Intervention de Nicole Bonnefoy

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 22 novembre 2011 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2012 — Mission solidarité insertion et égalité des chances - programme egalité entre les hommes et les femmes - examen du rapport pour avis

Photo de Nicole BonnefoyNicole Bonnefoy, rapporteur pour avis :

Pour la première fois cette année, nous nous saisissons pour avis sur les crédits du programme n° 137 : « égalité entre les hommes et les femmes » de la mission « solidarité, insertion et égalité des chances ».

En effet, près des trois quarts des crédits de ce programme sont consacrés à la promotion des droits, à la prévention et à la lutte contre les violences sexistes - sujet auquel notre commission est particulièrement attachée et qui relève pleinement de notre compétence. Je vous rappelle nos travaux sur les lois de 2006 et de 2010 relatives aux violences conjugales.

Toutefois, l'examen des crédits de ce programme nous permettra également de dresser un état des lieux de l'ensemble des actions conduites par les pouvoirs publics en matière d'égalité entre les hommes et les femmes. Le champ du programme n°137 inclut en effet le soutien à diverses politiques publiques - représentation des femmes au sein des conseils d'administration des entreprises, promotion de la parité dans la vie politique, mixité dans les filières de formation, etc.

A cet égard, au regard de l'enjeu majeur que constitue pour notre société l'amélioration des droits des femmes dans l'ensemble de ces domaines, les crédits consacrés au soutien de ces politiques publiques - 20,1 millions d'euros en 2012 - paraissent nettement insuffisants.

Je vous propose de retracer rapidement les grands équilibres de ce « petit » budget, avant de vous proposer un premier bilan de la loi du 9 juillet 2010 sur les violences conjugales.

Fondé sur le constat d'une persistance des inégalités entre les hommes et les femmes dans les différentes sphères de la vie politique, économique et sociale, le programme n°137 vise essentiellement, par la mobilisation de crédits d'intervention, à promouvoir un ensemble d'actions concourant à la résorption de ces inégalités.

En 2012, la maquette budgétaire est modifiée afin de mieux rendre compte des actions conduites. Elle inclut :

- d'une part, un ensemble d'actions tendant à diminuer les inégalités hommes - femmes dans l'ensemble des sphères de la société. Cette action est dotée de près de 5 millions d'euros (un quart des crédits du programme), qui permettront de financer notamment 650 prix de la vocation scientifique et technique des jeunes filles, 133 nouveaux contrats finançant des formations qualifiantes et/ou des aménagements de poste de travail, les actions des 56 bureaux d'accompagnement individualisé vers l'emploi intégrés aux CIDFF, etc. 280 000 euros seront par ailleurs consacrés à l'égalité entre les femmes et les hommes dans la vie politique et sociale ;

- d'autre part, une action consacrée spécifiquement aux violences faites aux femmes. Cette action sera dotée en 2012 d'un peu moins de 15 millions d'euros (72% des crédits du programme), qui permettront de distribuer des subventions à des associations intervenant sur les violences aux femmes, l'éducation à la sexualité et l'accès au droit des femmes issues de l'immigration.

J'attire votre attention sur le fait que les crédits alloués aux associations ne sont pas tous distribués par le programme n°137 : les programmes n°101 : « accès au droit et à la justice » et n°177 : « prévention de l'exclusion et insertion des personnes vulnérables », qui finance notamment des accueils de jour pour les femmes victimes de violence, y contribuent également.

Vous le voyez, il s'agit là d'un programme modeste par les montants de ses crédits mais ambitieux par les objectifs nombreux qu'il poursuit. A cet égard, je m'étonne que les indicateurs retenus par les documents budgétaires soient aussi parcellaires.

J'en viens maintenant à un point d'inquiétude majeur : les crédits distribués par le programme n°137 diminueront de 5% l'an prochain, passant de 21,16 millions d'euros à 20,10 millions d'euros. Comme ce programme est presque intégralement constitué de crédits d'intervention, ce sont autant de crédits qui ne seront pas versés aux associations.

Cette diminution est préoccupante à un double titre :

- tout d'abord, elle risque de déstabiliser des associations qui font pourtant un travail remarquable sur le terrain ;

- d'autre part, nous traversons actuellement une crise économique majeure, et, comme nous le savons, les femmes sont toujours les premières affectées par les difficultés du marché de l'emploi (prédominance du travail à temps partiel et du travail précaire, écarts de salaires moyens de 27%, etc.) et sont les plus concernées par les « petites retraites ».

