Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 10 novembre 2010 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • marine
  • mer
  • royaume-uni

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

À l'invitation du président de la République, je me suis rendu à Londres où j'ai pu participer aux réunions du sommet franco-britannique du 2 novembre dernier. Notre collègue Guy Tessier, président de la commission de la défense de l'Assemblée nationale était également présent, comme nos homologues de la chambre des Communes et de la chambre des Lords.

Dans le contexte de difficultés financières et de restrictions budgétaires, qui a pu faire qualifier ce sommet « d'entente frugale », cette réunion a été essentiellement consacrée à la coopération de défense et de sécurité.

Il s'est conclu par une déclaration commune et par la signature de deux traités dont je vous ai fait distribuer copie à la fin de la semaine dernière et qui devraient être rendus publics ce matin.

Vous vous souvenez qu'en février dernier nous nous étions rendus, Daniel Reiner et moi-même, à Londres pour évaluer les voies et moyens du renforcement de notre coopération militaire dont la relance avait été souhaitée par le Livre vert adopté par le gouvernement travailliste de l'époque. Cette volonté a été totalement endossée par le gouvernement conservateur de M. Cameron. Il existe donc un très large consensus politique sur ce point outre manche. Le rapport d'information que nous avons publié en juillet dernier décrivait un certain nombre de pistes de coopération que le sommet de Londres a concrétisées et élargies.

Avant d'en venir à la présentation du contenu de ces accords je souhaite faire trois remarques liminaires.

En premier, lieu il est évident que ces accords n'auraient pas été possibles si nous n'avions pas pris la décision de réintégrer totalement les structures de l'OTAN. Cette décision a levé une hypothèque : celle de l'existence d'un « agenda caché » de la France à l'OTAN, particulièrement vivace dans les milieux conservateurs britanniques. Aujourd'hui, la situation semble inversée puisque la déclaration du sommet de Londres souligne non seulement la convergence d'analyse entre les deux pays pour la réforme de l'OTAN, pour son concept stratégique, sa gouvernance financière ou la réforme de ses agences mais indique de la manière la plus claire que les forces nucléaires stratégiques indépendantes des deux pays, qui ont un rôle de dissuasion propre, contribuent à la dissuasion globale. Elle affirme que « tant qu'il existera des armes nucléaires, l'OTAN demeurera une alliance nucléaire. » Elle rappelle enfin que la défense antimissile est un complément et non un substitut à la dissuasion. Position commune que ne partagent pas, comme vous le savez, nos partenaires allemands. Comment pourrait-on imaginer cette convergence de vues et d'analyses sans la confiance rétablie par la décision prise par notre pays de réintégrer pleinement les structures de l'OTAN ?

Ma seconde remarque est que l'initiative franco-britannique contribuera au renforcement des capacités de défense de l'Union européenne comme de l'OTAN. La démarche bilatérale qui a été retenue va de paire avec la recherche de solutions multinationales au sein de l'OTAN et de l'Union européenne. Il est, en effet, évident que tout renforcement des capacités participe au renforcement de celles des deux organisations.

Au sein de l'Union européenne, nos deux pays consacrent approximativement 2 % de leur PIB à la défense. Ils représentent 50 % des dépenses de défense des 27 et les deux tiers des dépenses de recherche et développement. Ils jouent donc naturellement un rôle leader en matière de sécurité et de défense. Le renforcement de leurs capacités et de leur coopération participe naturellement au renforcement de la politique de sécurité et de défense commune. Il en va de même à l'OTAN.

Il a été très clair, tout au long du Sommet, que la coopération entre nos deux pays demeure ouverte à nos partenaires européens et, en particulier, à l'Allemagne et à l'Italie. Dans l'esprit de nos deux pays la démarche bilatérale de ces deux nations leaders doit encourager toutes les nations européennes à s'engager avec détermination sur la voie de la coopération et de la mutualisation. Cette coopération a vocation à renforcer l'Union européenne.

C'est en unissant nos forces que nous pourrons maintenir notre autonomie stratégique, enrayer la baisse des moyens de défense en Europe et rester un partenaire crédible pour nos alliés et, au premier chef, vis-à-vis des États-Unis.

Troisième remarque, cette coopération va bien au-delà des accords de Saint-Malo et de leurs résultats concrets. Elle crée une véritable interdépendance entre les deux pays tout en respectant la souveraineté de chacun. La déclaration franco-britannique le dit de manière très claire : « nous n'envisageons aucune situation où les intérêts vitaux de l'une de nos deux nations pourraient être menacés sans que ceux de l'autre le soient aussi. » Cette interdépendance s'inscrit en matière bilatérale, comme au sein de l'Union européenne ou de l'OTAN, dans le rappel du principe que le contrôle des forces armées, la décision de les employer et le recours à la force relèveront toujours de la souveraineté nationale. Il n'y a donc aucune ambiguïté sur ce point.

Compte tenu des enjeux de souveraineté, les modalités de cette coopération ont été inscrites dans deux traités et une lettre d'intention :

- un traité de coopération en matière de défense et de sécurité qui vise à développer la coopération entre nos forces armées, le partage et la mutualisation de matériels et d'équipement, la construction d'installations communes et l'accès mutuel à nos marchés de défense et la coopération industrielle et technologique ;

- un traité relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes. L'objectif est de coopérer dans les technologies liées à la gestion des arsenaux nucléaires afin de garantir la capacité de dissuasion nucléaire indépendante respective ;

- enfin, une lettre d'intention porte sur la création d'un nouveau cadre d'échanges entre nos forces armées sur des questions opérationnelles.

Les projets de coopération concernent l'ensemble des domaines de défense.

En matière opérationnelle cela passe par l'organisation d'exercices conjoints (comme Flandres 2011) mais surtout par la mise en place d'une force expéditionnaire interarmées conjointe et par l'amélioration de notre interopérabilité navale qui permettra, à terme, à nos avions d'opérer indistinctement à partir du porte-avions britannique ou du Charles-de-Gaulle.

En matière capacitaire, la mutualisation du soutien de l'A400M et la coopération pour l'entraînement des équipages est prévue aux cotés d'un arrangement technique sur les satellites militaires de communication, de la coopération dans le domaine de la guerre des mines, du développement conjoint de technologies pour la prochaine génération de sous-marins nucléaires et de la possibilité d'utiliser les capacités excédentaires du programme britannique de ravitaillement en vol pour répondre aux besoins de la France en la matière.

Un des éléments clés de la coopération concernera les drones MALE ainsi que des études sur le remplacement des avions de type Rafale-Typhoon.

En matière de recherche et technologies la poursuite de notre coopération est prévue avec l'identification de domaines prioritaires de coopération pour les deux prochaines années. Les deux pays s'engagent à investir environ 50 millions d'euros chaque année dans ce domaine.

S'agissant du volet industriel les accords portent sur le renforcement et la rationalisation de notre coopération sur les missiles et armes complexes (notamment par la mise en place d'une entité ONE MBDA sur la base de MBDA UK et de MBDA France).

Enfin, un cadre de coopération commun sur la cyber-défense sera défini.

Des mécanismes prévoyant la comparaison en amont des projets en matière de capacités militaires et une consultation avant toute décision permettront de maximiser les chances de coopération à l'avenir et de favoriser l'acquisition d'équipements identiques. De plus, le traité prévoit de faciliter les transferts d'équipements, l'accès aux marchés et de promouvoir l'exportation des équipements produits en commun.

Le second traité porte sur la coopération dans les technologies liées à la gestion des arsenaux nucléaires afin de garantir la capacité de dissuasion nucléaire indépendante respective. Une coopération de grande envergure va être lancée pour utiliser de manière conjointe les installations communes de Valduc où seront modélisées la performance de nos têtes nucléaires et des équipements associés, afin d'en assurer la viabilité, la sécurité et la sûreté à long terme. Un centre de développement technologique commun, installé au Royaume-Uni, à Aldermaston, sera également mis en place pour soutenir ce projet.

Ce traité, qui a été conclu pour une durée de 50 ans, c'est-à-dire pour la durée de vie de l'installation, permettra un partage des coûts qui devrait conduire à des économies estimées à 500 millions d'euros pour la France.

Pour conclure, je voudrais insister sur la dimension parlementaire que nous pourrions donner à cette relance de nos relations.

