Intervention de Jean-Jacques Hyest

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 31 janvier 2007 : 1ère réunion
Modification du titre ix de la constitution — Examen du rapport

Photo de Jean-Jacques HyestJean-Jacques Hyest, rapporteur :

rappelant que le statut pénal du Président de la République, défini aux articles 67 et 68 de la Constitution, était largement inspiré des lois constitutionnelles de 1875 et de la Constitution de 1946, a souligné que ces dispositions étaient demeurées inchangées depuis 1958, alors que la fonction présidentielle s'était affirmée, en raison notamment de l'élection au suffrage universel direct.

Il a estimé que le statut défini au titre IX de la Constitution, hérité du XIXè siècle, ne correspondait plus au rôle du chef de l'Etat sous la Vè République. En effet, si l'irresponsabilité paraissait accompagner, sous les IIIè et IVè Républiques, l'affaiblissement du rôle institutionnel du Président, la Constitution de 1958 donne à ce dernier une place éminente.

Il a relevé que l'article 68 de la Constitution était marqué par une ambiguïté liée aux deux possibilités de lecture des deux phrases le composant. Ainsi, la lecture « à la suite » de ces deux phrases, généralement retenue par la doctrine, conduit à considérer que la Haute Cour de justice n'est compétente qu'en cas de haute trahison, cette interprétation correspondant par ailleurs à ce qui ressort des travaux préparatoires de la Constitution du 4 octobre 1958. En revanche, si l'on fait des deux phrases une lecture disjointe, la responsabilité pénale du chef de l'Etat ne peut être mise en cause, y compris pour les actes étrangers à l'exercice de son mandat, que devant la Haute Cour de justice.

Rappelant que l'article 68 de la Constitution ne donnait aucune définition de la haute trahison ni des peines susceptibles d'être prononcées par la Haute Cour de justice, il a indiqué que le dispositif en vigueur ne satisfaisait pas au principe de légalité des délits et des peines et qu'il était incompatible avec le droit à un procès équitable défini à l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Il a déclaré que la connotation pénale excessive de la haute trahison devait également conduire à lui substituer un motif clairement et exclusivement politique faisant référence aux actes ou comportements du chef de l'Etat qui porteraient atteinte à la dignité de sa fonction.

Expliquant que la Haute Cour de justice visée à l'article 67 de la Constitution, avait, par ses règles de fonctionnement, définies par l'ordonnance n° 59-1 du 2 janvier 1959, tous les caractères d'une juridiction, il a affirmé la nécessité d'établir une procédure politique et non judiciaire de mise en cause de la responsabilité du Président de la République, non pour prononcer une peine, mais pour mettre fin à son mandat lorsqu'il n'est plus en mesure de l'exercer en raison de manquements à la dignité de sa fonction.

Il a indiqué que dans leurs décisions respectives du 22 janvier 1999 et du 10 octobre 2001, le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation avaient exclu toute poursuite ou instruction à l'égard du Président de la République pendant la durée de son mandat. Ces deux juridictions font cependant des interprétations divergentes de l'article 68 de la Constitution, le Conseil constitutionnel estimant que la compétence de la Haute Cour de justice est générale, en vertu d'un privilège de juridiction, alors que pour la Cour de cassation, cette compétence est limitée au cas de haute trahison. La Cour de cassation a cependant conclu à l'inviolabilité temporaire du Président de la République, précisant qu'en contrepartie de l'interdiction des poursuites pendant la durée de son mandat, les délais de prescription étaient suspendus.

Soulignant que le régime dérogatoire au droit commun défini par la Cour de cassation était fondé sur une analyse combinée de l'article 3 et du titre II de la Constitution, traitant respectivement de la souveraineté nationale et des attributions du Président de la République, M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur, a indiqué que le projet de loi constitutionnelle reprenait cette solution, en cherchant à concilier la protection de la fonction présidentielle et la possibilité pour la représentation nationale de mettre fin au mandat du Président s'il commet un manquement manifestement incompatible avec ce dernier.

Il a précisé que le texte déposé par le Gouvernement suivait ainsi les préconisations de la commission de réflexion présidée par le professeur Pierre Avril, qui avait rendu ses conclusions le 12 décembre 2002. Cette commission, examinant la protection accordée au chef de l'Etat dans les pays démocratiques, a établi qu'aucun Etat ne faisait exception à un principe de protection de ce dernier pendant son mandat à l'égard de la plupart, sinon de toutes les procédures juridictionnelles. Le rapport Avril relève qu'il revient en général à un organe dont la composition ou le mode de saisine a un caractère politique de statuer sur la responsabilité du chef de l'Etat.