Or les subventions accordées aux différents intervenants en matière d'emploi diminueront de 250 000 euros en 2012, soit de 7,22% par rapport à l'an passé.

S'agissant de la prévention et de la lutte contre les violences faites aux femmes, le financement des principales associations fait l'objet d'une planification triennale dans le cadre de contrats d'objectifs et de moyens, mais les montants alloués sont à peine suffisants pour permettre à ces associations d'équilibrer leurs comptes.

Au total, je m'associe donc pleinement aux remarques formulées par notre collègue Éric Bocquet, rapporteur spécial des crédits de la mission « solidarité, insertion et égalité des chances » pour la commission des finances du Sénat, qui relève dans son rapport spécial « que la « maîtrise des dépenses publiques » vantée par le Gouvernement passe en réalité par des économies de « bout de chandelle » qui ne manqueront pas de créer des difficultés majeures pour les associations alors même qu'il s'agit d'acteurs de terrain indispensables pour relayer la politique en faveur des femmes ».

J'en viens maintenant au bilan de l'action menée par le Gouvernement en matière de lutte contre les violences conjugales. J'évoquerai quatre sujets : les progrès réalisés pour améliorer le taux de plainte des victimes ; la trop lente mise en oeuvre des outils créés par la loi du 9 juillet 2010 ; la formation des professionnels ; enfin, la question de l'hébergement d'urgence des femmes victimes de violences.

Tout d'abord, de quoi parle-t-on lorsque l'on parle des violences conjugales ? En 2009, celles-ci ont représenté 232 morts et un peu plus de 56 000 faits de violence non mortelle sur conjoint(e) ou ex-conjoint(e). Le nombre de condamnations inscrites au casier judiciaire ne cesse d'augmenter : 17 358 condamnations en 2010 (dont 93 crimes), soit une progression de 8,3% des condamnations en trois ans. Néanmoins, ces chiffres paraissent bien en-deçà des violences conjugales réellement subies : plus de 80% des victimes de violences conjugales ne se déplacent pas à la police ou à la gendarmerie. Une amélioration du taux de plainte constitue donc un préalable indispensable à une prise en charge de la victime.

A cet égard, il faut admettre que des progrès réels ont été réalisés au cours des années récentes, dans la gendarmerie, la police nationale ou encore dans les parquets. Par ailleurs, plusieurs actions de sensibilisation à destination du grand public ont été menées au cours des années récentes. Il me semble qu'il y a lieu de saluer ces évolutions qui, en offrant à la victime la garantie d'être écoutée et entendue, sont de nature à améliorer le taux de plainte.

J'en viens à la mise en oeuvre de la loi du 9 juillet 2010. Celle-ci a instauré deux mécanismes novateurs de protection de la victime : un nouvel outil juridique - l'ordonnance de protection - , et un instrument technique - l'expérimentation d'un dispositif électronique « anti-rapprochement ». Or la mise en oeuvre de ces nouveaux instruments est trop lente.

S'agissant de l'ordonnance de protection, tout d'abord, les informations collectées par le ministère de la Justice mettent en évidence une application extrêmement hétérogène sur l'ensemble du territoire national des dispositions relatives à l'ordonnance de protection, qui ne peuvent pas s'expliquer uniquement par des différences objectives d' « exposition » des territoires aux violences conjugales. De fortes disparités peuvent être constatées au sein de territoires présentant pourtant des caractéristiques économiques et sociales comparables. Dans 82% des cas, l'ordonnance de protection a été requise par un avocat ; dans 17% des cas, elle l'a été par la victime et dans 1% des cas, elle l'a été par le ministère public. Le délai moyen écoulé entre la saisine du JAF et le délibéré est de 26 jours, ce qui est excessivement long au regard de la situation de danger dans laquelle peut se trouver la victime.

