Cette année encore, je vous remercie de m'offrir l'opportunité de présenter un point de situation sur la marine nationale. J'assure, sous l'autorité du chef d'état-major des armées, la responsabilité de la préparation des forces navales et aéronavales et un rôle de vigilance à l'égard de la cohérence organique de la marine.
C'est bien dans le cadre de ces attributions que je vous ferai part de mes observations sur le format de la marine et sur les ressources du BOP 178 21C « Marine » dans le PLF 2011. J'aborderai ensuite les enjeux et défis auxquels nous sommes confrontés. J'évoquerai enfin les mesures retenues et les voies explorées pour préserver la robustesse de notre marine.
S'agissant du format, j'observe tout d'abord que l'exécution budgétaire et les ajustements de ressources récents préservent les grands équilibres de la programmation :
- le format de la marine continue de reposer sur ses deux composantes majeures : la force océanique stratégique (FOST) et le groupe aéronaval. L'une de mes grandes satisfactions pour 2010 est la mise en service opérationnel du M51, avec l'entrée dans le cycle opérationnel du TERRIBLE prévue pour la fin de l'année ; la FOST disposera ainsi de quatre SNLE de même génération ;
- le 3ème BARRACUDA sera commandé en 2011 ;
- la composante des quatre grands bâtiments amphibie sera rajeunie avec la livraison du BPC DIXMUDE prévue en 2012. Je dois saluer les performances des Chantiers de l'Atlantique puisque la coque de ce navire a déjà flotté ;
- avec la mise au point du système de combat du CHEVALIER PAUL, nous devrions disposer bientôt de quatre frégates anti-aériennes opérationnelles ;
- enfin, la livraison des RAFALE M se poursuit et celle, très attendue, des NH 90 débute avec les premières mises en service fin 2011 - 2012.
Mais si les grands équilibres de la marine sont préservés, la cohérence globale de notre format est néanmoins fragilisée, notamment par les efforts supplémentaires imposés par la programmation budgétaire triennale 2011-2013.
S'agissant de la flotte, je relève plus particulièrement :
- la prolongation des SNA de type Rubis, prévus pour être utilisés durant 25 ans, et qui le seront pendant 35, c'est-à-dire aux limites du possible, dans l'attente de la livraison des six BARRACUDA (entre 2017 et 2027) ;
- les ruptures temporaires de capacité dans la composante frégates, induites par l'étalement du programme FREMM (de 2012 à 2022 - 15 à 16 frégates pendant les 10 ans à venir) qui avaient été anticipées dans la Loi de Programmation Militaire (LPM) sont en train de se produire : il manquera 2 frégates en moyenne par an sur la période considérée. Il en va de même dans la guerre des mines et dans les forces de souveraineté outre-mer.
S'agissant de l'aéronautique navale :
- le calendrier de livraison des RAFALE F3, avec 34 aéronefs livrés en 2015, et un retrait inéluctable du service du Super Etendard d'ici à 2015, ne permet pas d'atteindre le seuil critique de pérennité du groupe aérien embarqué qui est de 45 aéronefs ;
- le format des 22 ATL2 est insuffisant au regard de leur faible disponibilité et de leur très forte sollicitation, notamment au profit de missions de surveillance de la zone sahélienne, qui ne constituent évidemment pas leur mission première qui est la surveillance et la sûreté en mer et non celle des terres.
- le retrait du service des N 262, sans remplacement jusqu'à la transformation de quatre FALCON 50 gouvernementaux en avions de surveillance maritime entre 2012 et 2015 ; aujourd'hui, la surveillance de la zone méditerranéenne est effectuée par les avions des douanes ;
- enfin, les retards pris par l'industriel dans le programme NH90, en dépit des avertissements exprimés par la marine en temps et en heure sur les conséquences de cette rupture capacitaire, affectent lourdement le parc des hélicoptères : l'âge moyen des LYNX est de 28 ans et deux EC 225 ont dû être acquis à titre temporaire pour assurer les missions de sauvetage en remplacement des SUPER FRELON. Je ne peux que me féliciter de la collaboration de la Direction générale de l'armement (DGA) qui nous a permis ces deux acquisitions dans des délais très courts, mais je regrette vivement que le constructeur n'ait pas mieux anticipé le besoin opérationnel de la Marine.