Rappelant que le principe de protection du chef de l'Etat avait été établi dès la Constitution du 3 septembre 1791, M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur, a estimé que la protection de la fonction paraissait d'autant plus indispensable sous la Vè République, qui fait du Président, élu de l'ensemble de la nation, le garant de la continuité de l'Etat, de l'indépendance nationale et de l'intégrité du territoire, et le chef des armées.

Considérant en outre que l'indépendance nécessaire à l'exercice du mandat présidentiel, d'une part, et la séparation des pouvoirs, d'autre part, exigeaient que le chef de l'Etat ne puisse être mis en cause par les tribunaux, il a déclaré qu'une protection complète du Président de la République pendant la durée de son mandat était dans la logique de nos institutions.

Estimant que le projet de loi constitutionnelle précisait et modernisait le statut pénal du chef de l'Etat, il a souligné que le texte proposé pour l'article 67 de la Constitution maintenait le principe d'irresponsabilité du Président pour les actes commis dans l'exercice de ses fonctions, sous réserve des dispositions relatives aux compétences de la Cour pénale internationale et à l'hypothèse de la destitution, et lui accordait une protection complète, pendant la durée de son mandat, s'agissant des actes détachables de ce dernier.

Il a expliqué que le projet de loi constitutionnelle créait à l'article 68 de la Constitution une procédure de destitution du chef de l'Etat en cas de manquement manifestement incompatible avec l'exercice de ses fonctions, le Parlement, constitué en Haute Cour, devant alors se prononcer, non sur la qualification pénale de ce manquement, mais sur l'atteinte portée à la dignité de la fonction. Considérant que l'atteinte à une institution issue du suffrage universel ne pouvait être appréciée que par le représentant du peuple souverain, il a jugé qu'il revenait au Parlement de se prononcer pour rendre le Président de la République à la condition de citoyen ordinaire. Il serait alors susceptible d'être poursuivi devant les juridictions de droit commun si le manquement à l'origine de sa destitution constituait par ailleurs une infraction.

Il a souligné que la procédure de destitution n'était pas de nature juridictionnelle et qu'elle n'était donc pas liée par le principe de la légalité des délits et des peines et ne relevait pas non plus des règles du procès équitable. La destitution s'impose logiquement comme la sanction institutionnelle ou politique d'un manquement portant atteinte à la fonction présidentielle et rompt par conséquent avec l'ambiguïté du régime initialement défini par la Constitution de 1958.

a expliqué que la procédure de destitution pourrait être indifféremment déclenché par l'Assemblée nationale ou par le Sénat, chacune des deux assemblées étant d'abord appelée à se prononcer sur la décision de réunir, ou pas, la Haute Cour, avant qu'elles ne statuent ensemble sur la destitution. Précisant que le dernier alinéa de l'article 68 renvoyait à une loi organique la définition des conditions d'application de cette procédure, il a déclaré que cette loi, en partie relative au Sénat, devrait par conséquent être adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées conformément à l'article 46, avant-dernier alinéa de la Constitution.

Le rapporteur a déclaré que l'Assemblée nationale avait précisé le dispositif en indiquant, dans le texte proposé pour l'article 67, que le chef de l'Etat ne pourrait faire l'objet d'une quelconque action -c'est-à-dire toute voie de droit ouverte pour la protection judiciaire d'un droit- afin de ne laisser aucun doute sur l'étendue de l'inviolabilité devant les juridictions civiles ou les autorités administratives. L'Assemblée nationale a en outre souhaité inscrire dans le texte constitutionnel que les délais de prescription étaient suspendus pendant la durée du mandat présidentiel, bien que ce principe se déduise de l'inviolabilité temporaire du chef de l'Etat.

a rappelé que l'immunité ainsi définie ne visait pas à protéger l'homme, mais la fonction, et que cette protection était d'autant plus complète que les limites dans le temps en étaient clairement définies.

Il a expliqué que l'Assemblée nationale avait également assuré l'équilibre de la procédure de destitution, prévue à l'article 68, en supprimant l'empêchement du Président de la République après l'adoption par les deux assemblées d'une proposition de réunion de la Haute Cour, en réduisant à un mois le délai à l'issue duquel celle-ci doit statuer, et en prévoyant que la réunion de la Haute Cour et la destitution doivent être décidées à la majorité des deux tiers des membres composant l'assemblée concernée, et non à la majorité absolue.

Il a estimé que la double majorité des deux tiers retenue par les députés offrait les garanties nécessaires à la mise en oeuvre d'une procédure dont l'objet ultime est de permettre à la représentation nationale de mettre fin au mandat de l'élu de la nation tout entière et éviterait son détournement à des fins partisanes.

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