Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission de l'économie a tenu un débat d'orientation sur la loi de modernisation agricole.
Je souhaite la bienvenue à M. le ministre et le remercie d'avoir accepté ce débat d'orientation sur la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, qui viendra en séance le 18 mai. Nous examinerons le texte en commission dès la semaine prochaine.
Nous deux rapporteurs interviendront après le ministre, puis viendront les orateurs des groupes, avec des temps de parole répartis à la proportionnelle des groupes.
Ce projet de loi mérite un tel débat, souhaité par le président du Sénat et les présidents des groupes et qui doit constituer un temps fort de notre réflexion.
Plutôt que de rentrer dans le détail des mesures, je souhaite rappeler le contexte du projet et vous en présenter l'économie.
La crise agricole française est grave : le revenu des agriculteurs s'est effondré de 30 % (50 % pour les producteurs de lait) ; la tonne de blé est revenue de 275 à 100 euros en quelques mois. C'est aussi une crise morale : les agriculteurs se demandent de quoi demain sera fait, et s'il est raisonnable de demander des efforts à leur famille ou de souhaiter que leurs enfants leur succèdent. Jamais on n'avait connu un tel doute. Nous devons donc ouvrir des perspectives.
L'agriculture mondiale, ensuite, a profondément changé. Nous avons la responsabilité de préparer les agriculteurs à un nouveau monde. Le poids des nouveaux acteurs (Brésil, Russie, Inde, Chine, mais aussi Nouvelle-Zélande et Australie) n'a cessé de croître et d'influer les prix mondiaux. Quant la Nouvelle-Zélande a produit moins de lait en 2008, le prix de la tonne est monté à 400 euros en Europe ; en 2009, la production néo-zélandaise s'est située 3 % en dessus de la moyenne des années précédentes et nous avons connu un effondrement des prix. Cela vaut aussi pour les céréales car, aux côtés des Etats-Unis et de l'Europe, de nouveaux acteurs sont apparus autour de la Mer Noire et, quand l'Ukraine, la Russie et la Moldavie font de mauvaises récoltes, les cours flambent. Inversement, des belles récoltes dans cette région les font chuter. Ces nouveaux producteurs s'organisent ; l'Union européenne n'est plus le seul espace organisé. Le sommet BRIC (Brésil Russie Inde Chine) qui s'est tenu à Moscou il y a dix jours a débouché sur un accord sur la gestion des volumes et des stocks. Nous devons en tenir compte. Si l'Europe a la naïveté de croire que les autres continents ne s'organisent pas, elle se trompe.
Enfin, avec l'apparition de nouveaux acteurs, les prix deviennent plus volatils, tandis que la crise sanitaire et les aléas climatiques ou sanitaires sont plus fréquents, d'où des risques coûteux.
Il nous faut faire face à cette nouvelle donne agricole. Je ne suis pas là pour ressusciter l'agriculture d'hier, mais pour préparer l'agriculture de demain.
Le contexte du projet de loi, c'est aussi la réforme de la PAC. Vous avez reçu ce matin M. Dacian Ciolos, le commissaire européen à l'agriculture et au développement rural. Nous sommes en pleine préparation de cette réforme. Pourquoi payer et pour quels instruments ? Ce sont les questions auxquelles nous devons répondre. Il sera impossible de revenir en arrière. Nous avons basculé dans un monde agricole déterminé par la demande ; il ne s'agit plus de gestion administrée de l'offre - cela ne fait plus débat à Berlin, où il y a un consensus sur ce point.
La loi de modernisation vient donc à un moment décisif. Elle devra donner aux agriculteurs les moyens de se préparer à cette nouvelle donne. Elle ne constitue pas pour autant la solution à toutes les difficultés. Ne créons pas d'illusions : elle ira le plus loin possible pour que les agriculteurs se battent à armes égales, mais elle doit être complétée par des plans de développement par filières, pour le lait, pour l'élevage, pour les fruits et légumes, de manière à régler les problèmes de compétitivité. Nous conduisons également une bataille pour la régulation des marchés européens - vous avez dû le dire ce matin. Le marché, oui ; la spéculation, non ! Une régulation européenne est indispensable.
La loi apporte des réponses urgentes et indispensables. Elle fixe d'abord un sens politique au soutien à l'agriculture française. L'alimentation devient l'objectif premier de l'agriculture. Nous établissons des recommandations nutritionnelles pour une alimentation sûre.
Deuxièmement, la défense du revenu des producteurs passe par des contrats écrits comportant des indications de durée, de volume et de prix. Les producteurs français disposeront ainsi d'une visibilité de plusieurs années, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui - mais ils connaissent exactement leurs charges... Les producteurs de lait savent le montant de leurs remboursements sur quinze ans, mais ils ignorent ce qu'ils gagneront dans un mois. Cette idée de contractualisation se développe beaucoup en Europe et un contrat verra peut-être le jour à l'échelle européenne dans la cadre de la réforme de la PAC.
Des protections plus efficaces ensuite. La volatilité ne diminuera pas, non plus que les aléas. Notre responsabilité est de faire en sorte que les agriculteurs puissent se protéger par des dispositifs efficaces : mécanismes assurantiels subventionnés à 65 % par l'Etat et par l'Europe, épargne individuelle, extension du fonds national de garantie contre les calamités agricoles, fonds de péréquation pour faire face à des risques sanitaires. Lorsque la grippe aviaire touche une batterie de poulets en Mayenne, les cinquante installations voisines, qui doivent se protéger, ne sont pas indemnisées : il faut mieux prévenir, mieux protéger qu'aujourd'hui.
Nous voulons aussi encourager les regroupements de producteurs dans les négociations et réformer le droit européen de la concurrence afin que les producteurs puissent mieux s'organiser. C'est un combat difficile, mais nécessaire. Nous renforcerons l'Observatoire de la formation des prix et des marges.
Il convient aussi de préserver le potentiel productif de la France, première puissance agricole européenne, mais qui perd 200 hectares de terres agricoles par jour. Nous sommes le seul pays à ne pas avoir pris de mesures pour stopper ce phénomène. Nous devons donc créer un observatoire national, des commissions départementales ; et taxer la transformation des terres agricoles en terrains constructibles, à 5 % lorsque la valeur est plus que multipliée par dix et à 10 % lorsqu'elle est multipliée par 30. C'est donc une taxe sur la spéculation foncière ! Il faut également encourager l'agriculture durable, le bien-être animal, la conservation des forêts.
Quant à la pêche et l'aquaculture, la réforme s'impose puisque nous importons 85 % du poisson consommé en France. Nous entendons renforcer la place des producteurs dans les comités de pêche et améliorer les relations entre pêcheurs et scientifiques, en ce qui concerne l'évaluation de la ressource, par un meilleur dialogue au sein d'un comité de liaison scientifique et technique.
Ce débat d'orientation intervient alors que l'agriculture traverse la plus grave crise qu'elle ait connue depuis longtemps. Les chefs d'exploitation jettent l'éponge, las de travailler à perte. En 2006 et 2007, on avait cru à une prospérité retrouvée ; mais depuis, c'est la douche froide. Le commissaire européen, M. Dacian Ciolos, propose d'accélérer la réflexion sur la PAC d'après 2013 : la Commission fera des propositions d'ici fin 2010, qui pourraient infléchir la politique européenne dans le sens de plus de régulation, après l'époque libérale de Mariann Fischer Boel. Les partisans de l'intervention publique relèvent la tête sous l'impulsion de la France.
Nous examinerons bientôt le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche. Après un plan de soutien de 1,65 milliard d'euros, pour faire face à la détresse, c'est une réponse structurelle aux problèmes agricoles qui est apportée.
La situation actuelle est marquée par un déséquilibre profond du rapport de forces dans les filières, par la brutalité des ajustements de prix et par un déficit de compétitivité. La grande distribution a un pouvoir de négociation énorme face aux producteurs de viande de boeuf, de lait, de légumes. Ces derniers doivent s'organiser.
Le démantèlement des outils de la PAC laisse les agriculteurs très exposés à la concurrence internationale, qui tire les prix vers le bas. Il s'agit donc de rendre à la PAC sa fonction régulatrice et de défendre une agriculture de qualité, répondant à des normes strictes de respect de l'environnement.
Enfin, la ferme France doit retrouver sa compétitivité, et d'abord vis-à-vis de nos partenaires européens. Le lait est 15 % moins cher en Allemagne, si bien que nous importons l'équivalent de la production annuelle de deux usines de lait. Nous avons gelé nos quotas, l'Allemagne nous a pris des parts de marché... Il convient donc d'aborder les questions des charges fiscales, sociales, administratives, aussi bien que les surcoûts dus par exemple aux exigences environnementales.
Nous pouvons nous appuyer sur l'opinion publique - le commissaire Ciolos va du reste lancer une grande consultation. Nos concitoyens sont attachés aux produits du terroir et veulent consommer de manière responsable. Il nous faut une politique ambitieuse, du champ à l'assiette !
Je proposerai un encadrement plus strict des pratiques commerciales, l'interdiction des 3R (« ristournes, remises, rabais »), ainsi qu'un étiquetage plus rigoureux sur l'origine des produits alimentaires, un recours facilité à l'assurance contre les aléas climatiques. Et j'attends des engagements forts du gouvernement sur la réassurance, publique et privée, sans oublier des mesures sur la forêt.
Concernant les charges, il faut supprimer la cotisation minimum à la MSA et adapter les règles fiscales, protéger les terres agricoles et favoriser l'installation des jeunes.
Il est temps de refonder l'organisation de l'agriculture, de la pêche et de l'aquaculture en fonction de l'enjeu alimentaire, le terme « alimentation » figurant dans l'intitulé de vos fonctions, Monsieur le ministre. C'est cette notion qui donne sa légitimité à l'intervention publique. La PAC deviendra bientôt la PAAC, politique alimentaire et agricole commune. Nous devons, pour notre part, développer notre potentiel de production et des filières de qualité, pour répondre à une forte demande des consommateurs. En mettant l'accent sur la transformation, on augmente la valeur ajoutée...Or notre potentiel de production est bridé par les quotas et l'effort de pêche pour reconstituer les stocks halieutiques. Il y a beaucoup à faire dans l'aquaculture ; la production actuelle de nos élevages est ridiculement faible, surtout si l'on considère le volume des importations de poisson ! La France doit engager une politique aquacole ambitieuse.
Entre le premier maillon de la filière et le dernier, le déséquilibre est patent. Or comment survivre en perdant de l'argent ? La gouvernance des filières est perfectible et l'empilement des structures n'est pas satisfaisant.
Mais les charges sont l'élément le plus important, elles constituent un boulet au pied de notre économie et sont une source de vulnérabilité... Les charges doivent peser aussi sur les produits importés. Nous nous pénalisons nous-mêmes en refusant de changer les règles alors que la concurrence internationale fait rage. Nous avons tout à y gagner, nous qui sommes la deuxième puissance économique maritime après les Etats-Unis. Il importe de couvrir nos besoins et de songer que la population mondiale en croissance sera de plus en plus nourrie par des produits tirés de la mer.
Nous inaugurons ce nouvel hémicycle par un débat qui sera utile s'il est l'occasion d'infléchir la réflexion, car le projet de loi de modernisation dans sa rédaction actuelle est inefficace et stérile. Souhaitons l'adoption de profondes modifications au cours de la navette ! Le titre Ier traite de l'alimentation. La déstructuration des repas est liée au rôle des médias, aux journées en trois-huit, au travail le dimanche, au coût des aliments de qualité, au temps de transport après le travail... L'Etat doit mener une politique du logement décent et il faut aussi, dans l'enseignement, éduquer les jeunes sur la diversité des productions, leur saisonnalité, etc. Si nous ne changeons rien, 100 % des produits consommés seront bientôt importés. Des propositions ont été formulées sur les circuits courts, mais le projet de loi, positif à bien des égards, les ignore. La restauration collective doit montrer l'exemple et il serait temps d'assouplir les règles d'approvisionnement des collectivités locales pour éviter la censure du code des marchés.
Le titre II m'évoque une clé qui n'ouvrirait pas la porte... Le revenu des producteurs ne sera pas plus équilibré... Les interprofessions ont déjà la possibilité d'élaborer des contrats-types comprenant des prix planchers. Or cette disposition n'est jamais mise en oeuvre. Le coefficient multiplicateur est inapplicable. Il est urgent de restaurer des marges adaptées à chaque production, avec de vrais prix planchers. Les moyens de contrôle de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) doivent être renforcés, et non diminués comme le gouvernement a commencé à le faire l'an dernier.
Certaines des mesures souhaitables sont contraires aux règles européennes, j'en ai conscience, mais le nouveau commissaire à l'agriculture est plus ouvert que sa prédécesseur. Et si les règles de Lisbonne doivent être considérées comme intangibles, ce sont les agriculteurs qui seront la variable d'ajustement. Il faut renforcer les moyens humains de l'Observatoire des prix et des marges, mieux structurer les interprofessions - une démocratisation est indispensable - dont le rôle est aujourd'hui réduit à néant. Les géants coopératifs demeurent des nains par rapport aux groupements d'achat. J'ajoute qu'une caisse de réassurance publique doit être créée.
Je crains que, si l'on instaure une catégorie d'agriculteurs-entrepreneurs, toutes les aides n'aillent à ces derniers, aux dépens des autres. Je souhaite aussi que la taxe sur la transformation des terres agricoles en terrains constructibles, qui n'est guère dissuasive, soit affectée aux collectivités locales. Et favorisons la construction plutôt là où l'exploitation agricole n'est pas possible ! Il est absurde de laisser les métropoles dévorer les terres agricoles, alors qu'il faudrait revitaliser les hameaux et les villages.
Les mesures concernant la pêche sont insuffisantes. Je songe à la pêche artisanale côtière. Par ailleurs, le démantèlement de l'Office national des forêts (ONF) se poursuit : faibles recettes, baisse des effectifs, services de plus en plus souvent facturés aux collectivités. Le texte n'est pas à la hauteur des attentes. Car les règles de Lisbonne sont redoutables ! Retraites, nouvelles formes de l'emploi agricole, circuits courts : il est urgent de se pencher sur ces problèmes d'actualité.
Monsieur le ministre, j'apprécie votre langage de vérité. Vous ne regardez pas dans le rétroviseur, mais loin devant, à la longue vue !
L'ancien agriculteur que je suis a connu les combats difficiles qui ont été menés au fil des ans. En 1963, un commissaire européen estimait qu'en zone de montagne, l'agriculture n'avait plus de raison d'être. Or, en 2010, elle existe toujours, même si elle est en grande difficulté. Notre chance aujourd'hui, c'est que nous comptons de nombreux jeunes agriculteurs volontaires, combatifs. Mais le projet va-t-il assez loin ? Je suis conscient des graves difficultés budgétaires et des contraintes réglementaires européennes. Les autorités de Bruxelles sont réservées sur l'application de tel ou tel mécanisme : soit, mais faut-il attendre que la situation devienne explosive ? Les chiffres sont alarmants et il est grand temps de réfléchir sur les circuits courts...
Et, de grâce, moins de contraintes administratives ! Que l'on cesse de chercher des aiguilles dans les bottes de foin ! Que 16 mètres carrés manquent, parce qu'il faut laisser un passage vers une autre parcelle, et une prime est supprimée !
Pour conclure, je dirai que ce projet de loi fait l'impasse sur le passé et l'avenir car, d'une part, les retraites restent très basses et, d'autre part, rien n'est fait pour épargner aux jeunes le découragement.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, revenons sur la méthode du débat d'orientation que nous inaugurons aujourd'hui. Nous nous réunissons dans cet d'hémicycle bis pour évoquer durant deux heures et demie, à raison de cinq minutes chacun, une agriculture en pleine crise. Un temps bien court d'autant que plus de sénateurs pourraient être présents... De fait, contrairement à ce qui a été affirmé, tous les sénateurs, semblent-ils, n'ont pas reçu l'invitation officielle les conviant à ce débat. L'intitulé de ce dernier, qualifié « d'orientation agricole », pose problème : s'agit-il d'un débat ouvert ou d'une discussion générale sur le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche ? Bref, nous expérimentons... Cette organisation pourrait avoir comme conséquence la diminution du temps de parole en séance publique. A ce sujet, je veux remercier M. le président de la commission d'avoir accepté d'augmenter la durée de ce débat d'une heure.