Dans le domaine strictement budgétaire du BOP 178 21C « marine », je note que le niveau des ressources du PLF 2011 (4,2 milliards d'euros de crédits de paiement en 2011) est en dessous de la stricte suffisance pour l'entretien programmé du matériel. Il pénalisera le recomplètement des rechanges et la disponibilité (environ 80 jours par an d'indisponibilités accidentelles supplémentaires prévisible en 2011 pour les bâtiments).
Le budget de fonctionnement lié à l'activité, hors combustibles et carburants dotés à hauteur des besoins, sera soumis à forte pression. En période de difficultés budgétaires, on peut faire certaines impasses sur la maintenance préventive, sachant que l'on prend alors le risque de voir augmenter la part des indisponibilités accidentelles. La conséquence est que la marge pour aléas sera réduite.
De ce fait, les 100 jours annuels de navigation, prévus par notre contrat opérationnel, seront réduits à 90.
Enfin, le titre 2 (2,49 milliards d'euros), qui intègre les transferts et la déflation des effectifs pour environ 2 600 emplois, est, cette année encore, légèrement sous doté.
Dans ce contexte contraint, la marine doit relever plusieurs défis. J'estime que les plus exigeants sont :
· le maintien d'une activité soutenue en réponse au contrat opérationnel d'intervention, avec un potentiel sous forte tension (- 15 % sur les frégates fortement armées, - 15 % sur les SNA avec l'arrêt programmé d'un SNA 9 mois, hors période d'entretien).
En complément du porte-avions Charles de Gaulle qui a appareillé pour un déploiement Agapanthe en Océan indien et outre les opérations permanentes de la marine, la programmation prévoit la poursuite de notre participation aux opérations Enduring Freedom, Atalanta et Corymbe, opération déployée dans le golfe de Guinée depuis 25 ans. En conséquence, le potentiel à consacrer à l'entraînement diminue. La marine éprouve des difficultés à assurer un entraînement de haut niveau dans tous les domaines. Une érosion de certains savoir-faire risque de se manifester, notamment dans le haut du spectre comme la lutte anti sous-marine et la guerre des mines.
· La maîtrise des coûts du MCO représente également un enjeu majeur. Aujourd'hui, la situation du MCO est toujours critique, en dépit du soin apporté à limiter la pression budgétaire sur ce volet et des mesures prises pour en limiter la charge, qui conjuguent ralliement anticipé du format, réduction du potentiel et diminution de l'activité. C'est un sujet récurrent. Les difficultés viennent notamment des frais fixes liés aux installations techniques portuaires que doivent supporter les industriels et qui sont dimensionnées pour le temps de crise. Nous travaillons avec l'industriel pour une diversification et une meilleure utilisation des installations - les cales sèches par exemple- qui ne sont pas utilisées toute l'année par la Marine. Une telle diversification permettrait évidemment de baisser les frais fixes.
Certes, le taux de disponibilité de la flotte se maintient à plus de 70 % depuis trois ans, mais la faible disponibilité des armes-équipements persiste. La disponibilité des aéronefs est néanmoins la plus préoccupante du fait de l'ancienneté globale du parc qui entraîne une hausse quelquefois exponentielle des coûts de maintenance. Elle peine à se maintenir au dessus de 50 %, malgré la réduction du parc et une légère diminution de l'activité depuis 2010.
L'étalement des programmes confronte en effet le MCO au double effet du vieillissement et de la sophistication, auquel s'ajoute le poids croissant des normes et de la réglementation. Le coût du traitement des obsolescences et des mises aux normes des équipements les plus anciens (navigabilité des aéronefs, adaptation aux normes environnementales des bâtiments) est important.
Il faut relever que la création de la SIMMAD est très positive, mais il faut lui laisser le temps de produire ses effets. Autre facteur sensible, celui de la concurrence. Si dans le domaine du MCO naval, DCNS ne détient plus la totalité des marchés (85 %), le MCO aéronautique souffre d'une situation non concurrentielle, illustrée par la hausse continue du coût des rechanges (+5 % par an en moyenne sur 5 ans), qui pénalise leur réparation (1/2 réparé actuellement).
· La mise en oeuvre des réformes constitue un enjeu important et la marine y prend toute sa part. L'année 2011 verra ainsi la création de la base de défense de Toulon, la fermeture de la base de l'aéronautique navale de Nîmes-Garons et des établissements de Toussus-le-Noble et Dugny.
