j'espère votre indulgence. Il a fallu étudier dans des délais étaient extrêmement brefs ce volumineux projet de loi, vigoureusement amendé par les députés qui l'adopteront seulement cet après-midi. Dans le contexte pour le moins tendu qui est le nôtre, mon approche sera constructive, responsable, mais sans langue de bois.
Le PLFSS retrace plus de 450 milliards de dépenses, dont 330 milliards pour les quatre branches du régime général, ainsi que les comptes de la « branche » recouvrement, les dépenses médico-sociales et les comptes d'organismes qui contribuent au financement de la protection sociale, dont le fonds de solidarité vieillesse (FSV). Avec une première partie consacrée à l'exercice clos, la deuxième à l'année en cours et les deux dernières à l'année à venir, son architecture, depuis la loi organique du 2 août 2005, permet une analyse rétrospective de nos finances sociales, ce qui renforce nos moyens de contrôle.
Le cadrage pluriannuel, qui figure à l'annexe B, nous offre, lui, une vision prospective. La masse salariale, qui détermine les trois quarts des ressources de la sécurité sociale, progresserait de 3,7 % en 2011 et en 2012, puis de 4 % l'an à partir de 2013. Le chiffrage pour 2012 apparaît totalement dépassé : sous la pression des marchés et de nos partenaires européens, le Président de la République a déjà ramené la prévision de croissance de 1,75 % à 1 %, mais sans en tirer les conséquences. Nous serons attentifs : il faudra une répartition équitable de l'effort et, surtout, éviter toute dérive des comptes. D'après les projections, le déficit du régime général diminuerait un peu, pour atteindre 8,5 milliards en 2015. A l'évidence, l'effort de maîtrise des dépenses prévu ne suffira pas. Qui plus est, une moindre progression de la masse salariale de 1 % signifierait 2 milliards supplémentaires de déficit... En tout cas, ce cadrage pluriannuel présente l'avantage non négligeable de tracer une trajectoire.
L'année 2010 est marquée par le déficit record du régime général : 23,9 milliards, soit plus du double qu'en 2008. La branche maladie, en particulier, a vu ses comptes plonger avec un solde négatif de 11,6 milliards, soit trois fois le montant de 2008. Si cette situation s'explique par la chute des recettes, j'estime, comme la Cour des comptes, que notre pays ne serait pas tombé aussi bas si nous avions abordé la crise avec des comptes équilibrés. Les 10 milliards de déficit, constatés chaque année depuis 2004, ont plombé durablement nos finances sociales. Et nous devrons en payer le prix très longtemps.
L'année 2011 amorce un léger redressement. La plus forte progression de la masse salariale (3,7 % cette année) permet d'espérer un moindre déficit de 2,7 milliards par rapport à la prévision, la branche maladie restant la plus déséquilibrée (- 9,6 milliards, soit plus de la moitié du déficit total).
Enfin, 2012 s'inscrit dans la trajectoire de réduction des déficits publics à 4,5 % du PIB. Le déficit du régime général s'établirait à 13,9 milliards. Les ressources progressent de 4,9 %, dont 5,3 milliards de mesures nouvelles qui semblent éparpillées à dessein entre le collectif du 19 septembre dernier, ce texte et le budget pour 2012. Par exemple, la taxe sur les alcools forts relève de la loi de financement, celle sur les boissons sucrées de la loi de finances : comment le commun des mortels peut-il s'y retrouver ? Quant aux dépenses, elles augmentent de 3,3 %. L'écart avec la progression des recettes permettrait une réduction du déficit de 4,3 milliards par rapport à 2011.
Avant de vous livrer mes réflexions sur l'assurance maladie, quelques observations générales sur nos finances sociales. D'abord, ce PLFSS, comme les précédents d'ailleurs, ne résout rien : ni la question des déficits, ni celles du manque structurel de recettes, de l'accès aux soins, du reste à charge ou encore des hôpitaux. Au mieux, c'est faire preuve de négligence, au pire, d'irresponsabilité.
Un exemple à nouveau : la dette de la branche vieillesse du régime des exploitants agricoles sera de 3,8 milliards fin 2011. Que propose le Gouvernement ? En transférer 2,5 milliards à la Cades et affecter davantage de « droits alcools » au régime agricole au détriment de la caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) : un vrai jeu de bonneteau ! Rien n'est prévu pour couvrir les 8,2 milliards de déficits des branches maladie et famille pour 2012. Les enverra-t-on, eux aussi, à la Cades ou les laissera-t-on dans les comptes de l'Acoss ? Cette politique de court terme est inacceptable : elle revient à transférer sans état d'âme à nos enfants et petits-enfants une dette sociale qui a doublé depuis 2007 !
Ensuite, le Gouvernement persiste dans sa politique de réajustements ponctuels des recettes. Les mesures proposées ne répondent à aucune stratégie d'ensemble ; elles ne sont pas à la hauteur des enjeux. Pour la troisième année consécutive, le forfait social augmente de deux points pour atteindre 8 %. Pourquoi cette politique des petits pas, quand on attendrait un relèvement plus net ? On ne compte plus les instances, telle l'inspection générale des finances (IGF) dans le rapport Guillaume de juin dernier, qui défendent cette position.
L'Assemblée nationale, unanime, a supprimé l'assujettissement du complément de libre choix d'activité à la CSG. De fait, faut-il s'attaquer aux revenus de personnes souvent fragilisées par la crise ?