Au vu des réponses fournies par le ministère de la Justice, la pratique des JAF montre que :

- l'ordonnance de protection est utilisée comme un outil complémentaire, voire subsidiaire, aux procédures de droit commun déjà existantes, que ce soit en matière civile ou pénale ;

- par son caractère récent et novateur, l'ordonnance de protection suscite chez les magistrats un certain nombre d'interrogations, tant sur la procédure applicable que sur le fond. En particulier, les JAF ont du mal à s'approprier les notions de « vraisemblance des faits de violence allégués et le danger auquel la victime est exposée » (article 515-10 du code civil), qui sont propres au droit pénal ;

- plusieurs magistrats relèvent par ailleurs que l'efficacité du dispositif repose, au moins en partie, sur l'existence d'un partenariat actif entre les associations d'aide aux victimes, le barreau local et l'ensemble des auxiliaires de justice. Par exemple, certains greffes mettent en contact la victime avec l'association locale pour que cette dernière l'aide à réaliser ses démarches dans les délais les plus brefs. Un « circuit » de prise en charge a ainsi été mis en place au sein du TGI de Bobigny ;

- il apparaît enfin que l'ensemble des acteurs connaît très mal cette nouvelle procédure : seules 27% des juridictions (soit 33 TGI) ont eu connaissance d'actions de formation ou de sensibilisation sur l'ordonnance de protection, ce qui est fortement préoccupant. J'y reviendrai.

S'agissant des retards pris dans la mise en place de dispositifs anti-rapprochement, la loi du 9 juillet 2010 inclut deux séries de dispositions élargissant la possibilité de placer l'auteur des faits sous surveillance électronique et ainsi de mieux protéger la victime.

Tout d'abord, cette loi a abaissé le seuil à partir duquel un auteur de violences conjugales peut être placé sous surveillance électronique mobile (« bracelet électronique »), avant et après la peine.

Elle a par ailleurs prévu la mise en place, à titre expérimental pendant trois ans, d'un dispositif électronique anti-rapprochement permettant d'alerter les autorités en cas de violation des obligations imposées à l'auteur des faits, ou du port par la victime d'un dispositif électronique permettant de signaler à distance que l'auteur se trouve à proximité.

A l'heure actuelle, la mise en oeuvre de ces dispositions connaît de nombreux retards.

En effet, l'application des dispositions facilitant le placement sous bracelet électronique de l'auteur des faits est tributaire de la façon dont, plus largement, ce dispositif est utilisé par l'autorité judiciaire et par l'administration pénitentiaire. Or, à l'heure actuelle, le recours à ce procédé est encore peu répandu, comme nous l'a indiqué la semaine dernière notre collègue Jean-René Lecerf dans son avis sur les crédits alloués par le PLF pour 2012 à l'administration pénitentiaire. S'agissant de la prise en charge des auteurs de violences conjugales, à la date du 18 octobre 2011, seuls quatre placements sous bracelet électronique mobile avaient été décidés. Or la faiblesse du recours à ce procédé risque de compromettre les chances de réussite du dispositif anti-rapprochement dont la loi du 9 juillet 2010 a prévu l'expérimentation.

Ce dispositif, inspiré de l'exemple espagnol, permet d'attribuer à la victime un bracelet électronique qui envoie un signal à un opérateur lorsque l'auteur des violences, lui-même porteur d'un bracelet électronique, se rapproche de celle-ci. Le démarrage de l'expérimentation, qui a pris du retard en raison de difficultés techniques, a été fixé au 1er janvier 2012. Les TGI de Strasbourg, Aix-en-Provence et Amiens ont été désignés comme sites pilotes. Cette expérimentation permettra notamment d'évaluer l'impact psychologique de ce dispositif sur la victime, elle-même astreinte au port d'un bracelet électronique.

Au-delà de ce dispositif, qui devra faire la preuve de son efficacité, mon attention a été alertée sur les résultats plutôt positifs du dispositif « femmes en très grand danger », expérimenté depuis novembre 2009 dans le TGI de Bobigny et, depuis octobre 2010, dans les tribunaux du Bas-Rhin. Ce système se traduit par la remise de téléphones portables préprogrammés aux femmes victimes de violences par un magistrat du parquet, en présence d'une association d'aide aux victimes. D'après les personnes que j'ai entendues, il donne de très bons résultats et rassure les femmes qui en sont dotées. Au vu de ces informations, il me paraît souhaitable qu'une évaluation précise de ce dispositif soit conduite rapidement par le ministère de la Justice et, le cas échéant, que son extension à l'ensemble du territoire national puisse être envisagée.

