Intervention de Jean-Jacques Jégou

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 17 novembre 2010 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2011 — Mission santé et articles 86 bis à 86 nonies - examen du rapport spécial

Photo de Jean-Jacques JégouJean-Jacques Jégou, rapporteur spécial :

La mission « Santé » rassemble pour 2011 1,22 milliard d'euros d'autorisations d'engagement (AE) et de crédits de paiement (CP). Comme j'ai l'habitude de le rappeler chaque année, le poids de cette mission doit être relativisé : d'une part, elle ne comprend pas de crédits de personnel - tous les crédits de rémunération des personnels concourant à la mise en oeuvre des différents programmes de la mission sont regroupés dans la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » - ; d'autre part, cette mission est modeste lorsqu'on la rapporte aux dépenses d'assurance maladie (moins de 1 %).

L'architecture budgétaire de la mission est, une nouvelle fois, profondément remaniée cette année. Elle ne comprendra plus désormais que deux programmes : un programme 204 élargi « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » et le programme 183 « Protection maladie ». Si ce remaniement a le mérite de renforcer la lisibilité de la mission en regroupant dans un même programme l'ensemble des crédits destinés au financement des politiques de santé mises en oeuvre par les agences régionales de santé (ARS), elle se réalise cependant au prix d'une plus grande rigidité de l'architecture de la mission.

En effet, le programme 204 est désormais composé à 90 % de subventions pour charge de service public et autres transferts destinés aux vingt-six ARS et aux onze opérateurs de la mission. Quant au programme 183, les marges de manoeuvre du responsable de programme sont également étroites puisqu'il regroupe des crédits « contraints » : les dotations destinées à l'aide médicale de l'Etat (AME) et celles au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA).

A la veille du dixième anniversaire de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), je m'interroge sur ces modifications successives qui sont en quelque sorte symptomatiques de certaines faiblesses de la LOLF, qu'il s'agisse de l'échec de l'interministérialité budgétaire ou des faibles marges de manoeuvre des responsables de programme.

Je rappelle, en effet, que l'architecture de la mission « Santé » est issue, pour partie, de la suppression de la mission interministérielle « Sécurité sanitaire », dont notre collègue Nicole Bricq était rapporteure spéciale. La suppression de cette mission, qui faisait pourtant sens à son origine compte tenu des liens étroits entre la santé humaine et la santé animale, a résulté de l'échec de l'interministérialité budgétaire : les deux programmes constituant la mission étaient totalement indépendants l'un de l'autre et ne faisaient pas l'objet d'une réelle concertation entre responsables de programme.

Enfin, le rattachement des crédits de personnel et de fonctionnement courant de la mission « Santé » à une autre mission budgétaire, ainsi que la désormais forte rigidité de l'architecture budgétaire de la mission, sont également assez éloignés de l'esprit de la LOLF. Ces deux éléments ôtent toute marge de manoeuvre au Parlement s'agissant des moyens affectés à la politique publique de santé et de sécurité sanitaire, ainsi que tous moyens d'arbitrage au responsable de programme pour le pilotage des programmes de la mission dans une logique de performance.

Venons-en aux crédits de la mission. De façon générale, je relève que la programmation pluriannuelle de la mission « Santé » reflète les contraintes fixées à l'ensemble du budget général de l'Etat : si les plafonds de crédits de la mission augmentent de 2 % en 2011, ils progressent de seulement 0,4 % en 2012 et diminuent de 0,2 % en 2013.

Ce sont surtout les opérateurs qui subissent les objectifs d'économies du Gouvernement : leurs subventions pour charge de service public et leur plafond d'emplois sont globalement en forte diminution.

De façon générale, je suis favorable à ces mesures. En effet, j'ai, à de nombreuses reprises, attiré l'attention sur l'augmentation des moyens et des effectifs dédiés aux nombreux opérateurs du ministère de la santé. Plus spécifiquement, je souhaite souligner deux points. J'accueille, en premier lieu, favorablement la réduction des crédits de la nouvelle agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail, l'ANSES. En effet, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2010, j'avais regretté que la fusion de l'agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) et de l'agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (AFSSET) - mesure préconisée par la révision générale des politiques publiques (RGPP) -, se soit réalisée à moyens et à effectifs croissants. Si je comprenais qu'il était difficile, la première année, de prévoir une réduction des crédits destinés aux deux agences, je considérais néanmoins qu'à terme, il n'était pas compréhensible que ce type de rapprochement ne permette pas une optimisation des moyens consacrés aux fonctions support de ces agences. L'impulsion semble être donnée cette année.

