Intervention de Joël Bourdin

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 17 novembre 2010 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2011 — Mission agriculture pêche alimentation forêt et affaires rurales et compte d'affectation spéciale développement agricole et rural et articles rattachés 68 et 68 bis nouveau - examen du rapport spécial

Photo de Joël BourdinJoël Bourdin, rapporteur spécial :

Nous en venons à l'examen des crédits de la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales » (APAFAR), des deux articles rattachés 68 et 68 bis (nouveau) et du compte spécial « Développement agricole et rural », appelé « CAS-DAR ». Je me permettrai également de dresser, à la fin de mon exposé, un court bilan du statut des coopératives agricoles.

Je voudrais tout d'abord revenir sur les réformes introduites par le ministère de l'Alimentation, de l'agriculture et de la pêche (MAAP), qu'il s'agisse de la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, de la révision générale des politiques publiques ou, encore, du Grenelle de l'environnement. Le ministère est entré dans un processus profond de modernisation, tant du point de vue de l'organisation de ses services, de ses opérateurs que de ses dispositifs d'intervention. Pour mémoire, l'Agence unique de paiement (AUP) et le Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles (CNASEA) ont été fusionnés en 2009 au sein de l'Agence de services et de paiement (ASP), et les principaux offices agricoles ont également été regroupés au sein d'un établissement unique baptisé FranceAgriMer. Je précise à cet égard que notre commission a demandé pour 2011 à la Cour des comptes une enquête sur cette fusion des offices agricoles et la création de l'ASP, qui sera l'occasion de faire le point sur les enjeux et la cohérence de cette réforme.

Le regroupement des Haras nationaux et de l'Ecole nationale d'équitation au sein de l'Institut français du cheval et de l'équitation (IFCE), le 1er février 2010, mérite aussi d'être mentionné : conformément à ce que j'ai préconisé il y a quelques années, il a été choisi de recentrer l'IFCE sur des missions de service public, les activités des Haras nationaux dans le secteur concurrentiel étant désormais confiées au GIP « France Haras ».

L'effort de modernisation des opérateurs concerne aussi la politique forestière, avec la fusion cette année en un établissement unique du Centre national de la propriété forestière et des dix-huit centres régionaux de la propriété forestière. La situation difficile de l'Office national des forêts (ONF), sur laquelle j'ai déjà eu l'occasion d'attirer l'attention de notre commission, s'améliore et devra permettre de renouer avec la trajectoire définie par la RGPP. L'arrivée d'une nouvelle équipe de direction devrait y aider, avec la désignation de notre collègue député Hervé Gaymard à la présidence du conseil d'administration et de Pascal Viné, ancien directeur de cabinet du ministre de l'Alimentation, de l'agriculture et de la pêche, au poste de directeur général.

Je constate que, globalement, ces réformes devraient permettre de dégager des économies en 2011. Cette évolution n'est pas visible à l'échelle de l'ensemble des crédits, mais elle se vérifie dans le détail de certains postes de dépense. Je déplore à cet égard que l'impact budgétaire à moyen terme de ces réformes - qu'elles soient liées à la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, à la RGPP, au Grenelle, ou encore, au bilan de santé de la PAC - ne soit pas évalué avec plus de précision. Je demanderai qu'un effort significatif soit fourni en la matière.

S'agissant des crédits de la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales », le projet de loi de finances pour 2011 propose de la doter en 2011 de 3,59 milliards d'euros en AE et 3,67 milliards d'euros en CP. Il s'agit d'un budget d'après-crise, taillé pour un monde agricole encore convalescent. La dotation de la mission en 2011 est caractérisée par une certaine stabilité par rapport aux crédits votés en loi de finances initiale (LFI) pour 2010 : les AE sont en baisse de 1,8 % tandis que les CP progressent de 1,8 %. Hors crédits de personnel, les variations sont plus significatives : les dotations représentent, par rapport à 2010, une baisse des crédits de 0,5 % en AE et une hausse de 4,3 % en CP. J'indique une limite à cet exercice de rapprochement des crédits entre loi de finances initiales (LFI) d'une année sur l'autre. Il est en effet très probable que la mission soit abondée en gestion par des ouvertures supplémentaires importantes. Nous assistons à la répétition de cette pratique année après année, ce qui témoigne d'une budgétisation au plus juste des crédits de la mission. Il est malheureusement d'usage de ré-abonder en gestion la mission agriculture, souvent au gré des crises subis par le monde agricole, de nature climatique, économique ou sanitaire. Cela nous montre que la question des aléas ne fait pas l'objet d'une prise en charge satisfaisante par les politiques agricoles.

L'exécution budgétaire en 2009 et en 2010 présente ainsi, une fois de plus, un profil très perturbé. En 2009, 935 millions d'euros en AE et 838 millions d'euros en CP ont ainsi été ouverts en cours d'exercice sur la mission APAFAR, ce qui représente une augmentation respective de 29 % et 24,1 % par rapport aux dotations prévues par la LFI pour 2009. Or la crise grave traversée par l'ensemble des filières agricoles ne suffit pas à expliquer un tel écart. Ce phénomène résulte aussi de la budgétisation clairement insuffisante de certains postes en LFI.

Il faut rapprocher la mission des autres concours publics à l'agriculture, et en particulier des dotations communautaires accordées au titre de la politique agricole commune (PAC) : le périmètre de la mission ne s'élève en effet qu'à un peu plus de 20 % de l'ensemble des concours publics annuels à l'agriculture.

