Intervention de Esther Benbassa

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 29 novembre 2011 : 1ère réunion
Droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales des étrangers résidant en france — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa, rapporteure :

Victor Hugo déclarait devant l'Assemblée nationale législative, le 31 mai 1850 : « Le suffrage universel, au milieu de toutes nos oscillations dangereuses, crée un point fixe. Et pour qu'il soit bien le suffrage universel, il faut qu'il n'ait rien de contestable, c'est-à-dire qu'il ne laisse personne, absolument personne, en dehors du vote ; qu'il fasse de la cité la chose de tous, sans exception, car en pareille matière, faire une exception c'est commettre une usurpation ; il faut, en un mot, qu'il ne laisse à qui que ce soit le droit redoutable de dire à la société : je ne te connais pas ».

La réalisation de cet idéal démocratique passe aujourd'hui par un élargissement du droit au suffrage, afin de permettre à tous ceux qui sont durablement installés sur notre sol de participer aux élections municipales.

L'exclusivisme national est tel que l'on se croirait encore aux temps de l'Antiquité, quand l'étranger était le « métèque », le « barbare », exclu, jamais citoyen, à peine considéré comme un homme. Il est loin, le temps où l'empereur Caracalla, dans son édit de 212, accordait la citoyenneté romaine à tous les hommes libres de l'Empire ; où un révolutionnaire, en 1793, prétendait faire citoyens français tous ceux qui « respirent sur le sol de la République », et où l'on avait élu à la Convention nationale plusieurs députés étrangers.

À ses débuts, la Révolution française distingue nationalité et citoyenneté : il n'était pas nécessaire d'être Français pour participer à l'exercice de la citoyenneté qu'est l'élection. Mais la xénophobie et la suspicion croissante envers les États étrangers, en guerre contre la jeune République, conduisent progressivement à durcir, puis à remettre en cause les conditions de participation des étrangers au vote édictées jusqu'en 1793.

Dès lors, la citoyenneté prend un caractère exclusivement national : on estime que les droits associés à la citoyenneté sont fondés sur l'appartenance de l'individu à la communauté politique nationale incarnée par l'État-nation. Le XIXe siècle est celui de la montée des nationalismes ; la nationalité devient le principal critère de la citoyenneté. La Constitution du 4 novembre 1848, dans son article 25, dispose ainsi que « sont électeurs, sans condition de cens, tous les Français âgés de vingt-et-un ans, et jouissant de leurs droits civils et politiques ».

La colonisation ouvre une parenthèse, en Algérie. Entre 1847 et 1884, une citoyenneté de résidence est reconnue aux étrangers pour favoriser leur intégration et renforcer le processus de colonisation. Ils sont électeurs et éligibles aux élections locales.

Nouvelle brèche, le traité de Maastricht autorise en 1992 les ressortissants des États de l'Union à voter aux élections locales et européennes dans leur pays de résidence, et distingue la nationalité de la citoyenneté. Ce « statut fondamental » des ressortissants de l'Union crée, parallèlement à la souveraineté nationale, une citoyenneté européenne. La ratification du traité de Maastricht nécessitait une révision constitutionnelle. D'où l'introduction, le 25 juin 1992, d'un nouvel article 88-3, qui dispose : « Sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le Traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux seuls citoyens de l'Union résidant en France. Ces citoyens ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d'adjoint ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l'élection des sénateurs. »

La volonté politique a conduit à modifier la Constitution sur le vote des femmes, l'abolition de la peine de mort, ou encore la parité. Aujourd'hui, il est temps d'ajouter une nouvelle page à l'histoire de notre Nation, et de rendre hommage aux étrangers qui dorèrent son blason, à l'instar des prix Nobel Marie Curie ou Georges Charpak.

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