Je souligne d'abord que le programme 180, auparavant consacré à la presse, inclut désormais les crédits affectés au livre et aux industries culturelles. Je ne saisis pas vraiment le sens et l'utilité de ce regroupement... Le soutien financier de l'État à la presse vise à garantir l'effectivité des principes fondamentaux de liberté de l'information et de pluralisme des expressions et opinions. Les subventions à l'édition et aux industries culturelles obéissent à des impératifs spécifiques à la création culturelle et à la protection des patrimoines. Le regroupement ne va pas dans le sens d'une meilleure lisibilité de la dépense publique...
Les moyens du plan de soutien exceptionnel de l'État en faveur de la presse sont maintenus en 2011, conformément aux engagements pris à la suite des États généraux de la presse écrite à l'automne 2008. Les crédits de paiement de la presse s'établiront à 420,5 millions d'euros, dont 115,4 millions pour les abonnements de l'État à l'agence France-Presse (AFP) et 305,1 millions d'aides à la presse.
M. Aldo Cardoso, dans son rapport sur la gouvernance des aides à la presse, fait un constat simple : le système, très ancien, est caractérisé par la fragmentation, voire le saupoudrage, et il est obsolète par rapport aux mutations du modèle économique des entreprises de presse.
Pour améliorer l'efficacité des aides, il me paraît important de conditionner leur octroi à la conclusion d'une convention entre l'État et l'entreprise de presse, sur la base d'une stratégie globale de redressement assortie d'engagements évaluables. L'accent devrait être mis sur les investissements structurels et d'avenir, favorisant l'innovation et la formation. Et nous avons besoin d'indicateurs pertinents et régulièrement réactualisés.
Il convient aussi de créer un fonds stratégique pluriannuel en faveur de la presse d'information politique et générale, qui regrouperait l'ensemble des aides à l'éditeur et qui serait consacré à la restructuration de la presse papier et numérique. Ce choix ambitieux rétablirait une cohérence des aides à l'éditeur, aujourd'hui éparpillées, voire contradictoires. M. Cardoso chiffre le montant idéal de ce fonds à 900 millions d'euros sur cinq ans, de 2011 à 2016. Le Gouvernement en aura-t-il la volonté, en ces temps de réductions budgétaires drastiques ?
Quant à renforcer les mécanismes de contrôle et d'évaluation, en mettant l'accent sur la vérité des coûts, cela n'aura de sens que si le ministère de la culture confie cette tâche à une structure indépendante, en faisant appel, le cas échéant, à l'Inspection générale des finances et la Cour des comptes.
Le plan de soutien massif annoncé par le Gouvernement à la suite des états généraux de la presse écrite ne s'est pas accompagné d'une révision des objectifs ni des critères d'évaluation. On a ainsi injecté plusieurs centaines de millions d'euros dans un système qui manquait cruellement de cohérence. On a privilégié une logique d'affichage, sans souci de cohérence globale. M. Cardoso dénonce les contradictions entre diverses mesures. Par exemple, l'aide au portage et l'aide au transport postal de la presse ont représenté respectivement 70 et 269 millions d'euros : chaque secteur est servi, mais les aides pourraient se neutraliser puisqu'il s'agit de deux modes de distribution concurrents. Il faut savoir choisir !
Rien n'a été fait jusqu'ici pour s'assurer que les aides à la presse contribuent effectivement à renforcer l'indépendance et le pluralisme. Certaines aides continuent d'être accaparées par des titres ou des familles de presse qui brillent par leur haut degré de concentration. Ne faudrait-il pas moduler l'attribution des aides en fonction du degré de concentration ? Sinon, pourquoi dépenser 12 millions d'euros en faveur du pluralisme ? On verse les aides de façon à faire plaisir à tout le monde mais leurs effets s'annulent.
Ne faudrait-il pas plafonner la détention, par un groupe privé vivant de la commande publique, du capital d'un grand groupe de médias ? Le Gouvernement, qui a déjà écarté la proposition de loi du groupe socialiste sur la concentration dans le secteur des médias, refuse de répondre.
Il y a, cependant, des sujets sur lesquels nous pouvons avancer ensemble, si nous raisonnons à partir d'un diagnostic honnête et rigoureux. Tout le monde souhaite une meilleure autorégulation du secteur, ce qui suppose de transformer le Conseil supérieur des messageries de presse en une véritable instance professionnelle dotée de la personnalité morale et d'un pouvoir normatif, avec, en contrepartie, la création d'une « Autorité de régulation de la distribution de la presse » appelée à trancher les différends.
Autorégulation ou non, les principes fondamentaux de la loi Bichet doivent s'appliquer, en particulier l'égalité de traitement entre les titres de presse. Soyons vigilants donc sur l'éventuelle pérennisation de certaines dérogations, telles que le plafonnement des quantités et l'assortiment des titres servis aux points de vente.
Enfin, en ce qui concerne l'AFP, là aussi des avancées peuvent être réalisées dans une démarche constructive. Il n'est pas envisageable de toucher aux articles 1, 2 et 14 du statut de 1957, qui fondent l'identité, l'ADN même de l'agence. Nous pouvons donc nous féliciter que l'actuel président-directeur général (PDG) ait écarté la transformation de l'AFP en une société dotée d'un capital.
Dans un climat plus apaisé, nous pouvons travailler à la réforme de la gouvernance, et à la consécration des missions d'intérêt général de l'AFP afin de justifier au regard du droit communautaire le versement d'une compensation financière par l'État - 115,4 millions d'euros en 2011. Là encore, les principes d'indépendance et de pluralisme de l'information doivent guider nos réflexions.
Compte tenu de l'absence de réévaluation des objectifs et des mécanismes de contrôle, je ne suis pas en mesure de donner un avis favorable aux crédits de la presse au sein du programme 180.