Intervention de René Garrec

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 7 mai 2008 : 1ère réunion
Archives — Examen du rapport en deuxième lecture

Photo de René GarrecRené Garrec, rapporteur :

Enfin, la commission a procédé, sur le rapport de M. René Garrec, à l'examen, en deuxième lecture, du projet de loi organique n° 304 (2007-2008), modifié par l'Assemblée nationale, relatif aux archives du Conseil Constitutionnel et du projet de loi n° 305 (2007-2008), modifié par l'Assemblée nationale, relatif aux archives.

a tout d'abord rappelé que le Sénat, saisi en premier lieu des deux projets de loi, avait :

- approuvé sans modification le projet de loi organique relatif aux archives du Conseil constitutionnel, considérant qu'il soumettait opportunément les archives de ce dernier à un régime de communication de droit commun, à savoir vingt-cinq ans contre soixante actuellement, même pour les documents se rapportant à l'activité du Conseil en tant que juge électoral ;

- adopté cinquante-sept amendements au projet de loi ordinaire, dont trente-neuf de la commission des lois, relevant que notre assemblée avait, en particulier, donné un statut aux archives des groupements de collectivités territoriales, qui faisaient figure d' « archives oubliées », et modifié les délais de communication proposés par le texte.

Il a insisté sur le fait que, contrairement à ce qui avait été affirmé par certains historiens, le Sénat n'avait pas cherché à consacrer le « culte du secret » mais à adopter une démarche équilibrée, conciliant la recherche historique et la préservation de la vie privée et de la réputation des personnes. Il a fait valoir que non seulement la Haute assemblée n'avait pas remis en cause le raccourcissement des délais de communication des archives publiques ayant trait à l'histoire de l'Etat et à la mémoire collective, raccourcissement proposé par les projets de loi, mais encore avait été, dans ce domaine, plus ambitieuse que le projet de loi ordinaire, et ce à travers deux avancées significatives :

- en permettant la mise en ligne des archives publiques dès l'expiration des délais de communication. Le projet de loi initial posait le principe de la communication des documents tombés dans le domaine public à « toute personne qui en fait la demande ». La suppression de cette expression, décidée par le Sénat, permet aux personnes en charge d'archives publiques de mettre en ligne, si elles le souhaitent, des documents communicables dignes d'intérêt ;

- en ouvrant plus largement les archives judiciaires audiovisuelles. Le Sénat a décidé d'assouplir le régime de communication des archives judiciaires audiovisuelles institué par la loi du 11 juillet 1985 relative à l'enregistrement audiovisuel ou sonore des audiences des juridictions en prévoyant une communication immédiate des archives judiciaires audiovisuelles dès lors qu'elle est sollicitée à des fins scientifiques ou historiques et que le procès est définitivement clos.

Il a déclaré que tout en renforçant l'objectif du projet de loi d'ouvrir plus rapidement les archives relatives à la vie publique et au fonctionnement de l'Etat, le Sénat n'avait pas souhaité cette même évolution pour les documents touchant directement la vie privée et la réputation des personnes, pour lesquels la demande de transparence est beaucoup moins légitime, et ce eu égard, d'une part, à la protection de la vie privée, consacrée tant par les textes que par la jurisprudence, d'autre part, à l'allongement de l'espérance de vie.

a indiqué qu'alors que le code du patrimoine prévoyait aujourd'hui un délai de communication de cent ou soixante ans applicable aux archives publiques susceptibles de porter atteinte au droit à la vie privée, le projet de loi fixait un délai unique de cinquante ans, ou, s'il est plus bref, de vingt-cinq ans à compter de la date du décès de l'intéressé. Le Sénat avait considéré qu'avec un tel délai de cinquante ans, certains documents sensibles tels que les affaires portées devant les juridictions et les actes authentiques établis par les notaires (par exemple les actes de vente ou les contrats de mariage) risquaient de tomber dans le domaine public du vivant des personnes concernées.

Il a souhaité dissiper deux principaux malentendus, indiquant, d'une part, que le simple souci de cohérence et d'intelligibilité de la loi avait poussé le Sénat à créer un bloc unique « droit à la vie privée » de soixante-quinze ans, incluant, outre les deux catégories de documents susmentionnées, l'ensemble des documents publics susceptibles de porter atteinte à la vie privée et à la réputation des personnes, d'autre part, que ni le gouvernement ni le Sénat n'avaient cherché à remettre en cause les possibilités de dérogations, c'est-à-dire de consultations d'archives avant l'expiration des délais de communication. Il a ajouté que le texte ne devait, selon lui, avoir aucune incidence sur le taux d'octroi des dérogations aux chercheurs, actuellement de plus de 90 %.

Présentant les modifications apportés aux textes par l'Assemblée nationale, il a précisé que les députés avaient adopté quatre amendements au projet de loi organique relatif aux archives du Conseil constitutionnel : trois rédactionnels et un donnant cinq mois au Conseil constitutionnel pour s'adapter au nouveau régime de gestion et de communication de ses archives.

Sur le projet de loi ordinaire, l'Assemblée nationale a adopté trente et un amendements, dont les plus importants concernent le raccourcissement des délais de communication.