Enfin, la définition d'une vraie stratégie de mobilisation des recettes est devenue une priorité si nous voulons sauvegarder notre système de protection sociale. Pour moi, celle-ci doit reposer sur trois piliers : la suppression de mesures coûteuses et inefficaces, comme les exonérations sur les heures supplémentaires de la loi Tepa ; la révision des niches sociales - il reste des marges de manoeuvre sur les stock-options, les retraites chapeau et autres indemnités de rupture ; la mobilisation de nouvelles recettes avec un meilleur ciblage des allégements généraux de charges sociales. Je préciserai, pour mes collègues de l'opposition, qu'il s'agit non de relâcher l'effort, mais de travailler à une maîtrise des dépenses juste, pour une plus grande efficacité du système au profit de nos concitoyens.
J'en viens à l'assurance maladie qui constitue notre principal poste de dépenses. Notre système de santé, s'il est l'un des meilleurs au monde pour un coût qui se situe dans la moyenne des pays de l'OCDE, est soumis à de fortes tensions. Les affections de longue durée (ALD) - principalement, le diabète, les cancers, les maladies cardio-vasculaires, l'hypertension artérielle sévère et les affections psychiatriques de longue durée - progressent en moyenne de 4 % par an : déjà, en 2010, elles ont absorbé deux tiers des dépenses.
Autre sujet de préoccupation abondamment traité par la Cour des comptes dans son dernier rapport annuel : le haut niveau des dépenses de médicaments, 13 % de l'Ondam environ. Outre la culture française de la prescription, les modalités de fixation du prix des médicaments et des taux de remboursement sont perfectibles. D'autant que les génériques sont nettement plus chers en France, deux fois plus qu'au Royaume-Uni, preuve que le système actuel de négociation avec les laboratoires n'a rien donné.
Surtout, notre protection sociale souffre de la politique menée ces dernières années. De fait, le Gouvernement, plutôt que de remédier à l'insuffisance chronique des recettes, a multiplié des solutions de court terme qui érodent les fondements de la solidarité : sans parler des déremboursements, citons la participation forfaitaire d'un euro pour les consultations médicales en 2004, les franchises sur les actes des auxiliaires médicaux et les transports sanitaires ou encore celle sur les boîtes de médicaments en 2008. Je vous proposerai de supprimer cette dernière, car elle symbolise l'inégalité et l'injustice de cette démarche.
Tout cela rend plus difficile l'accès aux soins ; nous le constatons dans nos territoires. D'abord, pour une question financière : environ 16 % des Français, voire 30 % d'après un sondage l'an dernier, renonceraient aujourd'hui à se soigner pour ce motif. L'explosion des dépassements d'honoraires, qui culminaient à 2,5 milliards en 2010, remet en cause notre système obligatoire de base - le directeur de la Cnam nous l'a dit très clairement. Face à cette situation, les plus modestes se tournent vers l'hôpital, mais les soins courants ne sont désormais remboursés qu'à hauteur de 50 % à 60 % en moyenne. L'accès aux soins, c'est aussi la question de l'inégale répartition des médecins libéraux sur le territoire qui impose plus de volontarisme que les mesures dites incitatives.
Face à ces enjeux, ce texte ne propose que des dispositions cosmétiques : accroissement du rôle de la Haute Autorité de santé (HAS) en matière médico-économique ; création d'un fonds d'intervention régional (Fir) ; confirmation du principe de gratuité des soins dans le régime des mines, hors forfait hospitalier ; évolution du mode de rémunération des pharmaciens ; indicateurs de performance dans les hôpitaux et sanctions en cas de non-respect des objectifs ; instauration d'une tarification spécifique pour les patients étrangers fortunés hospitalisés. Au cours des débats à l'Assemblée nationale, le Gouvernement, outre qu'il a prolongé le régime d'autorisation d'exercice des médecins étrangers, a augmenté le plafond de ressources permettant de bénéficier de l'aide à la complémentaire santé, ce qui est une bonne mesure ; ce qui l'est moins est d'avoir forcé la main des partenaires conventionnels s'agissant du secteur optionnel.
Pour finir par des chiffres, le Gouvernement propose une progression globale de l'Ondam de 2,8 %, et de 2,7 % pour les enveloppes hôpital et soins de ville ; une projection qui pourrait être encore révisée très prochainement à la baisse, dit-on. Le respect de cet objectif supposera 770 millions de baisse de prix sur les produits de santé et médicaments, 1,2 milliard de renforcement de la maîtrise médicalisée des dépenses et 220 millions tirés de la diminution des indemnités journalières maladie et AT-MP.
Je n'avais pas le temps ce matin d'entrer dans les détails ; nous y reviendrons en examinant les amendements. Néanmoins, indiquons d'emblée que je défendrai la suppression de la convergence tarifaire entre les établissements de santé publics et privés.
Nous devons réfléchir en termes de dépenses de santé et non plus de dépenses d'assurance maladie. Ce changement d'approche permettrait d'en finir avec une perspective réduite à la régulation macro-économique et de lancer des réformes de fond. Je pense, notamment, à des sujets comme la prévention, la coopération entre les professionnels, l'articulation entre l'hôpital et la ville ou encore l'éducation du patient. Nous avons besoin d'une nouvelle loi de santé publique ; celle de 2004 est dépassée. La tâche est immense, mais elle est nécessaire si l'on veut consolider notre protection sociale.