Mes observations sur chacun des programmes de la mission sont les suivantes :

- doté de la moitié des crédits de la mission, le programme 154 est le support privilégié de la politique d'intervention du ministère. Mon attention a été attirée par notre collègue Ambroise Dupont, président de la section « Cheval » du groupe d'études de l'élevage, sur la réduction de 47 % des subventions allouées aux filières cheval de sport et cheval de trait, à savoir 4,7 millions d'euros en 2011 au lieu de 9 millions d'euros en 2010. Une telle baisse n'est pas acceptable et je vous propose d'adopter un amendement pour amortir ce choc ;

- pour le programme 149 « forêt », je retiens que le principal opérateur du programme, l'ONF, doit poursuivre ses efforts de rationalisation et mettre en place une véritable politique commerciale. Il doit y être aidé par une clarification de ses relations financières avec l'Etat, les collectivités territoriales et les forestiers privés ;

- au sujet du programme 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation », je note que la nouvelle priorité donnée à l'alimentation par le MAAP est confirmée. Je précise que la réduction des crédits du programme n'est qu'apparente : la plupart des actions bénéficient en fait de moyens renforcés en 2011. Cette baisse optique résulte principalement de mesures de transfert, de la résorption du stock des farines animales à détruire et du transfert du financement de l'équarrissage aux filières professionnelles, l'Etat ne restant payeur que du seul service public résiduel ;

- enfin, à propos du programme 215, programme support de la mission, je souligne l'effort consenti par le ministère pour respecter en 2011 la règle d'économie de 5 % sur les dépenses de fonctionnement. La démarche de suppressions d'emplois est donc poursuivie. Je regrette à nouveau la concentration des dépenses de personnel de la mission au sein d'un unique programme. Elle ne se justifie pas et ces crédits devraient être ventilés entre les programmes.

Pour ce qui concerne la mission « Développement agricole et rural », qui correspond au compte d'affectation spéciale éponyme, dit « CAS-DAR », je ne ferai que deux remarques :

- la justification des crédits doit être améliorée pour s'assurer que ceux-ci ne sont pas distribués en vertu d'une logique d'abonnement des organisations par lesquelles ils transitent ;

- de nouvelles missions au coût fixe, autour de la génétique animale, ont été confiées au CAS-DAR alors que ses recettes fluctuent chaque année. J'interrogerai le ministre en séance sur ce point.

Au sujet des deux articles rattachés à la mission, il s'agit :

- d'une part, de supprimer une exonération de cotisations sociales salariales pour les saisonniers agricoles de moins de vingt-six ans, car c'est un dispositif qui n'a pas fait ses preuves ;

- d'autre part, de fixer à 1,5 % pour 2011 le taux d'augmentation de la taxe pour frais de chambres d'agriculture. Cette hausse mesurée fait suite à un gel de leurs recettes fiscales en 2010 et doit permettre d'accompagner le processus de mutualisation des moyens des chambres d'agriculture ainsi que le surcoût résultant du transfert des associations départementale pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles (ADASEA).

Ces deux articles ne posent pas de difficultés, j'en viens donc au bilan du statut des coopératives agricoles.

Ce travail m'a conduit à m'intéresser à un secteur en bonne santé, composé de 3 000 entreprises (coopératives, unions de coopératives et sociétés d'intérêt collectif agricole). Ces dernières pilotent plus de 1 700 filiales soumises au droit commun. Par ailleurs, je mentionne l'existence de 12 500 coopératives d'utilisation de matériel agricole (CUMA), qui forment une catégorie très particulière de coopératives et ne sont donc pas au coeur de l'étude réalisée. L'ensemble du secteur représenterait un chiffre d'affaires de plus de 82 milliards d'euros en 2009 et emploierait en direct plus de 150 000 salariés.

J'observe que le poids des grands groupes coopératifs est croissant, avec un recours quasi généralisé à la filialisation, notamment sous la forme de « holdings ».

En contrepartie de nombreuses contraintes juridiques, qui sont bien réelles, les coopératives agricoles bénéficient de nombreux avantages fiscaux, notamment en matière d'impôt sur les sociétés (IS), de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) ou de contribution économique territoriale (CET). Le coût total de ces mesures, qui font l'objet de remises en question y compris sur un plan contentieux, est estimé à 110 millions d'euros.

Plusieurs dossiers ayant trait à des dispositifs en faveur de coopératives sont en effet en cours d'examen au niveau communautaire et mettent notamment en cause la France. Toutefois, la Commission européenne n'a, à ce jour, pas ouvert de procédure formelle d'examen à l'encontre des autorités françaises. Elle s'est contentée de nous adresser trois demandes d'informations, suite à la plainte déposée en 2004 par la confédération française du commerce de gros et du commerce international (CGI), sous l'impulsion de la fédération du négoce agricole (FNA).

Pour conclure, je juge nécessaire d'attendre le résultat des procédures pendantes au niveau de l'Union européenne avant de prendre une initiative, quelle qu'elle soit, en matière de réforme des avantages fiscaux accordés aux coopératives agricoles. Si une mesure devait être prise, je plaiderais pour remanier l'exonération de CET dont bénéficient les coopératives agricoles. Elle est en effet peu équitable et il conviendrait d'en limiter le champ aux seules opérations réalisées avec les membres des coopératives.

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