Intervention de Charles Guené

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 30 novembre 2010 : 1ère réunion
Compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements — Examen du rapport

Photo de Charles GuenéCharles Guené, rapporteur :

Les trois allocations visées sont le revenu de solidarité active (RSA), l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et la prestation de compensation du handicap (PCH).

Par ces propositions de loi, les auteurs ont voulu mettre l'accent sur les difficultés financières que rencontrent les départements dans leur ensemble. Ces difficultés résultent notamment des charges qui pèsent sur eux au titre des trois allocations visées par les propositions de loi.

Le transfert du revenu minimum d'insertion (RMI) aux départements, en 2004, a bien été qualifié, au regard de l'article 72-2 de la Constitution, de transfert de compétences. Il en résulte que l'Etat a eu l'obligation de transférer aux départements des ressources équivalentes à celles qu'il consacrait à cette compétence avant son transfert. Cela a été fait par l'attribution de fractions de taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP). Cette obligation a même été dépassée puisqu'à l'initiative de notre commission des finances, l'Etat verse aux départements 500 millions supplémentaires par an au titre du Fonds de mobilisation départemental pour l'insertion (FMDI).

La généralisation du RSA a, en 2009, été qualifiée de simple extension de compétences des départements - et non de transfert. L'Etat n'a donc pour obligation constitutionnelle que de transférer des ressources garantissant le respect du principe de la libre administration des collectivités territoriales. Il a toutefois fait le choix de procéder à une compensation similaire à celle du RMI, par versement d'une fraction de TIPP qui sera figée sur le montant des dépenses engagées par les départements au titre du RSA en 2010.

En 2009, le montant de la compensation versée par l'Etat au titre du RSA s'est élevé au total à 5,76 milliards d'euros, le montant à la charge des départements a été de 6,47 milliards d'euros et, par conséquent, le montant non compensé par l'Etat a été de 708,6 millions d'euros, soit un taux de couverture de 89 %.

Le financement de l'APA et celui de la PCH obéissent à une logique différente. La création de l'APA, en 2002, et celle de la PCH, en 2006, n'ont pas non plus constitué des transferts de compétences. Seul l'objectif constitutionnel de préservation du principe de libre administration s'applique. Aucun dispositif de compensation des charges par transfert de fiscalité n'a été mis en place. C'est la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) qui participe au financement de ces dispositifs, qui sont à la charge des départements. La section II du budget de la CNSA retrace en recettes des contributions sociales qui sont affectées à sa participation au titre de l'APA. Le montant de la contribution de la CNSA n'est donc pas corrélé au coût de l'APA. Il évolue en fonction du produit des contributions.

En 2009, la CNSA a contribué à hauteur de 1,55 milliard au financement de l'APA, pour un coût global de 5,03 milliards pour les départements, soit un reste à charge de 3,48 milliards correspondant à un taux de couverture de 30,8 %. Ce taux de couverture est en diminution linéaire depuis 2002, où il s'élevait à 43 %.

La section III du budget de la CNSA retrace pour sa part les dépenses affectées à sa participation au titre de la PCH. Dans ce cas non plus, le montant de la contribution de la CNSA n'est pas corrélé au coût de la PCH pour les départements.

En 2009, la contribution de la CNSA au titre de la PCH s'est élevée à 509,7 millions, à comparer à un coût global pour les départements de 843,3 millions, soit un montant non compensé de 333,6 millions d'euros et un taux de couverture de 60,4 %. Il résulte d'ailleurs du fait que le montant global de la participation de la CNSA au financement de la PCH est sans lien avec le coût de celle-ci, que le taux de couverture a été, les deux premières années de création de la prestation, supérieur à 100 %. Il l'est encore pour certains départements.

Ces trois propositions de loi visent donc, en réalité, à réformer le financement de la dépendance.

Le reste-à-charge pour les départements pour les trois allocations a représenté 4,52 milliards en 2009, dont les trois-quarts pour l'APA. S'ajoute à ce constat le fait qu'en dynamique, c'est également l'APA qui pèsera, à moyen et long terme, sur les budgets départementaux. En effet, le coût du RSA varie avec la conjoncture économique. Il diminue nettement lors des phases de reprise de croissance avec la contraction nette du nombre de ses bénéficiaires, par exemple de 12 % entre 2005 et 2008.

