Intervention de Louis Gallois

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 22 juin 2010 : 1ère réunion
Nouvelle organisation du marché de l'électricité — Audition de M. Louis Gallois président exécutif d'eads

Louis Gallois, président exécutif d'EADS :

Je me réjouis d'échanger avec la représentation nationale sur des sujets qui touchent certes à mon entreprise, mais la dépassent aussi.

EADS a un chiffre d'affaires de 43 milliards d'euros. Le groupe est composé à 65 % d'Airbus, à 35 % des autres activités, c'est-à-dire Eurocopter, spécialisé dans la fabrication d'hélicoptères, Astrium, dédié à la construction de lanceurs spatiaux, de missiles balistiques et de satellites. DS regroupe les activités de défense classiques avec MDBA, le premier missilier mondial, des activités de défense liées à l'aéronautique -nous sommes le 1er partenaire de l'Eurofighter- ou encore des activités de sécurité, par exemple la surveillance des frontières de l'Arabie Saoudite dont nous avons remporté le marché l'an dernier. Autrement dit, Airbus est une composante essentielle d'EADS, sans être la seule. Le cauchemar financier de l'A400M, avion de transport militaire promis à un grand avenir, explique les résultats négatifs de l'an dernier. Nous souhaitons qu'Airbus, qui a longtemps porté le groupe et qui supporte les surcoûts de l'A380 et de l'A400M, redresse sa situation. En la matière, les perspectives s'améliorent.

De fait, la crise a eu un effet relativement limité sur le secteur des avions commerciaux car nous réalisons près de 70 % de nos ventes en Asie, Moyen-Orient et Amérique latine, zones qui ont bien résisté à la crise. Nous avons livré plus d'avions en 2009 que jamais -même si cela n'est pas autant que nous l'aurions souhaité. Après une année 2010 qui sera du même ordre, la production augmentera en 2011. Si les commandes massives, comme celle annoncée par la compagnie Emirates au salon de Berlin il y a quinze jours, seront l'exception, la reprise du trafic aérien, sensible partout sauf en Europe, permettra aux compagnies de reconstituer leur situation financière et de procéder à de nouveaux achats, à partir de 2011-2012. Pour l'heure, notre carnet de commandes est suffisamment rempli. L'important est, pour nous, d'avoir de solides perspectives de reprise, ce qui est le cas. En revanche, le secteur des hélicoptères civils a davantage souffert de la crise. Ce marché, actuellement plat, ne se dégrade plus. Il se redressera lorsque les 500 hélicoptères récents actuellement sur le marché de l'occasion seront écoulés. Bref, la crise a été gérée, la reprise est devant nous, au moins hors des frontières européennes.

Quelques mots sur les programmes. Les retards de livraison de l'A380, notre « super gros bébé », s'expliquent par les perturbations du processus de mise en oeuvre industrielle dues aux exigences des compagnies aériennes quant à l'individualisation de la cabine dont elles ont fait leur porte-drapeau. Pour autant, la situation s'est nettement améliorée depuis neuf mois : nous avons livré 7 avions depuis le début de l'année, et nous en prévoyons d'en livrer vingt au total en 2010 contre 10 en 2009. Nous poursuivrons cet effort en 2011. Après avoir maîtrisé les incertitudes liées à un processus industriel très complexe, nous devons maintenant travailler à réduire le coût de fabrication de cet avion.

L'A400M représente, pour EADS, une rude épreuve : nous avons déjà provisionné 4 milliards sur le contrat de 180 avions à livrer aux sept pays européens clients, soit une perte de 20 %. D'autant que, contrairement à nos concurrents américains qui bénéficient d'un système de prix dit « cost plus » selon lequel le Pentagone prend en charge le coût de production et paie une marge aux entreprises, nous travaillons avec un système de prix fixe qui nous impose de prendre en charge le surcoût des avions. Au terme de négociations, nous sommes parvenus à un accord en mars avec les sept États acquéreurs : un effort de 2 milliards des États, soit une augmentation de 10 % du prix de l'avion, et 1,5 million d'avances remboursables sur les exportations. Les négociations pour transformer cet accord en contrat se déroulent dans un climat difficile : le diable est dans les détails, disent nos amis anglais, et surtout l'heure est au serrage de vis pour les budgets de la défense. Néanmoins, le respect de cet accord est sur la bonne voie. Au plan technique, les essais se poursuivent -deux avions volent, un troisième volera dans les prochains jours. Cependant, certains défis techniques demeurent : le système de contrôle de vol ou le système de gestion des charges.

