Intervention de Roland du Luart

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 4 octobre 2006 : 1ère réunion
Contrôle budgétaire — « justice » - formation des magistrats et des greffiers en chef à la gestion - communication de m. roland du luart rapporteur spécial

Photo de Roland du LuartRoland du Luart, rapporteur spécial :

a indiqué qu'après s'être intéressé, l'année dernière, à la question essentielle des frais de justice, il avait souhaité aborder, dans le cadre de ses travaux de contrôle, le thème de la formation des magistrats et des greffiers en chef à la gestion.

Il a, tout d'abord, rappelé que les impératifs d'une bonne gestion des crédits étaient, aujourd'hui encore plus qu'hier, au coeur des enjeux de la justice et que, dans ces conditions, la formation à la gestion devenait une dimension incontournable du cursus des acteurs de l'institution judiciaire.

Il a indiqué que les conclusions qu'il soumettait à l'approbation de la commission s'appuyaient sur des auditions menées à l'occasion de ses déplacements à l'Ecole nationale de la magistrature (ENM) et à l'Ecole nationale des greffes (ENG), ainsi que sur des rencontres avec les équipes pédagogiques, les élèves en cours de formation et les acteurs de la vie des juridictions.

a insisté sur la nécessité de consolider le lien de confiance entre la Nation et ses magistrats, à l'heure où un divorce semble se dessiner entre l'opinion publique et le corps de la magistrature.

Il a indiqué que la formation à la gestion des magistrats et des greffiers en chef consistait, en formation initiale, à les sensibiliser aux problématiques et aux outils de gestion. Elle était ensuite complétée par une approche plus pratique et plus directement opérationnelle, en formation continue.

Décrivant le cursus des auditeurs de justice et des élèves de l'ENG, il a précisé que pour ces élèves, dont la culture et le profil étaient essentiellement juridiques, la gestion constituait souvent une découverte, pour laquelle leur appétence était relativement faible. Concernant la scolarité des auditeurs de justice à l'ENM, il a expliqué qu'une série de modules de formation consacrés aux techniques budgétaires et aux enjeux financiers était proposée aux élèves. Revenant, ensuite, sur la formation dispensée à l'ENG, il a indiqué que la gestion y revêtait une importance toute particulière, les élèves greffiers en chef ayant à mobiliser, dans leurs futures fonctions, des compétences en gestion administrative et budgétaire, en gestion du personnel, en organisation, en management et en communication. Il a ajouté que la réforme de l'ENG, menée en 2003, avait permis, avec l'allongement de la durée de scolarité, un fructueux « reprofilage » des programmes et s'était accompagnée d'une revalorisation des cours de management et de gestion. Il a cité, parmi les thèmes traités par ces formations, les frais de justice, la collecte de l'information statistique, la conception de tableaux de suivi, la maîtrise de l'outil informatique et la prévision budgétaire.

S'agissant de la formation continue, M. Roland du Luart, rapporteur spécial, a indiqué que les deux acteurs majeurs étaient l'ENM et l'ENG, certaines formations étant, d'ailleurs, mises en place en partenariat entre ces deux écoles. Il a précisé que, à côté de cette offre de formation à vocation nationale, coexistait une offre « déconcentrée », conçue et proposée à l'échelle des cours et des juridictions, via les Magistrats délégués à la formation (MDF) et les Responsables de la gestion de la formation (RGF). Il a, également, évoqué l'administration centrale, amenée à développer, ponctuellement, des programmes de formation spécifiques sur des problématiques de gestion identifiées comme prioritaires.

Concernant la formation continue des magistrats, il a souligné qu'il n'y avait pas, pour les magistrats en poste, d'obligation à se former au cours de leur carrière, mais qu'ils disposaient d'un droit à la formation de cinq jours par an. Il a insisté sur l'adéquation entre les modules proposés et les attentes de la part des magistrats. Il a précisé que cette formation avait pour objectif d'accompagner les magistrats dans leurs changements de fonction, de répondre à leurs besoins de formation à l'encadrement et de les aider à mieux appréhender les réformes législatives ayant un impact sur la gestion des juridictions. A cet égard, il a estimé que les parlementaires devraient, avant toute réforme législative, se fixer pour règle de procéder à des simulations sur l'impact des textes en discussion ayant des conséquences sur le travail des juges.

a cité, à titre d'exemple, une session sur les « Frais de justice », un cycle de formation portant sur « La LOLF, les contrats d'objectifs et les indicateurs d'activité », un atelier consacré au « Plan de formation des cadres » et un module dédié à l'« Actualité des cours d'appel ». Etant lui-même intervenu dans le cadre du cycle consacré à la LOLF, le 18 mai 2006, il a témoigné de la qualité d'écoute des magistrats, de la haute tenue des échanges et du souci de l'ENM d'aborder, à cette occasion, les vrais sujets de préoccupation de l'institution judiciaire.