Nous avons auditionné M. Dacian Ciolos, commissaire européen à l'agriculture, ce matin. La PAC est à peine abordée dans la stratégie « Europe 2020 », même si l'on souhaite une agriculture européenne viable, productive et compétitive. Viable, tout d'abord. De nombreux exploitants témoignent de leur désarroi, parfois par des gestes violents... Même ceux dont la situation est stable et dont les outils sont performants, évoquent l'idée d'abandonner leur métier à cause du manque de perspectives. Avec ce débat, ouvrons des perspectives, parlons d'avenir. Nous verrons quelles réponses techniques apporter lors de l'examen du projet de loi en séance publique ! Ensuite, on recommande une agriculture éco-productive pour faire face à l'augmentation de la population mondiale. Soit, l'Europe n'a pas vocation à nourrir seule la planète. Pour autant, les pays qui ont la chance d'avoir une agriculture productive doivent, dans le respect de l'environnement, concourir à relever ce défi majeur. Enfin, la compétitivité. Comment la définit-on ? Quels sont les objectifs ? La crise actuelle n'est pas seulement structurelle, elle est aussi identitaire. Pour nous, la compétitivité ne se mesure pas à l'aune de la concurrence, non plus que de la concentration des exploitations. Cette interprétation ne fait pas consensus, y compris au sein de l'Union européenne. Nous avons besoin de régulation pour protéger nos exploitations de la spéculation et du dumping social. Dacian Ciolos a observé ce matin que la compétitivité était également l'affaire des petites exploitations, je m'en réjouis.
Enfin, il faut mener une politique volontariste d'installation. Je vous avais adressé, Monsieur le ministre, une question écrite au sujet de l'inquiétante réduction des budgets alloués à l'aide à l'installation. Aujourd'hui, les personnes de moins de 40 ans représentent seulement 22 % des agriculteurs. Cela est insuffisant si nous voulons maintenir une agriculture en France et en Europe !
Monsieur le ministre, votre analyse de la situation est lucide, mais le chemin à parcourir est ardu. Je veux illustrer les propos de mes collègues en donnant l'exemple d'un agriculteur que j'ai reçu la semaine dernière. Viticulteur-céréalier, il perd 10 % de vigne tous les ans avec l'esca. On lui propose 500 euros pour l'arrachage et 1 000 euros pour la reconversion en céréales. Résultat, celui-ci ne va pas semer cette année car la récolte ne couvrirait pas les charges. Cette situation est dramatique ! La solution serait peut-être de rendre l'assurance obligatoire pour tous les agriculteurs afin de mutualiser les risques et de garantir un revenu minimum. Quelques mots du Gers : celui-ci regroupe 27 % des dossiers de prêts de trésorerie alors que 8 départements sont concernés. Le ministère prévoit une enveloppe de 2,8 millions, la Chambre d'agriculture demande 5 millions supplémentaires. Est-ce envisageable ?
Enfin, Monsieur le ministre, vous qui ne cessez de réfléchir à l'agriculture, rappelez-vous que celle-ci est frappée, après le fléau de la nature et de la dérégulation, par celui des tracasseries administratives. Les documents européens sont complètement absurdes ! L'exploitant est, par exemple, contraint de répandre l'azote entre telle et telle date. Ne sait-il pas mieux que quiconque quand utiliser les intrants ? Ils en font désormais un usage plus restreint, compte tenu de leur prix. Aujourd'hui, ce n'est plus la quantité qui compte, mais la marge. Monsieur le ministre, intervenez auprès des instances européennes ! Les tracasseries administratives semblent un sujet relativement insignifiant. Pour autant, les supprimer contribuera grandement à relever le moral des agriculteurs !
En France, le fermage et le foncier sont très faibles, mais les charges et les emprunts très élevés. D'où une agriculture qui souffre d'un manque de compétitivité. Nous devons lutter contre ce phénomène de distorsion de concurrence. Après Aymeri de Montesquiou, je veux dénoncer l'absurdité des certifications de procédure. Il est anormal que les agriculteurs passent 30 % de leur temps à remplir des papiers !
J'en viens à la lutte contre la disparition des terres agricoles : pas moins de 65 000 hectares disparaissent par an en France ! Monsieur le ministre, vous avez pris de saines mesures, mais peut-être auriez-vous dû vous rapprocher de l'Allemagne qui, par des moyens plus sévères, est parvenue à enrayer le phénomène : il y trois ans, elle perdait 85 000 hectares, contre 30 000 aujourd'hui.
Je crois à l'adaptation et à la moralisation de la loi de modernisation de l'économie. Ce texte est aujourd'hui décalé par rapport aux problèmes agricoles. Entre autres, il faudrait résoudre le problème des retours en nature, que la grande distribution exige depuis la suppression des marges arrière, problème qui paralyse le commerce entre exploitants, industries agro-alimentaires et grande distribution. De même, l'État doit s'engager pour protéger les agriculteurs. Nous avons besoin d'un système de réassurance musclé et de mesures compensatoires pour les petits exploitants et éleveurs qui aménagent nos territoires. Nous ne pouvons pas les laisser mourir la bouche ouverte ! Un milliard suffirait, alors qu'on a dépensé 3,5 milliards pour les restaurateurs. Mais encore faudrait-il trouver des exploitations conformes aux standards européens.
Enfin, la prévention alimentaire. Que de temps perdu, en ce domaine, depuis vingt ans ! Que de place laissée à l'industrie pharmaceutique et à l'Afssa aux dépens de la DGCCRF ! Cela est regrettable car nous pourrions avoir un système d'alimentation moins coûteux pour l'assurance maladie que les compléments alimentaires vendus sous protection pharmaceutique. L'innovation sera un élément déterminant du développement de notre agriculture, avez-vous dit M. le ministre.
Ces suggestions sont conformes à l'esprit du projet de loi, mais vont plus loin. Nos agriculteurs et nos exploitants le méritent. Si nous ne prenons pas de mesures fortes, demain, il n'y en aura plus dans les piémonts des Pyrénées, des Alpes et du Massif central comme les médecins manquent aujourd'hui en zone rurale.
J'envisage ce débat d'orientation agricole comme un temps d'échange. Je tiendrai compte des observations qui seront faites afin que le projet de loi adopté par le Sénat soit le plus complet possible.
Merci aux rapporteurs de leur important travail de consultation et d'échange avec le monde agricole. C'est la bonne méthode, elle a permis d'améliorer le texte. S'agissant des relations commerciales, il faut améliorer la ristourne et le prix après-vente qui pénalisent les exploitants. Nous avons besoin de contrats écrits avec des débouchés. Je suis prêt à améliorer l'étiquetage existant à condition de respecter la réglementation européenne. Si la démarche vient des interprofessions, l'Europe l'acceptera, mais non si cela vient de l'État.
La France est le premier pays européen à avoir organisé des Assises de la pêche, à la suite desquelles elle a remis une proposition de réforme à Maria Damanaki, commissaire européen pour les affaires maritimes et la pêche. Nous proposons de renverser complètement la perspective : les décisions des ministres ne s'imposeraient plus aux pêcheurs ; les pêcheurs auraient un pouvoir de proposition, voire de décision, en matière de ressources et de réserves. Cela est indispensable si nous voulons restaurer la légitimité de la politique commune de la pêche. Au reste, les pêcheurs sont bien plus capables d'évaluer les ressources que les ministres qui en discutent parfois jusqu'à quatre heures du matin à Bruxelles en tentant d'évaluer le nombre de chinchards, de cabillauds, voire de soles au large de Dieppe, à l'unité près !
La politique de l'alimentation doit effectivement passer par la pédagogie, notamment l'initiation au goût, comme cela est rappelé au treizième alinéa de l'article premier, mais peut-être faut-il renforcer sa rédaction... Je suis très favorable aux circuits courts avec un objectif politique clair : réduire le nombre moyen de kilomètres du producteur au consommateur. Le droit européen nous interdisant de préciser un nombre de kilomètres maximal pour ne pas entraver la libre concurrence, la seule solution est de modifier le code des marchés publics pour valoriser les circuits courts auprès, notamment, des collectivités territoriales. Je ne crois pas aux coefficients multiplicateurs, dont j'ai beaucoup discuté avec les agriculteurs. Nous devons travailler sur la remise et la ristourne et la réduction volontaire des marges en temps de crise. Si la grande distribution n'a pas signé un accord d'ici le 17 mai, nous mettrons en oeuvre une taxation sur la surface de la grande distribution. Nous avons eu ce débat il y a six mois, ce système me paraît nécessaire et équitable si la grande distribution ne joue pas le jeu. Je suis favorable au renforcement de l'Observatoire des prix et des marges qui présente l'inconvénient de ne pas exister... ou, tout au moins, de n'avoir qu'une existence virtuelle. Cet observatoire doit être doté d'un président qui expliquera aux médias et à l'opinion publique les résultats trouvés, comme l'a fait récemment celui du Conseil d'orientation des retraites. Je propose également une extension de son champ d'études à tous les produits agricoles, sans exception, aux coûts de production des producteurs, avec une obligation de transmission des données de l'Insee.
