Pour autant, la rigueur, voire la partialité, de la justice militaire, illustrées notamment avec l'affaire Dreyfus ou sous la première guerre mondiale, ainsi que l'évolution de la société et l'importance croissante de la conscription, mirent en évidence l'inadaptation de cette organisation. Déjà Napoléon considérait qu'« on est citoyen français avant d'être soldat » et Clemenceau estimait que « la justice militaire est à la justice ce que la musique militaire est à la musique ». (Sourires)

Parmi les nombreuses réformes de la justice militaire, la plus importante est la loi du 21 juillet 1982, présentée par le Garde des Sceaux de l'époque, notre collègue Robert Badinter, qui a supprimé, en temps de paix, les tribunaux permanents des forces armées et a chargé des chambres spécialisées des juridictions de droit commun d'instruire et de juger les infractions commises par les militaires sur le territoire national. Tournant historique, cette réforme a mis un terme, au nom de l'unité de la justice, à un système dérogatoire.

Elle a été prolongée en 1999 puis en 2006 par plusieurs textes qui ont progressivement aligné le régime applicable aux militaires sur le droit commun. Citons la possibilité, depuis 2002, pour les victimes d'une infraction commise par un militaire de se constituer partie civile, la reconnaissance de l'appel ou encore l'alignement de la procédure de désignation du juge d'instruction du tribunal aux armées sur le droit commun.

En temps de paix et sur le territoire national, les infractions de droit commun commises hors service par des militaires sont jugées devant les juridictions ordinaires. En revanche, les infractions commises dans l'exercice du service relèvent des juridictions de droit commun comprenant une chambre spécialisée en matière militaire, dont les magistrats ont été spécifiquement désignés. Il existe 33 juridictions de droit commun spécialisées, soit un tribunal correctionnel et une cour d'assises dans le ressort de chaque cour d'appel.

Le Tribunal aux armées de Paris est, pour sa part, compétent pour la poursuite, l'instruction et le jugement des infractions de toute nature commises par les militaires hors du territoire national et en temps de paix, par exemple en Afghanistan.

En temps de paix, les règles de procédure sont celles de droit commun, sous réserve de quelques particularités procédurales, dont la plus notable tient à l'avis consultatif préalable du ministre de la défense avant toute poursuite pénale à l'encontre d'un militaire. Cet avis explique et précise au cas par cas le contexte opérationnel des faits. Il ne lie pas le procureur de la République, qui décide seul de la mise en oeuvre de l'action publique.

Enfin, le code de justice militaire prévoit le rétablissement immédiat des juridictions militaires en temps de guerre, d'état d'urgence ou d'état de siège.

Il existe trois catégories de juridictions militaires Sur le territoire national, les tribunaux territoriaux des forces armées et le Haut tribunal des forces armées, compétent pour juger les maréchaux, amiraux et officiers généraux ; en dehors du territoire, les tribunaux militaires aux armées. La procédure devant ces juridictions est fortement dérogatoire : la mise en oeuvre de l'action publique relève du seul ministre de la défense, et la constitution de partie civile est impossible. Comme le disait Robert Badinter, à l'époque Garde des Sceaux, « dans le temps de l'exception, l'impératif de survie de la collectivité nationale l'emporte sur tout autre considération ».

Cette tendance à la banalisation de la justice militaire s'observe dans la plupart des démocraties occidentales. L'Allemagne et la Belgique ont supprimé les juridictions militaires en temps de paix. Au Royaume-Uni, en Espagne et en Italie, la justice militaire est plus ou moins intégrée à la justice de droit commun et fonctionne selon les mêmes principes. Seule la Suisse a une justice militaire totalement indépendante de la justice de droit commun.

Le projet de loi supprime le Tribunal aux armées de Paris et donne compétence au pôle spécialisé en matière militaire du TGI de Paris pour les infractions commises par les militaires à l'étranger en temps de paix. C'est l'aboutissement de la réforme engagée en 1982 et l'achèvement du processus de rapprochement de la justice militaire de la justice de droit commun. Les règles procédurales particulières applicables aux militaires ne sont pas modifiées, non plus que le régime applicable en temps de guerre.

Le Tribunal aux armées de Paris n'a de militaire que le nom, puisqu'il est composé exclusivement de magistrats civils issus du corps judiciaire et qu'il applique les règles du code de procédure pénale. Juridiction hybride, il est rattaché au ministère de la défense et ses parquetiers sont nommés par le ministre de la défense sans avis préalable du Conseil supérieur de la magistrature. Détachés auprès du ministère de la défense, ces magistrats reçoivent un grade d'assimilation : le procureur a celui de colonel.

Ces règles dérogatoires alimentent les suspicions de dépendance et de partialité, et entretiennent le mythe d'une juridiction servant à assurer l'impunité de la hiérarchie militaire. Par ailleurs, elles ne tiennent pas compte de l'évolution du statut de la magistrature et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion