Être auditionné parmi les derniers ne me semble pas une difficulté. Au contraire, cela représente un avantage...
Permettez-moi tout d'abord un bref rappel concernant l'APCA. J'ai remplacé Luc Guyau après son départ à la FAO sans qu'intervienne de changement à l'intérieur de l'équipe existante. Les chambres d'agriculture regroupent 7 500 collaborateurs. Nous travaillons essentiellement sur les aspects économiques, mais aussi environnementaux auxquels se consacrent 1 200 agents. L'APCA a pour rôle de mener une veille permanente et de faire des propositions sur les projets de loi relatifs à l'agriculture, mais aussi à l'environnement et aux territoires.
Ce débat législatif intervient dans un contexte économique désastreux pour l'agriculture. Presque toutes les productions sont touchées. Lors de la clôture des comptes de l'agriculture en fin d'année, la situation s'est révélée encore plus grave que nous ne l'avions imaginé. Dire qu'il y a un risque d'effondrement n'est pas exagéré. Ce contexte difficile est la conséquence, en grande partie, de la décision qu'a prise l'Europe depuis une quinzaine d'année d'abandonner les outils de gestion des marchés pour adopter une démarche libérale non encadrée. Oui au libéralisme encadré afin de permettre le développement des exploitations agricoles, non au libéralisme débridé de Bruxelles ! Merci au Sénat d'avoir accéléré le processus d'examen de ce projet de loi. Lors du salon de l'agriculture, le président du Sénat, que j'ai rencontré ainsi que d'autres sénateurs, dont le président Jean-Paul Emorine, ont parlé d'urgence. La loi peut contribuer à résoudre cette situation.
Nous partageons les objectifs de ce projet de loi tout en considérant que le texte, en sa rédaction actuelle, ne peut les atteindre. Nous proposerons donc des modifications élaborées avec d'autres organisations nationales agricoles en espérant que le texte ressorte du Parlement, en particulier du Sénat, largement amendé.
Nous sommes favorables à la mise en oeuvre d'une politique de l'alimentation, premier axe de ce texte, et notons d'ailleurs avec satisfaction que le ministre de l'agriculture est désormais appelé le ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche. Au niveau des instances européennes, nous mettons toujours en avant la préoccupation alimentaire. Je m'y suis encore employé la semaine dernière lors de ma rencontre avec le commissaire européen Dacian Ciolos. Cette préoccupation est, au reste, largement partagée. Après que Luc Guyau m'a confié une réflexion sur la PAC après 2013, nous avons mené une quarantaine d'auditions. Organisations nationales agricoles, consommateurs, syndicats et associations environnementales comme « France nature environnement » mettent tous en exergue l'aspect alimentaire tant sur le plan de la sécurité, de la qualité que de la quantité. Nous étions alors début 2009 après les émeutes de la faim. Les journalistes, lors du « 20 heures », évoquaient le risque de pénurie de produits alimentaires. La prise de conscience a été accélérée par l'envolée des cours si bien que certains consommateurs se sont trouvés en difficulté, y compris dans notre pays à cause de la baisse du pouvoir d'achat. Le lien entre agriculture et alimentation est primordial. PAC, environnement et territoires sont la manière de répondre à cette préoccupation de nos concitoyens. L'enjeu en matière d'alimentation est d'abord de garantir son accessibilité à tous. Notre proposition, qui, je l'espère, sera largement soutenue, est d'inscrire clairement dans le texte la relation entre alimentation et production agricole. Il ne faut pas que, demain, l'alimentation se résume, pour les consommateurs, à une affaire de vitamines, d'omégas 3 et d'omégas 6.
Le deuxième axe de ce texte, le renforcement de la compétitivité et la défense des revenus agricoles, est un point important. Concernant la politique contractuelle et l'interprofession, la loi peut apporter des réponses. Pour autant, tout dépendra des décisions que la France parviendra à arracher à Bruxelles. Ne nous leurrons pas : la politique contractuelle peut constituer une solution, notamment pour le secteur laitier contraint d'évoluer du fait de la disparition définitive des quotas, mais à la condition que l'Europe encadre les marchés. Nous avons besoin d'une régulation minimale. Le libéralisme sauvage, je l'ai dit, ne peut résoudre les problèmes de l'agriculture française.