Une autre agence est frappée de plein fouet, cette année, par les objectifs d'économies du Gouvernement : l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) puisqu'elle ne recevra pas de subvention en 2011, 2012 et 2013. Ceci n'est pas sans poser certaines difficultés : outre qu'il convient de s'assurer que cette décision ne remette pas en cause la capacité de l'agence à remplir ses missions, je m'interroge sur le message négatif qu'une telle mesure pourrait entraîner : une agence de sécurité sanitaire, chargée de délivrer des autorisations de mise sur le marché de produits de santé, serait désormais en quasi totalité financée par des taxes affectées issues du secteur de l'industrie du médicament.

Je voudrais maintenant dire quelques mots sur les deux programmes de la mission, en commençant par le programme « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins ».

Si la forte révision à la baisse des dépenses liées à la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1)v est positif tant du point de vue de la santé publique que des finances publiques, elle n'en entraîne pas moins de nouvelles difficultés de suivi des crédits destinés à la gestion des risques sanitaires : la résiliation d'une partie des commandes de vaccins conduit en effet à « une remise à zéro des compteurs », qu'il s'agisse des dotations pour 2010 et 2011 de l'Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) ou de la contribution exceptionnelle des complémentaires santé aux dépenses liées à la grippe A.

Dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, n'ayant pas été satisfait par les réponses de la ministre de la santé sur la question du renouvellement d'une partie des stocks de produits de santé gérés par l'EPRUS, le Sénat a adopté l'amendement présenté par les deux commissions des finances et des affaires sociales tendant à supprimer la dotation de l'assurance maladie à l'EPRUS pour 2011. La tâche revient à la ministre de nous fournir des éléments plus précis d'ici la commission mixte paritaire.

L'année 2011 sera, en outre, marquée par la première année de plein exercice des ARS. Si j'approuve la mise en place de ces structures qui constitue une réforme majeure du pilotage territorial des politiques de santé, j'insiste sur la nécessité de renforcer l'information sur les crédits qui leur sont destinés. La globalisation de leurs dotations d'intervention est certes la contrepartie de l'autonomie accordée à ces agences qui sont libres de définir les dispositifs qu'elles financent. Il apparaît néanmoins indispensable de disposer, en amont, au moment de l'examen du projet de loi de finances initiale, d'une information consolidée sur les crédits destinés aux ARS et, en aval, au moment de l'examen du projet de loi de règlement, d'un suivi de la consommation de leurs crédits d'intervention par grand axe de santé publique. Or ces informations sont encore lacunaires aujourd'hui.

Plus ponctuellement, je souhaite attirer l'attention sur une certaine tendance au saupoudrage des crédits de la mission, qu'il s'agisse du financement de nombreuses études, colloques ou ateliers, ou du versement de subventions à certaines associations. La pertinence de certaines de ces mesures au regard de leur coût n'est pas aisée et leur rattachement à la mission « Santé » non évident.

Deux exemples parmi beaucoup d'autres : l'exploitation des rapports annuels d'activité et de performance des centres de prévention « vaccination et lutte contre la tuberculose » (10 000 euros) ; le financement des analyses de diagnostic/dépistage de la rage chez certains animaux ou celui de l'observatoire de la qualité de l'alimentation, qui trouveraient davantage leur place au sein de la mission « Agriculture ». Cette mission comprend notamment un programme 206 « Sécurité et qualité sanitaire de l'alimentation ».

Je voudrais terminer par le programme « Protection maladie », qui ne porte quasiment plus qu'une seule dépense. En effet, l'Etat ne versera pas de subvention au fonds « CMU » en 2011, comme en 2009 et en 2010, en raison du doublement du taux de la contribution des organismes complémentaires au fond intervenue en loi de financement de la sécurité sociale pour 2009. Ceci en dépit de la forte revalorisation, bienvenue, de l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé.

Dans ces conditions, la principale dépense du programme est l'aide médicale de l'Etat, les crédits inscrits dans le présent projet de loi progressant fortement, pour la troisième année consécutive, pour atteindre 588 millions d'euros.

Il convient de rappeler que ces crédits ont longtemps été sous-évalués mais qu'un assainissement de la situation est intervenu depuis 2007 : les dotations initiales ont été régulièrement réévaluées et les dettes à l'égard de la sécurité sociale à ce titre apurées en 2007 et en 2009.

Dans ce contexte, la réévaluation de la dotation prévue pour 2011 de 53 millions d'euros représente un effort bienvenu qui devrait certainement limiter la formation de nouvelles dettes.

Des propositions pour mieux maîtriser le dispositif de l'AME ont récemment vu le jour. Une mission d'audit de modernisation, confiée en 2007 aux inspections générales des affaires sociales et des finances, avait déjà formulé un certain nombre de pistes de réforme qui ont été, pour la plupart, mises en oeuvre : extension du dispositif « tiers payant contre génériques » ; mise en place à titre expérimental d'un titre sécurisé ; extension du champ de la mise sous accord préalable à l'AME.

