Intervention de Roland du Luart

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 25 mai 2011 : 1ère réunion
Contrôle budgétaire du fonctionnement de la justice à la réunion et à mayotte — Communication

Photo de Roland du LuartRoland du Luart, rapporteur spécial :

Au cours d'une première réunion tenue le matin, la commission entend tout d'abord une communication de M. Roland du Luart, rapporteur spécial de la mission « Justice », sur le fonctionnement de la justice à La Réunion et à Mayotte.

L'idée de départ de ce contrôle tire notamment sa source de mes échanges avec M. Delarue, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, et du diagnostic alarmant qu'il m'avait dressé de la situation à la maison d'arrêt de Majicavo, sur Mayotte : conditions de détention difficiles, surpopulation carcérale, taux d'occupation de 280 % à la fin de l'année 2009... Il y avait en outre une certaine logique, dès lors que la décision était prise de se rendre sur place à Mayotte, d'étendre le contrôle à La Réunion. A une certaine unité géographique (la justice française dans l'océan indien) répondait une comparaison utile entre deux départements d'outre-mer placés dans des conditions très différentes : l'un (La Réunion) devenu département en 1946 et l'autre (Mayotte) ayant accédé à ce statut très récemment (le 31 mars dernier).

Autant le dire tout de suite, ce contrôle débouche sur un contraste saisissant. Pour tout « métropolitain » découvrant ces deux îles, la situation est frappante de différences.

Du côté de La Réunion, le département fonctionne bien, bénéficiant notamment encore de l'action menée par Michel Debré en son temps. Le constat d'ensemble renvoie à une justice, si j'ose dire, en état de marche. Celle-ci s'y trouve naturellement confrontée aux difficultés malheureusement bien connues de l'institution, mais elle y bénéficie également d'un climat social relativement apaisé malgré les difficultés économiques que traverse aujourd'hui l'île. J'ai même été frappé de constater que la CGT pénitentiaire n'y est pas particulièrement revendicative.

La Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion comprend dans son ressort le tribunal de grande instance de Saint-Pierre, ainsi que les tribunaux d'instance de Saint-Denis et de Saint-Pierre. Elle compte également une chambre d'appel à Mayotte, sur laquelle je reviendrai.

Le budget de fonctionnement de la Cour d'appel s'appuie sur une dotation initiale pour 2011 de 2,2 millions d'euros en crédits de paiement et en autorisations d'engagement. Comme dans le cas d'autres Cours d'appel, cette dotation se révèle toutefois en deçà des besoins. Il est d'ailleurs symptomatique d'observer que les dépenses exécutées en 2008 se montaient à 2,8 millions d'euros, puis à 2,9 millions d'euros en 2009 et à 2,6 millions d'euros en 2010. On peut certes interpréter cette baisse tendancielle des dépenses exécutées comme le résultat d'efforts d'économies substantielles et d'une rationalisation souhaitable des moyens. Mais cette lecture ne peut occulter les vraies difficultés de gestion auxquelles est désormais confrontée la Cour d'appel. Les témoignages sont à ce sujet sans ambiguïté. Je veux notamment citer le Président du TGI de Saint Denis : « Sur le terrain, nous n'avons aucune marge de manoeuvre ». D'autres expressions m'ont également frappé lors de mes échanges : « on fonctionne sur la corde raide, en équilibriste... », « on a atteint l'os... ». La révision générale des politiques publiques (RGPP) a atteint ses limites avec la justice, notamment dans l'océan indien.

Cette insuffisance de crédits présente de multiples conséquences sur le fonctionnement au quotidien des juridictions de La Réunion. On redoute qu'un climatiseur tombe en panne (car les crédits manqueraient pour le remplacer ou le réparer), mais on s'inquiète aussi pour le simple maintien en l'état des Palais de justice. A cet égard, il faut ainsi signaler que le poste consacré à l'entretien immobilier a chuté de 139 000 euros en 2010 à 78 000 euros pour 2011. L'exemple est emblématique. Il amène à s'interroger sur les critères de ce qu'est une bonne gestion de la ressource publique : plutôt que de rogner à court terme sur les crédits d'entretien immobilier, ne vaudra-t-il pas mieux allouer des crédits suffisants pour éviter des dépenses encore plus onéreuses à moyen terme lorsque les bâtiments seront vraiment très dégradés ?

Du point de vue des effectifs, la situation est également limite. Le tribunal d'instance de Saint-Pierre, par exemple, souffre d'un déficit de greffiers et de fonctionnaires : là où les ratios de la Chancellerie prévoiraient treize greffiers et fonctionnaires, ils ne sont que onze. A lui seul, le service des tutelles justifierait la création de deux emplois de fonctionnaire et de presque un poste de magistrat. Ce service n'est pas en mesure de remplir correctement l'obligation, née de la loi du 5 mars 2007, qui impose une révision des dossiers de tutelle tous les cinq ans. Et pourtant, malgré tout, la justice avance à La Réunion...