Décrivant la formation continue des greffiers en chef, il a indiqué que ceux-ci bénéficiaient de dix jours de formation obligatoire par an, sur une période de cinq ans à compter de la titularisation. Il a précisé que, par la suite, ils continuaient de se voir proposer une offre de formation à la gestion, mais cette fois sur la base du volontariat.

s'est félicité que certaines de ces formations, comme par exemple celle relative à la LOLF, soient ouvertes tant aux greffiers en chef qu'aux magistrats. Il a estimé que de tels partenariats permettaient de bénéficier, à la fois, d'économies d'échelle dans l'organisation de ces modules et de synergies grâce aux échanges d'expériences qu'elles favorisaient.

Il a souligné que les méthodes pédagogiques mises en oeuvre à l'ENM et à l'ENG se caractérisaient par une réelle professionnalisation et que, face au défi de la technicité et de la complexité de la gestion appliquée à la justice, cet enseignement remplissait son contrat. Il a estimé que cette formation avait su prendre le tournant de la modernité et de l'efficacité, notamment en tirant profit des compétences internes au ministère de la justice et en ayant judicieusement recours aux partenariats.

s'est, en outre, félicité que les formations offertes reposent largement sur l'intervention et l'expérience des praticiens, en citant l'exemple de l'ENM, où l'équipe pédagogique était constituée de trente cinq magistrats expérimentés et était renforcée par des conférenciers occasionnels, issus des juridictions ou extérieurs au ministère de la justice, venant partager leur expertise.

Il a, par ailleurs, porté un jugement très positif sur les conditions de travail offertes par les deux écoles, à Bordeaux et à Paris, pour l'ENM, et à Dijon, pour l'ENG. Il a, également, salué le recours aux stages et à une politique de partenariats dynamique, gage de qualité de l'enseignement.

a, toutefois, jugé perfectible cette formation à la gestion et a fait part à la commission des améliorations qui, selon lui, étaient envisageables.

Il a, tout d'abord, évoqué l'évaluation de la formation, qui ne devait plus se limiter à une évaluation « à chaud », c'est-à-dire immédiatement à l'issue du cours reçu, mais, au contraire, permettre la prise de distance. Dans cette perspective, il a estimé souhaitable de la compléter par une évaluation a posteriori, dans une période de six mois à un an après la sortie des élèves de l'école ou la fin de la session de formation continue. Il a indiqué que l'ENG avait, d'ailleurs, déjà commencé à s'engager dans cette voie. Il a ajouté que cette évaluation devait, aussi, procéder à un tour d'horizon plus complet des acteurs concernés par la formation (chefs de cour, magistrats, chefs de greffe, coordonnateurs de SAR) et non plus être uniquement tournée vers le « formé ».

a indiqué qu'une autre amélioration résidait dans la diversification des profils à l'entrée des deux écoles. A cet égard, il a précisé que les candidats reçus aux concours n'avaient que rarement un profil gestionnaire, et que la majorité présentait un profil très juridique. Il a estimé qu'une telle homogénéité pénalisait la diffusion souhaitable d'une culture de gestion au sein de l'ensemble de l'institution judiciaire. Aussi, afin d'attirer un plus grand nombre de diplômés en gestion, a-t-il préconisé la présence de l'ENG et de l'ENM sur les campus de recrutement, organisés par la plupart des écoles et des universités de gestion, ainsi qu'une évolution des épreuves du concours d'entrée de ces deux écoles, en y introduisant une composante liée à la gestion.