· Enfin, la marine n'est rien sans ses équipages et c'est dans la gestion des ressources humaines que les principaux défis se concentrent pour en maintenir la qualité :
- l'objectif fixé à la marine est de réduire ses effectifs pour atteindre 44 000 marins (37 000 militaires et 7 000 civils) en 2015, soit -12 % au rythme de 850 suppressions de postes par an. L'effort est réparti entre rationalisation pour 2/3 (RGPP) et réduction du format pour 1/3 (Livre blanc) ;
- La manoeuvre RH doit cependant préserver le flux des entrées et des sorties, indispensable au maintien de la jeunesse de nos équipages, dans le contexte peu favorable de la réforme des retraites. La moyenne d'âge actuelle est de 28 ans et il ne serait pas raisonnable de la laisser dériver puisque l'âge est un des critères clé de la performance à la mer. La régulation se fait donc sur le taux de sortie, avec le non renouvellement de certains contrats dans un contexte de plus en plus concurrentiel. Le personnel concerné est accompagné dans sa reconversion.
- Elle doit simultanément fidéliser un large spectre de savoir-faire et de compétences, particulièrement dans les spécialités critiques, et ceci non seulement dans le domaine nucléaire (la marine est le 2ème exploitant nucléaire en Europe par le nombre de ses installations), mais dans bon nombre de spécialités, vitales pour le maintien de nos capacités opérationnelles, notamment la lutte anti-sous-marine.
Compte tenu de la polyvalence de notre marine qui compte plus d'une trentaine de métiers, la manoeuvre à mettre en place constitue un défi sans précédent.
Face à ces difficultés, il nous faut être innovant.
Plusieurs démarches ont été entreprises pour développer de nouvelles synergies et diversifier nos modes de coopération :
· Dans le domaine du MCO, les grands contrats signés en 2010 (SNLE, SNA, FLF, M88) achèvent le cycle de renouvellement entamé en 2009. Cette politique contractuelle, visant à donner aux titulaires une visibilité accrue sur leur plan de charge, tout en consolidant leur engagement et le partage des risques, sera poursuivie.
· Parallèlement, d'autres voies sont explorées. La marine s'efforce ainsi d'établir de véritables partenariats innovants avec les industriels :
- en s'adossant au SIAé, auquel seront transférés, dès le début de l'année 2011 les ateliers et une grande partie du personnel technique de la marine (950 personnes) ;
- avec DCNS, notamment dans l'emploi des compétences dans le secteur des hautes technologies navales et dans la recherche d'une rentabilisation de l'exploitation des infrastructures industrielles portuaires.
Le partenariat avec DCNS est d'ailleurs pleinement intégré au plan « dispo flotte » lancé en février 2010, conjointement avec le SSF et les autorités organiques, qui vise à dégager des mesures d'amélioration de la productivité du MCO naval.
Dans le même esprit, nous faisons bon accueil à sa proposition de mise à disposition de l'OPV HERMES, sur 3 ans à partir de fin 2011 ; Ce partenariat a d'ailleurs été conclu lors du récent salon Euronaval.
· Avec les autres armées, nous jouons pleinement le jeu de la coopération pour le MCO et l'exploitation des équipements. Nécessaire, celle-ci se met en place, notamment en matière de navigabilité des aéronefs, en interarmées, et de gestion optimisée de la flotte RAFALE, avec l'armée de l'air.
· Dans le domaine de l'action de l'Etat en mer, où la marine s'attache depuis longtemps à développer des synergies avec les autres administrations, dans une logique de complémentarité, l'année 2011 verra la montée en puissance du centre opérationnel de la fonction garde-côtes. Opérationnel depuis le 1er septembre 2010, ce centre représente une avancée très significative. Il est l'aboutissement d'un remarquable travail mené avec les affaires maritimes, les douanes, la gendarmerie, la direction de la sécurité civile et la police nationale. Hébergé à l'état-major de la marine et placé sous la responsabilité du secrétariat général à la Mer, c'est un outil sans précédent de collecte et de partage de l'information maritime avec l'ensemble des administrations, et une structure légère, d'une dizaine de personnes. Il aidera à dynamiser nos échanges avec nos partenaires européens et à créer des synergies de moyens.