En premier lieu il s'agit de la ratification de ces traités qui devraient être soumis à l'approbation du Parlement. En droit strict, seul le traité relatif au nucléaire, qui comporte des engagements et des conséquences financières, doit être juridiquement soumis à nos assemblées.

La procédure en Grande-Bretagne permet une ratification simple et rapide puisqu'il existe une exigence que le gouvernement soumette les traités à l'examen du Parlement pendant 21 jours francs à compter de leur signature, avec ou sans débat pendant cette période, aux termes de laquelle la ratification peut être parachevée.

De notre côté, le dispositif est plus lourd puisqu'il implique une saisine du Conseil d'État puis l'adoption en Conseil des ministres de projets de loi portant autorisation de ratifier, le dépôt sur le bureau de l'une ou l'autre des assemblées et le vote de ces textes.

Compte tenu de ces procédures parlementaires différentes, il me semble que le gouvernement devrait accélérer le processus de dépôt et d'examen devant les assemblées.

Enfin, dans le rapport d'information de notre commission nous avions proposé la constitution d'un groupe de travail commun aux quatre commissions de la chambre des Communes, de la chambre des Lords, de l'Assemblée nationale et du Sénat pour suivre le développement et l'approfondissement de la coopération franco-britannique.

J'ai donc proposé, avec Guy Teissier, la création de cette structure informelle à nos homologues britanniques James Arbuthnot et Lord Teverson qui ont bien voulu l'accepter.

Nous avons fixé d'un commun accord la première réunion de ce groupe au mercredi 8 décembre prochain. À la demande de nos amis britanniques ce groupe de suivi doit être une structure légère et nous avons convenu qu'il serait composé, pour chaque assemblée, du président de la commission et de deux autres membres représentant respectivement la majorité et l'opposition. Si la commission en est d'accord et, compte tenu de la dominante capacitaire et industrielle de cette coopération, je vous propose de désigner nos collègues Xavier Pintat et Daniel Reiner qui sont nos deux rapporteurs pour le programme 146.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

Je m'interroge sur les conséquences de cet accord franco-britannique et sur le devenir de la défense européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

nous pouvons bien sûr avoir une vision idéale de la défense européenne où les 27 pays de l'Union participeraient à l'élaboration de leur défense commune en utilisant les instruments du traité de Lisbonne. Force est de constater que cette approche ne fonctionne pas. À côté de celle-ci existe une voie pragmatique qui consiste à organiser un renforcement de la coopération qui débute de manière bilatérale mais qui est ouvert à la participation d'autres pays, en particulier l'Allemagne et l'Italie. Le chef d'état-major de l'armée britannique l'a indiqué de manière très claire à Londres. Cela étant, les positions prises par l'Allemagne en matière de nucléaire peuvent créer des difficultés.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

l'accord entre la France et le Royaume-Uni ne me choque pas en tant que tel mais je n'y lis pas une stratégie claire de notre pays. Avec le choix de la réintégration au sein de l'OTAN nous donnons l'impression d'abandonner l'Europe puis, à présent, de passer à une coopération bilatérale. S'oriente-t-on vers la multiplication des accords bilatéraux avec le Royaume-Uni et avec d'autres pays ? Continue-t-on à aller vers la constitution de forces européennes ? Jusqu'au compte-t-on aller, dans quels domaines et de quelle manière ?

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Ces questions sont en effet importantes et doivent être placées dans le contexte de l'accord. Les Anglais agissent avec le pragmatisme mais cet accord n'a été rendu possible que par la réintégration de notre pays dans l'OTAN. Le président James Arbuthnot nous l'a très clairement indiqué. De plus, nos deux pays sont particulièrement conscients des difficultés budgétaires et de la nécessité du redressement de nos finances publiques. Sans un renforcement de la coopération et sans mutualisation, nos défenses risquent de ne plus peser dans le monde.

La stratégie française me paraît très claire : il nous faut compter dans l'OTAN face aux Etats-Unis et créer un pôle européen de défense. Il y a une interaction évidente entre l'Europe de la défense et l'OTAN. Le renforcement des capacités de nos deux pays renforce évidemment les capacités de défense de l'Union européenne comme de l'OTAN

Nos deux pays sont en plein accord sur le concept stratégique de l'OTAN et sur le fait que la dissuasion constitue le socle de la défense collective. Les forces nucléaires françaises et anglaises participent à la dissuasion globale. Vous savez que cette position n'est pas partagée par l'Allemagne qui pense que la défense antimissile peut se substituer à la dissuasion. La stratégie de nos deux pays me paraît donc très clairement affirmée. La France et le Royaume-Uni sont les deux piliers autour desquels s'agrègent les autres pays pour construire une défense commune. Ce socle permettra un dialogue plus équilibré et plus crédible avec les États-Unis.

Debut de section - PermalienPhoto de André Trillard

Les aspects industriels et de mises en commun des technologies sont particulièrement importants pour construire une industrie européenne de la défense autour des deux pays nucléaires que sont la France et le Royaume-Uni et auquel d'autres pays pourront s'agréger.

Debut de section - PermalienPhoto de André Vantomme

Il me semble que cet accord repose sur le pari d'un relâchement du lien entre le Royaume-Uni et les États-Unis qui n'est pas avéré. Par ailleurs, de nombreux pays européens refusent de participer à leur propre défense et préfère se réfugier derrière l'OTAN.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

C'est effectivement la situation que nous connaissons aujourd'hui où un certain nombre de pays ont relâché leur effort de défense. Cela étant, il arrivera un moment où les Etats-Unis renonceront à financer sur leur propre budget la défense européenne.

La relation spéciale qui unit le Royaume-Uni et les Etats-Unis repose sur des liens historiques et une histoire partagée. Elle continuera à exister de manière forte. La continuité de cette relation n'empêche pas les Britanniques de tenir compte de l'évolution du monde et du changement de tropisme des Etats-Unis dont l'intérêt bascule vers le Pacifique et vers l'Asie. L'Europe, qui n'est plus directement menacée, ne constitue plus une priorité et le contribuable américain souhaite que ses impôts soient utilisés d'abord à assurer sa propre sécurité nationale puis à financer en priorité les dépenses de défense contre les pays qui constituent une menace. La défense européenne ne peut être conçue sans le Royaume-Uni comme acteur majeur de la politique de sécurité et de défense commune.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

J'approuve cet accord en toute lucidité. La coopération entre les deux pays a toujours été difficile comme l'ont montré les suites de l'accord de Saint-Malo. Cette coopération se concrétisera s'il y a un accord profond des gouvernements, des opinions et des états-majors et si elle repose sur un climat de confiance. La France, comme le Royaume-Uni dont la souveraineté est intacte, doit garder son autonomie de décision.

Il ne faut pas se cacher les questions que cette alliance pose hors coopération nucléaire qui est d'un intérêt mutuel. Quelles vont être les règles d'engagement communes du groupe aéronaval comme de la force expéditionnaire conjointe ? Le Royaume-Uni continue à manifester une grande méfiance pour le concept de défense européenne alors que la France en est partisane. Il y a donc un risque de malentendu. On ne peut affirmer que cet accord participe à la construction de l'Union européenne de la défense même si le principal handicap vient plutôt de l'Allemagne dont l'effort est très faible, qui abandonne son système de conscription et qui est opposée à la force nucléaire de dissuasion.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Ce débat devra évidemment être poursuivi. Mais je suis persuadé que s'il existe une chance de construire une politique européenne de défense cela ne peut passer que par l'accord franco britannique. Je vous rappelle qu'au moment de la guerre des Malouines la France n'a pas ménagé son soutien au Royaume-Uni. Quant à l'Irak nous avons décidé de ne pas nous engager en toute souveraineté. Je rappelle que la France conserve en toute occasion le contrôle ultime sur l'emploi de ses forces et que l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord n'emporte aucune automaticité dans l'engagement militaire puisqu'il laisse à chaque Etat membre le choix des moyens en cas d'agression contre l'un des alliés. C'est en quelque sorte un engagement moral.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Cet accord très pragmatique est une bonne chose. Dans quels domaines ces traités s'appliqueront-ils à un moment où se met en place le service européen d'action extérieure.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Les domaines d'application de ce traité sont très variés et couvrent l'ensemble de ce qui a été identifié comme une menace pour notre sécurité au sein de l'union européenne comme de l'OTAN.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

L'opinion publique ne va-t-elle pas identifier cet accord comme un revirement par rapport à la politique de coopération précédente avec l'Allemagne ?

