a indiqué que le Sénat est saisi d'un nouveau texte sur le logement, sept mois seulement après l'adoption de la loi de mobilisation pour le logement qui comporte pas moins de 124 articles, et dont la mise en application effective est conditionnée par l'élaboration de 65 mesures d'ordre réglementaire. Or le Conseil d'Etat a déploré très fortement, dans son dernier rapport public, l'instabilité législative chronique dont souffre la politique du logement et souligné que les collectivités territoriales et les services déconcentrés peinent à appliquer les nouvelles dispositions, qu'il leur faut parfois six ou sept ans pour mettre en oeuvre.
Après avoir donné acte aux auteurs du texte que ce dernier n'a manifestement pas pour ambition de bouleverser les mesures récemment adoptées, il a regretté, pour celles qui lui paraissent opportunes sur le fond, qu'elles n'aient pas été présentées à l'occasion du dernier texte relatif au logement et relevé que d'autres, en revanche, ont déjà été présentées et repoussées par le Sénat, les arguments donnés alors restant valables aujourd'hui.
Indiquant que la proposition de loi vise essentiellement à augmenter l'offre de logements abordables par la lutte contre la vacance et la mobilisation du parc privé, il a estimé que l'intention affichée est louable, dans un contexte où on compte encore un nombre trop important de « mal logés, de non-logés et d'hébergés », mais relevé qu'il n'est pas certain que les solutions proposées soient à la hauteur de l'enjeu. S'agissant de son contenu, il a précisé les éléments suivants :
- l'article 1er vise à lutter contre la vacance des logements, lorsqu'elle est considérée comme « anormalement longue ». Pour cela, il permet au maire, lorsqu'un logement a été vacant durant cinq ou huit années consécutives selon les cas, de déclencher une procédure au terme de laquelle l'expropriation du bien peut être effectuée afin de l'affecter au logement social ;
- l'article 2 concerne la taxe annuelle sur les logements vacants et tend, d'une part, à élargir à toutes les communes soumises à l'obligation de 20 % de logements sociaux l'application automatique de ladite taxe et, d'autre part, à doubler les taux applicables ;
- l'article 3 précise que le droit de préemption urbain peut être exercé pour assurer le relogement des occupants d'un immeuble faisant l'objet d'une déclaration d'insalubrité ou d'un arrêté de péril et pour transformer les biens préemptés en logements sociaux et élargit la liste des délégataires du droit de préemption à tous les organismes HLM ;
- l'article 4 prévoit que, jusqu'au 16 mars 2012, les personnes reconnues comme prioritaires par une commission de médiation au titre du droit au logement opposable ne pourront pas être expulsées tant qu'aucune offre de logement ne leur aura été proposée ;
- l'article 5 vise à mobiliser l'ensemble du parc privé conventionné avec l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) dans le cadre du droit au logement opposable en précisant que le préfet pourra imposer un demandeur au propriétaire quel que soit le niveau des loyers prévus par la convention.
S'agissant du problème soulevé par les deux premiers articles, relatifs à la lutte contre la vacance, M. Dominique Braye, rapporteur, a rappelé que le Conseil d'Etat a estimé qu'il ne s'agit que d'un « remède palliatif » à ne pas surestimer. Le nombre de logements vacants s'avère en effet très difficile à quantifier et celui des logements que l'on peut effectivement remettre sur le marché encore davantage. Le nombre de logements vacants est actuellement estimé entre 1,8 et 2,5 millions, soit un taux de vacance compris entre 6,1 % et 8,1 %. Mais toutes les études s'accordent sur le fait que cette vacance est difficile à mesurer car les sources sur lesquelles s'appuient ces estimations ont généralement été constituées pour analyser ou gérer des logements occupés, ce qui peut conduire à une surestimation de la vacance. A titre d'exemple, des logements peuvent être inscrits dans les fichiers EDF alors qu'ils sont très dégradés voire détruits.
