Tout d'abord, pourquoi un contrôle a priori de la recevabilité financière ?
Le 14 décembre 2006, à l'occasion de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, le Conseil constitutionnel a précisé son interprétation de la recevabilité des amendements parlementaires au regard de l'article 40 de la Constitution. Il a ainsi précisé que « si la question de la recevabilité financière des amendements d'origine parlementaire doit avoir été soulevée devant la première chambre qui en a été saisie pour que le Conseil constitutionnel puisse en examiner la conformité à l'article 40, cette condition est subordonnée, pour chaque assemblée, à la mise en oeuvre d'un contrôle de recevabilité effectif et systématique au moment du dépôt de tels amendements ».
Le Conseil constitutionnel a ainsi estimé que deux des douze dispositions considérées comme « cavaliers sociaux » auraient dû, de surcroît, être déclarées irrecevables dès leur dépôt pour cause d'aggravation d'une charge publique.
Jusqu'à cette décision du Conseil constitutionnel, le Sénat, contrairement a l'Assemblée nationale, n'effectuait pas de contrôle a priori de la recevabilité des amendements, que l'on laissait venir en discussion. Certains ministres en faisaient d'ailleurs bon usage. Il pouvait ainsi arriver que les dits ministres aient été battus en arbitrage à Matignon ; ils ne présentaient pas les amendements à l'Assemblée nationale ; ils trouvaient de la compréhension chez certains de nos collègues qui déposaient des amendements ; le ministre s'abstenait d'invoquer l'article 40 ; l'amendement était voté. L'affaire aboutissait de la sorte et c'était donc une pratique qui devenait facteur de confusion et à laquelle il fallait mettre bon ordre.
Le Conseil constitutionnel s'en est chargé en censurant le projet de loi de financement de la sécurité sociale de 2007. En effet, rappelant sa jurisprudence en la matière, il a estimé que la règle du « préalable parlementaire », c'est-à-dire la condition d'une invocation de la question de l'irrecevabilité financière devant la première assemblée saisie, était « subordonnée, pour chaque assemblée, à la mise en oeuvre d'un contrôle de recevabilité effectif et systématique au moment du dépôt de tels amendements ». Soulignant qu'« une telle procédure n' [avait] pas encore été instaurée au Sénat », le Conseil constitutionnel a donc appelé à un contrôle de recevabilité effectif et systématique au moment du dépôt de l'amendement.
Le sens de cette décision, qui avait valeur « d'avertissement » de la part du Conseil constitutionnel, était clair : tant que le Sénat ne mettrait pas en oeuvre un contrôle de recevabilité effectif et systématique des amendements au moment du dépôt, le Conseil pourrait les invalider, même si l'article 40 n'avait pas été invoqué au cours des débats.
Tirant les conséquences de la décision du Conseil, la Conférence des présidents du 20 juin 2007 a décidé, sur proposition de votre commission des finances, de mettre en oeuvre, à compter de l'été 2007, un nouveau système de vérification de la recevabilité financière des amendements au regard de l'article 40 de la Constitution, identique à celui de l'Assemblée nationale. Cette nouvelle procédure, applicable depuis le 1er juillet 2007, tend à déclarer, lorsqu'il y a lieu, l'irrecevabilité financière dès le dépôt de l'amendement.
Cette pratique a pu créer de l'incompréhension au départ. J'étais venu dans votre commission à l'époque pour évoquer cette novation. Je suis bien conscient qu'il n'est pas agréable, lorsque l'on a mis beaucoup de foi et de conviction lors du dépôt d'un amendement, d'entendre qu'il ne sera même pas appelé en discussion puisqu'il est déclaré a priori irrecevable.
Voilà ma charge, bien délicate, et d'ailleurs, pour m'exonérer de tout soupçon, lorsqu'est venue en discussion la révision de la Constitution, j'avais pris l'initiative, devant le Sénat, de déposer un amendement tendant à supprimer l'article 40, mais à l'issue d'une discussion âpre, le Sénat a souhaité maintenir l'article 40.
Je disais cela car, au fond, en dépit de l'article 40, il y a malgré tout du déficit public et de l'endettement public. Peut-être faudrait-il dans ce cas également un article 40 qui soit opposable aux initiatives gouvernementales.
Quelle est la portée pour le contrôle a priori de la recevabilité financière ?
Les amendements déclarés irrecevables ne sont ni diffusés, ni discutés en séance publique.
En application du Règlement du Sénat, le contrôle a priori porte également sur la conformité des amendements à la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). L'irrecevabilité organique concerne principalement :
- les cavaliers budgétaires, c'est-à-dire que si vous déposez, sur une loi de finance, un amendement qui n'a rien à voir avec la loi de finance, il est déclaré irrecevable ;
- les amendements imputés à tort en première ou seconde partie, selon qu'ils ont ou non un impact sur le solde budgétaire.
Qui applique l'article 40 au Sénat ?