· En matière de coopération internationale, outre le soutien à l'export dans une communauté d'intérêts avec les industriels de la défense, la contrainte financière du coût de la déconstruction nous incite à encourager la vente des matériels que nous désarmons. Nous nous y employons avec l'EMA.
D'autre part, et au-delà de la conduite de programmes d'armement, la crise économique ouvre des perspectives de coopération accrue avec nos grands partenaires étrangers aux niveaux stratégique et opérationnel, dans une démarche d'économie de moyens. Avec la Royal Navy, nous nous engageons en effet dans un processus de coopération bilatérale renforcé.
Deux traités ont été signés le 2 novembre dernier. L'un va engager nos forces de premier rang à travailler beaucoup plus étroitement ensemble, en particulier à partir du groupe aérien constitué autour du Charles de Gaulle puis, au début des années 2020, au sein d'une force aéronavale franco-britannique composée d'éléments des deux pays, puisque les britanniques ont décidé d'équiper leur futur porte-avions de catapultes et de brins d'arrêt.
L'autre porte sur notre coopération dans le domaine des technologies liées à la gestion des arsenaux nucléaires. Car, même si nous conserverons une dissuasion nucléaire indépendante, il nous faut rechercher plus d'efficacité dans l'infrastructure nécessaire pour développer et soutenir nos deux dissuasions.
· Enfin, dans le domaine de la formation, le groupe école d'application des officiers de marine fonctionne maintenant sur un mode de rentabilité opérationnelle. D'autres voies d'optimisation sont explorées, naturellement en interarmées, mais également par le biais d'un rapprochement avec la marine marchande et le recours accru aux solutions techniques en ingénierie de formation. L'abandon de la Jeanne d'Arc a conduit à une solution alternative, avec la formation en 2010 sur le BPC Tonnerre, qui sera reconduite en février 2011 sur le Mistral. Celle-ci s'avère très satisfaisante.
En conclusion de mon propos, je voudrais insister sur le fait qu'en 2011, la marine va poursuivre avec détermination l'effort d'adaptation qu'elle a entrepris depuis 2008.
Mais, les préoccupations sont nombreuses. Certaines faiblesses persistent, tandis que d'autres se font jour. Si elles sont encore peu visibles, leurs effets risquent d'être lourds à moyen terme. Aujourd'hui, mes deux soucis majeurs sont :
- la maîtrise des coûts du MCO, plus particulièrement aéronautique, qui constitue un point de fragilité ;
- et la préservation de la robustesse des forces vives de la marine. Certains métiers essentiels sont représentés par des microflux de quelques dizaines de personnes, comme les chimistes nucléaires, les sollicitations opérationnelles conduisent parfois à une réduction de l'entraînement, avec le risque d'une perte durable, et des savoir-faire, et de la qualification des équipages.
Pour autant, nous maintenons notre cap. En ce moment, nos composantes de Patrouille et de Surveillance maritimes participent aux opérations au dessus du Niger. Nous assurons le commandement à la mer de l'opération européenne Atalanta de lutte contre la piraterie maritime. Et dans le domaine de l'action de l'Etat en mer, les chiffres de l'année 2009 témoignent de notre engagement : 275 personnes secourues, huit navires déroutés dans le cadre d'opérations contre le narcotrafic, plus de sept tonnes de stupéfiants saisies, 58 embarcations interceptées et 1 478 immigrants clandestins remis à la police de l'air et des frontières.
Mais la tension entre les sollicitations opérationnelles et les moyens disponibles, notamment dans les domaines de la lutte contre le terrorisme et de l'action de l'Etat en mer, est aujourd'hui très forte. L'actualité des opérations au Sahel qui, au plus fort de la crise, a mobilisé un potentiel important d`aéronefs de patrouille maritime illustre bien cette situation. Elle alimente l'inévitable débat qui s'annonce pour s'adapter, dans les trois prochaines années, aux nouvelles restrictions budgétaires et en évaluer les conséquences opérationnelles, tout en gardant les savoir-faire d'une marine océanique.
Le travail intense qui est effectué ne doit pas nous faire perdre de vue l'avenir. Je reste confiant, même si la mer est agitée et l'allure peu confortable, le bateau est solide, l'équipage superbe et le commander est un bonheur de tous les jours.