Autre point positif, le retour de l'euro à un niveau raisonnable. Contrairement à nos concurrents américains qui travaillent uniquement avec le dollar, nous achetons en euros et vendons en dollars. Un euro fort avantageait donc Boeing. Pour nous, le taux moyen de l'euro qui correspond à une parité de pouvoir d'achat doit être de 1 euro pour 1,15 à 1,20 dollar. Nous sommes à 1,24 actuellement. Une augmentation du cours de l'euro de dix centimes représente une diminution d'1 milliard de résultat net pour EADS : il conditionne donc les résultats de l'entreprise. L'inverse est également vrai. Ayant pris des couvertures de change pour nous protéger d'un dollar faible, nous ne bénéficierons des effets d'un euro plus raisonnable qu'en 2013-2014. Quoi qu'il en soit, la baisse de l'euro, si elle est durable, bouleverse le paysage pour une industrie de long terme comme la nôtre.

Quels sont nos principaux défis ? Le premier est de construire l'A350, le successeur de l'A330, majoritairement construit à partir de matériaux composites, y compris le fuselage. Cependant, nous avons tiré les bons enseignements du programme 787 de Boeing dont la mise au point est loin d'être une partie de plaisir pour les Américains. Nous maintenons le calendrier de la livraison d'un premier avion en juillet 2013, mais nous n'avons plus de marges calendaires. Second défi : la réduction des budgets de la défense de nos principaux clients, les pays « domestiques », soit l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la France et l'Espagne. Dans le dialogue avec les États, nous devons montrer l'importance de préserver notre capacité en recherche et développement pour l'avenir et de ne pas opérer de coupes budgétaires, en priorité, sur les programmes de coopération, sources d'économies, au bénéfice des programmes nationaux, parfois plus sensibles pour les opinions publiques nationales. Pour exemple, la France ne saurait financer seule le programme de l'A400M, un avion militaire de transport qui reste moins cher que l'avion américain à la tonne transportée, malgré la hausse des prix qui a été acceptée. En bref, depuis quelques mois, la sortie de crise, l'évolution de l'euro et la remise en ordre du processus industriel de l'A380 inscrivent l'entreprise dans une dynamique positive ressentie par le personnel, dont le moral était assez bas selon un sondage de début 2009.

EADS fête cette année son dixième anniversaire. Ce projet, conçu par deux chefs d'entreprise, le Français Jean-Luc Lagardère et l'Allemand Jürgen Schrempp, patron de Daimler, soutenus par les gouvernements français, allemands et espagnols, avait pour but de constituer un groupe européen capable de faire face aux industries américaines qui s'étaient regroupées autour de quatre géants, Boeing, Lockheed Martin, Northrop Grumman et Raytheon. Ce pari est réussi. Avec une taille comparable à celle de Boeing, que nous avons devancé en 2008, nous avons réalisé un chiffre d'affaires en augmentation de 75 % en dix ans, investi 22 milliards dans la recherche et développement -soit plus que Boeing. EADS est le premier contributeur à la balance commerciale française. Nous avons créé 15 000 emplois nets dans la haute technologie en Europe, y compris durant la crise. Enfin, nous achetons en France pour quelque 13 milliards. Dans le paysage industriel mondial, nous sommes désormais placés au même rang que Boeing. Pour preuve, le Pentagone, pour la première fois, a souhaité que nous participions à l'appel d'offre concernant les avions ravitailleurs, le plus gros programme à lancer par le Pentagone pendant cette décennie, en qualité de maître d'oeuvre du programme, et non de sous-traitant comme en 2008.

Pour conclure, rappelons le succès de cette entreprise véritablement franco-allemande, qui représente l'Europe pour les citoyens à travers AIRBUS et ARIANE. Avec une trésorerie nette de 9 milliards en cette fin d'année, nous sommes prêteurs sur le marché monétaire dans des proportions que seuls atteignent les pétroliers. Cela confirme la robustesse de notre entreprise !

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