Intervention de Brigitte Gonthier-Maurin

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 24 novembre 2010 : 2ème réunion
Loi de finances pour 2011 — Mission enseignement scolaire - examen du rapport pour avis

Photo de Brigitte Gonthier-MaurinBrigitte Gonthier-Maurin, rapporteur pour avis :

Je me concentrerai sur la réforme de la voie professionnelle. Si je n'étais pas opposée à un bac professionnel en trois ans, je me suis inquiétée l'an dernier de la généralisation précipitée de l'expérimentation menée à partir de 2008 et de ses conséquences sur les élèves les plus fragiles. Je salue la mobilisation sans faille de l'ensemble des personnels : ils ont été mis à rude épreuve, mais leur action a permis d'atténuer les répercussions de la réforme sur la scolarité des élèves.

Tout d'abord, un aspect positif : le discours de revalorisation de la voie professionnelle, qui motivait la réforme, a porté auprès des jeunes et des familles. Le bac professionnel en trois ans est désormais un bac comme les autres, chargé de la même valeur rituelle et porteur de la même espérance sociale. Pour ne pas décevoir ces espoirs, les promesses d'insertion professionnelle et de poursuite dans le supérieur doivent être tenues. Or l'attentisme prévaut logiquement chez les employeurs. Certaines branches professionnelles, habituées à l'ancienne organisation, paraissent déjà regretter la dissolution des brevets d'études professionnelles (BEP). A partir de l'année prochaine, je recommande d'auditionner systématiquement toutes les organisations patronales et syndicales représentatives afin de sonder leurs intentions et de mesurer les perspectives d'emploi des jeunes diplômés.

Cette appréciation positive ne masque pas les défauts d'organisation administrative et pédagogique. L'élaboration de la carte des formations et de la répartition des flux d'élèves entre le certificat d'aptitudes professionnelles (CAP) et le bac professionnel est un enjeu capital. Après une forte hausse en 2009, l'offre de CAP a continué d'augmenter légèrement. En fait, les rectorats, prenant insuffisamment en compte l'offre de formation en apprentissage, n'ont pas une vision globale de la formation professionnelle initiale. D'où, une offre de CAP globale qui englobe 40 % des effectifs, voire 50 % à Grenoble ou Poitiers. Il y a manifestement une « orientation de précaution », a dit l'un de mes interlocuteurs, vers le CAP à l'issue du collège. Le danger est de transformer le CAP en voie de relégation.

S'agissant de la conduite de la formation en lycée professionnel, les problèmes de l'an dernier sur le positionnement de la certification intermédiaire, sur l'effectivité des passerelles et sur la conduite de l'accompagnement personnalisé n'ont pas été réglés - même les inspections générales invitent à la vigilance. A quoi il faut ajouter de nouvelles difficultés cette année. Les classes sont de plus en plus hétérogènes avec une proportion croissante d'élèves de moins de 15 ans, au profil plus scolaire, que la perspective de poursuite en brevet de technicien supérieur (BTS) motive. Enfin, l'organisation des périodes de formation en milieu professionnel laisse à désirer. Les entreprises hésitent à accueillir les nouveaux élèves, qui sont d'ailleurs laissés à eux-mêmes pour trouver un stage.

Les possibilités de poursuite d'études en BTS constituent un élément fort de la revalorisation de la voie professionnelle, mais potentiellement trompeur. Les demandes d'admission en section de technicien supérieur (STS) vont probablement croître brutalement à partir de 2013 alors que les bacheliers professionnels réussissent beaucoup moins bien en BTS que les autres. Une politique volontariste d'accompagnement sera nécessaire pour mettre à niveau leurs acquis plus fragiles dans les matières scolaires traditionnelles, notamment en langues vivantes. En revanche, je suis extrêmement sceptique quant à l'utilité de proposer une année supplémentaire de formation en préparation à l'entrée au BTS pour les seuls bacheliers professionnels. Cet allongement d'études imposerait un coût financier difficilement supportable pour certaines familles défavorisées et équivaudrait à une régression pédagogique pour les élèves, ramenés brutalement à leurs années de collège.

L'an passé, je disais que la réforme du bac professionnel avait constitué une onde de choc pour caractériser la réforme du bac professionnel. A la réflexion, je pense qu'elle a ébranlé en profondeur les fondations de l'enseignement professionnel. L'envers de la revalorisation symbolique de la voie professionnelle est la déprofessionnalisation et la « technologisation » de la voie professionnelle. Et ce, en raison de la conjugaison de plusieurs facteurs : l'arrivée massive d'élèves traditionnellement orientés vers le technologique, un affaiblissement de la rupture pédagogique avec le collège et de la formation en milieu professionnel, le déclassement du BEP comme diplôme qualifiant et professionnalisant et l'insistance sur l'accès au BTS. Il faut impérativement éviter la fusion des filières technologiques et professionnelles pour préserver la capacité de la voie professionnelle à donner aux élèves les moins à l'aise à l'école une chance. De plus, la mastérisation du recrutement des enseignants se télescope avec la rénovation du baccalauréat professionnel. Elle risque de tarir drastiquement le vivier habituel de recrutement des professeurs de lycée professionnel. Les masters, dont la mise en place a été hâtive, restent largement invisibles pour les candidats potentiels si bien que, un peu partout sur le territoire, on constate que personne ne s'est présenté pour suivre une formation en préparation au concours. A cela, s'ajoutent des problèmes de financement qui freinent la reconversion de salariés, alors que la moitié du corps environ en est actuellement issue. Enfin, au terme des auditions, j'ai été frappée par l'extrême disparité de mise en oeuvre de la réforme. Le pilotage ministériel me paraît insuffisant pour définir un schéma directeur national garantissant l'égalité de traitement entre les élèves. Le cadrage national cède la place à des politiques académiques, minées par l'autonomie accrue laissée aux établissements. Si je partage le souci de tenir compte de la réalité du terrain, les divergences entre les académies et les établissements ont atteint un point inacceptable.

A titre personnel, j'émettrai donc un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission.

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