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Cet accord n'est tourné contre aucun autre pays. Il ne constitue pas un revirement mais une approche pragmatique visant à faire ensemble ce que l'on ne peut plus faire seul. Le fait de le faire autour des deux pays qui totalisent 50% des dépenses de défense et les 2/3 de la R&T est une évidence. Nous avons effectivement un devoir d'information de nos opinions publiques et c'est l'une des raisons pour lesquelles je crois qu'il est important que nous mettions en place notre groupe parlementaire de suivi afin de contrôler les actions que cette coopération mettra en oeuvre.

Debut de section - PermalienPhoto de Josette Durrieu

Les Etats-Unis disent depuis longtemps que l'Europe doit s'organiser elle-même pour assurer sa défense et partager le fardeau des dépenses de défense mais l'Europe ne veut pas l'entendre. La Grande-Bretagne a pris conscience de la réorientation stratégique des Etats-Unis vers l'Asie.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Badinter

j'avoue mon scepticisme sur cette coopération renforcée qui est plutôt une coopération bilatérale renforcée qui deviendra peut-être tri ou quadrilatérale à terme. Il semble que personne ne croit plus à une Europe de la défense. Entre la France et le Royaume-Uni il s'agit d'un pacte de raison, pas d'un mariage de raison mais plutôt d'un PACS.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Comme vous le savez, la défense anti-missile balistique sera l'un des principaux thèmes du sommet de l'OTAN, à Lisbonne les 19 et 20 novembre prochains. C'est un sujet complexe, mais ô combien important !

J'ai voulu vous réunir aujourd'hui à nouveau sur ce sujet pour trois raisons.

La première est de nous remettre en mémoire les auditions que nous avons organisées au mois de juin dernier et, au-delà de notre commission, d'en faire profiter l'ensemble de nos collègues au moyen d'un rapport écrit.

La deuxième est de préparer du mieux possible le débat que le groupe socialiste a demandé sur la défense anti-missile et qui aura lieu le 15 novembre prochain. Je vais vous présenter dans quelques instants les enseignements que j'ai tirés, à titre personnel, de notre premier cycle d'auditions. Cela nous donnera l'occasion de mesurer nos points d'accord et nos points de désaccord. Opinions divergentes et convergentes pourront ainsi s'exprimer en séance publique, de façon plus éclairée. C'est une sorte de travail législatif et de contrôle en amont, qui m'a paru de bonne méthode pour accroître l'efficacité de nos délibérations publiques.

La troisième raison enfin, est de vous proposer de constituer une mission d'information composée par ceux d'entre vous qui ont le plus travaillé sur cette question. Cette mission étudiera dans le détail les solutions techniques qui s'offrent à nous et fera rapport à notre commission, dans un horizon temporel de six mois, c'est-à-dire vers le mois de mai prochain.

Je vais donc vous présenter les enseignements que j'ai retenus de nos auditions. Je me suis efforcé de le faire dans les termes les plus équilibrés possibles et compte tenu de la perspective d'une mission d'information beaucoup plus approfondie, je limiterai mon propos aujourd'hui à trois séries de considérations générales ayant pour objet :

- de mesurer les enjeux de la défense anti-missile ;

- d'évaluer les risques de notre participation et les confronter à ceux d'une non-participation ;

- de considérer les principales orientations devant guider la position de la France à l'OTAN lors du sommet de Lisbonne et ultérieurement.

Les enjeux sont à la fois militaires, économiques et stratégiques. La DAMB est un outil militaire dont l'intérêt va aller croissant.

En effet, aujourd'hui, la menace balistique sur le territoire national ou même sur le territoire européen par des pays proliférants est faible. Ce n'est pas tant notre territoire national qui peut être menacé que nos forces déployées en opérations extérieures, nos points d'appui au Moyen-Orient et en Afrique et nos alliés dans cette région du monde. En revanche, le risque existe dès aujourd'hui d'être pris, par le jeu des alliances ou par une attaque directe de nos forces, dans l'engrenage d'une attaque balistique au Moyen-Orient. A elle seule, cette menace justifie l'acquisition d'une capacité de défense anti-missile de théâtre pour la protection des forces déployées et des points sensibles, dont la France a déjà décidé de se doter à travers le programme sol-air moyenne portée/terrestre (SAMP/T), programme qui poursuit son développement de façon satisfaisante.

A l'horizon 2020, il nous faut envisager d'autres scénarii dans lesquels un adversaire potentiel utiliserait ses capacités balistiques pour frapper directement le territoire national. Dans ce cas, évidemment, la dissuasion nucléaire, garantie ultime de nos intérêts vitaux, restera l'instrument le plus efficace pour parer une telle menace. Néanmoins, une défense anti-missile capable de protéger les territoires et les populations peut compléter utilement la dissuasion. Grâce au déploiement de systèmes d'alerte avancée, elle permet d'une part de surveiller la prolifération et d'en évaluer précisément la menace, et d'autre part d'identifier l'agresseur avec certitude, ce qui renforce la crainte de représailles. Une capacité d'interception rehausse le seuil auquel l'adversaire doit porter son attaque. Certes, cette capacité ne garantit pas une invulnérabilité sans faille, mais elle concourt néanmoins à la protection générale des populations, de la même façon que les autres systèmes de défense aérienne. On se défend bien contre la menace aérienne. Au nom de quoi ne devrait-t-on pas se défendre contre la menace balistique ?

Deuxième intérêt : la DAMB sera un levier considérable de progrès technologique.

La mise au point des éléments constitutifs d'une défense anti-missile des territoires et des populations est un puissant facteur de développement technologique. Cela concerne les satellites et les radars d'alerte avancée, les radars de poursuite et de désignation d'objectifs, les intercepteurs et enfin les systèmes de commandement et de contrôle. Je n'insiste pas, tellement cela me semble aller de soi. Selon un schéma industriel éprouvé, les innovations de rupture d'aujourd'hui feront les systèmes d'armes de demain et les équipements génériques d'après-demain. N'oublions pas que Ariane est la fille des missiles de la dissuasion nucléaire et que Airbus descend en ligne direct des Mirage IV de la force de frappe.

Troisième intérêt : la DAMB est un puissant instrument d'influence stratégique.

Elle prend une part croissante dans la stratégie de défense des grandes puissances. Les Etats-Unis, bien sûr, mais pas seulement eux. La Russie modernise à grand pas le système qu'elle a hérité de l'Union soviétique. La Chine a procédé avec succès, en janvier 2010, à son premier test d'interception d'un missile dans sa phase de vol exo-atmosphérique. L'Inde s'est engagée récemment dans un programme national d'intercepteurs balistiques. Enfin, le Japon et Israël ont acquis depuis longtemps « sur étagères » et ont co-développé des systèmes de défense anti-missile d'autant plus performants que ces pays font face à une menace consistante.

La capacité des grandes puissances à offrir à leurs alliés, n'ayant pas la volonté ou la capacité, de se lancer dans cette course technologique une défense anti-missile balistique clés en main est devenue un outil diplomatique au service d'une stratégie d'influence, comme le fut le « parapluie nucléaire » au temps de la guerre froide. Les Etats-Unis n'en font pas mystère. Dans leur « Ballistic Missile Defense Review » de 2010, ils présentent clairement la défense anti-missile comme l'élément clé des garanties de sécurité qu'ils accordent à leurs alliés, aussi bien en Asie de l'Est qu'au Moyen-Orient ou en Europe.

Dans le cas européen, l'« approche adaptative phasée » retenue par l'administration Obama, avec des premiers déploiements prévus en 2011, va structurer la relation de sécurité qui nous lie aux Etats-Unis de façon plus puissante encore que l'approche retenue par la précédente administration. A cet égard, le choix du cadre multilatéral, à travers l'OTAN, est un progrès car il préserve un tant soit peu une certaine possibilité de partage de la décision avec les Européens. Tel ne serait plus le cas si, faute d'accord à l'OTAN, les Etats-Unis reprenaient des démarches bilatérales analogues à celles engagées par l'administration Bush.

J'en viens maintenant à la deuxième série de considérations :

S'abstenir ou s'engager c'est en quelque sorte choisir entre un Charybde budgétaire et un Scylla stratégique. Il va falloir naviguer au plus près.