La progression du système assurantiel ne correspond en rien à un désengagement de l'État : les primes d'assurance agricole sont subventionnées à 65 % par l'État et l'Union européenne. Même remarque concernant le fonds de péréquation dans le domaine des crises sanitaires que je propose : il sera alimenté, certes, par les exploitants, mais également par l'État et l'Europe. Enfin, dois-je rappeler que la réassurance publique figure, pour la première fois, explicitement dans le projet de loi ? C'est une avancée incontestable. Si nous progressons encore, je n'y verrai que des avantages. S'agissant du développement durable et de la consommation agricole, je trouve, en tant que ministre de l'agriculture, ce qui ne présume en rien des arbitrages qui seront rendus, intéressante et constructive l'idée d'une réaffectation de la taxe, soit aux collectivités locales soit aux jeunes agriculteurs. Mais l'État n'aime pas beaucoup les taxes affectées, pour des raisons évidentes... S'agissant de la défense de la pêche artisanale et côtière, la commissaire européenne s'est dite intéressée par l'insertion d'un volet social dans la politique commune de la pêche, concernant notamment la formation. Reste, maintenant, à convaincre nos partenaires européens. Pour évoquer l'ONF, son nouveau président est décidé, il l'a dit aux syndicats, à améliorer le fonctionnement de cette structure.
Monsieur Boyer, vous avez soulevé des questions importantes, notamment sur les zones de montagne. Je ne partage pas l'idée selon laquelle la compétitivité serait liée à l'accroissement de la taille des exploitations. Si cela était aussi simple, nous serions parvenus depuis longtemps à moderniser notre agriculture. J'avais invité des producteurs à participer à mon déjeuner avec Dacian Ciolos, dont une productrice de beaufort des Alpes. Elle valorise son lait à 460 euros la tonne, contre 265 euros pour les simples producteurs de lait.
Sur la simplification administrative, nous travaillons de concert avec l'Allemagne, au sein d'une commission commune consacrée à la réforme de la PAC : c'est nouveau, car on se souvient que la précédente réforme s'est soldée par un contentieux entre les deux pays.
Les retraites ne sont pas oubliées, j'en ai parlé avec mon collègue du budget et avec le président de la FNSEA.
La compétitivité est cruciale pour notre agriculture, vous avez raison de le souligner, Madame Herviaux, en particulier face à ce concurrent qu'est devenue l'Allemagne. La filière porcine allemande nous prend des parts de marché, il en va de même pour le lait ou encore pour les fruits et légumes, où nos voisins sont aussi bons que nous alors qu'ils produisent depuis peu.
La compétitivité n'est pas fonction de la surface des exploitations : l'agrandissement n'est pas la solution, d'autant qu'elle poserait des problèmes d'environnement. En fait, la compétitivité dépend de trois facteurs : la baisse des coûts de production, qui passe par l'allègement des charges pour les travailleurs occasionnels, comme nous l'avons fait, par la méthanisation, qui rend de la valeur ajoutée aux agriculteurs, par la baisse des charges, par l'organisation rationnelle de la collecte ; elle dépend ensuite des débouchés et les agriculteurs ont intérêt à contractualiser, en particulier pour l'exportation : nous sommes passé d'un monde où nous étions seuls à exporter des céréales au Maroc ou en Egypte, et où les marges étaient assurées par le prix ou les volumes, à un monde où des pays comme la Russie, l'Ukraine, la Moldavie proposent des céréales à moindre prix que nous, et il en va de même pour les filières laitière et viticole ; la compétitivité, enfin, passe par la valorisation des produits : c'est très clair pour le lait, où les producteurs s'en sortent avec l'ultra-frais et les AOC, mais pas avec le beurre et la poudre de lait, produits que des pays comme la Nouvelle-Zélande proposent moins chers que nous.
L'installation reste l'une de nos priorités : 300 millions d'euros sont affectés cette année à l'aide à l'installation aux jeunes agriculteurs.
Monsieur de Montesquiou, j'espère vous convaincre que l'incitation est préférable à l'obligation de s'assurer. D'abord, parce qu'aucun pays européen n'a choisi l'assurance obligatoire, ensuite parce que l'obligation nous ferait perdre la subvention européenne, qui représente tout de même 35 % de l'enveloppe, soit 100 millions.
Monsieur Chatillon, je partage votre souci de protéger les terres agricoles : c'est le sens d'une disposition du projet de loi inspiré de ce qui se fait en Allemagne, où le rythme de disparition des terres agricoles a diminué de moitié, même si nous proposons un mécanisme moins rigoureux que celui de nos voisins. Je ne parle pas de l'Allemagne par tropisme, mais parce que c'est bien outre-Rhin qu'on gagne sur nous des parts de marché : c'est donc bien avec ce pays que nous devons comparer notre compétitivité.
S'agissant des fruits et légumes, j'ai déjà dit que la grande distribution devrait s'engager par écrit, d'ici le 17 mai, à diminuer ses marges en temps de crise.
Je veux encourager la valorisation par l'innovation, j'ai demandé au Premier ministre d'y consacrer une partie du grand emprunt. Voyez la production de lin, exportée à 85 % vers la Chine pour la confection : si nous laissons faire, dans quelques années nous ne produirons plus, car les Chinois nous imposeront des prix intenables, alors qu'il y a de nombreuses possibilités pour développer les fibres de lin, dans l'aéronautique ou les soins médicaux par exemple.
Ce débat est une très bonne chose, car ceux qui ne sont pas membres de la commission de l'économie peuvent s'exprimer sur ce texte en amont.
Monsieur le ministre, vous décrivez justement la crise économique et morale que traversent les agriculteurs, vous évoquez leur désespérance, mais il ne faut pas négliger leur lucidité. Les agriculteurs comprennent parfaitement la mondialisation. Ce qu'ils acceptent moins, ce sont les exigences draconiennes de la réglementation européenne et parfois le zèle de notre pays pour l'application des normes. L'atrazine est interdite en France, ce qui est une bonne chose, mais autorisée en Espagne : pourquoi les règles ne sont-elles pas les mêmes au sein de l'Union européenne ?
Les tracasseries administratives, ensuite, sont d'autant moins supportables qu'il y a la crise. Voyez le simple exemple des pièges à nitrates, pratique ancienne : on crée des difficultés aux agriculteurs lorsque des plantes ont poussé sur ces pièges, ne serait-ce que des chardons !
La contractualisation est bien accueillie, excepté par un syndicat, mais comment pensez-vous la concilier avec la variabilité des prix agricoles ?
Les agriculteurs demandent aussi un accompagnement pour la méthanisation : ne pourrait-on pas faciliter la coopération d'opérateurs comme GDF, aujourd'hui peu réceptif ?
Enfin, peut-on faire évoluer le statut du fermage ? Les règles actuelles évoquent quelque peu le passé, la suppression du délai de prescription trentenaire est source de contentieux entre propriétaires et fermiers ou entre fermiers, ou bien entraîne la vente de terres à des exploitants étrangers : cette loi n'est-elle pas l'occasion de revoir un peu ces règles, qui engagent notre modèle agricole et familial tout entier ?
Avec ce débat, nous constatons une fois de plus que nos outre-mer sont les « laissés pour compte » de la République : quand nous ne sommes pas oubliés, nous sommes renvoyés en fin de loi ou à des ordonnances ! Pourquoi recourir aux ordonnances, alors que les travaux ont été très nombreux dans le cadre de la loi pour le développement économique des outre-mer, des Etats généraux et du conseil interministériel pour l'outre-mer ? Nous avons débattu de l'outre-mer pendant un an : était-ce un simple divertissement ?
