Intervention de Patrice Gélard

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 19 décembre 2007 : 1ère réunion
Russie — Communication de m. patrice gélard président du groupe interparlementaire d'amitié france-russie du sénat

Photo de Patrice GélardPatrice Gélard, Président du groupe interparlementaire d'amitié France-Russie du Sénat :

Evoquant d'abord la situation intérieure de la Russie, M. Patrice Gélard, a rappelé qu'après la disparition de l'URSS, en 1991, la Russie avait été confrontée, dans les années 1990, sous la présidence de Boris Eltsine, à une situation anarchique marquée par l'effondrement de l'économie et une déliquescence de l'Etat.

Depuis 2000, sous les deux mandats successifs de Vladimir Poutine, la Russie a connu un important redressement. En matière économique, la Russie a enregistré ces dernières années des performances remarquables, avec un taux annuel de croissance de l'ordre de 7 % en moyenne, notamment grâce à la forte hausse du prix des hydrocarbures (pétrole et gaz), dont elle est un des premiers producteurs au niveau mondial. Le budget est en excédent et la Russie a remboursé la quasi-totalité de sa dette auprès de ses créanciers étrangers. Le niveau de vie des Russes s'est notablement amélioré et l'espérance de vie moyenne, qui était tombée en dessous de la barre des 60 ans, s'est redressée, de même que le taux de natalité. La Russie est proche du plein emploi et le gouvernement fait même appel à de la main d'oeuvre étrangère, en provenance des pays issus de l'ex-URSS ou de Chine.

Les deux mandats successifs de Vladimir Poutine à la présidence de la fédération de Russie ont aussi été marqués par un net renforcement du rôle de l'Etat, a souligné M. Patrice Gélard.

S'il existe encore quelques médias indépendants, comme le journal « Novaia Gazeta » ou la station de radio « Echo de Moscou », on a assisté à une prise de contrôle par le Kremlin des principaux médias, notamment les grandes chaînes de télévision, ce qui n'est pas sans rappeler l'époque soviétique, a indiqué M. Patrice Gélard.

Les oligarques, qui avaient pris le contrôle des principales entreprises sous la présidence de Boris Eltsine, ont également été mis au pas, a indiqué M. Patrice Gélard, certains ayant été emprisonnés ou contraints de s'exiler, l'Etat dirigeant ainsi les centres stratégiques économiques, notamment dans le domaine énergétique.

Vladimir Poutine a également restauré la « verticale du pouvoir » en réformant le fédéralisme russe. Les gouverneurs des républiques qui composent la fédération ne sont plus élus directement par la Douma locale, mais proposés par le Président de la Fédération et confirmés ensuite par la Douma locale, qui, si elle n'approuve pas le candidat proposé par le Kremlin, peut être dissoute. Cette réforme s'est donc traduite par un net renforcement du pouvoir central sur les entités fédérées, a souligné M. Patrice Gélard, mettant ainsi un terme à des tentations séparatistes dans certaines républiques et au comportement de « potentat local » de certains gouverneurs, encouragés par le fait, qu'étant membres de droit du Conseil de la Fédération, la chambre haute du Parlement russe, ils bénéficiaient de l'immunité parlementaire, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Trois gouverneurs ont ainsi été condamnés pour corruption, dont celui de Vladivostok, a indiqué M. Patrice Gélard. La mise en place, au-dessus des gouverneurs, de sept super-préfets, désignés directement par le Président et chargés des questions de sécurité au sens large, dans le cadre de sept grandes zones, a également renforcé l'autorité du pouvoir central..

Si les organisations humanitaires font état de la persistance des enlèvements et des disparitions de civils, la situation en Tchétchénie tend à se stabiliser, les troupes russes ayant laissé la place aux forces tchétchènes pro-russes dirigées par Ramzan Kadyrov, qui se comporte comme un véritable dictateur.

La Tchétchénie a toujours été une épine pour la Russie, depuis son annexion au XIXe siècle, comme en témoignent les guerres du Caucase sous Catherine II ou les déportations massives pratiquées par Staline. La population de cette province a diminué de moitié, revenant d'un million à 500 000 habitants, en raison de la guerre et des bombardements, mais aussi du départ de nombreux habitants, d'origine tchétchène, mais aussi russe et ukrainienne, victimes d'exactions commises par l'armée russe ou les forces rebelles.

D'une manière générale, la situation dans le Caucase du Nord, au Daghestan, en Ossetie du Nord ou en Ingouchie, reste instable, avec une montée en puissance de l'islamisme.

C'est surtout sur le plan de la démocratie, des droits de l'homme et des libertés individuelles, que le bilan de Vladimir Poutine est contesté, a indiqué M. Patrice Gélard, en rappelant que l'on avait assisté, sous ses deux mandats successifs, à un accroissement du rôle de l'Etat.

Une loi sur les organisations non gouvernementales de 2006 s'est ainsi traduite par d'importantes restrictions pour les ONG étrangères présentes en Russie, comme en témoigne la fermeture récente du « British council » de Moscou.

La loi électorale a été profondément modifiée avant le scrutin du 2 décembre dernier, a rappelé M. Patrice Gélard. Alors qu'auparavant la moitié des députés de la Douma étaient élus au scrutin uninominal majoritaire dans le cadre de circonscriptions régionales et l'autre moitié au scrutin proportionnel au niveau national, il a été décidé d'instaurer la proportionnelle pour tous les députés, mais dans le cadre de circonscriptions régionales, un peu à l'image des élections régionales ou du mode d'élection des députés européens en France, a indiqué M. Patrice Gélard.

Les partis politiques enregistrés, qui sont les seuls à pouvoir concourir, présentent donc des listes différentes selon les régions, à l'exception des trois premières têtes de listes, qui sont les mêmes pour toute la Russie. Cette réforme s'est également traduite par la suppression de la possibilité pour les électeurs de voter contre tous les candidats ou le relèvement du seuil nécessaire pour les partis politiques pour être représentés à la Douma de 5 à 7 % des suffrages. Pour sa part, le Conseil de la Fédération est composé pour moitié de membres élus par les assemblées locales, et pour l'autre moitié, de représentants des gouverneurs désignés par le Kremlin.

Enfin, en partant du constat qu'il n'existait pas réellement de société civile en Russie, Vladimir Poutine a souhaité favoriser son organisation, en instituant notamment une chambre sociale, un peu sur le modèle du Conseil économique et social, qui comprend parmi ses membres des représentants des entreprises, des syndicats, des associations, mais aussi des représentants des religions présentes en Russie.

Les élections législatives du 2 décembre dernier ont été marquées par un taux de participation de 62 %, supérieur à celui des précédentes élections législatives de 2003, qui était de 55 %, a indiqué M. Patrice Gélard.

Le parti « Russie Unie », emmené par Vladimir Poutine, est arrivé largement en tête, avec 64 % des suffrages. Avec quelque 315 sièges sur 450, il obtient donc la majorité absolue à la Douma et même la majorité des 2/3 nécessaire pour modifier la Constitution.

Le parti communiste est arrivé en deuxième position, avec 11,5 % des suffrages. S'il continue sa lente érosion, puisqu'il avait recueilli 12,5 % des suffrages en 2003, il reste le principal parti d'opposition et il disposera de 57 députés à la Douma.

En troisième place, le parti libéral démocratique de Russie (LDPR) de Vladimir Jirinovski, qui, comme l'a rappelé M. Patrice Gélard, n'est ni libéral, ni démocratique, mais un parti nationaliste et xénophobe, obtient 8 % des suffrages, contre 11,5 % en 2003. Il disposera de 40 sièges.

Enfin, en quatrième position, le parti de centre-gauche pro-Kremlin « Russie juste », dirigé par le Président du Conseil de la Fédération, Serguei Mironov, créé par Vladimir Poutine lui-même pour concurrencer le parti communiste, franchit de justesse la barre des 7 % nécessaires pour être représenté à la Douma, où il aura 38 députés.

Les partis « libéraux » d'opposition, déjà quasiment inexistants à la Douma, à l'exception de quelques députés indépendants, subissent une déroute, avec 1,2 % pour Iabloko et 1,1 % pour l'Union des forces de droite (SPS).

Enfin, le parti d'opposition « Une autre Russie », dirigé par l'ancien champion du monde d'échecs Garry Kasparov, n'avait pas pris part à ces élections et avait appelé au boycott.

Si quatre partis politiques seront représentés à la Douma, en réalité, seul le parti communiste fait figure de parti d'opposition, a estimé M. Patrice Gélard, étant donné que les députés du parti « Russie juste » et ceux du parti de Vladimir Jirinovski soutiennent le président russe et votent généralement les mesures proposées par le gouvernement.

Ce scrutin s'est-il déroulé dans des conditions démocratiques ?

a rappelé que les autorités russes avaient décidé de limiter de manière drastique le nombre d'observateurs étrangers pour contrôler les 95 000 bureaux de vote, répartis sur un territoire immense de 17 millions de km². De ce fait, le bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) avait renoncé à l'envoi d'observateurs pour superviser ces élections. En définitive, seul, un nombre limité d'observateurs étrangers de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE et du Conseil de l'Europe ont participé au contrôle du déroulement de ces élections, a indiqué M. Patrice Gélard, qui a toutefois relevé la présence, certes en nombre insuffisant, mais avec une part active, de représentants russes d'organisations non gouvernementales ou de petits partis.

Après l'annonce des résultats, plusieurs gouvernements ont exprimé leurs préoccupations, a rappelé M. Patrice Gélard.

Par la voix de son porte-parole, le gouvernement allemand a émis les critiques les plus vives, en déclarant que « ces élections n'étaient pas des élections libres, équitables et démocratiques ».

Le gouvernement britannique a également exprimé son inquiétude « quant aux allégations d'irrégularités électorales, qui, si elles étaient avérées, suggéreraient que les élections russes n'étaient ni libres ni honnêtes ».

Pour sa part, le ministère français des affaires étrangères a pris note des résultats des élections législatives en Russie. Il a relevé les allégations d'irrégularité concernant ce scrutin, tout en déclarant ne pas être en mesure d'évaluer leur impact sur le résultat des élections. Il a donc émis le souhait que les autorités russes fassent toute la lumière sur ces allégations.

Des plaintes déposées par le parti communiste et l'opposition libérale ont également été déposées devant la commission centrale de contrôle des élections russe, mais elles ont toutes été rejetées jusqu'à présent.

Ce scrutin a, à l'évidence, été entaché d'irrégularités a estimé M. Patrice Gélard. Il suffit de mentionner le cas de la Tchétchénie, où la participation et le score de « Russie Unie » ont atteint plus de 99 %.

Toutefois, d'une manière générale, le taux élevé de la participation et la victoire du parti « Russie Unie » ne font que confirmer la très grande popularité de Vladimir Poutine, crédité de 80 % d'opinions favorables dans un récent sondage.

En réalité, ce scrutin a largement été transformé en plébiscite pour Vladimir Poutine, qui avait créé la surprise en annonçant qu'il prendrait la tête du parti « Russie Unie » en vue de ces élections, a souligné M. Patrice Gélard.

Le Président russe dispose maintenant de la légitimité nécessaire pour organiser sa succession dans l'optique de l'élection présidentielle du 2 mars prochain.

Ainsi, contrairement à une idée reçue, ce n'est pas l'élection présidentielle qui sera déterminante pour l'avenir du pays, mais ce seront bien les élections législatives, a estimé M. Patrice Gélard.

D'ailleurs, peu après le résultat de ces élections, le 10 décembre, il a été annoncé que Dmitri Medvedev serait le candidat officiel du parti « Russie Unie » pour l'élection présidentielle.

Celui-ci a tout de suite reçu le soutien de Vladimir Poutine.

Agé de 42 ans, Dmitri Medvedev est un proche de Vladimir Poutine, a indiqué M. Patrice Gélard. Comme lui, il est originaire de Saint-Pétersbourg, il est diplômé de la même faculté de droit, et ils ont travaillé tous les deux à la mairie de Saint-Pétersbourg, dans l'équipe d'Anatoli Sobtchak. Toutefois, à la différence de son mentor, Dmitri Medvedev n'est pas passé par le KGB.

Dmitri Medvedev a été nommé adjoint du chef de l'administration présidentielle, en décembre 1999, lorsque Vladimir Poutine est devenu président par intérim de la Russie, et il a dirigé sa campagne électorale en vue de l'élection présidentielle de mars 2000. Il a été nommé peu après au poste stratégique de Président du Conseil des directeurs (l'équivalent du conseil de surveillance) de Gazprom.

En novembre 2005, Dmitri Medvedev a été nommé premier vice-premier ministre chargé des grands projets nationaux, concernant la santé, l'éducation, le logement et l'agriculture.