Le premier risque est en effet la dérive budgétaire. Les conditions financières auxquelles pourrait être assurée une couverture du territoire européen par un système de défense anti-missile balistique sont loin d'être clarifiées d'autant que l'architecture d'ensemble d'un tel système reste à définir. La sophistication des technologies requises, la tentation de surenchères sur les spécifications du système pour accroître la couverture, ainsi que les retards et déconvenues habituels dans ce type de programme sont autant de facteurs de dérives financières. Dans le contexte budgétaire actuel, et alors que le déficit capacitaire des pays européens dans le domaine conventionnel perdure, il faut éviter que des ambitions excessives conduisent à se lancer dans des investissements hors de portée au détriment de besoins essentiels. A cela s'ajoutent les doutes sur le retour industriel possible d'un investissement européen dans la défense antimissile balistique. L'expérience du programme JSF nous incite à la vigilance contre un risque de « siphonage » des budgets de défense européens.

A ce possible effet d'éviction budgétaire, s'ajoute un second risque. Certains de nos partenaires à l'OTAN se placent dans une logique de substitution par rapport à la dissuasion nucléaire, alors que celle-ci demeure essentielle face à une menace sur notre territoire et nos populations. La dissuasion ne saurait être délaissée au profit d'une protection aléatoire, qui ne peut être davantage qu'un outil complémentaire. De même, la défense anti-missile balistique ne doit pas entretenir un sentiment illusoire de sécurité qui accentuerait le désengagement des nations européennes dans la défense.

Le second risque est celui de la non-participation et par là-même d'effacement stratégique. Puissance souveraine et qui entend le rester, la France ne peut faire l'impasse sur les développements à venir en matière de défense anti-missile balistique sans compromettre l'autonomie stratégique qu'elle tire de sa force de dissuasion. Les progrès réalisés dans les technologies de l'interception auront immanquablement, à terme, des incidences sur la crédibilité de sa dissuasion. En restant à l'écart de ce projet, la France prendrait le risque de rater plusieurs marches technologiques.

La démarche multilatérale initiée par les Etats-Unis au sein de l'OTAN évite à l'Europe d'être impliquée « à son corps défendant » dans la défense anti-missile, par le biais d'accords bilatéraux. Toutefois, si la défense anti-missile de l'OTAN devait se résumer à une simple couverture de l'Europe par des moyens et un système de commandement exclusivement américains, sans réelle contribution européenne à la décision, cela reviendrait, pour l'Europe, à renoncer à assurer par elle-même la part la plus importante de sa défense.

En outre, une absence d'implication européenne mettrait l'Europe dans l'impossibilité d'apporter la moindre contribution aux besoins de protection de ses alliés. Notre pays, en particulier, aurait à souffrir de cette perte d'influence dans la région du Golfe.

L'industrie française de défense dispose de nombreux atouts grâce à ses compétences, voire certaines capacités, sur les différents segments de la défense anti-missile balistique. Conformément au Livre blanc, elle développe avec le démonstrateur Spirale, une capacité d'alerte avancée. Elle a mis en service le SAMP/T, doté d'une première capacité de défense de théâtre contre les missiles balistiques « rustiques ». La France possède un savoir-faire unique en Europe en matière balistique. A travers son industrie, elle participe à l'élaboration du système de commandement et de contrôle de l'espace aérien de l'OTAN dont la fonction serait élargie à la défense du territoire européen contre les missiles balistiques.

Toutefois, la plupart de ces programmes ou compétences ne sont pas financés à la hauteur nécessaire pour garantir la synchronisation avec le calendrier envisagé à l'OTAN. La mise en oeuvre autonome du SAMP/T, contribution française au programme ALTBMD, supposerait de disposer d'un radar de poursuite (M3R) dont l'entrée en service n'est pas prévue avant le début de la prochaine décennie. Les programmes liés à l'alerte avancée sont encore au stade de démonstrateurs. Les compétences en matière d'interception sont sous-financées et leur pérennité n'est pas assurée.

Dans ce contexte, trois orientations doivent, à mon sens, être privilégiées.

La première orientation consiste à définir clairement les conditions de notre engagement. Notre pays doit tout d'abord obtenir que soit réaffirmé le rôle central de la dissuasion dans la protection des territoires et des populations contre la menace balistique. La défense anti-missile ne pourra intervenir qu'en complément et non pas en substitut à la dissuasion. Il y a là une différence d'appréciation importante qui nous sépare de nos amis allemands et qu'il convient, en préalable, de faire disparaître. Il n'est pas de décision aussi importante que celle-là que l'on puisse prendre sur des malentendus ou des faux-semblants.

La France doit encourager l'association de la Russie afin de faire de la défense anti-missile un domaine de coopération et non de confrontation avec l'OTAN. Elle doit particulièrement veiller, dans la définition du système de commandement et de contrôle (C2), aux conditions dans lesquelles seront raccordés ses propres moyens nationaux et aux règles d'engagement.

Enfin, notre pays doit insister pour que les ambitions assignées à la défense anti-missile de l'OTAN demeurent réalistes, c'est-à-dire ne laissent pas prospérer l'illusion d'un bouclier sans faille, et adaptées à l'évolution de la menace. C'est à ces conditions que l'on pourra obtenir une maîtrise financière des investissements de l'OTAN, le financement commun devant en tout état de cause se limiter au C2.

La deuxième orientation vise à accentuer notre investissement. Le système de défense anti-missile de théâtre SAMP/T doit pouvoir être mis en oeuvre de manière autonome à une échéance plus rapprochée, en accélérant la réalisation du radar M3R, afin de consolider la contribution française au programme ALTBMD de l'OTAN.

L'effort visant à acquérir une capacité d'alerte spatiale dans la seconde moitié de la décennie doit être maintenu et si possible accéléré afin d'honorer les rendez-vous calendaires envisagés. Cette capacité présente un caractère stratégique au regard du développement des capacités balistique dans le monde. Elle constituera un apport précieux pour le système de défense anti-missile de l'OTAN.

La France doit développer ses compétences dans les technologies de l'interception, ne serait-ce que pour assurer la crédibilité de la dissuasion. L'enveloppe consacrée aux études-amont devrait être majorée, par rapport aux dotations prévues dans la loi de programmation militaire, pour permettre l'acquisition des briques technologiques nécessaires. Un volume annuel supplémentaire de l'ordre de 50 millions d'euros de crédits de recherche et de technologie serait de nature à répondre à cet objectif.

La dernière orientation est de travailler à une réponse spécifiquement européenne. La France doit sensibiliser tous ses partenaires européens à l'enjeu que représente la possession de certains moyens propres en matière de défense anti-missile balistique. L'Italie est présente à nos côtés dans la réalisation du système SAMP/T et il conviendrait de conforter ce partenariat.

La défense anti-missile pourrait également être traitée dans le cadre du partenariat stratégique qui nous lie désormais avec la Grande-Bretagne, depuis les accords de Londres.

L'alerte avancée, étant donnée sa contribution essentielle à l'autonomie stratégique, apparaît comme un domaine prioritaire de coopération.

Une coopération européenne devrait également être recherchée dans le domaine de l'interception, afin d'être en mesure de fournir une contribution européenne à la défense contre les missiles balistiques de portée moyenne et intermédiaire.

En conclusion, je dirai que, à mon avis, qu'on le regrette ou qu'on s'en félicite, la question ne se pose plus de savoir si la défense anti-missile de l'OTAN se fera. Elle se fera, et je serais tenté de dire, avec ou sans nous. Dans ces conditions, et sauf à accepter l'effacement stratégique de la France, la question pour nous n'est pas de savoir s'il faut y aller, mais comment il faut y aller.

C'est pourquoi je vous propose de lancer une mission d'information et de suivi sur cette question, dont la responsabilité pourrait être confiée, si vous en êtes d'accord, à MM. Xavier Pintat, Daniel Reiner et Jacques Gautier.

Debut de section - PermalienPhoto de Xavier Pintat

Monsieur le Président, je partage votre approche prudente, mesurée et pragmatique de la défense anti-missile balistique, qui reflète bien les éléments mis en exergue par notre cycle d'auditions du printemps et ceux que vous avez pu recueillir par vos contacts internationaux. Au-delà du sommet de Lisbonne, cette question constituera dans les années à venir, qu'on le veuille ou non, un enjeu majeur, au coeur des préoccupations de la défense nationale. Il sera difficile de ne pas s'y intéresser.