Une politique contractuelle serait également particulièrement bienvenue pour le secteur des fruits et légumes, qui connaît une crise chaque été. Dans le projet de loi, il est prévu que l'État fixera les termes du contrat. Pour nous, ce rôle revient aux interprofessions. En cas de carence, l'État se substituera à elles. Afin de renforcer le pouvoir des producteurs, nous souhaitons également un système de fixation de fourchettes de prix, comme il en existait un dans le secteur laitier il y a deux ou trois ans et qui a été récemment plus ou moins repris. Nous voulons que ce dispositif soit clairement appliqué à la production laitière et étendu à l'ensemble des productions, notamment les fruits et légumes, ce qui impose d'obtenir une modification du droit de la concurrence européen. Bruxelles avait rejeté le mémorandum déposé par la France il y a quelques années. Michel Barnier est récemment revenu à la charge à ce sujet. Le débat semble évoluer dans le bon sens. Pour autant, la France devra être volontariste pour obtenir gain de cause. Certains pays, tels la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et le Danemark qui ne s'impliquent pas dans l'Europe tout à fait comme nous le souhaiterions, connaissent des situations fort différentes. Le Danemark compte seulement deux opérateurs dans le secteur laitier. L'un détient 60 % du marché, l'autre 40 %. Ceux-ci ne respectent pas le droit de la concurrence européen au prétexte que leur dispositif préexistait à leur entrée dans l'Union. C'est inexplicable pour les acteurs de terrain comme pour les sénateurs ! Les accords doivent donc se négocier dans le cadre des interprofessions. Concernant les organisations de producteurs, nous souhaitons aller le plus rapidement possible vers le transfert de propriété ou le contrat commercial. Soit, l'idée n'est pas tout à fait mûre et le projet de loi prévoit qu'elle fera l'objet d'une étude approfondie d'ici 2013. Nous proposons que cette étude soit rendue dès 2012 afin de ne pas perdre du terrain. Entre-temps, ce projet aura mûri sur le terrain et les blocages, notamment dans le secteur de la viande bovine, seront peut-être levés.
J'en viens à la transparence sur les prix et la connaissance du marché. Oui à l'observatoire des prix, mais non à la transparence sur les coûts de production des agriculteurs, qui sont difficiles à établir. Si nous voulons davantage de lisibilité, il faut observer les marges, y compris celles de l'industrie agro-alimentaire et de la grande distribution. Dans le cas contraire, les agriculteurs seront pieds et poings liés dans leurs négociations avec les intermédiaires et la grande distribution, ce qui n'est assurément pas le but de ce projet de loi. Nous avons donc besoin d'un observatoire des marges. Ce dispositif a déjà donné des résultats pour le secteur laitier. Quoi qu'il en soit, les acteurs doivent être traités sur un pied d'égalité.
Nous souhaiterions, dans le cadre de ce projet de loi, voir mis en place un observatoire des distorsions de concurrence à vocation européenne. La France, en ce domaine, doit montrer l'exemple à ses partenaires.
Un mot sur la loi de modernisation de l'économie, dont il faut bien constater qu'elle n'a que peu changé les choses. Nous avons besoin d'un bilan. Si l'on veut mettre en place une politique contractuelle entre producteurs et filière agro-alimentaire, il faut aussi que cette politique contractuelle aille de l'agro-alimentaire à la grande distribution. Or, rien n'a avancé : les marges arrière de la grande distribution continuent de plomber le revenu des producteurs.
J'en viens à la gestion des risques. La loi entérine les décisions du bilan de santé de la PAC auxquelles nous étions favorables. Nous préconisons le développement du système assurantiel et des fonds sanitaires. L'État devrait s'engager à dresser un bilan de la réassurance afin que l'on puisse se prononcer, dans six mois, sur la réassurance publique. Le message politique n'a pas été assez fort. Si le système assurantiel couvre 50 % de la grande culture, ce taux descend à 20 % dans la viticulture et ne dépasse pas 2 % dans l'arboriculture. Le défi est bien de développer l'assurance dans ces deux derniers domaines. Or, si l'on vise un doublement, il faut qu'en cas de problème avec la réassurance privée, la réassurance publique puisse prendre le relais. Bercy nous dit, à tort, qu'il n'y aura pas de problème de réassurance privée, car l'augmentation des primes sera en réalité dissuasive pour les agriculteurs. C'est pourquoi ce principe de complémentarité doit être d'emblée clairement affiché. D'autant que d'autres productions doivent entrer dans le système, et notamment les prairies : personne ne s'y risquera s'il n'y a pas de réassurance publique. De ce point de vue, le projet de loi ne va pas assez loin.
Si la France veut développer le soutien aux agriculteurs dans le cadre de la PAC 2013, elle doit accompagner les agriculteurs pour le paiement de leurs primes d'assurance. Nous sommes aujourd'hui, ainsi que nous l'indique l'article 68 du bilan de santé, à 65 %, et cela sans qu'un euro supplémentaire ait été mis dans la corbeille par l'État. Mais nous savons tous que l'on pourrait fort bien tomber à 30 %. Si l'assurance devient trop coûteuse pour les agriculteurs, il faudra un système plus incitatif. Nous souhaiterions que les pouvoirs publics s'engagent sur une prise en charge minimum de 50 % de la prime.