L'annonce de la candidature de Dmitri Medvedev a été présentée par les médias comme la victoire du camp des « libéraux » sur le clan des « siloviki », composé d'anciens membres des services de sécurité et dont l'un des principaux représentants est l'autre vice-premier ministre et ministre de la défense, Serguei Ivanov.

Dmitri Medvedev se présente, en effet, comme un « vrai démocrate » au sein de l'équipe de Poutine, a rappelé M. Patrice Gélard.

Il est aussi considéré comme un « occidental », favorable à un rapprochement avec les Etats-Unis et l'Union européenne, par opposition aux « slavophiles », partisans d'une alliance avec la Chine au sein d'un ensemble « eurasiatique ».

Si Dmitri Medvedev a toutes les chances d'être élu à la présidence de la République, son avenir est étroitement lié à celui de Vladimir Poutine, a estimé M. Patrice Gélard.

A cet égard, on peut distinguer plusieurs scénarios.

Le premier scénario, selon lequel Vladimir Poutine resterait Président de la Russie, qui a été pendant longtemps privilégié par les observateurs, ne paraît plus aujourd'hui d'actualité, a souligné M. Patrice Gélard.

En effet, la Constitution russe interdit de briguer plus de deux mandats consécutifs à la présidence de la Fédération de Russie et Vladimir Poutine s'est toujours refusé à réviser la Constitution sur ce point, malgré les nombreux appels en ce sens de ses partisans.

En tout état de cause, il est désormais trop tard pour réviser la Constitution, compte tenu des délais nécessaires pour cette procédure, a rappelé M. Patrice Gélard.

Toutefois, étant donné que l'interdiction ne concerne que le seul fait d'exercer deux mandats consécutifs, on pourrait très bien concevoir, d'après M. Patrice Gélard, que le successeur de Vladimir Poutine à la tête de la Fédération démissionne peu après son élection, voire dès le lendemain de son intronisation, ce qui entraînerait l'organisation d'une nouvelle élection présidentielle, à laquelle Vladimir Poutine pourrait se représenter, étant donné qu'il y aurait eu dans l'intervalle, un autre président, et compte tenu de sa popularité, il ne fait pas de doute que Vladimir Poutine serait alors élu facilement.

Selon une deuxième hypothèse, Vladimir Poutine prendrait la tête de l'Union russo-biélorusse.

Au moment où était annoncée la candidature de Dmitri Medvedev à l'élection présidentielle, Vladimir Poutine effectuait, par une curieuse coïncidence, une visite d'Etat en Biélorussie, où il a évoqué, avec le Président Alexandre Loukachenko, l'avenir de l'Union entre la Russie et la Biélorussie.

Si certains évoquent l'idée que Vladimir Poutine prenne la tête de l'Union russo-biélorusse, après avoir quitté ses fonctions à la tête de la fédération de Russie, M. Patrice Gélard a fait part de son scepticisme sur une telle hypothèse, compte tenu des relations difficiles entre Vladimir Poutine et Alexandre Loukachenko et du peu de consistance de cette union russo-biélorusse, qui reste encore une « coquille vide ».

Le troisième scénario, selon lequel Vladimir Poutine serait le futur Premier ministre, qui paraissait difficile à imaginer il y a encore quelques semaines, semble se dessiner actuellement. En effet, peu après l'annonce de sa candidature à l'élection présidentielle, Dmitri Medvedev a annoncé, s'il était élu à la présidence, qu'il proposerait le poste de Premier ministre à Vladimir Poutine, et celui-ci s'est déclaré prêt à diriger le gouvernement.

Ce scénario paraît le plus logique dans un régime parlementaire, où le chef du parti majoritaire a vocation à diriger le gouvernement, même s'il paraît difficile à imaginer, étant donné que, d'après la Constitution russe et dans la pratique, le Premier ministre ne joue pas un très grand rôle et que le véritable chef de l'exécutif est clairement le Président.

Ce scénario constituerait en réalité une rupture par rapport à l'histoire de la Russie et par rapport au régime soviétique, où le poste de premier ministre a toujours eu un caractère technique et non une dimension politique, a rappelé M. Patrice Gélard, en citant l'exemple de l'actuel premier ministre Viktor Zoubkov.

