Intervention de Claude Domeizel

Commission des affaires sociales — Réunion du 20 décembre 2006 : 1ère réunion
Union européenne — Questions sociales - Audition de M. Gérard Larcher ministre de l'emploi du travail et de l'insertion professionnelle des jeunes

Photo de Claude DomeizelClaude Domeizel, rapporteur :

Au préalable, M. Claude Domeizel, rapporteur, a justifié le souhait de la Mecss d'étudier, dès sa première année d'existence, la question de l'avenir de la compensation démographique vieillesse, qui mobilise environ 10 milliards d'euros par an au titre des transferts financiers opérés entre les régimes de retraite.

Trois raisons principales expliquent le choix de ce thème de travail : le souhait de faire oeuvre de pédagogie ; le constat suivant lequel ces mécanismes, créés il y a plusieurs décennies, demeurent très mal acceptés ; l'intérêt renouvelé sur cette question, avec la demande formulée depuis juin 2005 par les instances du fonds de financement des prestations sociales agricoles (Ffipsa) de revoir à leur profit les modalités de calcul de ces transferts.

Le rapport que la Mecss soumet à la commission est fondé sur le double constat que les objectifs initiaux de la compensation démographique n'ont pas été atteints et que le système créé il y a plus de trente ans apparaît aujourd'hui « à bout de souffle ». Au surplus, l'Etat a joué, depuis l'origine, un rôle discutable en détournant ces mécanismes de leur objet pour financer de véritables opérations de débudgétisation.

a rappelé que la compensation démographique recouvre, dans le débat public, deux mécanismes distincts dont les effets se cumulent : en premier lieu, la compensation généralisée, créée par la loi du 24 décembre 1974, qui concerne les salariés aussi bien que les non-salariés ; en second lieu, la compensation spécifique entre les seuls régimes spéciaux, plus connue sous le terme de « surcompensation », instituée par la loi de finances pour 1986. En 2005, les montants redistribués dans le cadre de la compensation et de la surcompensation ont atteint respectivement 8,4 milliards et 2 milliards d'euros.

La compensation généralisée trouve son origine dans l'incapacité des pouvoirs publics, depuis la Libération, à mettre en oeuvre le projet de régime de sécurité sociale unifié que prônait le conseil national de la Résistance. Ses mécanismes reposent sur un principe simple : la mise en place d'un régime unique fictif dans lequel les cotisants acquittent la même cotisation et les bénéficiaires touchent la même prestation, et où l'on ne prend en compte que les différences d'ordre démographique. Sont, en conséquence, contributeurs les régimes présentant un ratio démographique cotisants-retraités supérieur à la moyenne, et bénéficiaires ceux pour lesquels ce ratio est, au contraire, inférieur à la moyenne.

Pour être équitable, ce mode de calcul suppose toutefois la neutralisation des différences de niveaux de prestations dont bénéficient les ressortissants des régimes concernés : en conséquence, la prestation de référence retenue est la plus faible des prestations moyennes offertes par les caisses de retraite concernées et l'âge de départ à la retraite celui le plus élevé de ceux imposés par les régimes concernés, soit soixante-cinq ans.

En ce qui concerne la surcompensation, M. Claude Domeizel, rapporteur, a observé que le mécanisme créé en 1985 a soulevé d'emblée de vives objections sur le plan des principes, dans la mesure où il a été conçu sur l'idée très contestable d'une homogénéité de statut entre les régimes spéciaux. Ce postulat a débouché sur l'adoption de bases de calcul plus simples que pour la compensation : les effectifs de retraités de droit direct ont été pris en compte à partir de soixante ans ; les droits dérivés ont été ajoutés aux droits directs alors qu'ils sont exclus de la compensation généralisée au motif de la trop grande diversité de leurs conditions d'octroi ; la prestation de référence a été définie comme la moyenne des prestations servies par les régimes concernés. Tous ces éléments ont contribué à donner à la péréquation introduite par la surcompensation une portée beaucoup plus large qu'à celle de la compensation.