En outre, il existe de multiples causes de vacance. Il faut notamment tenir compte :
- des intentions et contraintes propres à chacun des propriétaires et de l'existence d'une vacance « frictionnelle » ou encore « de rotation » normale ;
- de l'état physique des logements, certains étant trop dégradés pour faire l'objet d'une opération de réhabilitation économiquement rationnelle ;
- et, enfin, de la localisation du parc vacant, qui ne recoupe pas nécessairement la carte des besoins.
a ensuite expliqué que la proposition de loi propose deux outils pour lutter contre la vacance. L'article 1er prévoit une procédure d'expropriation des logements vacants. Outre les objections de fond qu'une telle procédure peut soulever en termes d'atteinte au droit de propriété, il a souhaité soulever le problème de l'inadaptation de l'instrument à l'objectif et, en définitive, les difficultés pratiques auxquelles une commune souhaitant l'utiliser risquerait de se heurter. Cette procédure suppose en effet d'abord d'avoir identifié les logements ou immeubles vacants. Or le bilan très complet dressé sur l'utilisation de la réquisition à Paris en 1995 et sur les tentatives effectuées en 2001 montre qu'il a été extrêmement difficile d'identifier les biens susceptibles d'être réquisitionnés à partir des fichiers fournis par Bercy. En outre, la collectivité devra acquérir au prix du marché des logements à transformer en logements sociaux. Dans ce cas, la procédure d'expropriation ne présente pas tellement plus d'avantages que l'utilisation du droit de préemption pour faire du logement social, possibilité qui existe déjà aujourd'hui. Enfin, cette procédure pourrait s'avérer source de contentieux et même d'insécurité juridique pour les communes. En effet, le juge administratif, lorsqu'il est saisi d'une déclaration d'utilité publique, effectue un bilan coûts/avantages de chaque opération et met en balance les inconvénients, qui peuvent être l'atteinte à la propriété privée et le coût financier, et les avantages, qui s'apprécient notamment au regard de l'utilisation possible d'autres instruments. Enfin, d'après l'ANAH, la cible des logements vacants à remettre sur le marché concerne en réalité les logements vacants depuis 1 à 2 ans, pour lesquels il faut mener une politique active d'incitation à la remise sur le marché, ce que fait cette agence par le biais notamment du conventionnement avec travaux qui prévoit une prime en cas de remise sur le marché d'un logement vacant depuis au moins un an.
Pour toutes ces raisons, M. Dominique Braye, rapporteur, a proposé à la commission de ne pas adopter l'article 1er et indiqué être en revanche plus favorable au second outil proposé par la proposition de loi, à travers la taxe sur les logements vacants. Cette taxe, instituée en 1999 dans huit agglomérations de plus de 200 000 habitants, a manifestement permis une baisse significative de la vacance. Entre 1999 et 2005, le taux de vacance a ainsi baissé de pourcentages compris entre 12,5 et 48 % pour ces huit agglomérations alors qu'il ne baissait que de 8,5 % pour la France entière. Sans aller jusqu'à la généraliser à toutes les communes soumises aux obligations de 20 % de logements sociaux comme le propose l'article 2, il peut être opportun de l'étendre aux grandes agglomérations dont le marché du logement est très tendu, étant précisé que les agglomérations de plus de 200 000 habitants sont aujourd'hui au nombre de 30.
Pour cela, il faut non pas modifier la loi mais le décret visé à l'article 252 du code général des impôts, afin d'étendre la liste des agglomérations concernées, et la commission peut demander au Gouvernement de s'y engager très rapidement afin d'inclure de nouvelles agglomérations caractérisées par une tension locative importante. En revanche, il est inopportun de doubler les taux de cette taxe comme le propose l'article 2, puisqu'elle fait la preuve de son efficacité avec les taux actuels.
Abordant ensuite le paragraphe I de l'article 3, M. Dominique Braye, rapporteur, a relevé que cette disposition paraît satisfaite par le droit en vigueur dans la mesure où la préemption pour faire du logement social est déjà possible à l'heure actuelle. L'article L. 314-2 du code de l'urbanisme prévoit qu'au moins deux propositions de relogement doivent être faites aux occupants d'un immeuble qui va être détruit. Néanmoins, le II de ce même article comporte une avancée intéressante, puisque les délégataires du droit de préemption urbain (DPU) se limitent aujourd'hui aux offices publics d'HLM et aux sociétés d'économie mixte lorsqu'elles sont concessionnaires d'une opération d'aménagement. Or il peut être opportun de permettre aux communes qui le souhaitent de déléguer leur DPU à toutes les familles HLM, et la commission pourrait s'engager à soutenir, à l'occasion d'une réforme du droit de préemption urbain prochaine, un dispositif étendant la liste des délégataires du DPU dans le sens préconisé par l'article 3.