L'agriculture et la pêche sont essentiels outre-mer, constitutifs de l'histoire, de la culture et des sociétés ultramarines. L'agriculture y représente l'un des trois secteurs clés de l'économie, avec le tourisme et la construction : elle est même essentielle pour les exportations et elle occupe, en Martinique et en Guadeloupe, proportionnellement deux fois plus d'actifs qu'en métropole. La pêche est très importante aussi, puisque tous les DOM sont des régions maritimes : la Guadeloupe est le septième département français par le nombre de marins, la Martinique le huitième.
Ces secteurs sont en crise, cela ne date pas d'aujourd'hui. Les infrastructures manquent, il n'y a pas d'autosuffisance alimentaire, la pêche est artisanale, la main d'oeuvre manque de formation et nos agriculteurs et pêcheurs doivent encore faire face à de nouveaux enjeux et de nouvelles contraintes, notamment environnementales. La surface agricole utile recule : à la Martinique, elle diminue de 1 000 hectares par an et des prévisions estiment qu'il pourrait ne plus y avoir d'agriculture d'ici vingt ou trente ans. Le conseil interministériel pour l'outre-mer a prévu d'installer une commission de protection des terres agricoles et naturelles, qu'en est-il ?
Les difficultés financières des DOM sont légion et s'accroissent. Depuis de nombreuses années, nous demandons l'application de dispositifs métropolitains tels que les fonds de garantie, le capital risque, les prêts bonifiés, les dotations aux jeunes agriculteurs : qu'en est-il ?
Il faut également soutenir la recherche et le développement, il faut aider les instituts tels que l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), le CIRAD, l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER) à poursuivre leurs recherches sur la pollution des sols et des eaux, sujet sensible et préoccupant notamment en Guyane avec le mercure et aux Antilles avec le chlordécone ou le paraquat. En janvier 2008, le Premier ministre annonçait un plan d'action chlordécone sur trois ans : quels sont ses résultats et comptez-vous le proroger ? L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a souligné les situations aberrantes liées au défaut d'adaptation dans les DOM des réglementations françaises et européennes : comptez-vous y remédier par ordonnance ?
Le rôle des chambres d'agriculture étant essentiel pour la formation, il faut les aider à mieux exprimer les besoins et à mettre en place un projet global de formation. Les lycées professionnels, quant à eux, pourraient être dotés de conseils exécutifs et créer des pépinières de jeunes agriculteurs.
Le comité interministériel a encore prévu une mission sur les instituts techniques : qu'en est-il ?
En Guyane, si la surface agricole utile représente seulement 0,3 % de la superficie totale, 90 % des terres appartiennent à l'Etat et trois agriculteurs sur quatre n'ont pas de titre de propriété. L'ordonnance du 2 septembre 1998 devait régulariser la situation foncière : qu'en est-il ?
La chambre d'agriculture de Guyane est dans une situation financière catastrophique, ses recettes propres représentant seulement 15 % de son budget, contre 75 % en métropole : comment lui apporter une certaine autonomie financière, dès lors que le comité interministériel a reconnu comme prioritaire le renforcement des chambres d'agriculture ?
Quant à la pêche, elle assure à la Guyane, grâce à la crevette et au vivaneau, près du tiers des recettes totales d'exportation de marchandises, mais le secteur souffre d'un manque chronique de capacités de traitement moderne dans les entreprises de transformation.
Enfin, s'agissant de la filière rizicole, nous sommes passés en Guyane d'une production de 30 000 tonnes à 8 000 tonnes et deux des trois premières entreprises de la filière sont en liquidation judiciaire, tandis que la troisième vient d'annoncer son intention de quitter le territoire. Que compte faire le gouvernement, alors que le Président de la République a dit que le développement endogène était la clé de sa politique ultramarine ?
L'article 24 de ce texte renvoie effectivement à la procédure des ordonnances des questions très importantes pour l'outre mer. Pourquoi un tel renvoi, surtout que les ordonnances prennent souvent bien plus longtemps que leur délai théorique d'élaboration d'un an ? Il y a urgence, et les travaux préparatoires ne manquent pas, entre les États généraux et le conseil interministériel.
Je crois, ensuite, qu'il faut moderniser la pêche ultramarine, seul moyen de lui donner un avenir. Monsieur le ministre, envisagez-vous de faire négocier par la Commission européenne un accord avec les Caraïbes, sachant qu'aujourd'hui nos pêcheurs sont cantonnés dans une zone de pêche trop étroite, et qu'ils sont arraisonnés dès qu'ils en sortent ?
J'ai proposé en commission que le texte présenté par le gouvernement soit d'adaptation, plutôt que de modernisation de l'agriculture : les lois d'orientation agricole ont été si nombreuses qu'elles ont désorienté les agriculteurs, lesquels se sont amplement modernisés depuis déjà cinquante ans, au point d'avoir désormais surtout besoin d'adaptation... On leur a demandé d'assurer l'autosuffisance alimentaire de la France, puis d'exporter en Europe et enfin dans le monde, et il faut les aider aujourd'hui à s'adapter à la mondialisation.
Les contraintes administratives et environnementales sont excessives, elles augmentent les charges au moment où les prix et le revenu baissent. Il faut absolument un moratoire. Toutes les productions sont en grande difficulté, il faut remonter aux souvenirs des années 30 pour trouver une pareille crise ! Les intentions du projet de loi sont louables, mais son dispositif pourrait se heurter aux règles européennes, en particulier sur la concurrence ? Nous risquons de vérifier rapidement qu'il faut aussi faire évoluer les normes européennes : comment encourager les regroupements quand l'Europe interdit les ententes ?
Les réglementations sont toujours plus draconiennes et coûteuses mais la France exige toujours plus que les autres pays : le projet de loi doit prévoir une évaluation des nouvelles règles environnementales, ou bien nous ne ferons qu'aggraver la situation.
Il faut mieux valoriser les produits par l'innovation, et il y a des marges importantes, en particulier pour les céréales et les oléagineux.
La contractualisation va être améliorée, mais il ne faut pas perdre de vue que trois euros de plus pour la tonne de céréales ne suffiront pas à régler tous les problèmes. Et le commissaire européen à l'agriculture ne nous rassure pas, quand il déclare que la PAC ne doit pas gêner les agricultures des autres régions du monde.
Les Américains sont beaucoup plus volontaristes, puisqu'ils ne cessent d'augmenter leurs aides à l'agriculture. L'Europe a les moyens d'agir : crédits à l'exportation à taux zéro, déblocage des restitutions à l'exportation, préférence communautaire, programme alimentaire destiné aux pays tiers dont les habitants souffrent de malnutrition, programme d'aide alimentaire aux citoyens les plus démunis, stockage, régulation des marchés... Je rappelle que 100 kg de blé rapportent aujourd'hui 10 euros à l'exploitant, soit deux paquets de cigarettes, alors qu'ils coûtent entre 14 et 17 euros à produire ! Sur les 90 centimes que coûte une baguette, 10 seulement reviennent à l'exploitant. Les agriculteurs ne rentrent même plus dans leurs frais. Il n'est pas étonnant qu'ils viennent hurler leur détresse à Paris !
Puisqu'il s'agit d'un débat d'orientation, je me concentrerai sur l'exposé des motifs du projet de loi qui affiche un double objectif : augmenter la production pour renforcer la sécurité alimentaire, rendre nos produits plus compétitifs. Mais c'est dans les pays en voie de développement qu'il faut accroître la production, qui n'a jamais suffi à satisfaire la demande interne : Edgar Pisani et moi-même avons animé un colloque à ce sujet en ces murs. Cela suppose que les pays du Nord renoncent à un type d'élevage qui fonctionne comme un aspirateur à protéines importées, empêchant dans les pays du Sud le développement des cultures vivrières. En outre, l'augmentation indéfinie de la production ne sert qu'à accroître les excédents déversés sur les marchés du Sud, ruinant ainsi les exploitations locales et entretenant la malnutrition.
J'en viens au renforcement de la compétitivité. En réduisant les coûts, vous voulez rendre à notre industrie agroalimentaire son leadership. Or la recherche de la compétitivité-prix conduit à une impasse. Au plan économique, elle nous confine dans des secteurs agricoles où nous partons battus : les pays du groupe de Cairns auront toujours des coûts de production inférieurs aux nôtres. Au plan social et territorial, elle conduit à la diminution du nombre de paysans et à la désertification des campagnes. Au plan environnemental, elle favorise un type d'agriculture incompatible avec les objectifs du Grenelle. Il est vrai que l'on dit en haut lieu que « l'environnement commence à bien faire »...
