Intervention de Louis Gallois

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 22 juin 2010 : 1ère réunion
Nouvelle organisation du marché de l'électricité — Audition de M. Louis Gallois président exécutif d'eads

Louis Gallois, président exécutif d'EADS :

Monsieur Chatillon, dans l'industrie aéronautique, il est indispensable d'avoir une vision de long terme quand nos programmes ont une durée de vie de 30 à 40 ans. Mon métier est de regarder à long terme. Pour m'en tenir à un seul exemple, les avions de transport militaire ont une durée de vie moyenne de 40 ans. Et Ariane 6 est à un horizon 2025-2030. Autrement dit, 2013-2014, moment où nous commencerons à ressentir les effets bénéfiques d'un euro raisonnable, pour nous, c'est demain !

Nous croyons beaucoup au développement des nouveaux carburants à partir de produits non alimentaires, telles les algues qui présentent l'avantage d'une forte capacité énergétique et d'un bilan carbone excellent. S'ils ne remplaceront pas le kérosène du jour au lendemain, il faut y réfléchir dès aujourd'hui. Nous avons fait voler un petit avion alimenté par un tel carburant au salon de Berlin. Boeing vient à son tour d'annoncer le lancement de recherches sur les carburants à base d'algues...

Toulouse a effectivement subi deux déconvenues avec Galileo ; nous examinons notre gestion de l'appel d'offres ; s'agissant de Météosat -notre responsabilité m'apparaît moins évidente dans cette affaire. Pour autant, une entreprise ne peut pas remporter toutes les compétitions auxquelles elle participe ! A court terme, il n'y a pas de raison de s'inquiéter.

Monsieur Raoul, oui, nous avons besoin de projets industriels européens. Hélas, l'heure est plutôt au repli sur soi avec la crise quand nous devrions lancer des projets concrets et valorisants, incarnation de l'Europe aux yeux de nos concitoyens, en matière de véhicule électrique, ou de génétique, pour ne pas parler que de l'aéronautique et de l'espace !

Les pays émergents représentent un marché très important grâce auquel nous avons pu faire face à la crise. Si nous voulons vendre chez eux, nous devons accepter la coopération industrielle. Ne nous faisons pas d'illusions : il y aura transfert de technologies, malgré toutes les précautions prises et leur propre niveau est de plus en plus élevé. La Chine a lancé un homme dans l'espace, pas l'Europe ! En 2016, la Chine sortira son premier avion, concurrent de l'A320. Pour faire face à cette nouvelle concurrence qui mettra fin au duopole Airbus-Boeing, trois mots : innovation, qualité et service. Le différentiel auprès des compagnies aériennes s'opérera sur notre niveau de qualité de service, notre capacité, par exemple, à dépêcher une équipe sur place en cas de problème, dans les délais les plus brefs et cela durant 30 ans après l'acquisition de nos appareils.

Si nous n'avons pas à rougir de la productivité en France, convenons que le nombre d'heures travaillées en France, où l'on entre tard sur le marché du travail pour le quitter tôt, se situe dans le bas de la fourchette européenne. Ce problème mérite d'être étudié de près. Pour avoir longtemps travaillé à la SNCF, je sais qu'il faut offrir des contreparties dans une négociation, en matière par exemple de droits des salariés au sein de l'entreprise. Le système de co-détermination en Allemagne, s'il n'est sans doute pas transposable tel quel en France, me semble, dans son principe, une piste intéressante.

Monsieur Bécot, la coopération avec les pays émergents peut être très productive : je pense à la fabrication de l'hélicoptère avec les Chinois dont les coûts sont partagés également entre nous et qui nous donne accès à leur marché où nous sommes leur principal fournisseur pour le marché civil. La réévaluation du yuan n'a pas d'impact sur EADS. L'installation d'une chaîne d'assemblage en Chine n'avait pas pour objectif de faire des économies -cela nous coûte même plus cher qu'une production en France ou en Allemagne-, mais de faciliter notre accès au marché chinois, le premier du monde. Nous vendons aujourd'hui 20 % de nos avions en Chine et sommes passés de 10 à 40 % de parts de marché !

Monsieur Mirassou, Hambourg se plaint que Toulouse concentre tous les pouvoirs d'Airbus. Je vous rappelle que Toulouse assemble l'A380, soit l'équivalent en charge de travail par avion de la production de huit A320, et on va y assembler l'A350, soit l'équivalent par avion de 5 A320. Nous avons 530 commandes d'A350, soit l'équivalent de 2 500 A320, dont l'assemblage est partagé entre Hambourg et Toulouse. Est-il raisonnable de conserver deux chaînes d'assemblage pour un avion ? Je ne crois pas que cela soit compétitif. Je défends le choix industriel d'assembler le successeur de l'A320 à Hambourg fait en 2001 lorsque l'A380 a été lancé car Toulouse n'est pas lésée. Sans la contribution financière des Allemands, Airbus n'existerait pas, même si la capacité technique était principalement française. Conservons un équilibre. Quant à la grève à Airbus, j'estime que le blocage des approvisionnements de l'usine par un groupe limité de salariés n'est pas acceptable. Les personnels ont obtenu de substantielles augmentations de salaires. Bref, le sacrifice supposé de Toulouse au bénéfice de Hambourg relève d'un procès d'intention récurrent et commode.

J'en viens aux sous-traitants. Aerolia construit une usine en Tunisie, mais Premium Aerotech en prépare une en Roumanie. Nous devons effectivement conserver les points critiques et les compétences-clés du processus industriel en Europe tout en étant présents dans le monde entier, pour une entreprise comme la nôtre qui exporte 75 % de sa production. Mais, dans le même temps, AIRBUS investit 200 millions d'euros cette année à Méaulte, autant à Nantes, et l'A350 représente 1,4 milliard d'euros investis en France entre Toulouse, Nantes, Saint-Nazaire et Méaulte. Nous ne sommes donc pas en train de quitter la France ! En matière de sous-traitants, Airbus a fait son devoir envers le groupe Latécoère via des avances de trésorerie, ou le préfinancement d'investissements et le maintien de nos commandes. Nous ne pouvons pas prendre en charge nos sous-traitants, mais nous y sommes très attachés pour une raison simple : nous réalisons 15 % de la valeur ajoutée d'un avion en interne, 85 % provient de la chaîne des fournisseurs. D'où les énormes progrès d'Airbus depuis environ quatre ans pour éclairer les sous-traitants sur l'évolution des plans de charges, celle des technologies nécessaires et les conditions de la concurrence. Notre fonds Aerofund, que nous avons mis en place avec Safran et la Caisse des dépôts et consignations, vise à les aider à se regrouper. L'application de la loi de modernisation de l'économie a également impliqué un transfert de centaines de millions de trésorerie vers les fournisseurs. Au cours de la crise, nous avons soutenu nos sous-traitants par nos commandes de sorte qu'aucun n'est resté au bord de la route, contrairement à ce qui s'était passé, par exemple, lors de la crise de 1993 qui avait frappé plus durement encore notre secteur. J'ai eu autrefois une expression malheureuse mais réaliste : « nous ne pouvons pas être le Père Noël de la chaîne des sous-traitants ». Cependant, nous pouvons les aider à être plus compétitifs. Reste que l'aérostructure est effectivement trop dispersée en France : la question devra un jour être traitée. Enfin, EADS a des interlocuteurs au sein du gouvernement français, M. Jean-Louis Borloo et M. Dominique Bussereau, comme M. Hervé Morin ou Mme Christine Lagarde, et a bénéficié d'un soutien constant de notre pays. Les parlementaires ont obtenu des informations sur l'A400M avec la publication du rapport des sénateurs Gautier et Masseret. Je suis moi-même venu devant le Sénat expliquer la situation. Au plan technique, nous avons procédé à des essais de vol. Reste à régler les deux problèmes techniques que sont le système de contrôle du vol et le système de gestion de la charge. Le premier avion sera livré en 2013 avec quatre standards selon les logiciels donnant les performances de vol, notamment pour les vols de basse altitude. L'A400M a généré un surcoût de 7,6 milliards, dont 4 pris en charge par EADS, 2 par les États clients et 1,5 par des avances remboursables sur les exportations au terme de l'accord de mai qui doit être maintenant traduit dans un contrat.

Monsieur Navarro, l'avenir est effectivement aux projets de coopération. Il faut également veiller à ce que les coupes budgétaires ne touchent pas prioritairement les programmes de nouveaux matériels au bénéfice des plans de livraison de matériel existants que les ministères de la défense ont tendance à privilégier en temps de crise : leurs révisions budgétaires doivent s'attacher à préserver un bon équilibre, supportable pour nos bureaux d'études.

Monsieur Bourquin, concernant l'ambition industrielle, je vous renvoie à l'article que j'ai publié dans la revue Commentaire. L'industrie française se trouve dans une situation préoccupante. La part de l'industrie dans le PNB a reculé de 22 à 16 % entre 1998 et 2010, quand elle a progressé de 28 à 30 % en Allemagne. La France manque de ces entreprises moyennes de 2 à 5 000 employés, qui font la solidité du socle industriel allemand, capables d'exporter et de s'implanter à l'étranger en conservant leur coeur de métier sur le territoire. Nos entreprises moyennes souffrent d'un problème de financement. Comment orienter l'épargne française vers l'industrie ? Une portion négligeable des 1 200 milliards de l'assurance vie s'oriente aujourd'hui vers l'industrie. Un dernier mot sur le problème des salaires et de l'emploi : l'augmentation du pouvoir d'achat est une revendication compréhensible, mais ne profite-t-elle pas surtout aux biens importés ?

Monsieur Poniatowski, l'actionnariat d'EADS est constitué à 22,5 % de Daimler, à 22,5 % de SOGEADE (Etat français 15 % et Lagardère 7,55 %), 5 % de SEPI (société d'Etat des participations industrielles, espagnole) et à 50 % de flottant sur le marché. Les rumeurs de retrait vont et viennent. En tant que président d'EADS, je n'ai jamais eu confirmation d'un retrait de Lagardère ou de Daimler.

Monsieur Godard, les aciéries Aubert et Duval ainsi que les forges sont des fournisseurs très importants pour EADS. Nous avons avec Aubert et Duval, très présente à Toulouse, un dialogue proche et technique très régulier. Le lanceur Ariane 5 est extrêmement fiable, mais peu souple : il exige le lancement de deux satellites ou d'un gros satellite. D'où l'idée d'abord d'améliorer l'étage supérieur d'Ariane 5 pour lui permettre des mises en orbite plus diversifiées et de lancer Ariane 6, en complément d'Ariane 5, d'une taille plus réduite. Aucune décision n'a été prise sur Ariane 6, mais nous avons proposé le financement via le Grand emprunt, d'un intégrateur de technologies, préparant la voie pour Ariane VI.

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