Merci monsieur le président et permettez-moi de vous dire que je suis heureux de vous saluer tous, chers collègues, en ce début de matinée pour évoquer les conditions de l'application de l'article 40 de la Constitution. C'est une responsabilité que le président de la commission des finances partage avec ses collègues présidents des autres commissions permanentes. Lorsque nous devons prononcer l'irrecevabilité d'un amendement, c'est toujours un moment délicat et ce peut être un motif de crispation pour l'auteur de cet amendement. Je voudrais que nous puissions nous familiariser avec ces dispositions constitutionnelles pour éviter toute incompréhension. Je tiens à vous dire que l'obligation qui m'incombe de prononcer la recevabilité ou l'irrecevabilité d'un amendement est un exercice dont je me dispenserais volontiers.
Je voudrais rappeler tout d'abord les conditions d'application de ce fameux article 40. L'article 40 prévoit que « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique ». Il est possible de gager la diminution des ressources publiques. Il n'est jamais possible de gager la création ou l'aggravation d'une charge. D'autre part, le gage doit être opérant : il doit y avoir une compensation exacte de la perte de recettes et au profit de la personne publique qui la subit.
Quelques définitions à présent :
- une charge publique ne s'entend pas seulement d'une dépense au sens strict, mais également d'une compétence assignée à une personne publique ou d'un droit détenu sur elle ;
- les personnes publiques entrant dans le champ de l'article 40 sont l'Etat, les collectivités territoriales, les administrations de sécurité sociale et les organismes divers d'administration centrale (ODAC), c'est-à-dire tous les organismes pris en compte dans l'évaluation de la dépense publique.
Je voudrais revenir un instant sur la notion de charge publique, qui recouvre tout d'abord une réalité plus large que celle des dépenses stricto sensu imputées aux personnes publiques. En effet, la charge publique englobe :
- les dotations publiques : amendements instituant ou augmentant une subvention, par exemple une majoration de la participation financière de l'Etat au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante ;
- les droits détenus par les administrés sur une personne publique et notamment les droits à diverses prestations ou allocations ;
- les créations de structures ayant vocation à dépenser, par exemple la création de « fonds » publics ou l'augmentation du nombre des délégations territoriales de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité ;
- les transferts ou extensions de compétences des personnes publiques, par exemple un amendement étendant les missions du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et des centres de gestion à la prise en charge des fonctionnaires territoriaux privés d'emploi à la suite de la cession du patrimoine d'un office public de l'habitat ;
- les dispositions intéressant l'emploi public, par exemple, tout recrutement opéré par une personne publique, qu'il concerne des agents titulaires ou non, est constitutif d'une création de charge.
Toutes ces dispositions ne sont donc pas recevables au titre de l'article 40.
Ainsi, l'article 40 s'applique, non seulement à l'Etat, mais à l'ensemble des administrations publiques, définies de manière précise en comptabilité nationale. C'est vous dire combien l'article 40 entraîne une application rigoureuse et qu'il est toujours un exercice délicat de déclarer l'irrecevabilité.
Ceci étant, l'interprétation que nous faisons est toujours favorable à l'initiative parlementaire :
- il s'agit tout d'abord d'évoquer le choix de la base de référence la plus favorable à l'amendement, qui permettrait d'échapper à la censure. Nous partons du droit existant, du droit proposé - projet ou proposition de loi, texte de la commission - voire de situations de fait ou d'intentions formelles du Gouvernement. Par exemple, pour reprendre ce dernier cas, si l'on peut retrouver une intention exprimée par un membre du gouvernement, dans les procédures ou devant le Parlement, à l'occasion d'une intervention en séance publique ou en commission, prévoyant la création d'une autorité administrative ou la mise en place d'une prestation complémentaire, alors on peut considérer qu'il s'agit là d'une base juridique et que dans ces conditions, l'article 40 ne s'appliquera pas. Nous essayons, croyez-le bien, d'aller le plus loin possible dans la recherche de bases de références pour nous éviter d'avoir à censurer l'initiative prise par nos collègues ;
- les cas où la charge n'est pas constituée : charges de gestion, faible normativité, charge pesant indifféremment sur les personnes publiques et privées. Par exemple, si l'on institue une cotisation sur les salaires, pour l'Etat employeur, il s'agit d'une charge publique. Mais dès lors qu'il s'agit d'une charge qui s'applique à l'ensemble des salaires, aussi bien ceux de la sphère privée que de la sphère publique, dans ce cas-là, il n'y a pas censure au regard de l'article 40 ;
- enfin, je voudrais vous dire que s'il y a doute sur la portée d'un amendement, le doute profite systématiquement à son auteur.