Le bilan des flux cumulés des mécanismes de « compensation » et de « surcompensation » fait apparaître un petit nombre de contributeurs nets. Il s'agit essentiellement du régime général, pour 5,1 milliards d'euros, c'est-à-dire 6,5 % de ses produits, de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) pour 2,6 milliards d'euros, soit plus de 20 % de ses produits, et de l'Etat, au titre de la fonction publique, pour 1,7 milliard d'euros, c'est-à-dire 4 % des charges de pensions du budget. Sont également concernées la caisse nationale des industries électriques et gazières pour 131 millions d'euros (4 % des produits du régime), la caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL) pour 371 millions d'euros, soit 32 % de ses produits, et la caisse nationale des barreaux français. Parmi les singularités de ces systèmes de péréquation figure la mise à contribution du régime spécial de la RATP au titre de la compensation comme de la surcompensation alors que ce régime perçoit parallèlement une subvention d'équilibre de l'Etat couvrant plus de la moitié des prestations de retraite versées à ses assurés.

La même concentration s'applique aux bénéficiaires, ce qui explique aisément les vives contestations dont ce système fait l'objet : les exploitants agricoles perçoivent en effet à eux seuls 4,3 milliards d'euros et les salariés agricoles 2,2 milliards d'euros, soit plus de 60 % des flux redistribués. Viennent ensuite les régimes des mines pour 1,2 milliard d'euros, des commerçants pour 0,9 milliard d'euros, des artisans (0,5 milliard d'euros) et de la SNCF (337 millions d'euros).

Dressant un bilan critique des compensations, M. Claude Domeizel, rapporteur, a estimé que leurs mécanismes, déjà entachés d'imperfections à l'origine, ont été de surcroît largement dévoyés au fil du temps. En effet, le fonctionnement des rouages de la compensation généralisée a pâti, dès 1974, de l'insuffisante connaissance et du manque de fiabilité des données qui devaient l'alimenter ainsi que de l'absence de prise en compte des capacités contributives des régimes. Le niveau des transferts financiers a en outre été affecté d'une très grande sensibilité à l'égard des paramètres de calcul.

Par ailleurs, la compensation a été conçue d'emblée par l'Etat comme une tuyauterie extra-budgétaire. En premier lieu, celui-ci a arrêté brutalement, en 1978, d'assurer la couverture financière du coût de la compensation pour la Cnav.

En second lieu, alors qu'au milieu des années quatre-vingt, la CNRACL disposait de plus de 18 milliards de francs d'excédents de trésorerie, la création de la surcompensation a permis à l'Etat d'absorber en quinze ans la totalité de ces réserves. Cette logique a même été poussée jusqu'à l'absurde par le ministère des finances, puisque cette caisse de retraite a accumulé d'énormes déficits, en dépit d'excellents ratios démographiques.

En troisième lieu, les règles de la compensation ont été à nouveau modifiées en 2002 par les pouvoirs publics, lorsqu'ils ont décidé l'intégration des chômeurs dans l'évaluation des cotisants de la Cnav. L'objectif a d'ailleurs été atteint : le régime général a accru sa contribution annuelle de 22 % (soit près de 900 millions d'euros) sur la période 2001/2005 et l'Etat, au titre des fonctionnaires civils et militaires ainsi que des ouvriers d'Etat, a réduit la sienne de 24 %.

Enfin, la crise du Ffipsa a conduit à rouvrir la boîte de Pandore de la compensation depuis juin 2005, en raison de la demande insistante des instances dirigeantes de ce fonds plaidant pour que son déficit soit comblé par une augmentation des transferts de compensation. Cette option a certes été fermement écartée par le rapport que M. Jean-François Chadelat a rédigé en son nom personnel, à la suite de l'échec du groupe de travail qu'il animait, mais la question n'a pas été pour autant tranchée par les pouvoirs publics. En conséquence, la Cnav, la CNRACL ainsi que les autres régimes contributeurs restent menacés par la perspective d'une ponction supplémentaire de 1 milliard d'euros par an.

En définitive, M. Claude Domeizel, rapporteur, a estimé qu'aujourd'hui plus encore qu'hier, ces mécanismes de transferts financiers sont confrontés à une profonde crise de légitimité.

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