Intervention de Jean-René Lecerf

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 27 avril 2011 : 1ère réunion
Droits et protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques — Examen du rapport pour avis

Photo de Jean-René LecerfJean-René Lecerf, rapporteur :

Ce projet de loi, déposé le 5 mai 2010 à l'Assemblée nationale, a été complété par une lettre rectificative du 26 janvier 2011 qui tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 26 novembre 2010 prise dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité. Nous sommes donc dans un cadre quelque peu contraint. Adopté par l'Assemblée nationale le 22 mars dernier, ce texte réforme le cadre juridique de l'hospitalisation sous contrainte ; votre commission des lois s'est saisie pour avis du volet juridictionnel.

Notre saisine permet d'examiner des questions aussi essentielles que les libertés individuelles et les garanties juridictionnelles qui s'attachent à la privation de liberté, les modalités de contrôle par l'autorité judiciaire et l'impact de la réforme sur l'organisation judiciaire, la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction, ou encore la protection de l'ordre public. L'importance de ces questions, du reste, a fait regretter que la commission des lois de l'Assemblée nationale ne se soit pas saisie pour avis.

L'hospitalisation sous contrainte est régie par un droit ancien et stable, puisque c'est la loi Esquirol, en 1838, qui a distingué le régime de placement volontaire, à la demande de la famille, et le régime du placement d'office, confié au préfet, et qu'elle n'a été modifié qu'en 1981, par la loi Sécurité et liberté, puis en 1990, par la loi Evin. Celle-ci a certes consacré les droits des personnes hospitalisées contre leur gré, mais elle a maintenu la distinction, avec les dénominations désormais d'hospitalisation d'office et d'hospitalisation à la demande d'un tiers. Actuellement, notre pays compte 80 000 hospitalisations contraintes chaque année, pour des cas de schizophrénie dans la moitié des cas : 63 000 à la demande d'un tiers et 17 000 d'office.

Ce texte réforme le droit de l'hospitalisation sous contrainte, en cherchant à concilier trois principes de même valeur, mais qui sont parfois antagonistes : le droit à la protection de la santé, la sécurité des personnes, les libertés individuelles. Il ouvre une alternative à l'hospitalisation complète, en faisant de l'enfermement une modalité de soins parmi d'autres : l'objectif est d'adapter notre droit aux soins psychiatriques et aux thérapeutiques désormais disponibles, en particulier aux soins ambulatoires.

Le dispositif, si fréquemment critiqué, de la sortie d'essai, est supprimé. Les personnes internées sous contrainte seront placées en observation pour une période de 72 heures maximum, en hospitalisation complète ; deux certificats médicaux de psychiatres devront alors établir s'il faut poursuivre les soins, et leur nature.

Ce texte, ensuite, développe le contrôle juridictionnel de l'hospitalisation contrainte, conformément à la décision précitée du conseil constitutionnel du 26 novembre 2010. Celui-ci a distingué l'admission en hospitalisation contrainte, en précisant qu'elle ne requiert par l'intervention du juge judiciaire, et le régime du maintien en hospitalisation contrainte, en précisant qu'il exige, avant l'expiration d'un délai de 15 jours, la saisine du juge judiciaire, gardien des libertés individuelles, lequel doit se prononcer dans les plus brefs délais. Dans le cas où l'hospitalisation contrainte se prolonge, ce texte prévoit l'intervention du juge judiciaire tous les six mois. Il dispose que l'ordonnance de mainlevée prise par le juge des libertés et de la détention (JLD) est susceptible d'appel - lequel n'est pas suspensif, sauf demande contraire du procureur de la République, s'il estime que la sortie de la personne présente un risque grave d'atteinte à l'intégrité du malade ou d'autrui.

Ce texte, ensuite, choisit de ne pas recourir systématiquement au juge judiciaire pour les soins ambulatoires sous contrainte : l'intervention du juge est donc obligatoire pour l'hospitalisation complète, mais facultative pour les soins ambulatoires.

Ce texte prévoit un dispositif spécifique applicable à certaines personnes susceptibles d'actes graves de violence : celles qui ont été reconnues pénalement irresponsables et qui font ou ont fait l'objet d'une hospitalisation d'office judiciaire ; celles qui font ou ont fait l'objet d'une hospitalisation en UMD. Dans ces cas, les sorties seront plus encadrées ; le JLD devra recueillir l'avis d'un collège de soignants et, s'il envisage la mainlevée de l'hospitalisation complète, ordonner une expertise judiciaire supplémentaire ; enfin, le préfet ne pourra mettre fin à l'hospitalisation d'office judiciaire qu'après avis d'un collège de soignants et deux avis concordants sur l'état médical du patient, émis par deux psychiatres étrangers à l'établissement d'hospitalisation.

Enfin, ce texte encadre la notion de tiers susceptible de solliciter une hospitalisation contrainte. En contrepartie, il crée une nouvelle procédure : l'admission sans tiers, en cas de péril imminent.

S'agissant de l'impact sur l'organisation judiciaire, l'étude d'impact évalue le nombre de saisines nouvelles à 61 000 pour les JLD et les besoins d'emploi entre 77 et 80 magistrats, 59 et 61 fonctionnaires de catégorie B, et 7 à 8 fonctionnaires de catégorie C.

Enfin, le texte prévoit que l'audience du JLD pourra s'effectuer par visio-conférence, dans des locaux adaptés de l'hôpital.

Les députés ont apporté plusieurs modifications. Ils ont introduit un droit à l'oubli, c'est-à-dire un retour au droit commun, pour les deux catégories de patients susceptibles de présenter un danger pour autrui passé un délai de plusieurs années après la fin de leur hospitalisation. L'Assemblée nationale a prévu une saisine automatique du JLD par le directeur de l'établissement d'accueil du patient lorsque le préfet n'ordonne pas la levée de l'hospitalisation complète alors que le psychiatre estime que cette hospitalisation n'est plus nécessaire. Elle a également prévu que, lorsque le JLD ordonne la mainlevée d'une mesure d'hospitalisation complète, sa décision prend effet dans un délai de 48 heures afin que le psychiatre de l'établissement puisse, le cas échéant, établir un protocole de soins, et que le patient puisse recevoir un traitement contraint sous forme de soins ambulatoires. Nous nous interrogeons, cependant, sur la constitutionnalité de cette situation puisqu'une personne demeurera contrainte pendant 48 heures, alors que la décision de mainlevée aura été prononcée.

Je vous proposerai pour ma part d'étendre la compétence du juge judiciaire, gardien des libertés individuelles, en le dotant d'une capacité de transformer une mesure d'hospitalisation complète en soins ambulatoires ; en prévoyant le contrôle de plein droit du JLD sur les mesures d'hospitalisation partielle sous contrainte ; en instaurant son intervention systématique en cas de désaccord entre le préfet et l'équipe médicale ; enfin, en unifiant le contentieux de l'hospitalisation sous contrainte, par la création d'un bloc de compétence judiciaire. Je vous proposerai également de permettre que le juge statue dans des conditions garantissant la sérénité des débats, en prévoyant qu'il pourra statuer en chambre du conseil et non publiquement, mais aussi que la visio-conférence sera adaptée à la situation des personnes malades. Enfin, je vous proposerai d'étendre et de préciser le droit à l'oubli introduit par l'Assemblée nationale, et de faire évoluer l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris.

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