Nous sommes convaincus avec Richard Yung de la nécessité d'introduire une procédure d'action de groupe en droit français. D'ailleurs, je note que la plupart des groupes politiques ont déposé au Sénat ou à l'Assemblée nationale des propositions de loi en ce sens.
Pour répondre aux inquiétudes parfois exagérées des représentants des entreprises, il est d'ailleurs possible de concevoir une procédure qui, en s'intégrant aux principes procéduraux français, pare aux dérives incontestables du système américain des « class actions ». Il s'agit du chantage à la transaction, rendu possible par la menace d'une publicité négative à la suite d'une déclaration de recevabilité de l'action et de l'incertitude d'une future décision rendue par un jury populaire, de la rémunération des avocats proportionnelle aux dommages et intérêts obtenus, de la procédure de « discovery » qui permet d'engager une action presque sans preuve, ou de la possibilité de condamner l'entreprise à verser des dommages et intérêts punitifs.
La seconde préoccupation qui a guidé notre réflexion a été de dessiner une procédure réaliste dans son financement pour les associations, les avocats ou les tribunaux.
Nous avons retenu une procédure en deux phases, l'une portant sur le principe de la responsabilité, l'autre sur l'indemnisation. Seules les associations titulaires d'un agrément renforcé garantissant leur représentativité pourraient introduire une action de groupe en soumettant au juge un ensemble de cas exemplaires susceptibles de prouver l'existence d'un préjudice et la responsabilité de l'entreprise. A ce stade, il n'y aurait donc que deux parties à la procédure. Le tribunal statuerait dans la même décision sur la recevabilité de l'action et sur le principe de la responsabilité du professionnel. Il faut en effet éviter qu'une décision préalable sur la recevabilité ne soit instrumentalisée, par la publicité qui en serait donnée, pour faire pression sur l'entreprise. Le tribunal déterminerait, en outre, les critères de rattachement au groupe des victimes et fixerait les modalités de publicité applicables en vue de la constitution du groupe de plaignants. Les frais de cette publicité seraient à la charge de l'entreprise qui pourrait être condamnée à les avancer sous forme de provision.
Le passage à la seconde phase de l'action ne serait possible qu'à la condition que les voies de recours soient épuisées contre la décision sur la responsabilité. Nous nous sommes interrogés sur l'opportunité de fixer un délai réduit pour l'exercice des recours. Il nous a semblé que le principe d'un appel à jour fixe pourrait être retenu.
Au cours de la seconde phase, le juge aurait une grande latitude pour décider de la voie d'indemnisation la plus adaptée. Il pourrait inviter les parties à engager une médiation. Mais cette dernière ne peut être, comme le préconise le MEDEF, la seule solution. Le juge doit aussi pouvoir prononcer lui-même l'indemnisation sur une base individuelle ou en établissant un schéma d'indemnisation par titre de préjudice.
Le domaine de prédilection de l'action de groupe est, bien entendu, celui des litiges contractuels de droit de la consommation au sens large, qui ne se limitent pas seulement au code de la consommation et qui incluent, en particulier, les litiges précontractuels et ceux relevant de régimes particuliers de protection des consommateurs, comme celui des produits défectueux.
Sur le conseil des présidents des autorités de régulation concernées, nous jugeons utile d'étendre le champ d'application de l'action de groupe aux litiges de consommation trouvant leur origine dans une violation des règles de la concurrence, comme cela a été le cas de l'entente illégale entre les différents opérateurs de téléphonie mobile qui n'a fait l'objet d'aucune indemnisation des consommateurs lésés, en dépit des sanctions qui leur ont été infligées. Pour la même raison, une action de groupe pourrait être introduite par des petits actionnaires victimes de certaines infractions boursières. Dans ces deux domaines, il nous est apparu nécessaire de prévoir une procédure qui permette de faire intervenir à des fins d'expertise les autorités de régulation afin qu'elles apportent leur compétence au juge pour établir la réalité de l'infraction et déterminer le montant du préjudice subi.
Par ailleurs, l'action de groupe ne peut porter que sur des préjudices matériels. Nous avons exclu les préjudices corporels de son champ d'application parce qu'ils doivent, par nature, faire l'objet d'une évaluation individuelle. S'agissant de ceux qui présentent un caractère de masse, des mécanismes d'indemnisation spécifiques sont prévus par la loi.
Enfin, les actions de groupe ne pourraient être introduites que devant des tribunaux de grande instance spécialisés suffisamment importants pour faire face aux difficultés de gestion qu'entraîneront les actions regroupant un nombre élevé de plaignants.