Nous ne sommes plus en 1960 ! Mieux vaudrait renforcer notre compétitivité hors prix en répondant à la nouvelle demande pour des produits locaux, de qualité, issus d'une agriculture respectueuse de l'environnement, plus diversifiée et créatrice d'emplois. Il faudrait aussi mieux reconnaître financièrement les services environnementaux non marchands rendus à la collectivité, et encourager l'agriculture périurbaine et les circuits courts.
Pour relever le défi d'une agriculture durable, il est indispensable de rendre les exploitations plus autonomes et moins consommatrices d'intrants. Le pétrole, dont sont issus les carburants, les pesticides et les engrais, se raréfie, et nous devons prendre les devants en renonçant à la spécialisation outrancière. J'en appelle à une véritable révolution copernicienne : maintenir les revenus des agriculteurs n'implique pas d'augmenter la production, ce qui à terme fait baisser les prix, mais de trouver un nouvel équilibre économique fondé sur la baisse de la consommation d'intrants, une agriculture intégrée comme il en existe outre-Rhin. Voilà la véritable modernisation !
Je me permettrai de rappeler à Mme Gourault les engagements que le Président de la République et moi-même avons pris. Nous n'avons d'autre choix que de favoriser une agriculture plus respectueuse de l'environnement : il serait dommage de se priver du fruit des efforts consentis par les agriculteurs depuis plusieurs années. En outre, la société française souhaite que nous oeuvrions en ce sens ; or, en démocratie, c'est le peuple qui décide. D'ailleurs, il est dans l'intérêt des agriculteurs de réduire leur dépendance aux intrants, notamment phytosanitaires, et de diminuer ainsi leurs coûts de production, si c'est possible techniquement. Mais nous ne pouvons leur demander les mêmes efforts en période de crise, alors même que l'Etat se dispense de ses propres obligations budgétaires. D'après l'Inra, le coût des règles environnementales pour une exploitation de 125 ha, qui s'élève aujourd'hui à 1 500 euros, pourrait atteindre 3 200 euros en 2012 ! Je suis en discussion avec Jean-Louis Borloo à ce sujet. Prenons l'exemple des particularités topographiques : j'y suis très attaché, car elles sont essentielles à la biodiversité, à la préservation des sols et au contrôle du ruissellement. Mais l'objectif de 5 % en 2012 pourrait être différé, à moins que l'on définisse un mode de financement qui allège les charges pesant sur les exploitants.
En outre, il convient de ne pas imposer toujours à nos agriculteurs des règles plus restrictives qu'à leurs collègues européens ! A marché unique, règles uniques. On peut rêver d'une agriculture répondant parfaitement aux exigences environnementales, mais mon rôle est de veiller à ce nos objectifs soient économiquement réalistes. Dans le secteur de l'arboriculture ou celui des légumes, nous sommes près du point de rupture. Mme Gourault a fait référence à l'abrazine, mais celle-ci est interdite en Espagne comme en France. Sans doute pensait-elle aux méthomyles, deux molécules interdites en France mais autorisées partout ailleurs en Europe. Ne serait-il pas raisonnable de nous aligner sur nos voisins ? N'est-il pas paradoxal de dire aux agriculteurs qu'ils appartiennent à un marché unique, mais sont soumis à des règles spécifiques ?
La contractualisation a pour objectif de réduire la volatilité des prix et de freiner la spéculation. Les Européens se convertissent à l'idée d'une contractualisation européenne dans toutes les filières, comme Dacian Ciolos l'a confirmé tout à l'heure. Cela implique la constitution d'indicateurs de tendances des prix dans les interprofessions.
En ce qui concerne la méthanisation, Mme Gourault a raison de dire que les incitations destinées aux exploitants ne suffisent pas : les opérateurs doivent suivre. J'ai demandé à Gérard Mestrallet, PDG de GDF-Suez, d'accélérer le programme de construction d'installations.
Monsieur Patient, le Gouvernement est extrêmement attentif à l'agriculture d'outre-mer. L'article 24 du projet de loi prévoit de l'autoriser à légiférer par ordonnances ; nous prendrons le temps de la consultation, mais je m'engage à respecter les délais. Le Président de la République et moi-même l'avons dit aux Etats généraux de l'outre-mer : il faut empêcher le rétrécissement des terres agricoles, sinon il n'y en aura bientôt plus aux Antilles. L'article prévoit explicitement l'établissement d'espaces agricoles et naturels à préserver. Le Président de la République a d'ores et déjà promis 40 millions d'euros par an pour l'agriculture ultramarine.
Monsieur Marsin, c'est la Commission européenne qui négocie l'accord Caraïbes, non les Etats mais je m'engage à lui transmettre le message dans les meilleurs délais.
M. Pointereau a soulevé le problème de la compatibilité entre les nouvelles dispositions et le droit de la concurrence européen. Nous avons cherché à aller aussi loin que possible tout en respectant les règles européennes, favorisant par exemple les circuits courts sans préciser le kilométrage. Le droit européen doit évoluer, je l'ai dit à Joaquin Almunia, commissaire européen à la concurrence. Dans le secteur du lait, il interdit les associations de plus de 400 producteurs pour négocier avec les industriels : ce plafond est dérisoire, il faudrait le porter à 4 000 ! J'ai bon espoir que les négociations aboutissent avant la fin de l'année et nous prendrons alors les décrets nécessaires. Dans le secteur des céréales, une intervention européenne est indispensable pour faire remonter les cours : j'ai abordé la question avec Dacian Ciolos, qui a déjà dégagé 11 millions d'euros pour la gestion du marché. Je souhaite qu'à l'avenir la Commission soit plus réactive : sans la France, qui a mis trois mois à la convaincre de venir en aide aux producteurs de lait, elle ne l'aurait toujours pas fait ! Si les prix ont remonté en janvier, ce n'est pas par miracle, mais grâce à l'injection de 300 millions d'euros pour le stockage.
Avec M. Muller, j'ai plus de points d'accords qu'il ne le croit. Mais qu'il ne travestisse pas ma position ! Ce n'est pas par rapport à l'Amérique du Sud, à l'Asie ou à l'Océanie que je veux renforcer notre compétitivité, car ces continents n'ont pas choisi le même modèle que nous, fondé sur la sécurité sanitaire, environnementale et alimentaire. Je ne cherche d'ailleurs pas à favoriser exclusivement la compétitivité-prix : je parle d'abaissement des coûts de production, d'élargissement des débouchés et de valorisation. Mais nous ne pouvons nous satisfaire d'être moins compétitifs que l'Allemagne, notre principal concurrent ! L'écart de compétitivité est de 15 % pour le lait, et il est sans doute supérieur pour les fruits et légumes ; nous perdons chaque jour du terrain dans la filière porcine. Il faut redresser la barre, sinon ces filières disparaîtront. Certes, il existe des écarts de normes sociales entre les pays européens : j'ai soulevé ce problème lorsque j'étais ministre chargé des affaires européennes.
Le Gouvernement se souvient des engagements du Grenelle : il compte par exemple modifier les règles d'attribution des marchés publics pour favoriser les produits locaux. Pour ce qui est de la préservation des terres agricoles, notamment en zone périurbaine, on m'a assez reproché d'être trop strict pour que vous ne m'accusiez pas de faire litière de cette préoccupation ! C'est moi qui ai voulu taxer la spéculation foncière. Il est particulièrement difficile de défendre l'agriculture en secteur périurbain, car c'est là que les terres se valorisent le plus : près du Havre, le prix d'un terrain est multiplié par 120 lorsqu'il devient constructible ! Le constat est le même sur le plateau de Saclay ou dans la banlieue lyonnaise.
Limiter les intrants, oui, si c'est techniquement possible. On ne peut demander aux agriculteurs de se débrouiller seuls : les pouvoirs publics et l'Inra doivent fournir aux agriculteurs les moyens techniques de remplir les objectifs fixés. C'est l'objet du plan Ecophyto 2018.
Il est banal de dire que l'agriculture doit à la fois fournir de quoi nourrir convenablement la population, remplir un rôle social et contribuer à la préservation des paysages. Mais entre l'entretien des paysages et la recherche de la compétitivité, il y a dans bien des cas antinomie. Les producteurs subissent seuls l'effondrement des prix, car ils sont livrés à l'arbitraire de centrales d'achat aux pratiques mafieuses. Que comptez-vous faire pour y mettre un terme ?
