Plutôt que de rentrer dans le détail des mesures, je souhaite rappeler le contexte du projet et vous en présenter l'économie.
La crise agricole française est grave : le revenu des agriculteurs s'est effondré de 30 % (50 % pour les producteurs de lait) ; la tonne de blé est revenue de 275 à 100 euros en quelques mois. C'est aussi une crise morale : les agriculteurs se demandent de quoi demain sera fait, et s'il est raisonnable de demander des efforts à leur famille ou de souhaiter que leurs enfants leur succèdent. Jamais on n'avait connu un tel doute. Nous devons donc ouvrir des perspectives.
L'agriculture mondiale, ensuite, a profondément changé. Nous avons la responsabilité de préparer les agriculteurs à un nouveau monde. Le poids des nouveaux acteurs (Brésil, Russie, Inde, Chine, mais aussi Nouvelle-Zélande et Australie) n'a cessé de croître et d'influer les prix mondiaux. Quant la Nouvelle-Zélande a produit moins de lait en 2008, le prix de la tonne est monté à 400 euros en Europe ; en 2009, la production néo-zélandaise s'est située 3 % en dessus de la moyenne des années précédentes et nous avons connu un effondrement des prix. Cela vaut aussi pour les céréales car, aux côtés des Etats-Unis et de l'Europe, de nouveaux acteurs sont apparus autour de la Mer Noire et, quand l'Ukraine, la Russie et la Moldavie font de mauvaises récoltes, les cours flambent. Inversement, des belles récoltes dans cette région les font chuter. Ces nouveaux producteurs s'organisent ; l'Union européenne n'est plus le seul espace organisé. Le sommet BRIC (Brésil Russie Inde Chine) qui s'est tenu à Moscou il y a dix jours a débouché sur un accord sur la gestion des volumes et des stocks. Nous devons en tenir compte. Si l'Europe a la naïveté de croire que les autres continents ne s'organisent pas, elle se trompe.
Enfin, avec l'apparition de nouveaux acteurs, les prix deviennent plus volatils, tandis que la crise sanitaire et les aléas climatiques ou sanitaires sont plus fréquents, d'où des risques coûteux.
Il nous faut faire face à cette nouvelle donne agricole. Je ne suis pas là pour ressusciter l'agriculture d'hier, mais pour préparer l'agriculture de demain.
Le contexte du projet de loi, c'est aussi la réforme de la PAC. Vous avez reçu ce matin M. Dacian Ciolos, le commissaire européen à l'agriculture et au développement rural. Nous sommes en pleine préparation de cette réforme. Pourquoi payer et pour quels instruments ? Ce sont les questions auxquelles nous devons répondre. Il sera impossible de revenir en arrière. Nous avons basculé dans un monde agricole déterminé par la demande ; il ne s'agit plus de gestion administrée de l'offre - cela ne fait plus débat à Berlin, où il y a un consensus sur ce point.
La loi de modernisation vient donc à un moment décisif. Elle devra donner aux agriculteurs les moyens de se préparer à cette nouvelle donne. Elle ne constitue pas pour autant la solution à toutes les difficultés. Ne créons pas d'illusions : elle ira le plus loin possible pour que les agriculteurs se battent à armes égales, mais elle doit être complétée par des plans de développement par filières, pour le lait, pour l'élevage, pour les fruits et légumes, de manière à régler les problèmes de compétitivité. Nous conduisons également une bataille pour la régulation des marchés européens - vous avez dû le dire ce matin. Le marché, oui ; la spéculation, non ! Une régulation européenne est indispensable.
La loi apporte des réponses urgentes et indispensables. Elle fixe d'abord un sens politique au soutien à l'agriculture française. L'alimentation devient l'objectif premier de l'agriculture. Nous établissons des recommandations nutritionnelles pour une alimentation sûre.
Deuxièmement, la défense du revenu des producteurs passe par des contrats écrits comportant des indications de durée, de volume et de prix. Les producteurs français disposeront ainsi d'une visibilité de plusieurs années, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui - mais ils connaissent exactement leurs charges... Les producteurs de lait savent le montant de leurs remboursements sur quinze ans, mais ils ignorent ce qu'ils gagneront dans un mois. Cette idée de contractualisation se développe beaucoup en Europe et un contrat verra peut-être le jour à l'échelle européenne dans la cadre de la réforme de la PAC.
Des protections plus efficaces ensuite. La volatilité ne diminuera pas, non plus que les aléas. Notre responsabilité est de faire en sorte que les agriculteurs puissent se protéger par des dispositifs efficaces : mécanismes assurantiels subventionnés à 65 % par l'Etat et par l'Europe, épargne individuelle, extension du fonds national de garantie contre les calamités agricoles, fonds de péréquation pour faire face à des risques sanitaires. Lorsque la grippe aviaire touche une batterie de poulets en Mayenne, les cinquante installations voisines, qui doivent se protéger, ne sont pas indemnisées : il faut mieux prévenir, mieux protéger qu'aujourd'hui.
Nous voulons aussi encourager les regroupements de producteurs dans les négociations et réformer le droit européen de la concurrence afin que les producteurs puissent mieux s'organiser. C'est un combat difficile, mais nécessaire. Nous renforcerons l'Observatoire de la formation des prix et des marges.
Il convient aussi de préserver le potentiel productif de la France, première puissance agricole européenne, mais qui perd 200 hectares de terres agricoles par jour. Nous sommes le seul pays à ne pas avoir pris de mesures pour stopper ce phénomène. Nous devons donc créer un observatoire national, des commissions départementales ; et taxer la transformation des terres agricoles en terrains constructibles, à 5 % lorsque la valeur est plus que multipliée par dix et à 10 % lorsqu'elle est multipliée par 30. C'est donc une taxe sur la spéculation foncière ! Il faut également encourager l'agriculture durable, le bien-être animal, la conservation des forêts.
Quant à la pêche et l'aquaculture, la réforme s'impose puisque nous importons 85 % du poisson consommé en France. Nous entendons renforcer la place des producteurs dans les comités de pêche et améliorer les relations entre pêcheurs et scientifiques, en ce qui concerne l'évaluation de la ressource, par un meilleur dialogue au sein d'un comité de liaison scientifique et technique.