Intervention de Jean-René Lecerf

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 13 avril 2011 : 1ère réunion
Protection de l'identité — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-René LecerfJean-René Lecerf, auteur de la proposition de loi :

Il y a six ans, la commission des lois m'a lancé sur le sujet en me confiant une mission que j'ai assurée avec M. Charles Guené, portant sur la fraude documentaire. Nous avions intitulé notre rapport Identité intelligente et respect des libertés. Mais depuis 2005, il ne s'est rien passé. Nous avions accéléré la remise du rapport afin de ne pas être devancés par le projet de loi Ines. La technologie était alors préhistorique et la France était en avance sur les autres pays européens, mais elle a aujourd'hui pris un retard considérable. Les entreprises françaises sont en pointe mais elles ne vendent rien en France, ce qui les pénalise à l'exportation par rapport aux concurrents américains.

Le nombre des usurpations d'identité croît sans cesse. Le gouvernement a estimé que le travail du Credoc n'était pas fiable, mais la méthode des enquêteurs est similaire à celle des instituts de sondage. La question - restrictive - a abouti à 210 000 réponses positives. Le ministère, lui, n'a pas de données sur la question puisqu'il n'y a pas d'incrimination spécifique pour usurpation d'identité ; celle-ci est généralement suivie d'escroquerie - mais toute escroquerie ne commence pas par une telle usurpation.

Il s'agit d'un sport très facile à pratiquer. Je me demande pourquoi certains délinquants persistent à braquer des banques quand il est si simple d'usurper une identité. Une poubelle sur dix contient les éléments suffisants pour s'attribuer l'identité d'un membre du foyer. On y trouvera de quoi demander un document d'état civil, à partir duquel on obtiendra une vraie-fausse carte d'identité. Grâce à celle-ci on ouvrira un compte bancaire, que l'on approvisionnera faiblement. On demandera un prêt ; on l'obtiendra et c'est un autre qui le remboursera. Et tout cela quasiment sans risque ! S'il n'y a pas 210 000 usurpations d'identité aujourd'hui, il y en aura beaucoup plus avant longtemps. L'usurpation d'identité sur Internet est également en croissance continue.

Les conséquences sont sans gravité lorsque l'identité est imaginaire ou appartient à une personne décédée, mais calamiteuses quand il s'agit d'une personne vivante dont l'identité est volée et revendue, peut-être à dix personnes... La victime ne pourra plus quitter le territoire. Elle ne pourra plus se marier, elle est réputée l'être déjà. Elle sera condamnée pour autrui, son nom sera porté au casier judiciaire national. Des individus ont aussi pu travailler dans les aéroports, près des avions, avec une fausse identité. La victime sera privée de chéquier, elle subira une interdiction bancaire. Dans certains cas, tout cela se termine par un suicide.

La réponse la plus judicieuse est la biométrie. M. Guené et moi-même avons rencontré en 2005 des parlementaires américains qui nous ont dit : si vous n'avez pas de passeport biométrique, vous n'entrerez plus aux États-Unis. Les empreintes digitales sont inscrites sur une puce dans la carte d'identité, et l'Imprimerie nationale qui confectionne les passeports pourrait aussi bien fabriquer des cartes d'identité biométriques qui règleraient le problème de l'usurpation d'identité. Le système le plus élémentaire est la biométrie sans base centrale : le douanier, le gendarme, le responsable d'une agence bancaire peut comparer les empreintes de la personne et celles gravées dans le titre d'identité. Cette comparaison autorise une authentification, non une identification, puisque la personne peut avoir d'autres identités.

Mais comme la multiplication des identités est fréquente dans les entreprises terroristes, par exemple, nous voulons aller plus loin : le douanier, le gendarme doivent être certains que la personne est bien celle à qui la carte a été délivrée ; et que cette personne n'est pas enregistrée sous d'autres identités. Alors on peut parler d'identification.

Or pour cela, il faut une base de données. Il revient au législateur d'en définir l'étendue, l'utilisation, l'architecture. Une base à lien faible sert à vérifier l'unicité de l'identité d'une personne. Sera-t-il possible d'identifier des personnes âgées désorientées, des enfants perdus ? En tout cas, l'utilisation dans le cadre des enquêtes criminelles est écartée. L'objectif visé est de mettre un terme aux usurpations d'identité sans méconnaître les libertés publiques. En 2005, l'argument essentiel contre ce type de fichier était qu'il aurait interdit, entre 1940 et 1944, la fabrication de fausses identités. C'était la seule objection.

Le ministère de l'intérieur sera tenté d'aller au-delà. Précisément, bâtir un système à lien faible nous assure que jamais le fichier ne pourra être exploité à d'autres fins que la vérification d'identité.

Le Gouvernement souhaite aussi qu'en option, figure sur la carte d'identité une seconde puce portant la signature électronique de la personne, autorisant l'authentification à distance, ce qui remplacerait le recours à des sociétés commerciales.

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