Cinq ans après avoir adopté la loi d'orientation agricole, fin 2005, le Parlement est de nouveau appelé à se pencher, avec ce projet de loi de modernisation, sur l'agriculture, en même temps que sur la pêche, dont vous parlera plus au long Charles Revet, co-rapporteur de ce texte.
Il était urgent de répondre à la crise agricole, urgent de trouver des solutions pour rendre espoir à des exploitants déboussolés par l'instabilité majeure qui a secoué, ces dernières années, les filières agricoles, alors que l'agriculture était naguère le symbole de la stabilité.
Or l'agriculture pour la France, c'est vital ! Comme l'a indiqué le Président de la République dans le long entretien qu'il a accordé à La France agricole et AgraPresse, le 26 avril, « l'agriculture, en matière économique, c'est aussi important que le spatial, que l'aéronautique ou que l'industrie ». Ce projet de loi doit rendre une ambition économique à l'agriculture.
C'est une fierté pour le Sénat, saisi en premier de ce texte, au contraire de ce qui s'était passé pour la loi d'orientation, de voir ainsi confirmée son expertise sur les questions agricoles. Ce choix traduit une confiance dans la qualité de nos travaux et dans l'enthousiasme que nous mettons à traiter des sujets de fond.
Nous avons effectué une centaine d'auditions, avec la plupart des responsables des secteurs de la production, de la transformation, de la distribution, des spécialistes des questions alimentaires, des chercheurs. Nous avons entendu tous ceux qui ont demandé à l'être. Ce travail préparatoire a été très utile pour mieux cerner les enjeux de ce texte ainsi que les attentes et les préoccupations du monde agricole.
Mercredi dernier a eu lieu un long et passionnant débat d'orientation sur la situation de l'agriculture, où il a été largement question de ce projet de loi. Nous allons en débattre alors que la crise, qui a marqué la genèse de ce texte, perdure : elle marquera nos discussions.
Ayons également conscience que cette loi n'est pas parée de vertus miraculeuses. Elle ne résoudra pas à elle seule tous les problèmes de l'agriculture. Elle est davantage une boîte à outils dont les acteurs des filières devront se saisir pour progresser.
La manifestation de la crise, c'est avant tout la baisse des revenus : avec 32 % de baisse en 2009, le revenu net d'actif agricole a connu un de ses plus forts reflux depuis bien longtemps. Quelle autre profession a vu ses revenus baisser d'un tiers ? Quel secteur a été plus touché que les agriculteurs en 2009 ? Je n'en vois pas beaucoup.
L'envolée des cours est bien derrière nous. Les années 2006 et 2007 ont été fastes. Mais depuis deux ans, les baisses ont fait plus qu'annuler les hausses. Dans les céréales notamment, les cours du blé sont désormais en dessous de ce qu'ils étaient au début de la flambée des cours.
La crise du lait a dominé toute l'année 2009. Elle inspire la loi, en particulier son volet relatif aux contrats, qui provient directement d'une réflexion sur la régulation de la filière laitière à laquelle le Sénat a contribué puisque c'est notre commission qui a alors saisi l'Autorité de la concurrence sur les prix du lait, en juin dernier.
Second élément marquant du contexte : l'Europe. La PAC, formidable amortisseur des marchés agricoles, a vu son rôle de régulation des marchés réduit à la portion congrue. Devenue une sorte de distributeur automatique de droits à paiement unique, elle a perdu beaucoup de son sens. Sa réforme, en préparation pour 2013, devra être l'occasion de lui redonner de l'ambition et les outils de la régulation, et ses partisans renforcent chaque jour leurs positions à mesure que l'on se rend compte des dégâts du « tout marché ». Au-delà des filets de sécurité en cas de crise, il faut faire avancer cette ligne à Bruxelles, et créer les instruments de la stabilité.
Le texte que nous propose le Gouvernement traduit également cette volonté régulatrice. S'inscrivant clairement dans la perspective de l'après 2013, il entend répondre à cinq défis : accroître le lien entre production, alimentation, nutrition, santé, pour refonder sur l'alimentation la légitimité des politiques agricoles ; faire face à la forte instabilité des marchés ; rendre du poids aux producteurs dans les filières agricoles et agro-alimentaires, face à un aval très concentré ; gérer l'accroissement des risques climatiques et la recrudescence des menaces sanitaires ; contenir, enfin, la diminution régulière de l'espace agricole. Il le fait à travers 24 articles, répartis en cinq titres.
Le titre premier crée un programme national de l'alimentation pour lequel les opérateurs devront transmettre des données permettant d'en suivre l'exécution, qui impose le respect de règles nutritionnelles dans les restaurants scolaires, définit un statut de l'aide alimentaire et habilite le Gouvernement à tirer les conséquences législatives des États généraux du sanitaire qui viennent de s'achever.
Le titre II met à disposition des agriculteurs une palette d'outils pour les aider à reprendre un peu leur destin en main : contrats écrits obligatoires, à l'article 3, accords interprofessionnels rénovés à l'article 7, renforcement des organisations de producteurs à l'article 8, assurances face aux risques aux articles 9 et 10, Observatoire des prix et des marges pour accroître la transparence, à l'article 6. Tous ces outils ont un objectif commun : rendre de la compétitivité à notre agriculture, mieux l'organiser pour affronter la concurrence internationale et européenne.