Depuis la dernière révision constitutionnelle, le partage des rôles en matière de recevabilité financière a été établi de la façon suivante :
- au stade de l'élaboration du texte de la commission, c'est le président de la commission saisie au fond qui statue, avec demande d'avis possible au président de la commission des finances ;
- sur les amendements déposés en vue de la séance publique et sur le texte de la commission discuté en séance, la décision appartient au président de la commission des finances ;
- sur les propositions de loi, le Bureau du Sénat est compétent. Le Bureau du Sénat ne s'est pas mis ici à l'abri de tout reproche car il laisse venir systématiquement les propositions. Il peut en résulter une incompréhension car un certain nombre de propositions sont totalement irrecevables au regard de l'article 40. Avec leur meilleure inspiration, certains de nos collègues peuvent considérer que ces propositions de loi sont amendables et ils déposent des amendements qui vont tout à fait dans le sens de la proposition de loi, qui elle n'a pas été déclarée irrecevable. Ces amendements sont soumis à l'appréciation de la commission des finances, qui ne peut faire autrement que de les déclarer irrecevables et je vous laisse à penser ce que peut être l'incompréhension de l'auteur de l'amendement s'il n'est pas, comme vous, un familier de l'article 40. En effet, il voit une proposition de loi qui prospère, il dépose des amendements allant dans le sens de la proposition de loi et les amendements sont censurés, ce qui peut être un moment de crispation.
En ce qui concerne la procédure mise en oeuvre à la commission des finances, seul le Président statue sur la recevabilité financière, sur la base d'une instruction approfondie menée par le secrétariat de la commission. La décision d'irrecevabilité est donc politique et n'appartient nullement à des fonctionnaires. J'assume donc totalement la décision qui est prise et le procès en arbitraire. C'est inhérent à la fonction.
Les trois étapes de l'instruction témoignent du soin apporté et du temps consacré à cette tâche délicate, de sorte qu'un maximum de précautions entourent les décisions d'irrecevabilité :
- il y a tout d'abord un examen par un collège de quatre administrateurs spécialisés dans l'application de l'article 40 ;
- il y a validation par le responsable de secrétariat des amendements à soumettre au Président ;
- vient enfin la décision du Président de la commission sur l'ensemble des amendements potentiellement irrecevables. Je suis donc assez fréquemment saisi des amendements qui posent problème. Si je ne suis pas au Sénat, on me fait parvenir à ma permanence en Mayenne une copie desdits amendements et nous organisons alors une conférence téléphonique où nous statuons sur la recevabilité des dits amendements.
Lorsque l'irrecevabilité est prononcée, les auteurs sont systématiquement informés des décisions, qui sont motivées. Je reconnais que, parfois, la formulation des décisions est quelque peu laconique et si elle vous paraît excessivement laconique - j'implore ici votre compréhension car il se peut que l'on reçoive soudainement plusieurs dizaines d'amendements déclarés irrecevables -, je vous invite à me téléphoner, à m'écrire un courriel pour que nous puissions en discuter et pour vous éviter l'impression d'arbitraire qui peut être un stress insupportable. Cela n'apporte pas, en effet, la sérénité dont le sénateur a besoin pour accomplir sa mission.
Enfin, le secrétariat de la commission s'efforce d'avoir un rôle de conseil auprès des Sénateurs, des groupes et de leurs collaborateurs. Ainsi, si nous pouvons « sauver » votre amendement, nous téléphonerons à votre assistant pour vous proposer une autre rédaction, de telle sorte que l'amendement ne soit pas irrecevable et que vous puissiez, au moins en séance, prendre la parole sur la problématique qui vous préoccupe et qui est au coeur de votre amendement.
L'application de l'article 40 reste, au demeurant, raisonnée. Sur la période du 1er juillet 2007 au 4 mai 2010, seulement 3,9 % des amendements ont été déclarés irrecevables. Les taux d'irrecevabilité les plus élevés affectent les amendements des groupes de la majorité sénatoriale. La commission des finances n'est donc pas suspecte d'opérer sur des considérations qui seraient plus favorables à la majorité qu'à l'opposition.
En outre, s'agissant des commissions, les commissions saisies au fond ont très peu d'amendements déclarés irrecevables, les commissions pour avis un peu plus. En ce qui concerne les groupes politiques, c'est le groupe de l'Union Centriste qui a le plus d'amendements déclarés irrecevables, relativement au nombre d'amendements déposés. En ce qui me concerne, je ne cache pas que si les groupes pouvaient avoir leur propre cellule de recevabilité, cela m'arrangerait beaucoup.
Nous arrivons au bilan de la mise en oeuvre.
Aucun problème de divergence entre les décisions de la commission des finances et les décisions des commissions saisies au fond n'a été relevé pour l'heure. Cela se passe vraiment très bien, en particulier avec la commission de la culture.
La possibilité ouverte aux présidents de commissions saisies au fond de solliciter l'avis du président de la commission des finances sur la recevabilité financière des amendements est peu utilisée.
Dernier point sur les propositions de loi : il faut être conscient qu'un traitement différent est appliqué aux propositions de loi et aux amendements :
- la recevabilité des propositions de loi est examinée par le Bureau, et on tolère de gager les créations ou aggravations de charges. Dans ces conditions, aucune proposition de loi n'est déclarée irrecevable au moment de son dépôt ;
- la recevabilité des amendements est examinée par la commission des finances, et les charges ne peuvent être gagées.
Il existe, dès lors, le risque qu'un dispositif coûteux, censuré lorsqu'il a été proposé sous forme d'amendement, arrive en discussion s'il est redéposé sous forme de proposition de loi. En effet, la commission des finances ne déclarera l'irrecevabilité d'une proposition de loi que si celle-ci est soulevée par un sénateur ou le Gouvernement en séance.