Intervention de Didier Boulaud

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 4 novembre 2009 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2010 — Audition du général elrick irastorza chef d'état-major de l'armée de terre

Photo de Didier BoulaudDidier Boulaud :

a tout d'abord rappelé que, pour être exhaustive, la mission aurait dû également se rendre en Iran et dans les républiques d'Asie centrale : l'Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Turkménistan.

La France entretient des relations étroites avec l'Inde au travers du partenariat stratégique qui porte notamment sur les questions de défense. Toutefois, la présence économique de la France est encore limitée bien que les perspectives soient considérables dans un pays qui a fait du développement sa priorité.

La part de marché française en Inde est de l'ordre de 1,7 %, ce qui fait de la France le 15ème fournisseur et le 11ème client de l'Inde. Après avoir franchi le milliard d'euros en 2001, les exportations françaises ont fortement augmenté en 2004 (+ 29 %) ainsi qu'en 2005 (+ 42 %), pour atteindre un montant total de près de 3 milliards d'euros en 2007. L'objectif fixé par le Président de la République, Smt. Prathiba Devisingh Patil et le Premier ministre indien, M. Manmohan Singh, est de porter les échanges à 12 milliards d'euros en 2012.

Aujourd'hui, plus de 300 entreprises françaises sont implantées en Inde et emploient environ 40 000 personnes. La France se situe au 7ème rang des investisseurs étrangers en Inde (soit un stock d'environ 750 millions de dollars).

En matière d'armement, les coopérations industrielles sont historiquement denses, en particulier depuis la vente de Mirage 2000 dans les années 1980. Plusieurs projets sont en cours : la construction à Bombay, en partenariat avec DCNS, de six sous-marins Scorpène et la modernisation de 51 Mirage 2000 par un consortium conduit par Thalès.

Par ailleurs, plusieurs importants projets industriels sont en discussion :

- un appel d'offres portant sur 126 avions de combat, le Rafale étant l'un des six compétiteurs,

- les missiles SR-SAM (projet de co-développement d'un missile à courte portée entre MBDA et l'Inde pour environ 2 000 missiles) ;

- des avions Multirôles de ravitaillement et de transport pour lesquels la proposition faite par Airbus a été retenue mais dont le dossier peine à franchir l'ultime étape de présentation en « conseil de défense » ;

- les hélicoptères légers pour lesquels Eurocopter est en compétition pour un marché de 197 machines ;

- les canons pour lesquels Nexter est en lice.

La concurrence est féroce mais ouverte. La Russie voit sa position historique s'effriter et est confrontée à la concurrence frontale des Etats-Unis d'Amérique et d'Israël ainsi que de la France et d'autres pays européens. La France voit sa position se fragiliser depuis quelques années alors qu'Israël effectue une percée spectaculaire, notamment en matière de missiles et de drones. Ces marchés demanderont un effort de longue haleine d'autant que les procédures administratives d'attribution des marchés sont extrêmement longues et compliquées.

Le budget d'équipement de l'armée indienne représente un montant de 6 à 7 milliards d'euros par an sur un budget total de 35 milliards d'euros, soit 2,5 % du PNB. L'effort de réarmement indien correspond à la très forte montée en puissance et à la modernisation de l'armée chinoise dont les chefs d'état-major de l'armée de l'air et de la marine se sont alarmés. L'Inde ne cherche pas à rattraper la Chine mais à faire en sorte que l'écart entre les deux forces n'augmente pas à son détriment.

a indiqué que la délégation a pu rencontrer à la fois les interlocuteurs politiques et des cercles de réflexion. Toutefois, le premier ministre, M. Manmohan Singh, et le ministre des affaires étrangères, M. Shri S.M. Krishna, qui se trouvaient alors à l'assemblée générale de l'ONU, à New York, n'ont pas pu être rencontrés.

La délégation s'est entretenue avec M. Hamid Ansari, vice président de l'Inde et président de la chambre haute du Parlement ainsi qu'avec M. Brajesh Chandra Mishra, ancien conseiller pour la sécurité nationale du premier ministre M. Atal Bihari Vajpayee. La mission a également rencontré le secrétaire d'État à la défense, M. Mangapati Pallam Raju, M. Satpal Maharaj, président de la commission de la défense et M. Vivek Katju, directeur politique du ministère des affaires étrangères.