L'enjeu est militaire et je crois que nous devons clairement affirmer notre position, à savoir que la défense anti-missile ne peut qu'être un complément, et en aucun cas un substitut, à la dissuasion nucléaire. Sur ce point, le partenariat de défense avec les Britanniques et l'accord particulier de coopération dans le domaine nucléaire vont nous aider. Vous avez également dit, à juste titre, que pour maintenir la crédibilité de notre dissuasion, nous avons intérêt à acquérir des compétences dans le domaine anti-missile balistique.

Vous avez souligné les enjeux technologiques et économiques de la défense anti-missile balistique. L'Europe ne peut pas rester absente de ce projet. Il faut au contraire qu'elle puisse apporter des briques, et l'industrie de défense française est la mieux placée pour le faire. Il y a également un lien, à mon sens, entre le développement des technologies anti-missile et, à terme, la pérennité de l'industrie des missiles en Europe. Si nous sommes absents de la défense anti-missile, il faudra se poser la question de l'avenir de notre industrie des missiles. Les deux choses sont liées.

Évidemment, il est essentiel de bien définir les conditions dans lesquelles nous nous engagerons. Il faut être prudents, éviter une fuite en avant financière et identifier les briques que nous pourrons apporter. Le « comment » est essentiel.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Merci, Monsieur le Président, de cet exposé. Comme vous l'avez indiqué, le Sénat va débattre de ce sujet en séance publique lundi prochain. Nous pourrons développer nos positions à cette occasion. Je m'en tiendrai à une remarque d'ordre général.

La défense anti-missile peut, objectivement, présenter un certain nombre d'intérêts. Mais la question se pose : quelle est la stratégie suivie ? Pourquoi ne pas avoir abordé ce sujet avec Royaume-Uni, alors que la France veut s'orienter dans un partenariat franco-britannique ? On nous propose, pour des raisons objectivement importantes, d'aller vers le bouclier anti-missile, mais les objectifs qui sous-tendent cet engagement de la France n'apparaissent pas clairement.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Monsieur Carrère, permettez-moi de vous éclairer en vous lisant un extrait de la déclaration commune franco-britannique du 2 novembre : « Tant qu'il existera des armes nucléaires, l'OTAN demeurera une alliance nucléaire. Les forces nucléaires stratégiques indépendantes du Royaume-Uni et de la France, qui ont un rôle de dissuasion propre, contribuent à la dissuasion globale et, par conséquent, à la sécurité des Alliés. Nos dissuasions nucléaires nationales minimales sont nécessaires pour parer à toute menace pesant sur nos intérêts vitaux. Nous soutiendrons à Lisbonne une décision concernant la défense antimissiles des territoires, reposant sur le développement du système antimissiles de théâtre ALTBMD, qui soit financièrement réaliste, cohérente avec le niveau de la menace émanant du Moyen-Orient, et permette un partenariat avec la Russie. La défense antimissiles est un complément et non un substitut à la dissuasion ».

Cela veut dire que nous ne sommes pas seuls, nous Français, à défendre cette thèse à l'OTAN, alors que certains pays comme l'Allemagne voudraient substituer la défense anti-missile à la dissuasion nucléaire. Je vous le dis, ce débat est un débat majeur. Nous jugerons, à Lisbonne, de la capacité de la France et du Royaume-Uni à faire prévaloir ce point de vue. Il y a indiscutablement une stratégie derrière tout cela. C'est le maintien de notre autonomie et de notre souveraineté grâce à la force de dissuasion. Nous n'abdiquerons pas notre souveraineté.

Nous reviendrons sur tout cela lundi en séance publique, lors du débat que le groupe socialiste a demandé.

Debut de section - PermalienPhoto de André Trillard

Ce débat sur la défense anti-missile n'est-il pas une excellente occasion pour nous, quelques soient nos choix politiques, de réfléchir au socle commun de notre consensus national en matière de politique de défense et aux choix qui doivent engager la France par delà les alternances gouvernementales ? Notre stratégie de dissuasion nucléaire a traversé jusqu'ici les alternances politiques. Il s'agit de définir ce que nous voulons, nous Français, sans nous référer en permanence aux positions des Britanniques ou des Allemands.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

A mon sens, la question fondamentale est la suivante : l'Europe veut-elle se défendre ou doit-elle s'en remettre aux Etats-Unis ? Si la défense anti-missile des territoires est un moyen d'arriver à ce que l'Europe assume sa propre défense, tant mieux. Si elle ne doit être qu'un moyen de confier aux Etats-Unis notre propre défense, alors nous devrions être résolument contre.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Il y a eu cette année un changement politique très important au Royaume-Uni et on aurait pu penser qu'il allait entraîner un changement d'orientation stratégique sur les sujets dont nous débattons. Y a-t-il eu changement ou continuité ?

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Il y a eu continuité, mais également conversion. Les autorités françaises ont noué des contacts avec les conservateurs bien avant les élections et l'actuel ministre britannique de la défense, Liam Fox, est venu à deux reprises à Paris. L'une des raisons pour lesquelles le traité franco-britannique a abouti aussi rapidement est que les conservateurs ont réalisé les bénéfices que représentait cette coopération. Les travaillistes ont initié la démarche et donné l'élan, mais les conservateurs l'ont intégrée et amplifiée, car ils ont été convaincus de son bien fondé lors de leurs contacts préparatoires à Paris. La position commune que nous avons exprimée sur la défense anti-missile et la dissuasion montre en tous cas cette convergence de vues.

La commission a ensuite adopté les conclusions du rapport de M. Josselin de Rohan, autorisé sa publication et accepté le lancement d'une mission d'information composée de MM. Xavier Pintat, Daniel Reiner et Jacques Gautier.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Amiral, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation à venir vous exprimer devant notre commission, dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2011, marqué par un contexte budgétaire très contraint surtout si on l'envisage dans le cadre de la programmation triennale.

Je souhaiterais donc que vous nous décriviez les conséquences du budget 2011 sur la Marine et l'impact que les économies entraînées par la nécessité de réduire le déficit budgétaire auront sur les équipements, comme sur l'entraînement des hommes, et l'entretien des matériels.

Plus globalement, pouvez-vous nous faire un rapide bilan de l'état de la flotte, notamment des SNA et des SNLE ainsi que du Charles-de-Gaulle ? L'aéronautique navale est-elle toujours aussi coûteuse à maintenir en condition opérationnelle ?

Enfin, j'aimerais recueillir votre sentiment sur le récent accord franco-britannique qui s'inscrit dans une collaboration ancienne et confiante entre nos armées. Quel peut être son impact sur la Marine, en particulier en matière d'interopérabilité aéronavale, et quelles seraient les modalités optimales d'une future « coopération » ?

Je vous passe donc maintenant la parole.

Debut de section - Permalien
amiral Pierre-François Forissier, chef d'état-major de la marine

Cette année encore, je vous remercie de m'offrir l'opportunité de présenter un point de situation sur la marine nationale. J'assure, sous l'autorité du chef d'état-major des armées, la responsabilité de la préparation des forces navales et aéronavales et un rôle de vigilance à l'égard de la cohérence organique de la marine.

C'est bien dans le cadre de ces attributions que je vous ferai part de mes observations sur le format de la marine et sur les ressources du BOP 178 21C « Marine » dans le PLF 2011. J'aborderai ensuite les enjeux et défis auxquels nous sommes confrontés. J'évoquerai enfin les mesures retenues et les voies explorées pour préserver la robustesse de notre marine.

S'agissant du format, j'observe tout d'abord que l'exécution budgétaire et les ajustements de ressources récents préservent les grands équilibres de la programmation :

- le format de la marine continue de reposer sur ses deux composantes majeures : la force océanique stratégique (FOST) et le groupe aéronaval. L'une de mes grandes satisfactions pour 2010 est la mise en service opérationnel du M51, avec l'entrée dans le cycle opérationnel du TERRIBLE prévue pour la fin de l'année ; la FOST disposera ainsi de quatre SNLE de même génération ;

- le 3ème BARRACUDA sera commandé en 2011 ;

- la composante des quatre grands bâtiments amphibie sera rajeunie avec la livraison du BPC DIXMUDE prévue en 2012. Je dois saluer les performances des Chantiers de l'Atlantique puisque la coque de ce navire a déjà flotté ;

- avec la mise au point du système de combat du CHEVALIER PAUL, nous devrions disposer bientôt de quatre frégates anti-aériennes opérationnelles ;

- enfin, la livraison des RAFALE M se poursuit et celle, très attendue, des NH 90 débute avec les premières mises en service fin 2011 - 2012.