Le coût de la PCH, quant à lui, a fortement augmenté ces dernières années mais cette hausse correspond principalement à la montée en charge d'un dispositif relativement nouveau. Il n'y a pas de raison qu'à moyen terme le coût de cette prestation, qui bénéficie aux populations handicapées, ne se stabilise pas.

La situation est toute autre pour l'APA. En effet, comme l'a notamment relevé le rapport de la mission commune d'information sur le cinquième risque, le coût de la prise en charge de la dépendance augmentera nécessairement avec le doublement, d'ici à 2050, de la proportion des personnes âgées de plus de 75 ans dans l'ensemble de la population française. Si le coût de l'APA est aujourd'hui le plus élevé pour les finances départementales, c'est aussi celui qui devrait augmenter le plus.

Or, ce coût s'inscrit dans un contexte financier difficile pour les départements. Comme l'a relevé le rapport sur les finances départementales rédigé par Pierre Jamet, les départements ont connu ces dix dernières années un « effet de ciseaux » entre la progression de leurs recettes et de leurs dépenses de fonctionnement. Les dépenses ont en effet globalement augmenté de 2 points de pourcentage de plus, par an, que les ressources.

Ce contexte s'est aggravé avec la crise économique récente, qui a produit un triple effet : le nombre de bénéficiaires du RSA a progressé de 16 % entre juin 2008 et juin 2010 ; les contributions de la CNSA se sont réduites du fait de la diminution du produit des cotisations sociales affectées aux départements ; enfin, les recettes des droits de mutation à titre onéreux des départements on reculé d'un tiers entre 2007 et 2009, alors qu'ils représentent le cinquième des recettes fiscales des départements.

Pour le RSA et la PCH, les propositions de loi préconisent une solution simple : l'Etat prendrait à sa charge l'intégralité du coût de ces prestations supporté par les départements. Chaque année, au vu des comptes administratifs, l'Etat compenserait à l'euro près le reste à charge des départements. Le coût de cette solution pour l'Etat aurait été en 2009 de 708 millions au titre du RSA et de 333 millions au titre de la PCH.

Pour l'APA, la solution est un peu différente. En effet, les propositions de loi maintiennent à la charge des départements, un « ticket modérateur » de 10 %. L'Etat ne compenserait donc que 90 % des dépenses d'APA des départements. En outre, cette compensation ne porterait pas sur le montant de la prestation spécifique de dépendance que l'APA remplace progressivement. Par conséquent, le coût de cette solution pour l'Etat peut être évalué à 2,3 milliards d'euros pour 2009 au titre de l'APA.

Au final, les propositions de loi visent à transférer des départements à l'Etat une charge correspondant à 3,34 milliards d'euros, sans modifier les dispositifs du RSA, de l'APA ou de la PCH et sans proposer la création de nouvelles recettes.

Je ne peux préconiser l'adoption de ces propositions de loi pour plusieurs raisons.

D'abord, parce qu'elles visent principalement à modifier la prise en charge financière de la dépendance. Or, il ne vous a pas échappé que le Président de la République a annoncé, le 16 novembre dernier, un débat national sur ce sujet qui doit se tenir dans le courant de l'année 2011 avant une inscription de la réforme dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012.

Il serait particulièrement malvenu, au moment où certains se sont émus du manque de concertation préalable à la réforme des retraites, de « court-circuiter » le débat qui nous est proposé. Je signale par ailleurs que le Sénat a contribué et va continuer à contribuer à ce débat avec sa mission commune d'information sur le cinquième risque, que préside Philippe Marini, rapporteur général.

Par ailleurs, la compensation à l'euro près des dépenses de RSA et de PCH conduirait à déresponsabiliser totalement les départements dans la mise en oeuvre de ces politiques. Or, un des avantages majeurs de leur gestion décentralisée est qu'ils sont mieux gérés que si la caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) le faisait au niveau national, puisque c'est l'intérêt financier du département de le faire de manière fine. Ensuite, le « ticket modérateur » de 10 % proposé pour l'APA paraît relativement faible au regard de la répartition actuelle de cette charge. Un débat doit avoir lieu sur cette question.

Enfin, le coût pour l'Etat de la solution proposée, qui aurait été de 3,34 milliards en 2009 si elle avait été mise en oeuvre, est excessif et irréaliste dans le contexte actuel des finances de l'Etat.

Ainsi, il me semble que ces trois textes remettent en cause le principe même de la décentralisation de ces allocations.

En conséquence, je propose à la commission de ne pas élaborer de texte, de discuter en séance publique sur la rédaction de nos collègues et de proposer alors le rejet des articles.

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