S'agissant des documents portant sur la vie privée et la réputation des personnes, il a indiqué qu'après une rencontre avec son homologue de l'Assemblée nationale, M. François Calvet, ce dernier avait suggéré à la commission des lois de l'Assemblée nationale de maintenir le délai de soixante-quinze ans pour les documents les plus sensibles pour la vie privée ou la réputation des personnes, à savoir les documents des juridictions, les actes d'état civil, les actes notariés et les enquêtes statistiques, tout en rétablissant le délai de cinquante ans pour les documents touchant moins fortement à la vie privée, tels qu'une fiche de traitement d'un fonctionnaire mentionnant certains détails de sa vie privée, ainsi qu'à la réputation des personnes, par exemple les notes établies par les préfets sur les maires de leur département. Il a précisé que l'Assemblée nationale avait approuvé les amendements présentés en ce sens par sa commission des lois.

Après avoir rappelé que le projet de loi initial, non modifié par le Sénat sur ce point, frappait d'incommunicabilité absolue les documents susceptibles de porter atteinte à la sécurité des personnes, au même titre que ceux concernant les armes de destruction massive, il a signalé que les députés avaient décidé de porter ce délai à cent ans pour les seuls agents spéciaux et de renseignement et, implicitement, à soixante-quinze ans pour les autres personnes, considérant que tout danger est écarté pour ces personnes et leur famille à l'expiration de délais aussi longs.

Présentant les autres modifications apportées par l'Assemblée nationale, M. René Garrec, rapporteur, a indiqué qu'elles visaient :

- à favoriser la mutualisation de la gestion des archives communales. Les députés ont souhaité ouvrir la possibilité, pour la commune éventuellement désignée pour conserver les archives du groupement de collectivités territoriales dont elle est membre, de gérer également les archives des autres communes membres, et ce afin de favoriser la mutualisation de la gestion des archives communales ;

- à supprimer le dispositif incitant fiscalement à engager des travaux de restauration des archives privées classées, dispositif adopté au Sénat en première lecture, à l'initiative de Mme Morin-Dessailly, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles. L'Assemblée nationale a adopté un amendement du gouvernement tendant à supprimer l'avantage fiscal au motif qu'aucune étude d'impact n'avait été engagée pour mesurer l'intérêt de la mesure au regard du manque à gagner fiscal de l'Etat ;

- à demander au gouvernement un rapport sur la pérennité des archives numériques. Les députés ont en effet redouté que l'évolution rapide des technologies ne rende certaines données illisibles au bout de quelques années.

- à habiliter le gouvernement à harmoniser les règles relatives aux régimes de 1978 et 1979. Les députés ont adopté un amendement du gouvernement tendant à autoriser ce dernier à harmoniser les règles applicables à l'accès aux archives publiques et documents administratifs, conformément à la préconisation formulée par le Sénat en première lecture.

a proposé à la commission des lois d'amender à la marge les deux projets de loi, d'une part, par un amendement rédactionnel sur le projet de loi organique, d'autre part, par deux amendements au projet de loi ordinaire.

En premier lieu, il a estimé que les députés avaient abouti, s'agissant des délais de communication, à une solution de compromis équilibrée.

Il a toutefois indiqué qu'au cours de son audition le 29 avril 2008, M. Gilles Morin, président de l'Association des usagers du service public des archives nationales, avait regretté l'inscription dans le projet de loi de la notion de protection de la réputation des personnes dont il a redouté une interprétation trop extensive par les archivistes de nature à entraver la recherche historique. Il a objecté qu'en pratique les archivistes assimilaient déjà aujourd'hui la réputation des personnes au droit à la vie privée et appliquaient ainsi, dans les deux cas, un délai de soixante ans. Or, le dispositif adopté par les députés va dans le sens d'une plus grande transparence pour les historiens puisqu'il abaisse le délai de communication de soixante à cinquante ans, sans toucher aux dérogations toujours possibles.

Il a par ailleurs proposé d'approuver la fixation d'un délai de cent ans pour les documents susceptibles de porter atteinte à la sécurité des agents spéciaux et de renseignement.

Il a toutefois recommandé aux services publics d'archives la plus grande souplesse d'interprétation quant aux notions d'atteinte à la réputation et à la vie privée, déclarant qu'il lui apparaissait étonnant que certains archivistes considèrent comme relevant de la vie privée des documents comportant l'adresse personnelle de fonctionnaires même lorsque ces adresses figurent dans des annuaires facilement accessibles.

De même, il a mis en avant la nécessité de disjoindre ou d'occulter les documents confidentiels afin de ne pas appliquer le délai de consultation le plus long à l'ensemble d'un dossier d'archives dont les autres documents ne comporteraient aucun secret protégé par la loi.

En second lieu, il a souhaité encadrer l'habilitation demandée par le gouvernement pour harmoniser les règles en matière d'accès aux documents administratifs et archives publiques, soulignant que le gouvernement avait omis, en dépit des exigences posées par l'article 38 de la Constitution, de fixer le délai pendant lequel il pourra agir par ordonnance et celui avant lequel un projet de loi de ratification devra être déposé devant le Parlement.

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