Il a, en outre, rappelé que les nouvelles technologies devaient être encore mieux mises au service de la formation des magistrats et des greffiers en chef à la gestion. Il a précisé que les deux écoles avaient, d'ores et déjà, commencé à tirer profit de l'apport des nouvelles technologies dans la pédagogie qu'elles mettaient en oeuvre. Dans cette perspective, il a cité l'exemple de l'ENM mettant à la disposition de chaque auditeur de justice un ordinateur portable. Il a, néanmoins, considéré que tout le potentiel de cette révolution technologique était loin d'être épuisé. Evoquant l'éloignement géographique entre les deux écoles et la journée de train nécessaire pour aller de l'une à l'autre, il a estimé que la « visioconférence » et le « e-learning » constituaient les prochaines étapes à franchir.

a souligné que la formation à la gestion des magistrats et des greffiers en chef devait, également, pouvoir s'enrichir d'approches différentes et d'expériences encore plus diversifiées. De ce point de vue, il a souhaité que la politique de partenariats et de stages soit encore densifiée pour aller chercher l'expertise en matière de gestion là où elle se trouvait le plus développée : dans les écoles de commerce, les universités et les entreprises. Il a précisé que l'ENM travaillait d'ailleurs, d'ores et déjà, sur une telle collaboration, avec l'école des Hautes études commerciales (HEC) et l'Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC), l'objectif étant d'impliquer les enseignants de ces écoles dans la direction de certaines sessions de formation et de favoriser les transferts de savoir-faire pédagogiques.

Il a, par ailleurs, regretté que la distinction fondamentale entre la gestion et le management ne soit pas clairement établie dans les formations proposées. Il a rappelé que l'enseignement de la gestion, au sens strict, renvoyait à l'acquisition de techniques, tandis que la formation au management correspondait à des savoir-être : savoir motiver une équipe, savoir encadrer, savoir imaginer des solutions nouvelles... Il a indiqué que la formation à la gestion des magistrats et des greffiers en chef tendait, jusqu'à présent, à privilégier la gestion, stricto sensu, au management. Aussi, a-t-il jugé utile un rééquilibrage de la formation, au profit de l'enseignement du management, l'une des clefs de succès des réformes engagées au sein de l'institution judiciaire résidant dans la capacité des magistrats et des greffiers en chef à s'impliquer et à mobiliser les équipes.

a, également, appelé de ses voeux une plus grande valorisation des efforts de formation dont faisaient preuve les magistrats et les greffiers en chef. Il a insisté sur la nécessité de mieux prendre en compte ces efforts dans l'évaluation des personnels et leurs déroulements de carrière.

Il s'est félicité que la formation à la gestion tienne, désormais, une place essentielle dans les enseignements dispensés aux auditeurs de justice, aux élèves de l'ENG, ainsi qu'aux magistrats et aux greffiers en chef en fonction. Il a souligné, à cet égard, les efforts très significatifs, engagés au cours des dernières années, au sein de l'ENM comme de l'ENG, pour prendre la mesure de ce nouvel impératif et l'inscrire dans des programmes déjà très chargés. Il a affirmé que la gestion n'était plus le « parent pauvre » de ces cursus et a insisté sur cette révolution culturelle, qui marquait autant la volonté de s'adapter à la nouvelle donne budgétaire que la capacité à mener à bien ce défi. Il a considéré que l'entrée en application de la LOLF expliquait certes, en partie, cette volonté, mais qu'il fallait également voir dans ce mouvement une véritable prise de conscience et une adhésion aux nouvelles règles budgétaires.

Il a estimé que ce constat encourageant n'était pas neutre, à l'heure où la Nation semblait douter de la Justice, comme des hommes et des femmes qui la rendaient. Il a affirmé qu'il fallait y voir le signe de la capacité d'adaptation de l'institution judiciaire, de son souci de bien faire et de rester en phase avec les attentes que les Français nourrissaient à son égard.

Pour conclure, M. Roland du Luart, rapporteur spécial, a souhaité que cette mission de contrôle puisse efficacement contribuer à renouer le lien si précieux qui unissait, au sein de la République, la justice et le justiciable, le service public de la justice et l'administré, le magistrat et le citoyen. S'appuyant sur l'expérience d'un stage réalisé, au cours du mois de mai 2006, à la Cour d'appel de Paris, il a estimé que le Sénat était perçu par les magistrats comme un interlocuteur de qualité, fiable et sérieux.

Un large débat s'est alors instauré.

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