Malgré l'intérêt de votre présentation, je vous ai trouvé bien timoré, Monsieur le ministre, au sujet de l'hydraulique agricole. Dans certaines régions comme le Sud-Ouest, il est indispensable de préserver les ressources en eau, qui servent non seulement à l'agriculture, mais aussi à la production d'eau potable. Le stockage de l'eau dure un siècle et ne coûte que 2 euros pour 1 m3.
Vous restez aussi très discret sur les organismes génétiquement modifiés (OGM)... Ce n'est pas un gros mot ! Aux chercheurs de nous dire ceux qui sont consommables. Nous ne produisons pas d'OGM, mais nous en importons : il est temps de sortir de cette hypocrisie !
Je suis très favorable au photovoltaïque sur les toitures des bâtiments agricoles, mais plus réservé sur le photovoltaïque au sol. Aujourd'hui, nous manquons de règles bien établies.
Enfin, nous pouvons protéger les producteurs par le biais des consommateurs. Que pensez-vous d'un triple étiquetage, indiquant le prix produit au producteur, l'origine des produits et la date d'abattage, et le prix payé par le consommateur ?
Je partage les inquiétudes de Rémy Pointereau et Jacqueline Gourault : avec ces mesures franco-françaises, la France lave plus blanc que blanc ! On invoque la compétitivité face à l'Allemagne, mais on charge la barque de nos agriculteurs !
Aux termes de l'article 11 du projet de loi, le statut d'agriculteur-entrepreneur est accordé à ceux « qui conduisent leur exploitation dans le respect d'une agriculture durable et en prenant les dispositions requises pour limiter les risques inhérents à l'activité agricole. » Chacun souscrit à ce principe, mais le diable gît dans les détails... Nous sommes d'autant plus inquiets que cet article habilite le gouvernement à définir par ordonnances les conditions pour bénéficier des aides publiques ! Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce nouveau statut, qui risque d'être source de confusion ?
Ne risque-t-on pas d'introduire une nouvelle conditionnalité franco-française, de renforcer les contraintes liées à l'obtention des aides, de limiter la prévention et la gestion des risques aux seuls aléas climatiques, environnementaux et sanitaires, d'instaurer une agriculture à deux vitesses, avec une sous-catégorie d'agriculteurs non-entrepreneurs ? Tout cela fait peur au monde agricole.
Il y a urgence à réformer la politique agricole, mais ces mesures ne seront efficaces qu'à l'échelle européenne. Le gouvernement devra peser de tout son poids pour que les pays retrouvent le chemin de la solidarité - il en va de la souveraineté alimentaire de l'Europe. L'audition du commissaire ce matin nous a donné bon espoir.
« Modernisation », le terme inquiète : il est associé à la réduction des effectifs dans les services publics qui en ont fait l'objet ! L'agriculture française a besoin non de se moderniser mais de s'adapter. Les produits agricoles ne sont pas des biens de consommation comme les autres. Leurs conditions de production doivent répondre à des exigences spécifiques.
Je salue l'accent mis sur la politique alimentaire, mais je m'interroge sur la pertinence de son rattachement à l'Agriculture plutôt qu'à la Santé.
Les objectifs sont partagés : permettre aux agriculteurs de vivre décemment de leur travail, assurer le développement durable, préserver le foncier agricole, renforcer la solidarité nationale et le dialogue entre les acteurs. Mais le texte comporte de graves lacunes : rien sur les retraites des agriculteurs et de leurs conjoints, rien sur la formation, notamment à la production bio, rien sur l'installation des jeunes, ni sur l'agrandissement des exploitations.
Nous pensions que l'agriculture n'était pas délocalisable : il n'en est rien. La concurrence dite « juste et non faussée » ne tient aucun compte de l'environnement et des conditions sociales des exploitants ! Rien non plus dans le texte sur la rémunération du travail lié à l'entretien des paysages, à la préservation du bon état écologique des campagnes, qui est un attrait touristique et donc un atout économique. Je regrette que les contrats territoriaux d'exploitation, institués par la loi d'orientation de 1999, aient été abandonnés.
Mettre l'accent sur la compétitivité, c'est favoriser l'industrialisation et l'agrandissement, au détriment des exploitations à taille humaine, constitutives du tissu rural.
La réduction de la consommation du foncier agricole doit faire l'objet d'une attention particulière, en tenant compte des spécificités des régions et du besoin de développer les petites villes en zone rurale : le problème ne se pose pas de la même manière en périphérie des grandes villes et dans les campagnes du centre de la France.
L'article 17 du projet de loi, qui autorise le gouvernement à modifier par ordonnances le mode de calcul des fermages en se fondant sur le revenu national à l'hectare, ignore les disparités territoriales. Ces aspects seront-ils pris en compte ?
Ce matin, le commissaire européen à l'agriculture nous a donné bon espoir ; cet après-midi, Monsieur le ministre, vous nous apportez des réponses d'avenir.
Agriculture de montagne, le mot est absent. Cela peut sans doute être réparé... La compétitivité vaut aussi pour les petites exploitations de montagne, qui vendront mieux leurs produits. À quand la reconnaissance d'un label « qualité montagne », sous la forme d'IGP, pour valoriser ces produits ? Les circuits courts ne sont pas forcément réservés aux producteurs, un boucher peut être intéressé. Il faudra modifier les règles des marchés publics car les collectivités territoriales mais aussi les grandes associations, qui gèrent par exemple des établissements pour personnes handicapées, sont concernées.
La contractualisation peut être intéressante pour les produits de montagne.
Les plans régionaux d'agriculture durable devront faire participer les responsables de la politique des massifs ; les plans pluriannuels de développement forestier devront être en cohérence avec les logiques de massif.
En matière de foncier, il faudra répondre au problème des jeunes qui veulent s'installer en Gaec.
Le problème des sectionnaux, propre au Massif Central, empoisonne les relations humaines en figeant les terres. Les Lozériens savent l'importance de l'agriculture : sans elle, leur département serait un désert !
Enfin, peut-on espérer un renforcement du lien entre agriculture et cohésion territoriale, objectif reconnu par Lisbonne ? J'espère que ce texte nous permettra de répondre à l'attente angoissée de nos agriculteurs. Vous avez fait des efforts, mais il nous faut maintenant passer un cap et préparer l'avenir !
Je doute que ce texte réponde aux attentes pressantes des agriculteurs. On remplace la régulation par la contractualisation ? Ce sera toujours le pot de terre contre le pot de fer : le marché commande, et les prix continueront de baisser si l'industrie et la grande distribution dictent leur loi. Pourquoi avoir supprimé la politique des quotas ? Les quotas sucriers donnent pourtant satisfaction !
L'environnement ne doit pas servir de bouc émissaire : la problématique environnementale est une chance pour l'agriculture ! La régulation n'est pas un handicap, au contraire : voyez l'Allemagne, l'Autriche et l'Italie, qui dominent aujourd'hui le marché du bio ! Les règlementations issues du Grenelle ne sont même pas encore en vigueur ! Quant aux chiffres avancés par l'Inra... qui veut noyer son chien l'accuse de la rage !
Il faut plus que jamais défendre cette politique, d'autant que la PAC repose sur l'éco-conditionnalité. Les techniques de fertilité par intensification écologique permettent de réduire les charges en intrants ; l'élevage à l'herbe est plus rentable que l'élevage au maïs !
Il faut trouver le moyen de rétribuer correctement les agriculteurs qui fournissent des services d'intérêt général, bonne qualité de l'eau potable ou entretien des haies. On ne peut sacrifier l'agriculture alors que les externalités négatives demeurent ! Les rendements diminuent si l'on ne préserve pas la richesse en humus des sols ! Le financement de cette adaptation doit être pris en charge par la société.
La biodiversité est l'assurance de la survie de l'agriculture. Il faut dépasser le conflit entre agriculture et écologie, rétablir un climat de confiance, concilier agriculture compétitive et respectueuse de l'environnement. La crise ne facilite pas la tâche, mais ce n'est pas une raison pour abandonner tout le travail fait dans le cadre du Grenelle !
Ce projet de loi apporte des réponses aux défis qui se posent à l'agriculture, crises alimentaires, difficultés économiques ou avenir de la PAC. Une question mérite d'être approfondie : celle du foncier agricole. Étymologiquement, l'agriculture, c'est la mise en valeur des champs. On sait l'enjeu que représente l'accès à la terre : en Afrique, en Amérique du Sud, en Asie, en Ukraine, des investisseurs internationaux achètent des terres, constituent des domaines de plus en plus vastes. La population mondiale augmente ; il faudra augmenter notre production de 70 %. Depuis 2006, 20 millions d'hectares de terres arables auraient ainsi changé de propriétaire dans le monde.
Notre pays aussi perd des terres agricoles : jusqu'à 200 hectares par jour ! Nouveaux usages pour la production d'énergie, accélération de l'urbanisation et mitage des campagnes sont les causes immédiates. Derrière, on trouve des règles d'urbanisme inadaptées, et surtout la rentabilité insuffisante des terres agricoles. Pourquoi louer à un jeune qui veut s'installer quand un investisseur fait une offre bien plus alléchante ?
Il faut une réflexion plus large sur le sujet. C'est pourquoi je remercie le président Emorine d'avoir accepté la constitution d'un groupe de travail sur la propriété rurale. Les agriculteurs modernes sont des entrepreneurs, le Président de la République l'a souligné. À ce titre, ils ont besoin de capitaux. Or le premier investisseur, c'est le propriétaire, qui fournit la terre : en France, 70 % des terres sont exploitées en fermage.
Loin de la caricature du riche urbain ou de la multinationale abstraite, le propriétaire est souvent un ancien exploitant qui augmente ainsi sa retraite, un agriculteur qui exploite d'autres terres, ou quelqu'un qui attend qu'un descendant prenne la succession. Or le statut du fermage est particulièrement rigide : l'évolution du loyer est fixée administrativement, et il est souvent impossible au propriétaire de récupérer la jouissance de sa terre. On décourage ainsi certains propriétaire de louer leurs terres.
Une idée simple et pragmatique : au lieu d'une énième réforme du statut du fermage, pourquoi ne pas réunir bailleurs et preneurs et leur demander de réfléchir à un nouveau contrat, fondé sur le principe de liberté contractuelle ?
Il ne s'agit pas de remettre en cause un statut qui a fait ses preuves, mais d'expérimenter des modalités mieux adaptées. Voilà, Monsieur le ministre, qui serait conforme à l'esprit de large concertation de cet après-midi comme aux ambitions de votre projet.
Le statut du fermage devrait faire l'objet d'un projet de loi particulier.
Un mot de la compétitivité de l'agriculture : il ne faut pas s'interdire de penser la refondation - je ne dis pas la restructuration - de certaines filières ; sinon, elle se fera brutalement, par le marché.
Il y a des outils de régulation qui existent. Ne peut-on les formaliser pour agir plus vite, sachant que les restitutions vont disparaître en 2013 ?
S'agissant des distorsions de concurrence en matière environnementale, les règles doivent être équitables. Pourquoi pas un observatoire ?
La contractualisation, qui remet en cause le droit européen de la concurrence, sera-t-elle mise en oeuvre au niveau national ou au sein de régions pilotes ?
La préférence communautaire ? Je suis chiffonné comme vous l'êtes peut-être par la situation actuelle. L'Europe est ouverte, elle ne doit pas être offerte. Sans verser dans le protectionnisme, parlons de proximité ou d'excellence communautaire pour protéger notre agriculture.
J'ai déjà répondu, Monsieur Fortassin, sur la volonté de supprimer remises, rabais et ristournes et sur la réduction des marges en temps de crise. Nous négocions avec la grande distribution et j'espère aboutir avant le 17 mai. A défaut, nous passerions par la loi.
S'agissant de l'hydraulique agricole, je suis en discussion avec Jean-Louis Borloo sur les retenues d'eau, qui n'ont qu'un défaut, leur coût.
Dédramatisons le débat sur les OGM. Le Monsanto 810 suscite des interrogations et des réserves sur la question de la dissémination : il est sage de l'interdire. Dans d'autres cas, les possibilités sont plus ouvertes. Ainsi, les deux collèges du Haut conseil des biotechnologies ont-ils rendu un avis positif sur le Bt 11 ; il convient de suivre cet avis. A quoi bon, sinon, disposer d'un tel outil ? Conservons notre avance technologique, qui est un atout pour la France.
Le photovoltaïque est traité dans le projet de loi, qui l'encadre à l'article 12, alinéa 25.
Le mieux est l'ennemi du bien : le coût du triple étiquetage se reporterait sur le consommateur ou pèserait sur le producteur.
L'agriculteur a vocation à être un entrepreneur et à vivre dignement de son activité. Les conditionnalités et autres sous-catégories me laissent très réservé : notre agriculture est une et diverse. Je vous rejoins dans l'idée de ne pas créer une agriculture à deux vitesses.
Il faut revenir sur certaines inexactitudes. Il s'agit, madame Nicoux, de faire pour l'alimentation ce qu'on a fait pour la sécurité routière et de ne plus se contenter de recommandations éparses, qui n'avaient pas fait diminuer le nombre de morts sur les routes, mais de définir une politique globale, partagée par plusieurs ministères, qui donne des résultats. Aujourd'hui, le nombre d'obèses augmente, le diabète se développe ... On ne peut se satisfaire de la situation actuelle, d'où ce regroupement autour d'objectifs de résultats tangibles.
Sur la formation, je souhaite que nous ayons, comme plusieurs d'entre vous le proposent, un titre pour les jeunes agriculteurs : je rejoins la suggestion du président Emorine.
Pas de procès d'intention ! La compétitivité de l'agriculture, ce n'est pas son industrialisation. En revanche, des filières disparaîtraient faute de compétitivité.
Afin de prendre en compte le développement économique des petites villes, nous prévoyons une modulation de la taxe. La spéculation est plus forte près de Marseille ou de Bordeaux que près d'Évreux, et la maire de Damville sait bien que les prix n'y sont pas multipliés par cinquante. En dessous de dix, et avec une valeur de référence actualisée, il n'y aura pas de taxation.
L'indice national du fermage, enfin, est affaire d'équité : il s'agit d'encadrer les baux comme on encadre les loyers.
M. Jacques Blanc sait ma détermination à défendre l'agriculture de montagne Le bilan de santé de la PAC est fait pour cela. Je vais rencontrer sous peu l'Association des élus de montagne (ANEM).
Je connais l'enthousiasme et les convictions de M. Paul Raoult. La contractualisation va avec la régulation. Je défends l'une et l'autre et les choses bougent. Il y a six mois, si je vous avais parlé de régulation européenne pour le lait, vous m'auriez ri au nez. Mais nous avons fait bouger les lignes avec cette idée franco-française. Les contrats n'ont de sens qu'assortis de mécanismes de régulation. Voilà pourquoi je livre une double bataille. Quant aux quotas, les socialistes ont été battus en 1999 quand ils les défendaient ; comment les aurais-je pu les défendre en 2009 ?
Il ne s'agit pas de revenir sur le Grenelle de l'environnement dont une grande partie est à l'avantage des agriculteurs. Nos agriculteurs ont cependant besoin de souplesse sur les particularités topographiques et les phytosanitaires, et je suis en discussion avec Jean-Louis Borloo.
J'ai répondu par avance à Mme Panis. Il faudrait tout un débat pour les Safer : concentrons-nous aujourd'hui sur le projet de loi.
Toutes les questions de M. Bizet sont importantes et il est exact que nous sommes à un tournant. Je rejoins son analyse sur les filières. Nous allons ouvrir trois dossiers en 2010 : la loi, la négociation de la PAC et les plans de développement par filière. Si nous ne mettons pas en place ces derniers sur le porc, sur le lait, sur les fruits et légumes ou encore sur les bovins, le marché le fera.
La régulation, c'est la gestion, mais c'est également la prévention. Un observatoire européen des volumes donnerait des signaux d'alarme en cas de surproduction dans tel ou tel pays.
S'agissant des distorsions de concurrence, l'observatoire a besoin d'être réactivé.
Comme l'a dit le président, nous sommes favorables à la préférence communautaire, même si certains de mes homologues européens s'en étonnent. Elle figure dans l'article 2 du Traité de Rome. N'ayons aucune pudeur : ce n'est pas parce que l'OMC s'est développée que le Traité de Rome ne vaut plus.
Je vous remercie Monsieur le Ministre. Nous examinerons la semaine prochaine le texte qui suscitera une nouvelle discussion générale en séance publique.