Certes, une modification de la Constitution pour renforcer les pouvoirs du Premier ministre face au Président serait envisageable, pour aller davantage vers un régime parlementaire, mais Vladimir Poutine lui-même a exclu cette éventualité.

On peut toutefois relever qu'en cas de vacance du poste de président, c'est le premier ministre qui est chargé d'assurer l'intérim jusqu'à l'organisation d'une nouvelle élection, a indiqué M. Patrice Gélard. Quel que soit le poste qu'il occupera à l'avenir, Vladimir Poutine devrait continuer à jouer un rôle important en Russie. En effet, Vladimir Poutine incarne aujourd'hui aux yeux des Russes la figure d'un leader national, comme en témoigne sa forte popularité, qui a restauré l'autorité de l'Etat et renforcé le prestige de la Russie sur la scène internationale.

Dans ce contexte, il faut reconnaître que sa décision de ne pas modifier la Constitution pour briguer un troisième mandat, afin de rester dans l'histoire comme celui qui aura conduit la Russie de manière irréversible vers la démocratie et l'Etat de droit, alors qu'il disposait de toutes les cartes pour le faire, ne manque pas de panache, a estimé M. Patrice Gélard.

Vladimir Poutine reste cependant prisonnier de l'histoire de son pays qui, chaque fois qu'il a été confrontée à des crises, s'est toujours trouvé un « sauveur », tels Ivan le terrible ou Staline.

Aujourd'hui, Vladimir Poutine, incarne, volontairement ou malgré lui, une telle figure aux yeux des Russes, ce qui rend son départ problématique.

C'est la raison pour laquelle Vladimir Poutine, même s'il quitte ses fonctions à la présidence de la fédération de Russie, continuera de jouer un rôle très important dans la vie politique de son pays, a estimé M. Patrice Gélard.

Evoquant ensuite la politique étrangère russe, M. Patrice Gélard a rappelé que ces dernières années avaient été marquées par un retour de la Russie sur la scène internationale.

L'étranger proche » reste la priorité de la politique étrangère russe. Les institutions de la Communauté des Etats indépendants (CEI), qui regroupe l'ensemble des Etats issus de l'ex-URSS, à l'exception des trois pays baltes, ne fonctionnant pas très bien, à l'exception de l'assemblée interparlementaire, la Russie a privilégié les relations bilatérales avec les anciennes républiques soviétiques. Pour ce faire, elle a souvent joué au « pompier-incendiaire », en provoquant des crises pour ensuite apporter son aide pour les résoudre. La Russie a ainsi encouragé les aspirations séparatistes dans certaines régions, comme la Transnistrie en Moldavie, ou l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud en Géorgie. Avec les Etats du Caucase du Sud, ce sont avant tout les enjeux des futures voies d'évacuation énergétiques et le conflit du Haut Karabakh, qui lui permet de se poser en arbitre entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, qui dominent la vision de Moscou, mais aussi le souci de préserver son influence face aux autres puissances régionales que sont l'Iran et la Turquie.

En Asie centrale, le double souci russe de garantir l'approvisionnement énergétique et de lutter contre le risque terroriste, conduit la Russie à soutenir les équipes en place, alors que ces régimes évoluent de plus en plus vers des régimes autoritaires au Kazakhstan, au Kirghizistan, en Ouzbekistan, au Turkmenistan ou au Tadjikistan.

Face aux « révolutions de couleur », en Ukraine ou en Géorgie, la Russie utilise plusieurs moyens de pression, comme l'arme énergétique ou l'embargo économique, en s'appuyant aussi sur les tensions séparatistes en Géorgie, mais encore en Ukraine, où vit une importante minorité russe en Crimée et dans la partie orientale.

La Russie reste donc fortement présente dans l'espace de l'ex-URSS, à l'exception des trois pays baltes, notamment grâce au gaz et au pétrole, mais aussi avec une présence militaire et une influence culturelle, qui reste forte.

La Russie a aussi noué des relations étroites avec la Chine, en particulier dans le cadre de l'Organisation de coopération de Shanghai, qui a notamment pour vocation de lutter contre le terrorisme d'inspiration islamiste et les affirmations séparatistes.

Elle a également établi une coopération avec l'Iran, notamment dans le domaine du nucléaire civil, et elle cherche à s'affirmer comme acteur au Proche-Orient et dans le monde musulman, en renouant avec ses anciens alliés, comme la Syrie, ou en tissant des coopérations avec les autres pays producteurs énergétiques, comme l'Algérie ou la Libye.