Mais si les grands équilibres de la marine sont préservés, la cohérence globale de notre format est néanmoins fragilisée, notamment par les efforts supplémentaires imposés par la programmation budgétaire triennale 2011-2013.

S'agissant de la flotte, je relève plus particulièrement :

- la prolongation des SNA de type Rubis, prévus pour être utilisés durant 25 ans, et qui le seront pendant 35, c'est-à-dire aux limites du possible, dans l'attente de la livraison des six BARRACUDA (entre 2017 et 2027) ;

- les ruptures temporaires de capacité dans la composante frégates, induites par l'étalement du programme FREMM (de 2012 à 2022 - 15 à 16 frégates pendant les 10 ans à venir) qui avaient été anticipées dans la Loi de Programmation Militaire (LPM) sont en train de se produire : il manquera 2 frégates en moyenne par an sur la période considérée. Il en va de même dans la guerre des mines et dans les forces de souveraineté outre-mer.

S'agissant de l'aéronautique navale :

- le calendrier de livraison des RAFALE F3, avec 34 aéronefs livrés en 2015, et un retrait inéluctable du service du Super Etendard d'ici à 2015, ne permet pas d'atteindre le seuil critique de pérennité du groupe aérien embarqué qui est de 45 aéronefs ;

- le format des 22 ATL2 est insuffisant au regard de leur faible disponibilité et de leur très forte sollicitation, notamment au profit de missions de surveillance de la zone sahélienne, qui ne constituent évidemment pas leur mission première qui est la surveillance et la sûreté en mer et non celle des terres.

- le retrait du service des N 262, sans remplacement jusqu'à la transformation de quatre FALCON 50 gouvernementaux en avions de surveillance maritime entre 2012 et 2015 ; aujourd'hui, la surveillance de la zone méditerranéenne est effectuée par les avions des douanes ;

- enfin, les retards pris par l'industriel dans le programme NH90, en dépit des avertissements exprimés par la marine en temps et en heure sur les conséquences de cette rupture capacitaire, affectent lourdement le parc des hélicoptères : l'âge moyen des LYNX est de 28 ans et deux EC 225 ont dû être acquis à titre temporaire pour assurer les missions de sauvetage en remplacement des SUPER FRELON. Je ne peux que me féliciter de la collaboration de la Direction générale de l'armement (DGA) qui nous a permis ces deux acquisitions dans des délais très courts, mais je regrette vivement que le constructeur n'ait pas mieux anticipé le besoin opérationnel de la Marine.

Dans le domaine strictement budgétaire du BOP 178 21C « marine », je note que le niveau des ressources du PLF 2011 (4,2 milliards d'euros de crédits de paiement en 2011) est en dessous de la stricte suffisance pour l'entretien programmé du matériel. Il pénalisera le recomplètement des rechanges et la disponibilité (environ 80 jours par an d'indisponibilités accidentelles supplémentaires prévisible en 2011 pour les bâtiments).

Le budget de fonctionnement lié à l'activité, hors combustibles et carburants dotés à hauteur des besoins, sera soumis à forte pression. En période de difficultés budgétaires, on peut faire certaines impasses sur la maintenance préventive, sachant que l'on prend alors le risque de voir augmenter la part des indisponibilités accidentelles. La conséquence est que la marge pour aléas sera réduite.

De ce fait, les 100 jours annuels de navigation, prévus par notre contrat opérationnel, seront réduits à 90.

Enfin, le titre 2 (2,49 milliards d'euros), qui intègre les transferts et la déflation des effectifs pour environ 2 600 emplois, est, cette année encore, légèrement sous doté.

Dans ce contexte contraint, la marine doit relever plusieurs défis. J'estime que les plus exigeants sont :

 · le maintien d'une activité soutenue en réponse au contrat opérationnel d'intervention, avec un potentiel sous forte tension (- 15 % sur les frégates fortement armées, - 15 % sur les SNA avec l'arrêt programmé d'un SNA 9 mois, hors période d'entretien).

En complément du porte-avions Charles de Gaulle qui a appareillé pour un déploiement Agapanthe en Océan indien et outre les opérations permanentes de la marine, la programmation prévoit la poursuite de notre participation aux opérations Enduring Freedom, Atalanta et Corymbe, opération déployée dans le golfe de Guinée depuis 25 ans. En conséquence, le potentiel à consacrer à l'entraînement diminue. La marine éprouve des difficultés à assurer un entraînement de haut niveau dans tous les domaines. Une érosion de certains savoir-faire risque de se manifester, notamment dans le haut du spectre comme la lutte anti sous-marine et la guerre des mines.

 · La maîtrise des coûts du MCO représente également un enjeu majeur. Aujourd'hui, la situation du MCO est toujours critique, en dépit du soin apporté à limiter la pression budgétaire sur ce volet et des mesures prises pour en limiter la charge, qui conjuguent ralliement anticipé du format, réduction du potentiel et diminution de l'activité. C'est un sujet récurrent. Les difficultés viennent notamment des frais fixes liés aux installations techniques portuaires que doivent supporter les industriels et qui sont dimensionnées pour le temps de crise. Nous travaillons avec l'industriel pour une diversification et une meilleure utilisation des installations - les cales sèches par exemple- qui ne sont pas utilisées toute l'année par la Marine. Une telle diversification permettrait évidemment de baisser les frais fixes.

Certes, le taux de disponibilité de la flotte se maintient à plus de 70 % depuis trois ans, mais la faible disponibilité des armes-équipements persiste. La disponibilité des aéronefs est néanmoins la plus préoccupante du fait de l'ancienneté globale du parc qui entraîne une hausse quelquefois exponentielle des coûts de maintenance. Elle peine à se maintenir au dessus de 50 %, malgré la réduction du parc et une légère diminution de l'activité depuis 2010.

L'étalement des programmes confronte en effet le MCO au double effet du vieillissement et de la sophistication, auquel s'ajoute le poids croissant des normes et de la réglementation. Le coût du traitement des obsolescences et des mises aux normes des équipements les plus anciens (navigabilité des aéronefs, adaptation aux normes environnementales des bâtiments) est important.

Il faut relever que la création de la SIMMAD est très positive, mais il faut lui laisser le temps de produire ses effets. Autre facteur sensible, celui de la concurrence. Si dans le domaine du MCO naval, DCNS ne détient plus la totalité des marchés (85 %), le MCO aéronautique souffre d'une situation non concurrentielle, illustrée par la hausse continue du coût des rechanges (+5 % par an en moyenne sur 5 ans), qui pénalise leur réparation (1/2 réparé actuellement).

 · La mise en oeuvre des réformes constitue un enjeu important et la marine y prend toute sa part. L'année 2011 verra ainsi la création de la base de défense de Toulon, la fermeture de la base de l'aéronautique navale de Nîmes-Garons et des établissements de Toussus-le-Noble et Dugny.

 · Enfin, la marine n'est rien sans ses équipages et c'est dans la gestion des ressources humaines que les principaux défis se concentrent pour en maintenir la qualité :

- l'objectif fixé à la marine est de réduire ses effectifs pour atteindre 44 000 marins (37 000 militaires et 7 000 civils) en 2015, soit -12 % au rythme de 850 suppressions de postes par an. L'effort est réparti entre rationalisation pour 2/3 (RGPP) et réduction du format pour 1/3 (Livre blanc) ;

- La manoeuvre RH doit cependant préserver le flux des entrées et des sorties, indispensable au maintien de la jeunesse de nos équipages, dans le contexte peu favorable de la réforme des retraites. La moyenne d'âge actuelle est de 28 ans et il ne serait pas raisonnable de la laisser dériver puisque l'âge est un des critères clé de la performance à la mer. La régulation se fait donc sur le taux de sortie, avec le non renouvellement de certains contrats dans un contexte de plus en plus concurrentiel. Le personnel concerné est accompagné dans sa reconversion.

- Elle doit simultanément fidéliser un large spectre de savoir-faire et de compétences, particulièrement dans les spécialités critiques, et ceci non seulement dans le domaine nucléaire (la marine est le 2ème exploitant nucléaire en Europe par le nombre de ses installations), mais dans bon nombre de spécialités, vitales pour le maintien de nos capacités opérationnelles, notamment la lutte anti-sous-marine.