Par ailleurs, des rencontres informelles ont été organisées et, en particulier, un déjeuner présidé par M. Kanwal Sibal, ancien ambassadeur de l'Inde à Paris qui a porté en partie sur les relations sino-indiennes. Une réunion de travail avait été organisée également avec les représentants des industriels français, notamment ceux du secteur de la défense. Enfin, la délégation a eu des échanges très intéressants avec deux instituts indiens extrêmement actifs : l'Observer research foundation (ORF) et l'Institute for défense studies analyses (IDSA).

Pour la diplomatie française, l'Inde est un des pays émergents majeurs au même titre que la Chine et le Brésil. La France et l'Inde sont liées, depuis 1996, par un partenariat stratégique très actif et partagent un grand nombre de vues convergentes sur les questions régionales et internationales majeures. Les deux pays sont attachés à la paix et la sécurité internationales, à la non-prolifération nucléaire et à la lutte contre le terrorisme. La France soutient l'entrée de l'Inde au Conseil de sécurité de l'ONU en qualité de membre permanent, ce qui rendrait les Nations unies plus adaptées aux besoins du XXIe siècle et permettrait à l'Inde de jouer le rôle qui lui correspond dans les affaires du monde. La France plaide également pour la transformation du G8 en un G13 incluant naturellement l'Inde.

Par sa taille, son potentiel énorme de développement, sa position géostratégique dans l'océan Indien et sur les voies de circulation maritime, l'Inde est un partenaire incontournable pour la France.

Paradoxalement, la diplomatie indienne paraît plus à l'aise au niveau international qu'au niveau régional. Depuis l'indépendance en 1947, l'Inde a connu des conflits avec tous ses voisins. C'est naturellement principalement le cas avec le Pakistan puisque ces deux pays se sont affrontés à plusieurs reprises à propos du Cachemire. Ce fut également le cas lors de la guerre qui a abouti à l'indépendance et à la création du Bangladesh. Cela a été également le cas du conflit de 1962 avec la Chine. Enfin, l'Inde est intervenue au Sri Lanka dans le conflit avec la minorité tamoule. Tant à l'Est qu'à l'Ouest, ses frontières ne sont pas stabilisées avec la Chine et le Pakistan. L'Inde a donc deux frontières instables à protéger, ce qui explique qu'elle mène une politique d'équipement militaire active. D'une manière générale, l'Inde est confrontée à la Chine, l'autre grand géant asiatique, avec lequel elle est en concurrence directe sur pratiquement tous les sujets.

a ensuite indiqué qu'il traiterait principalement de deux questions : les relations entre l'Inde et le Pakistan et la politique de l'Inde en Afghanistan.

S'agissant de la première question, la question du Cachemire et de la lutte contre le terrorisme est au centre du différend entre les deux Etats.

L'avantage militaire classique de l'Inde fait que le Pakistan est plus une nuisance qu'une menace. L'équilibre de la dissuasion nucléaire rend un affrontement majeur peu probable. L'Inde affiche clairement une doctrine de non-emploi en premier, alors que le Pakistan, qui utilise la dissuasion du faible au fort, laisse planer l'ambiguïté sur sa doctrine d'emploi de l'arme nucléaire.

Pourtant, les deux pays entretiennent des forces armées très importantes qui stationnent le long de leur frontière commune ou, pour ce qui concerne le Cachemire, le long de la ligne de contrôle (LOC).

Si les principaux dirigeants politiques, notamment le Premier ministre Singh et le Président Zardari promeuvent la reprise du dialogue plus ou moins sans conditions préalables, les opinions publiques et, au Pakistan, l'armée ont du mal à dépasser les sentiments de méfiance profonde entre les deux pays.

Durant quatre ans, de 2003 à 2007, des discussions ont eu lieu au sein d'un «dialogue composite » pour trouver une solution au conflit. Un accord de cessez-le-feu a été conclu sur la ligne de contrôle (LOC) en novembre 2006. Le général Musharraf avait proposé les contours d'un règlement autour de cinq principes :

- la reconnaissance de facto de la ligne de contrôle comme frontière ;

- une large autonomie des « deux Cachemire » au sein de chaque État ;

- une grande porosité de la frontière permettant le développement des échanges économiques et humains ;

- le retrait progressif des troupes stationnées dans la région ;

- la mise en place d'un mécanisme conjoint de supervision.

Ces propositions, sur lesquelles le gouvernement indien ne s'est jamais prononcé, avaient été faites au moment où le général Musharraf était confronté aux problèmes intérieurs qui l'ont conduit à la démission. Aujourd'hui ces pourparlers ne peuvent reprendre tant que le paramètre sécuritaire, c'est-à-dire la menace terroriste, n'est pas levé.