S'agissant de l'article 4, relatif au moratoire sur les expulsions locatives, il a relevé qu'on ne peut qu'être sensible à la philosophie qui sous-tend cet article : pourquoi expulser des locataires reconnus prioritaires par les commissions de médiation, qu'il faudra en conséquence reloger ? Après avoir rappelé que l'accent a été mis, au cours des dernières années, sur le développement de la prévention des expulsions, il a indiqué que sur 130 000 contentieux assortis d'une demande de commandement de quitter les lieux, environ 10 000 expulsions étaient au final exécutées. En outre, il existe déjà des possibilités de maintenir les locataires expulsés dans les lieux sans léser le propriétaire, notamment en proposant à celui-ci de signer un bail avec une association qui sous-louera le logement : cette mesure fait partie des missions visées par l'intermédiation locative telle que décrite par la circulaire du 5 mars 2009 et est appelée à se développer.
a ensuite estimé que, pour quelques cas qui seraient visés en pratique, l'inscription dans la loi d'un tel moratoire constitue un signal très négatif pour les locataires aussi bien que pour les propriétaires. Elle va à l'encontre de dispositifs très récemment adoptés, comme la réduction de 3 à 1 an des délais que le juge peut accorder pour l'exécution des jugements d'expulsion, adoptée dans la loi du 25 mars 2009, qui vise à sécuriser les bailleurs. Les bailleurs privés sont essentiellement des petits propriétaires, puisque 60 % d'entre eux n'ont qu'un seul bien et, pour eux, la stabilité de la règle juridique est particulièrement importante. L'adoption de l'article 4 serait de nature à altérer leur confiance et pourrait conduire, à l'opposé des objectifs du présent texte, à augmenter la vacance. En outre, cet article, qui ne prévoit pas d'indemnisation des propriétaires, leur fait supporter la charge des impayés de loyer alors qu'actuellement le refus d'accorder le concours de la force publique est indemnisé par le juge administratif sur le fondement d'une rupture de l'égalité devant les charges publiques. Pour cette raison même, on peut avoir des doutes sur la constitutionnalité de l'article 4 au regard du droit de propriété, puisqu'il procède en quelque sorte à une réquisition de fait, sans indemnisation financière des propriétaires.
Abordant enfin l'article 5, M. Dominique Braye, rapporteur, a jugé quelque peu irréaliste et contre-productif d'appliquer la possibilité pour le préfet d'imposer un locataire reconnu prioritaire dans le cadre du droit au logement opposable (DALO) à tous les logements conventionnés quel que soit le niveau de loyer. Irréaliste, car les niveaux de loyer intermédiaire (inférieurs de 10 à 15 % aux loyers de marché) ne sont pas adaptés à la situation des familles les plus en difficulté. Contre-productif, car de telles contraintes risquent également de dissuader les propriétaires de conventionner avec l'Agence. Or le nombre de logements conventionnés reste faible et, surtout, ne concerne pas assez les départements où les préfets ont le plus besoin d'une offre complémentaire pour la mise en oeuvre du DALO. Enfin, d'après une étude qualitative très récemment réalisée par l'ANAH, sur 13 départements enquêtés, le préfet n'utilise le droit de réservation sur les logements très sociaux que dans 2 cas, ce qui illustre la difficulté de l'opération.
Pour l'ensemble de ces raisons, M. Dominique Braye, rapporteur, a proposé de ne pas adopter la proposition de loi, sous réserve, d'une part, de l'engagement du Gouvernement à étudier un éventuel élargissement de la taxe sur les logements vacants et, d'autre part, de celui de la commission à soutenir l'extension des délégataires du DPU à toutes les familles d'organismes HLM.