Ce constat est encore plus fondé s'agissant de l'administration pénitentiaire. Elle a bénéficié du programme « 13 200 » et compte désormais, notamment, un nouveau centre de détention à Saint-Denis de la Réunion. 492 personnes y sont écrouées, dont 452 personnes hébergées. Les capacités théorique et opérationnelle de l'établissement étant fixées à 573 places, le taux d'occupation ainsi obtenu est de 79 %, soit un taux tout à fait acceptable. Je veux d'ailleurs souligner à quel point cet établissement est réussi, tant du point de vue architectural que des couleurs utilisées, et combien il pourrait inspirer d'autres réalisations à venir.

Le dernier maillon de l'institution judiciaire à La Réunion, la protection judiciaire de la jeunesse, sait également faire preuve d'efficacité. S'appuyant sur plusieurs unités en milieu ouvert, sur un centre éducatif renforcé et sur un centre éducatif fermé, elle souffre toutefois de difficultés réelles à trouver des familles d'accueil.

Du côté de Mayotte, le tableau est, hélas, plus sombre.

La maison d'arrêt de Majicavo réserve toutefois une « relativement » bonne surprise. Son taux de sur-occupation n'est plus aussi élevé qu'il y a encore quelques mois : il n'est « plus » que d'environ 200 %, avec un effectif de 212 personnes fin avril pour 105 places. Par ailleurs, les conditions de détention sont bien évidemment difficiles, mais pas autant qu'on pourrait le redouter. Le climat y est étonnamment apaisé. Malgré une extension prévue pour 2014, il est toutefois à craindre que cet établissement ne souffre encore durablement de sur-occupation. En effet, environ 75 % des détenus sont étrangers et bien souvent impliqués dans les réseaux d'immigration clandestine venant d'Anjouan. Ce sont les pilotes des « kwassa-kwassa », les clandestins arrêtés étant, eux, envoyés dans le centre de rétention administrative de Mayotte dans l'attente de leur reconduite à Anjouan.

Parmi les problèmes les plus urgents à régler s'agissant de la maison d'arrêt de Majicavo, je veux insister sur la nécessité d'intégrer rapidement les personnels issus de la collectivité territoriale de Mayotte et exerçant au sein de l'administration pénitentiaire. Cette intégration est prévue à l'horizon 2019. Or, ce délai est trop long et risque de dégrader le bon climat social au sein de l'établissement, déjà soumis à de fortes contraintes comme je viens de l'indiquer. Trente-trois agents sont concernés et l'enjeu financier est modeste : entre 35 000 et 40 000 euros. Je viens d'ailleurs d'adresser un courrier dans ce sens au secrétaire d'Etat chargé de la fonction publique.

L'autre difficulté majeure que je voudrais souligner correspond à la très difficile maîtrise des frais de justice à la chambre d'appel de Mamoudzou. En effet, dans le cadre de la lutte contre l'immigration clandestine, la justice sur l'île doit avoir recours à des traducteurs, et cette tendance va s'accentuant avec l'accroissement des clandestins. Ce problème se répercute sur la Cour d'appel de La Réunion, puisque la chambre d'appel relève, depuis la départementalisation, de cette Cour d'appel.

Au total, selon les informations qui m'ont été communiquées, la dotation initiale accordée en 2011 pour couvrir les frais de justice dans le ressort de la Cour d'appel de La Réunion se monte à 2,183 millions d'euros. Or, les charges restant à payer à la fin de l'exercice 2010 s'élevaient à 589 000 euros. Par ailleurs, au cours de ce même exercice 2010, 2,859 millions d'euros ont été au total consommés au titre des frais de justice.

L'insuffisance de dotation pour l'année 2011 apparaît donc clairement : il manque 1,2 million d'euros. Cette insuffisance met en péril le bon fonctionnement de la Cour d'appel de La Réunion et des juridictions relevant de son ressort, avec le risque, notamment, de ne plus pouvoir recourir aux experts dont les travaux tardent à être payés. Aussi me paraît-il essentiel que la Chancellerie puisse remédier à cette situation très préoccupante, en « sanctuarisant » par exemple une enveloppe complémentaire dans laquelle la Cour d'appel pourrait puiser. Un tel principe trouverait d'ailleurs utilement à s'appliquer au niveau national, pour toutes les juridictions, lors de la loi de finances pour 2012.

En conclusion, je voudrais saluer l'engagement des magistrats, des greffiers et des fonctionnaires qu'il m'a été donné de rencontrer au cours de ce contrôle. Confrontés à des situations difficiles, devant faire face à des moyens de plus en plus contraints, ils savent toutefois, pour la plupart, faire preuve de beaucoup d'abnégation au service de l'Etat. Si la justice parvient à « tourner » à La Réunion et à Mayotte, c'est aussi grâce à eux. Il faut en avoir conscience.

Je veux également redire que le RGPP a, me semble-t-il, atteint ses limites dans le domaine de la justice.

Enfin, il faut aussi rappeler l'impérieuse nécessité d'évaluer l'impact des lois avant de les voter.

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