Le gouvernement indien, l'ensemble de la classe politique et l'opinion publique sont absolument persuadés, non sans raison, que le Pakistan a soutenu, financé et entraîné les groupes terroristes installés au Cachemire qui sont responsables des principaux attentats des dernières années en Inde.

Les attentats de Bombay, en 2008, ont bloqué les négociations et l'Inde met deux conditions à la reprise du dialogue composite :

- que les coupables des attentats de Bombay soient jugés rapidement et qu'ils reçoivent un châtiment exemplaire,

- qu'Islamabad donne des preuves que les groupes terroristes et leurs couvertures, qui continuaient d'opérer à partir du territoire pakistanais, sont mis hors la loi, désarmés et démantelés.

Une normalisation avec l'Inde ne saurait être envisagée tant qu'Islamabad ne tiendrait pas ses engagements, dans la lettre comme dans l'esprit, d'interdire l'utilisation de son territoire pour des actes terroristes en Inde.

Les Indiens demandent à la communauté internationale de faire pression sur le Pakistan pour qu'il lève toute ambiguïté dans sa lutte contre le terrorisme. Ils soulignent que le Pakistan est un État sous perfusion internationale, tant du point de vue économique que militaire, et que les Etats-Unis, ou la France, ont les moyens d'infléchir la politique de cet Etat en rendant conditionnelles les aides qui lui sont apportées.

La résolution de la question du Cachemire est centrale mais elle relève d'une négociation bilatérale puisque l'Inde refuse totalement l'internationalisation de la négociation. La marge de manoeuvre des diplomaties occidentales est donc limitée vis-à-vis de l'Inde.

La baisse de la tension entre les deux pays permettrait au Pakistan de mieux utiliser ses troupes à la lutte contre les taliban en transférant une partie de celles-ci sur sa frontière occidentale. Si l'Inde affirme qu'elle n'a aucune velléité d'action militaire contre le Pakistan, les Pakistanais, et notamment l'armée, sont encore persuadés du contraire.

a ensuite abordé la question de l'action de l'Inde en Afghanistan. Celle-ci est jugée très négativement par le Pakistan dont l'obsession est de disposer d'une profondeur stratégique en Afghanistan et qui soupçonne l'Inde, par son action dans ce pays, de manipuler des forces qui permettront son encerclement.

Le vice président Ansari a très clairement rappelé la position de son pays en Afghanistan :

- compte tenu de la sensibilité régionale, notamment vis-à-vis du Pakistan, l'Inde exclut toute présence militaire en Afghanistan ;

- en revanche, elle intervient en matière civile (reconstruction, humanitaire, développement) à titre bilatéral et à la demande du gouvernement afghan. Depuis 2002, l'Inde a engagé plus de 1,2 milliard de dollars d'aide à la reconstruction. 3 000 ressortissants indiens travaillent à l'heure actuelle dans le pays et l'une des préoccupations principales du gouvernement est d'assurer leur sécurité face aux risques d'attentats et de violences ;

- la dimension pakistanaise de la résolution du conflit est essentielle ;

- l'Inde est favorable à la concertation internationale sur l'Afghanistan incluant l'ensemble des acteurs régionaux ; elle accueille donc favorablement la proposition d'une conférence qui se tiendrait au mois de décembre 2009, sous réserve que les objectifs et le point d'aboutissement de cette réunion soient clairement identifiés.

Comme pratiquement tous les interlocuteurs de la délégation, le vice président a indiqué que la communauté internationale devait rester en Afghanistan. Un retrait entraînerait, dans un délai très bref, le retour des taliban au pouvoir et obligerait la communauté internationale à intervenir à nouveau, les mêmes causes produisant les mêmes effets.

Les interlocuteurs indiens de la mission ont mal reçu les reproches du général McChrystal, selon lesquels la présence de l'Inde en Afghanistan contribuait à la déstabilisation en inquiétant le Pakistan. M. Mohammad Hamid Ansari a fait valoir que prendre cette position, c'était tomber dans le piège des Pakistanais qui menaient en Afghanistan un combat sur des principes géopolitiques d'un autre temps.

Pour conclure, M. Didier Boulaud a souligné que l'Inde est un acteur central de la résolution du conflit en Afghanistan. Si l'on peut comprendre les raisons évidentes qui l'amènent à refuser une participation militaire, il est vital qu'elle contribue le plus possible, politiquement parlant, à la résolution du conflit. Cet engagement passe par la diminution des tensions et par des gestes de confiance avec le Pakistan, mais aussi par une concertation avec la Chine, qui est, dans la région, le meilleur allié du Pakistan.

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