Parmi les autres points du volet compétitivité figure le statut de l'agriculteur entrepreneur. Nous cernons mal ce que recouvre cette notion pour le Gouvernement. On nous dit qu'il s'agit d'inciter au système assurantiel. Mais d'autres incitations sont possibles, ainsi que je viens de le souligner. On nous dit que ces agriculteurs pourront toucher les aides européennes du second pilier : nous comprenons mal que la France invente ainsi une conditionnalité supplémentaire ! Nous préconisons, quant à nous, le renforcement de la cessibilité du bail pour promouvoir le développement du fonds agricole ; une transparence des EARL, pour plus d'équité entre agriculteurs ; des mesures plus spécifiques en faveur de l'installation des jeunes. Nous sommes donc totalement opposés au statut de l'agriculteur-entrepreneur.
Pour assurer la préservation du foncier agricole, deux approches sont possibles. On peut passer par une commission, mais nous aurions souhaité éviter la création d'une commission supplémentaire : il pourrait être envisagé de statuer via une session spécifique de la commission départementale d'orientation de l'agriculture (CDOA). Mais cela, nous dit-on, étant de nature réglementaire, ne peut faire l'objet d'un amendement au projet de loi. L'autre solution propose la création d'une taxe destinée à freiner la disparition du foncier. Mais il faudrait qu'elle soit fléchée vers les dommages et les problèmes qui se posent, qu'elle vienne en soutien, en accompagnement, et soit prélevée par les collectivités territoriales, via leurs intercommunalités. Or, on nous propose ici qu'elle alimente le budget de l'État... En tout état de cause, et quel que soit le « tiroir-caisse » sélectionné, elle ne suffira pas à enrayer l'utilisation abusive du foncier dans un pays qui se classe, hélas, dans ce domaine, parmi les premiers : nous en sommes à 72 000 hectares d'espaces naturels disparaissant par an.
Le plan régional d'agriculture durable sera placé sous l'égide du préfet : la moindre des choses serait qu'il s'élabore en partenariat avec les conseils régionaux et que les chambres régionales d'agriculture et les professionnels soient associés. Pour éviter d'aboutir à vingt-deux dispositifs différents, il faudra que le cadre national soit clairement défini.
Dans le cadre du développement durable foncier, il conviendrait de rouvrir le dossier du photovoltaïque, fermé aujourd'hui pour les bâtiments agricoles, et en particulier les bâtiments d'élevage. Il serait bon, également, de n'autoriser le photovoltaïque que sur les sols désaffectés ou improductifs.
J'en viens aux chambres d'agriculture. Nous souhaiterions, dans le projet de loi, que des missions sur la forêt soient confiées aux chambres départementales. Un amendement adopté en loi de finances rectificative pour 2009 pose en effet problème : seule une partie - celle qui ne nous convenait pas - a alors été adoptée, tandis que celle relative aux missions des chambres, figurant autrefois dans le code rural, n'a pas été retenue. Depuis, l'action des chambres est bloquée. Le Gouvernement a fait des propositions. Nous en avons également à formuler, notamment le report à 2011 du transfert au niveau régional de 33 % de la taxe pour frais de fonctionnement des chambres départementales. Car si le texte n'est pas promulgué et ses décrets d'application pris en 2010, les chambres régionales ne pourront pas agir. Le texte de la loi de finances rectificative prévoyait en outre que l'année suivante, le transfert passe de 33 à 43 %. Mais ceci se justifiait par une augmentation de 1,5 % de la taxe, qui, elle, n'a pas été retenue. Évitons de créer des difficultés alors que s'engage une réforme des chambres d'agricultures, qui, même si l'objectif est de réaliser des économies, induira dans un premier temps, comme toutes les opérations de rapprochement, des charges supplémentaires. La Bretagne et la Corse illustrent les deux extrêmes de cette politique de rapprochement : il n'en reste pas moins que malgré ces diversités, nous adoptons une démarche de mutualisation. Le ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche nous a déclaré, en décembre, qu'il nous donnerait les moyens de mettre en oeuvre les rapprochements. Mais nous manquons toujours de marge de manoeuvre : or, on peut apporter une réponse dans le cadre des missions forestières confiées aux chambres.
Nous portons deux ou trois propositions de modifications techniques pour faciliter les rapprochements et la régionalisation. Il faut, en particulier, éviter que les prestations entre chambres départementales d'une même région soient soumises à la TVA. Nous avons besoin, également, d'un cadre juridique pour sécuriser les fusions, dont trois sont en passe d'aboutir - celle des deux Savoies, celle du territoire de Belfort et du Doubs, celle du Nord et du Pas-de-Calais et de leur chambre régionale Nord-Pas-de-Calais.