Si les relations avec les Etats-Unis se sont considérablement dégradées, notamment en raison de la question de l'élargissement de l'OTAN à la Géorgie, voire à l'Ukraine, de son opposition à l'indépendance du Kosovo ou encore à cause du projet d'installation d'élements du système américain de défense anti-missiles en Pologne et en République tchèque, le partenariat avec l'Union européenne, qui représente son premier partenaire commercial, conserve toute son importance aux yeux de la Russie.

La Russie et l'Union européenne sont liées par un accord de partenariat et de coopération, mais les différends se sont multipliés ces dernières années, comme l'illustrent les difficultés rencontrées au sujet de l'enclave russe de Kalinigrad ou vis-à-vis des minorités russophones dans les pays baltes.

Toutefois, l'Union européenne n'arrivant pas à parler d'une seule voix, en raison des divergences entre les Etats membres sur l'attitude à adopter vis-à-vis de la Russie, en particulier depuis l'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale, mais aussi à cause de leur plus ou moins grande dépendance énergétique à l'égard de la Russie, celle-ci tendant à privilégier les relations bilatérales avec les grands pays, comme l'Allemagne, le Royaume-Uni, la France ou l'Italie. En définitive, l'Union européenne fait souvent preuve d'une grande timidité à l'égard de la Russie, à la différence du Conseil de l'Europe, où la Russie est souvent critiquée, notamment devant la Cour européenne des droits de l'homme, où elle figure au premier rang des Etats en matière de plaintes pour violation des droits de l'homme.

En conclusion, M. Patrice Gélard a estimé que, si la Russie actuelle ne pouvait être qualifiée de véritable démocratie, à l'image des démocraties occidentales, ce pays n'avait jamais été aussi proche d'un régime démocratique dans toute son histoire.

La Russie a clairement fait le choix de la démocratie, de l'économie de marché et de l'Etat de droit et le choix d'un libéral, Dmitri Medvedev, pour succéder à Vladimir Poutine, plutôt qu'un représentant des forces de sécurité, comme Sergei Ivanov, semble confirmer le fait qu'elle ne reviendra pas en arrière, a-t-il souligné.

Toutefois, l'instauration de la démocratie et de l'Etat de droit est un processus qui prend du temps, surtout dans un pays dépourvu de toute tradition démocratique, qui est passé d'un régime autocratique à une dictature communiste et doté d'un immense territoire, a estimé M. Patrice Gélard.

En déplorant l'image très négative de la Russie véhiculée par les médias en Occident, M. Patrice Gélard a souligné que cette perception négative contrastait avec la forte popularité que Vladimir Poutine recueillait auprès de la population russe.

Il existe, en réalité, un profond malentendu entre la Russie et l'Occident, a-t-il souligné, qui explique que le discours sur les droits de l'homme est largement inaudible dans la Russie d'aujourd'hui. En témoigne un sondage récent réalisé en Russie, d'après lequel, à la question de savoir quel type de régime conviendrait le mieux à la Russie, 35 % des personnes interrogées répondent le système soviétique, 26 % le régime actuel et 16 % la démocratie de type occidental.

Cette perception négative de la démocratie et des valeurs occidentales s'explique par le fait que les années 1990, qui ont été marquées par l'instauration de la démocratie et du libéralisme économique, ont coïncidé avec l'effondrement de l'économie et des valeurs de l'ancien système, a estimé M. Patrice Gélard. De ce fait, on constate aujourd'hui une certaine confusion, dans l'opinion russe, à l'égard des notions de « démocratie » et de « droits de l'homme ». C'est à la lumière de cette différence de perception qu'il faut appréhender la situation politique actuelle de la Russie, qui peut s'apparenter à une sorte de « despotisme éclairé ».

Comment exiger d'un pays comme la Russie de réaliser en quelques années ce que les démocraties occidentales ont mis plusieurs siècles à accomplir, s'est-il interrogé. Et comment expliquer la différence de traitement avec d'autres pays comme la Chine, dont le régime est pourtant bien plus autoritaire que celui de la Russie, s'est demandé M. Patrice Gélard.

A l'issue de cette communication, un débat s'est engagé au sein de la commission.

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