Compte tenu de la polyvalence de notre marine qui compte plus d'une trentaine de métiers, la manoeuvre à mettre en place constitue un défi sans précédent.

Face à ces difficultés, il nous faut être innovant.

Plusieurs démarches ont été entreprises pour développer de nouvelles synergies et diversifier nos modes de coopération :

 · Dans le domaine du MCO, les grands contrats signés en 2010 (SNLE, SNA, FLF, M88) achèvent le cycle de renouvellement entamé en 2009. Cette politique contractuelle, visant à donner aux titulaires une visibilité accrue sur leur plan de charge, tout en consolidant leur engagement et le partage des risques, sera poursuivie.

 · Parallèlement, d'autres voies sont explorées. La marine s'efforce ainsi d'établir de véritables partenariats innovants avec les industriels :

- en s'adossant au SIAé, auquel seront transférés, dès le début de l'année 2011 les ateliers et une grande partie du personnel technique de la marine (950 personnes) ;

- avec DCNS, notamment dans l'emploi des compétences dans le secteur des hautes technologies navales et dans la recherche d'une rentabilisation de l'exploitation des infrastructures industrielles portuaires.

Le partenariat avec DCNS est d'ailleurs pleinement intégré au plan « dispo flotte » lancé en février 2010, conjointement avec le SSF et les autorités organiques, qui vise à dégager des mesures d'amélioration de la productivité du MCO naval.

Dans le même esprit, nous faisons bon accueil à sa proposition de mise à disposition de l'OPV HERMES, sur 3 ans à partir de fin 2011 ; Ce partenariat a d'ailleurs été conclu lors du récent salon Euronaval.

 · Avec les autres armées, nous jouons pleinement le jeu de la coopération pour le MCO et l'exploitation des équipements. Nécessaire, celle-ci se met en place, notamment en matière de navigabilité des aéronefs, en interarmées, et de gestion optimisée de la flotte RAFALE, avec l'armée de l'air.

 · Dans le domaine de l'action de l'Etat en mer, où la marine s'attache depuis longtemps à développer des synergies avec les autres administrations, dans une logique de complémentarité, l'année 2011 verra la montée en puissance du centre opérationnel de la fonction garde-côtes. Opérationnel depuis le 1er septembre 2010, ce centre représente une avancée très significative. Il est l'aboutissement d'un remarquable travail mené avec les affaires maritimes, les douanes, la gendarmerie, la direction de la sécurité civile et la police nationale. Hébergé à l'état-major de la marine et placé sous la responsabilité du secrétariat général à la Mer, c'est un outil sans précédent de collecte et de partage de l'information maritime avec l'ensemble des administrations, et une structure légère, d'une dizaine de personnes. Il aidera à dynamiser nos échanges avec nos partenaires européens et à créer des synergies de moyens.

 · En matière de coopération internationale, outre le soutien à l'export dans une communauté d'intérêts avec les industriels de la défense, la contrainte financière du coût de la déconstruction nous incite à encourager la vente des matériels que nous désarmons. Nous nous y employons avec l'EMA.

D'autre part, et au-delà de la conduite de programmes d'armement, la crise économique ouvre des perspectives de coopération accrue avec nos grands partenaires étrangers aux niveaux stratégique et opérationnel, dans une démarche d'économie de moyens. Avec la Royal Navy, nous nous engageons en effet dans un processus de coopération bilatérale renforcé.

Deux traités ont été signés le 2 novembre dernier. L'un va engager nos forces de premier rang à travailler beaucoup plus étroitement ensemble, en particulier à partir du groupe aérien constitué autour du Charles de Gaulle puis, au début des années 2020, au sein d'une force aéronavale franco-britannique composée d'éléments des deux pays, puisque les britanniques ont décidé d'équiper leur futur porte-avions de catapultes et de brins d'arrêt.

L'autre porte sur notre coopération dans le domaine des technologies liées à la gestion des arsenaux nucléaires. Car, même si nous conserverons une dissuasion nucléaire indépendante, il nous faut rechercher plus d'efficacité dans l'infrastructure nécessaire pour développer et soutenir nos deux dissuasions.

 · Enfin, dans le domaine de la formation, le groupe école d'application des officiers de marine fonctionne maintenant sur un mode de rentabilité opérationnelle. D'autres voies d'optimisation sont explorées, naturellement en interarmées, mais également par le biais d'un rapprochement avec la marine marchande et le recours accru aux solutions techniques en ingénierie de formation. L'abandon de la Jeanne d'Arc a conduit à une solution alternative, avec la formation en 2010 sur le BPC Tonnerre, qui sera reconduite en février 2011 sur le Mistral. Celle-ci s'avère très satisfaisante.

En conclusion de mon propos, je voudrais insister sur le fait qu'en 2011, la marine va poursuivre avec détermination l'effort d'adaptation qu'elle a entrepris depuis 2008.

Mais, les préoccupations sont nombreuses. Certaines faiblesses persistent, tandis que d'autres se font jour. Si elles sont encore peu visibles, leurs effets risquent d'être lourds à moyen terme. Aujourd'hui, mes deux soucis majeurs sont :

- la maîtrise des coûts du MCO, plus particulièrement aéronautique, qui constitue un point de fragilité ;

- et la préservation de la robustesse des forces vives de la marine. Certains métiers essentiels sont représentés par des microflux de quelques dizaines de personnes, comme les chimistes nucléaires, les sollicitations opérationnelles conduisent parfois à une réduction de l'entraînement, avec le risque d'une perte durable, et des savoir-faire, et de la qualification des équipages.

Pour autant, nous maintenons notre cap. En ce moment, nos composantes de Patrouille et de Surveillance maritimes participent aux opérations au dessus du Niger. Nous assurons le commandement à la mer de l'opération européenne Atalanta de lutte contre la piraterie maritime. Et dans le domaine de l'action de l'Etat en mer, les chiffres de l'année 2009 témoignent de notre engagement : 275 personnes secourues, huit navires déroutés dans le cadre d'opérations contre le narcotrafic, plus de sept tonnes de stupéfiants saisies, 58 embarcations interceptées et 1 478 immigrants clandestins remis à la police de l'air et des frontières.

Mais la tension entre les sollicitations opérationnelles et les moyens disponibles, notamment dans les domaines de la lutte contre le terrorisme et de l'action de l'Etat en mer, est aujourd'hui très forte. L'actualité des opérations au Sahel qui, au plus fort de la crise, a mobilisé un potentiel important d`aéronefs de patrouille maritime illustre bien cette situation. Elle alimente l'inévitable débat qui s'annonce pour s'adapter, dans les trois prochaines années, aux nouvelles restrictions budgétaires et en évaluer les conséquences opérationnelles, tout en gardant les savoir-faire d'une marine océanique.

Le travail intense qui est effectué ne doit pas nous faire perdre de vue l'avenir. Je reste confiant, même si la mer est agitée et l'allure peu confortable, le bateau est solide, l'équipage superbe et le commander est un bonheur de tous les jours.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

Vous venez de dresser un état des lieux sans complaisance, mais réaliste. Je vous en remercie. Ma première question concerne l'état de la flotte logistique, les pétroliers et les ravitailleurs et les nouvelles normes qui s'imposent à eux. Ma deuxième question concerne la surveillance maritime. Les Atlantique 2 sont en bout de course. Il faut les rénover. Cette rénovation se fera-t-elle ou bien est-elle reportée ? Concernant les FREMM, où en sommes-nous pour ce qui est de l'export ? S'agissant des SNLE, les Britanniques ont fait des études pour savoir s'il était possible de réduire leur nombre de SNLE à trois. Avons-nous engagé une réflexion similaire ? Le SCALP naval est une réussite et nous en avons commandé deux cent cinquante exemplaires. Comment l'emploiera-t-on ? Si c'est un dernier avertissement avant l'emploi d'armes nucléaires, ce nombre semble trop élevé. S'il s'agit d'une arme conventionnelle, cela pourrait être au contraire insuffisant. Pouvez-vous nous éclairer sur cette question ? Enfin, concernant la coopération avec le Royaume-Uni, il s'agit d'une tradition ancienne. Quelles perspectives ouvrent les accords de Londres ?