Sans attendre les conclusions de la nouvelle mission d'inspection sur ce sujet qui devrait rendre ses conclusions à la fin du mois de novembre, l'Assemblée nationale a adopté plusieurs mesures, lors de l'examen de la présente mission, tendant à créer un droit d'entrée annuel par adulte bénéficiaire de l'AME ; limiter le nombre des ayants-droit aux seuls enfants et conjoints ; restreindre le panier de soins aux seuls actes dont le service médical rendu est important ou modéré ; déléguer le pouvoir de récupération des indus aux caisses primaires d'assurance maladie.

Si l'on peut comprendre ce souhait de mieux maîtriser ces dépenses, il convient néanmoins de ne pas se méprendre. L'AME constitue un dispositif de faible taille au regard de l'ensemble des prestations de l'assurance maladie et il est assez illusoire d'attendre des économies substantielles d'une réforme de l'AME, sauf à remettre en cause la politique d'immigration de notre pays ou à encourir des risques graves en matière de santé publique. Le niveau de la dépense d'AME est, en effet, largement corrélé au nombre d'étrangers en situation irrégulière sur le territoire national et répond à un double objectif humanitaire et de santé publique.

J'insiste surtout en ce domaine sur la nécessité de veiller au juste équilibre entre l'amélioration de l'efficience du dispositif et le maintien d'un accès aux soins satisfaisant des étrangers en situation irrégulière. Je regrette que ces mesures aient été adoptées avant même que la mission conjointe d'inspection ait pu rendre ses conclusions.

Sous réserve de ces observations, je vous propose d'adopter les crédits de la mission « Santé » sans modification.

Venons-en aux huit articles rattachés à la mission. L'Assemblée nationale a adopté quatre articles relatifs à l'aide médicale de l'Etat :

- l'article 86 bis (nouveau) tend à recentrer le panier de soins pris en charge à 100 % des bénéficiaires de l'AME sur les actes à service médical suffisant ou important ;

- l'article 86 ter (nouveau) tend à soumettre à un agrément préalable la prise en charge de certains soins des bénéficiaires de l'AME ;

- l'article 86 quater (nouveau) vise à donner aux caisses d'assurance maladie la possibilité de récupérer les sommes indûment versées aux bénéficiaires de l'AME ;

- l'article 86 quinquies (nouveau) vise à créer un droit de timbre annuel de trente euros pour les bénéficiaires de l'AME et à limiter le nombre d'ayants-droit.

Sans revenir sur les observations que j'ai formulées dans mon intervention liminaire, j'insiste sur les difficultés techniques que certains de ces dispositifs risquent d'entraîner, notamment compte tenu de la faible solvabilité des populations concernées.

Quatre autres dispositifs ont été introduits par nos collègues députés :

- l'article 86 sexies (nouveau) vise à aligner le financement de l'indemnisation des accidents médicaux imputables à des activités de prévention, de diagnostic ou de soins réalisées en application de mesures sanitaires graves sur le régime de l'indemnisation des vaccinations obligatoires : c'est une mesure de simplification bienvenue ;

- l'article 86 septies (nouveau) propose de transformer la contribution CMU acquittée par les organismes complémentaires d'assurance santé en une taxe assise sur les cotisations payées par les assurés ayant souscrit un contrat d'assurance santé complémentaire. La transformation opérée est indolore tant pour le Fonds CMU, que pour les assurés. Cette mesure aura pour conséquence de neutraliser les effets des augmentations ou diminutions de la contribution sur le chiffre d'affaires des organismes complémentaires et, corrélativement, sur le niveau de fonds propres qu'ils doivent posséder. Il s'agit là d'une exigence de compétitivité bienvenue pour notre secteur assurantiel alors même qu'il va devoir s'adapter en profondeur avec le nouveau cadre de « Solvabilité 2 ». Mais cette mesure risque de diminuer l'assiette et donc le rendement de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance à laquelle sont assujettis les contrats « responsables et solidaires ». Cette mesure fait partie du « panier percé » affecté à la branche famille...

- l'article 86 octies (nouveau) proroge de quatre ans la taxe assurant le financement du centre national de gestion des essais de produits de santé (CeNGEPS). C'est la deuxième fois que le Gouvernement nous propose une prorogation. Je souhaite que l'examen de la mission en séance publique soit l'occasion pour le Gouvernement de nous dresser un bilan de l'activité de ce centre ;

- enfin, l'article 86 nonies (nouveau) tend à permettre l'indemnisation des personnes, exerçant ou ayant exercé une activité professionnelle ou volontaire au sein de services d'incendie et de secours (SDIS), vaccinées contre l'hépatite B. C'est une mesure également bienvenue.

Sous réserve de ces observations, je vous propose d'adopter les huit articles rattachés à la mission « Santé » sans modification.

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