Ce titre comprend également des mesures tendant à moraliser les pratiques commerciales dans le secteur des fruits et légumes, en interdisant la vente sans bon de commande et en suspendant les remises, rabais et ristournes en cas de crise. Il encadre par ailleurs les conditions de la publicité hors du lieu de vente, en subordonnant celle-ci à un accord écrit préalable.
Le titre III crée un plan régional pour l'agriculture durable, institue un observatoire de la consommation des terres agricoles et une commission chargée de donner son avis sur le déclassement de terres agricoles, interdit le photovoltaïque à la place des cultures, crée une taxe sur les plus-values réalisées lors de la vente de terrains anciennement classés en zone agricole. Il contient également diverses dispositions environnementales et surtout, un volet forestier visant à développer la production de bois dans les forêts françaises, publiques comme privées.
Le titre IV est consacré à la pêche et l'aquaculture, dont Charles Revet vous parlera tout à l'heure.
Le titre V, enfin, concerne l'adaptation par ordonnances de certaines règles posées par ce texte en outre-mer.
Nous travaillons sur une bonne base, à laquelle je vous proposerai d'apporter quelques retouches, mais aussi certaines améliorations plus substantielles. Je me suis employé à identifier les points de consensus, mais aussi les axes sur lesquels il était possible de progresser, dans une relation de partenariat constructif avec les interlocuteurs professionnels des secteurs agricoles, et le ministère de l'Agriculture.
Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche, s'est rendu très disponible pour le Sénat. Lorsqu'à trois reprises déjà il est venu nous rencontrer pour présenter son texte et l'actualité de son ministère, il s'est montré à l'écoute des inquiétudes ou des suggestions que nous lui avons fait remonter du terrain. Nous avons évalué ensemble les moyens de faire évoluer ce texte, dans au moins trois directions. L'intégration, tout d'abord, d'un volet relatif à l'installation. Il ne suffit pas de préserver les terres agricoles, encore faut-il que des jeunes s'y installent et en assurent l'exploitation. Je proposerai deux amendements en ce sens. La consommation, ensuite, et en particulier l'étiquetage des produits : nous proposons un amendement fixant dans la loi le principe d'un étiquetage de l'origine des produits alimentaires. Enfin, l'allègement, autant que possible, des charges qui pèsent sur les exploitations et les mettent en difficulté. Sur ce dernier sujet, nous avons longuement travaillé avec le ministère pour parvenir à des points d'accord. Dans la mesure où nous avons obtenu ce qui était le plus important, à savoir des dispositifs de lissage des charges fiscales et sociales, destinés à amortir les chocs sur les trésoreries des exploitations, nous avons dû renoncer à certaines revendications, notamment sur les provisions pour hausses des prix des intrants ou sur la cotisation minimale à la Mutualité sociale agricole. J'ai négocié jusqu'à hier pour parvenir à des points d'équilibre acceptables : nous aurons l'occasion d'en discuter durant nos débats de commission.
Parmi les évolutions que je vais vous proposer sur ce texte, figurent la clarification du régime juridique des contrats écrits obligatoires, dont l'instauration pourra être décidée d'abord par l'interprofession et, faute d'accord, par décret, ainsi que l'enrichissement des missions des interprofessions, notamment en matière de connaissance des marchés, d'enregistrement des contrats ou encore de possibilité de s'organiser en collèges ; l'interdiction de la pratique du prix après vente et la suppression des remises, rabais et ristourne toute l'année, même en dehors des périodes de crise, pour le secteur des fruits et légumes, que connaît bien Daniel Soulage ; le renforcement de l'Observatoire des prix et des marges qui sera doté d'un président et la réactivation de l'Observatoire des distorsions de concurrence ; la suppression du statut d'agriculteur-entrepreneur, qui n'a pas rencontré un grand succès auprès des professionnels rencontrés ; le remplacement de la nouvelle taxe sur les plus-values de cession de terrains agricoles devenus constructibles par une généralisation de la taxe forfaitaire instituée au profit des communes dans la loi portant engagement national pour le logement, sachant que sur ce point, les choses pourront encore évoluer car notre souhait serait de pouvoir flécher les recettes de cette taxe pour financer l'installation ou encore l'agriculture périurbaine de proximité ; la mise en place d'outils de couverture des risques et d'outils incitatifs pour une meilleure gestion des forêts. Enfin, nous n'avons pas oublié l'outre-mer, en prévoyant que les règles posées par la loi devront lui être appliquées.
Nous avons en outre insisté pour que l'assurance prévue à l'article 9 se développe rapidement. L'une des conditions de ce développement reste l'existence d'une solution de réassurance, privée et publique, qui ne peut cependant être imposée par amendement parlementaire. Mais nous ne sommes pas restés inactifs et les discussions vont se poursuivre pour obtenir la garantie que l'État ira, sur ce sujet, le plus loin possible.