Debut de section - Permalien
amiral Pierre-François Forissier, chef d'état-major de la marine

Concernant la flotte logistique, nos bateaux sont en bon état et ne sont pas en fin de vie. La simple coque pour les pétroliers n'est pas un problème urgent, dans la mesure où les navires de guerre ont été placés délibérément en dehors des conventions internationales. Mais néanmoins, la situation n'est pas confortable et plus vite on respectera les normes internationales, mieux ce sera. J'observe que c'est une situation commune à l'ensemble des flottes militaires européennes. On doit donc rechercher une solution européenne. On pourrait donc se mettre autour de la table et décider d'acheter le même type de bateau, avec le même type de design et le même stock de pièces de rechange, quitte à ce que les différents chantiers nationaux le construisent. Ce travail de réflexion est en cours.

Pour ce qui est des Atlantique 2, ces avions ont besoin d'être modernisés. Nous le savons et le demandons depuis longtemps. Le programme est en train de démarrer. Combien d'avions allons-nous réussir à moderniser ? Mon objectif est que l'on rénove la totalité du parc. L'essentiel est de commencer.

Concernant les FREMM, il s'agit d'un programme ambitieux mais très bien préparé. C'est, en termes de rapport coût-efficacité, ce qui se fait de mieux sur le marché pour le moment. L'équilibre financier du programme repose sur la construction de dix-sept bateaux en dix ans. Plus on s'éloignera de cet équilibre, plus le coût unitaire de chaque frégate augmentera. Concernant la vente d'une FREMM au Maroc, la transparence auprès du client marocain est nécessaire. Plus généralement pour l'export, la situation se débloquera lorsque la FREMM Aquitaine effectuera ses premiers essais à la mer, en 2011. Les équipes de Lorient sont très professionnelles et je suis persuadé que ce bateau sera un succès à l'export. Une des clés de succès, c'est une totale confiance entre les équipes françaises et marocaines.

En ce qui concerne le nombre des SNLE, ce débat récurrent a été tranché une fois pour toutes lors du dernier Livre blanc. La réponse c'est qu'il en faut quatre, ou zéro. Si l'on descend en dessous de quatre, on accepte le risque d'une rupture capacitaire de notre permanence à la mer. Si on arrête un jour, pourquoi pas une semaine, pourquoi pas un mois. S'agissant d'un éventuel partage avec le Royaume-Uni, la réponse excède ma compétence, mais j'observe que les Britanniques ont répondu pour nous : la souveraineté ne se partage pas. Un bateau porte les intérêts de son pavillon. Contrairement à ce qu'a dit la presse, on n'envisage pas de bateaux partagés ou d'équipages mixtes. Ce qui serait intelligent en revanche serait d'avoir les mêmes bateaux, les mêmes pièces de rechange, les mêmes centres de formation et de soutien, voire les mêmes doctrines d'emploi. A cela je mettrai un petit bémol concernant le porte-avions. Un porte-avions est un bâtiment de combat mais, pour les avions, n'est jamais qu'un terrain d'aviation. Ce qui compte, c'est la cocarde de l'avion qui largue la bombe sur l'objectif et la décision sur la cible. Lors du conflit en Bosnie, personne n'a rien trouvé à redire au fait que les avions alliés partaient d'un terrain d'aviation italien. Personne ne transporte son propre terrain d'aviation, pas plus en Bosnie qu'en Afghanistan. La souveraineté n'est pas là. En revanche, le vrai changement de posture du Royaume-Uni réside dans le fait qu'ils vont non seulement mettre des brins d'arrêt et des catapultes sur leur porte-avions, ce qui permettra il est vrai d'accueillir les avions français, mais surtout, dans le fait qu'ils ont renoncé au JSF, à décollage vertical, et adopteront le même modèle que celui de l'US Navy. Ils auront donc une interface à 100 % interopérable avec les forces américaines, et seulement en partie avec les forces françaises. Il y a là matière à réflexion.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

Vous êtes donc sceptique sur le changement de pied des Britanniques ?

Debut de section - Permalien
amiral Pierre-François Forissier, chef d'état-major de la marine

Non, je suis lucide. Si les Britanniques vont jusqu'au bout de leur démarche, l'Europe des porte-avions commencera à exister.

Debut de section - Permalien
amiral Pierre-François Forissier, chef d'état-major de la marine

Concernant le SCALP naval, ce missile s'inscrit dans le cadre plus large d'une action de la mer vers la terre. Son emploi est prévu pour intervenir à un moment précis de cette action : le début des opérations ; il a vocation à assurer la protection des gens qui sont en train de s'installer sur terre. Ce missile a pour vocation de neutraliser les installations radar adverses et de mettre nos camarades d'autres armées en position d'avancer. Il peut être lancé également par des sous-marins, afin de préserver le maximum d'effet de surprise.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Je constate que la Marine effectue une multiplicité croissante de tâches au profit d'autres ministères, comme la lutte contre l'immigration clandestine ou la protection de notre flotte de pêche : les ministères bénéficiaires vous remboursent-ils les coûts de ces missions ? Par ailleurs, je souhaiterais connaître l'avenir de l'hôtel de la Marine, dont une privatisation a été évoquée.

Debut de section - Permalien
amiral Pierre-François Forissier, chef d'état-major de la marine

La Marine bénéficie de certains crédits de l'Union européenne permettant le financement partiel des tâches que vous avez évoquées. C'est le cas pour les patrouilles effectuées au profit de notre flotte de pêche. L'agence Frontex finance également une partie de nos missions de prévention de l'immigration clandestine. Cependant, je constate que d'autres pays européens, comme l'Italie ou l'Espagne, obtiennent de cette agence des crédits bien supérieurs à ceux que la France recueille. En revanche, les autres ministères ne contribuent pas, pour l'instant, au financement de ces missions, car les outils informatiques requis ne sont pas encore élaborés, et les mentalités n'ont pas suffisamment évolué. Je rappelle que nous nous situons dans une période transitoire entre le régime de l'ordonnance de 1959 et les nouvelles règles budgétaires introduites par la LOLF (loi organique relative aux lois de finances). Celle-ci est en application depuis 2006, et on estime à une quinzaine d'années cette période transitoire, durant laquelle seront mis en place les « tuyaux » qui permettront l'attribution de financements d'un ministère à l'autre. La LOLF prévoit également la mise en place d'une comptabilité analytique pour chacune des grandes organisations de l'Etat. La Marine dispose déjà d'un bilan comptable de cette nature, dont les résultats ne sont pas entièrement fiables du fait de l'inadaptation actuelle des outils informatiques de l'Etat. D'ores et déjà, la Marine a une comptabilité analytique qui fonctionne et qui permet la traçabilité de la dépense.

Mon armée est aujourd'hui locataire de l'hôtel de la Marine, et paie, à ce titre, un loyer à France-Domaine. Il a parfois été évoqué un déménagement vers des constructions provisoires de ces locaux avant même le transfert de notre état-major à Balard. Cette perspective ne peut être retenue, car je dois pouvoir disposer, en tant que chef d'état-major, d'un immeuble sécurisé, garantissant le secret défense. L'avenir de ce bâtiment, à partir de notre future installation à Balard, m'échappe ; je formulerai cependant deux remarques : d'une part, il ne me semble pas opportun de le transformer en musée, car ces locaux ont vu depuis plus de deux cents ans, la Marine naviguer sur l'avant et préparer l'avenir, et, d'autre part, le caractère prestigieux des salons constitue, au profit du CEMM comme à celui de l'ensemble du monde maritime français, un outil de rayonnement. J'y reçois, à ce titre, mes collègues étrangers, ce qui représente un usage occasionnel se limitant à une quinzaine de réceptions par an.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernadette Dupont

Je souhaiterais savoir quels sont vos liens avec le secrétariat d'Etat à la Mer.

Debut de section - Permalien
amiral Pierre-François Forissier, chef d'état-major de la marine

Il s'agit d'une instance interministérielle de gouvernance dont je relève pour les activités de garde-côtes, alors que je dépends du chef d'état-major des armées pour les activités militaires. Ce secrétariat à la Mer est l'autorité fonctionnelle des préfets maritimes qui sont à la fois des « préfets de la Mer », et des responsables opérationnels de la Marine pour le théâtre sur lequel ils ont compétence. Il s'agit là d'une structure, qui remonte à la monarchie et a été modernisée par Napoléon. Trois siècles d'expérience ont abouti à ce système pertinent, économique et fonctionnel qui intéresse plusieurs pays étrangers. C'est le cas des Etats-Unis, où l'existence d'un corps de garde-côtes s'ajoute à la Marine militaire, et qui s'interrogent sur la pérennité de cette double flotte.