J'en viens maintenant aux questions de formation des personnels. En dépit de la reconnaissance explicite dans le code pénal de la notion de harcèlement moral au sein du couple depuis la loi du 9 juillet 2010, il semble que de nombreux professionnels de justice et de santé continuent à méconnaître les phénomènes de violence et d'emprise psychologique, qui sous-tendent pourtant quasi-systématiquement les violences conjugales et précèdent bien souvent les violences physiques. Il est tout à fait crucial que les professionnels soient formés à la détection de cette forme particulièrement insidieuse de violence.

Or, en la matière, les progrès paraissent encore largement insuffisants. Certes, des efforts importants ont été accomplis par le ministère de la Justice pour renforcer la sensibilisation des personnels de justice à la thématique des violences conjugales. Il me semble que les JAF, dont certains peinent à s'approprier l'outil juridique que constitue l'ordonnance de protection comme je vous l'ai indiqué, devraient être prioritairement concernés par cette offre de formation.

En revanche, il apparaît que le cursus de formation des personnels de santé n'inclut toujours aucune action de sensibilisation à cette problématique. Cela est d'autant plus regrettable que le législateur a accordé aux médecins le droit de signaler les faits de violences au procureur de la République sans être contraint par le respect du secret médical, notamment lorsque la victime est une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son incapacité physique ou psychique.

La loi du 9 juillet 2010 avait demandé qu'un rapport sur la mise en place d'une formation spécifique en matière de prévention et de prise en charge des violences soit présenté au Parlement avant le 30 juin 2011. A ce jour, ce rapport n'a toujours pas été transmis, en raison, apparemment, de l'inertie des ministères chargés de la santé et de l'enseignement supérieur (ce dernier étant compétent en matière de formation des personnels de l'Éducation nationale). Il me paraît nécessaire d'appeler l'attention du Gouvernement sur ces lacunes.

Je terminerai en évoquant la question de l'hébergement d'urgence. La perspective de ne pas disposer d'un logement sûr pour elle et ses enfants constitue très souvent un frein dissuadant la victime de solliciter la protection de la Justice. Pour cette raison, notre droit permet d'évincer le conjoint violent du domicile conjugal, dans un cadre civil (loi de 2004 sur le divorce), dans un cadre pénal ou désormais également dans le cadre de l'ordonnance de protection. Depuis une circulaire du 19 avril 2006, les parquets sont invités à requérir l'éviction de l'auteur des violences du domicile ou de la résidence du couple, quel que soit le stade de la procédure. Cette possibilité est de plus en plus utilisée par les magistrats, puisqu'en 2006, la mesure n'était prononcée que dans 10% des cas alors qu'en 2010, elle l'a été dans près de 20% des cas.

Ce dispositif ne permet toutefois pas de faire l'économie de la mise en place d'un dispositif d'hébergement d'urgence à destination des victimes. A ce sujet, les documents budgétaires sont particulièrement laconiques. Apparemment le Gouvernement ne dispose pas d'évaluations étayées et récentes du nombre de places d'hébergement d'urgence ouvertes aux femmes victimes de violences. Cela m'apparaît d'autant plus regrettable que, lors de leur audition, les associations que j'ai rencontrées ont dénoncé le manque de places d'hébergement dans des structures d'hébergement spécialisé - l'hébergement généraliste ne permettant pas d'offrir à la victime un accompagnement social, administratif et juridique adapté. Elles estiment notamment à 6 000 - contre 3 000 à l'heure actuelle - le nombre de places d'hébergement spécialisé nécessaire.

Il me paraît nécessaire d'insister pour qu'un effort très sensible soit porté sur cette question, les dispositions relatives à l'éviction du domicile du conjoint violent ne permettant pas à elles seules de garantir en toutes circonstances la sécurité de la victime.

En conclusion, sans nier la réalité d'un certain nombre de progrès accomplis au cours des années récentes pour promouvoir des dispositifs permettant de résorber les inégalités hommes - femmes et mieux prendre en compte les violences subies par les femmes, j'observe que les moyens budgétaires mobilisés sont nettement insuffisants au regard des besoins constatés. En outre, les diminutions de crédits prévues par le présent projet de loi de finances risquent de déstabiliser des associations menant pourtant sur le terrain des actions essentielles en ces matières. Enfin, certains ministères tardent à s'impliquer dans la mise en oeuvre de la loi du 9 juillet 2010. Pour l'ensemble de ces raisons, je vous propose de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme n°137 : « égalité entre les hommes et les femmes » au sein de la mission « solidarité, insertion et égalité des chances ».

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion