Intervention de Bruno Le Maire

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 28 avril 2010 : 2ème réunion
Loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche — Débat d'orientation

Bruno Le Maire, ministre :

J'envisage ce débat d'orientation agricole comme un temps d'échange. Je tiendrai compte des observations qui seront faites afin que le projet de loi adopté par le Sénat soit le plus complet possible.

Merci aux rapporteurs de leur important travail de consultation et d'échange avec le monde agricole. C'est la bonne méthode, elle a permis d'améliorer le texte. S'agissant des relations commerciales, il faut améliorer la ristourne et le prix après-vente qui pénalisent les exploitants. Nous avons besoin de contrats écrits avec des débouchés. Je suis prêt à améliorer l'étiquetage existant à condition de respecter la réglementation européenne. Si la démarche vient des interprofessions, l'Europe l'acceptera, mais non si cela vient de l'État.

La France est le premier pays européen à avoir organisé des Assises de la pêche, à la suite desquelles elle a remis une proposition de réforme à Maria Damanaki, commissaire européen pour les affaires maritimes et la pêche. Nous proposons de renverser complètement la perspective : les décisions des ministres ne s'imposeraient plus aux pêcheurs ; les pêcheurs auraient un pouvoir de proposition, voire de décision, en matière de ressources et de réserves. Cela est indispensable si nous voulons restaurer la légitimité de la politique commune de la pêche. Au reste, les pêcheurs sont bien plus capables d'évaluer les ressources que les ministres qui en discutent parfois jusqu'à quatre heures du matin à Bruxelles en tentant d'évaluer le nombre de chinchards, de cabillauds, voire de soles au large de Dieppe, à l'unité près !

La politique de l'alimentation doit effectivement passer par la pédagogie, notamment l'initiation au goût, comme cela est rappelé au treizième alinéa de l'article premier, mais peut-être faut-il renforcer sa rédaction... Je suis très favorable aux circuits courts avec un objectif politique clair : réduire le nombre moyen de kilomètres du producteur au consommateur. Le droit européen nous interdisant de préciser un nombre de kilomètres maximal pour ne pas entraver la libre concurrence, la seule solution est de modifier le code des marchés publics pour valoriser les circuits courts auprès, notamment, des collectivités territoriales. Je ne crois pas aux coefficients multiplicateurs, dont j'ai beaucoup discuté avec les agriculteurs. Nous devons travailler sur la remise et la ristourne et la réduction volontaire des marges en temps de crise. Si la grande distribution n'a pas signé un accord d'ici le 17 mai, nous mettrons en oeuvre une taxation sur la surface de la grande distribution. Nous avons eu ce débat il y a six mois, ce système me paraît nécessaire et équitable si la grande distribution ne joue pas le jeu. Je suis favorable au renforcement de l'Observatoire des prix et des marges qui présente l'inconvénient de ne pas exister... ou, tout au moins, de n'avoir qu'une existence virtuelle. Cet observatoire doit être doté d'un président qui expliquera aux médias et à l'opinion publique les résultats trouvés, comme l'a fait récemment celui du Conseil d'orientation des retraites. Je propose également une extension de son champ d'études à tous les produits agricoles, sans exception, aux coûts de production des producteurs, avec une obligation de transmission des données de l'Insee.

La progression du système assurantiel ne correspond en rien à un désengagement de l'État : les primes d'assurance agricole sont subventionnées à 65 % par l'État et l'Union européenne. Même remarque concernant le fonds de péréquation dans le domaine des crises sanitaires que je propose : il sera alimenté, certes, par les exploitants, mais également par l'État et l'Europe. Enfin, dois-je rappeler que la réassurance publique figure, pour la première fois, explicitement dans le projet de loi ? C'est une avancée incontestable. Si nous progressons encore, je n'y verrai que des avantages. S'agissant du développement durable et de la consommation agricole, je trouve, en tant que ministre de l'agriculture, ce qui ne présume en rien des arbitrages qui seront rendus, intéressante et constructive l'idée d'une réaffectation de la taxe, soit aux collectivités locales soit aux jeunes agriculteurs. Mais l'État n'aime pas beaucoup les taxes affectées, pour des raisons évidentes... S'agissant de la défense de la pêche artisanale et côtière, la commissaire européenne s'est dite intéressée par l'insertion d'un volet social dans la politique commune de la pêche, concernant notamment la formation. Reste, maintenant, à convaincre nos partenaires européens. Pour évoquer l'ONF, son nouveau président est décidé, il l'a dit aux syndicats, à améliorer le fonctionnement de cette structure.

Monsieur Boyer, vous avez soulevé des questions importantes, notamment sur les zones de montagne. Je ne partage pas l'idée selon laquelle la compétitivité serait liée à l'accroissement de la taille des exploitations. Si cela était aussi simple, nous serions parvenus depuis longtemps à moderniser notre agriculture. J'avais invité des producteurs à participer à mon déjeuner avec Dacian Ciolos, dont une productrice de beaufort des Alpes. Elle valorise son lait à 460 euros la tonne, contre 265 euros pour les simples producteurs de lait.

Sur la simplification administrative, nous travaillons de concert avec l'Allemagne, au sein d'une commission commune consacrée à la réforme de la PAC : c'est nouveau, car on se souvient que la précédente réforme s'est soldée par un contentieux entre les deux pays.

Les retraites ne sont pas oubliées, j'en ai parlé avec mon collègue du budget et avec le président de la FNSEA.

La compétitivité est cruciale pour notre agriculture, vous avez raison de le souligner, Madame Herviaux, en particulier face à ce concurrent qu'est devenue l'Allemagne. La filière porcine allemande nous prend des parts de marché, il en va de même pour le lait ou encore pour les fruits et légumes, où nos voisins sont aussi bons que nous alors qu'ils produisent depuis peu.

La compétitivité n'est pas fonction de la surface des exploitations : l'agrandissement n'est pas la solution, d'autant qu'elle poserait des problèmes d'environnement. En fait, la compétitivité dépend de trois facteurs : la baisse des coûts de production, qui passe par l'allègement des charges pour les travailleurs occasionnels, comme nous l'avons fait, par la méthanisation, qui rend de la valeur ajoutée aux agriculteurs, par la baisse des charges, par l'organisation rationnelle de la collecte ; elle dépend ensuite des débouchés et les agriculteurs ont intérêt à contractualiser, en particulier pour l'exportation : nous sommes passé d'un monde où nous étions seuls à exporter des céréales au Maroc ou en Egypte, et où les marges étaient assurées par le prix ou les volumes, à un monde où des pays comme la Russie, l'Ukraine, la Moldavie proposent des céréales à moindre prix que nous, et il en va de même pour les filières laitière et viticole ; la compétitivité, enfin, passe par la valorisation des produits : c'est très clair pour le lait, où les producteurs s'en sortent avec l'ultra-frais et les AOC, mais pas avec le beurre et la poudre de lait, produits que des pays comme la Nouvelle-Zélande proposent moins chers que nous.

L'installation reste l'une de nos priorités : 300 millions d'euros sont affectés cette année à l'aide à l'installation aux jeunes agriculteurs.

Monsieur de Montesquiou, j'espère vous convaincre que l'incitation est préférable à l'obligation de s'assurer. D'abord, parce qu'aucun pays européen n'a choisi l'assurance obligatoire, ensuite parce que l'obligation nous ferait perdre la subvention européenne, qui représente tout de même 35 % de l'enveloppe, soit 100 millions.

Monsieur Chatillon, je partage votre souci de protéger les terres agricoles : c'est le sens d'une disposition du projet de loi inspiré de ce qui se fait en Allemagne, où le rythme de disparition des terres agricoles a diminué de moitié, même si nous proposons un mécanisme moins rigoureux que celui de nos voisins. Je ne parle pas de l'Allemagne par tropisme, mais parce que c'est bien outre-Rhin qu'on gagne sur nous des parts de marché : c'est donc bien avec ce pays que nous devons comparer notre compétitivité.

S'agissant des fruits et légumes, j'ai déjà dit que la grande distribution devrait s'engager par écrit, d'ici le 17 mai, à diminuer ses marges en temps de crise.

Je veux encourager la valorisation par l'innovation, j'ai demandé au Premier ministre d'y consacrer une partie du grand emprunt. Voyez la production de lin, exportée à 85 % vers la Chine pour la confection : si nous laissons faire, dans quelques années nous ne produirons plus, car les Chinois nous imposeront des prix intenables, alors qu'il y a de nombreuses possibilités pour développer les fibres de lin, dans l'aéronautique ou les soins médicaux par exemple.

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