En vous remerciant de votre accueil, et avant mon propos introductif sur le projet de loi, j'apporterai la précision suivante : même si le mot est maladroit, il existe une forme de rente nucléaire en France. Mais, elle est le résultat de la capacité d'anticipation, de l'audace, du courage de notre pays, ces cinquante dernières années, pour constituer un outil nucléaire unique en une période où l'énergie fossile était beaucoup moins chère qu'aujourd'hui. Depuis, nous possédons le premier parc mondial et cette réussite donne un atout de compétitivité à notre territoire. La rente est redistribuée aux Français par le biais des tarifs. C'est ce que nous essaierons collectivement de préserver. Et c'est ce que les autres pays européens veulent voir supprimer. L'énergie électrique est chez nous 30 à 40 % moins chère que la moyenne européenne. Ce n'est pas un mince avantage dans la bataille économique !
Je porte une grande attention aux conséquences de cette future loi pour EDF. Elle est en effet fondée sur un mécanisme économique fort inhabituel et dont la mise en oeuvre, si l'on n'y prend garde, pourrait empêcher EDF de remplir sa mission. Je me dois de défendre les intérêts d'EDF et de préparer l'avenir de l'entreprise, dans l'intérêt de la nation.
Mon ambition, pour la production en France, est de rétablir et développer la performance du parc nucléaire mais aussi hydraulique, thermique et celle des filières renouvelables. Nous allons nous en donner les moyens et les compétences. J'entends également renforcer la proximité avec les consommateurs et rétablir une relation de qualité avec nos clients et leurs élus. C'est en partie une question d'organisation. A l'international, il nous faut améliorer notre performance, notamment dans le domaine nucléaire. Vous connaissez ma position sur ce sujet et sur l'efficacité qui peut être celle d'EDF. Ces ambitions stratégiques reposent sur une mobilisation de tous au sein du groupe.
Aucun de ces objectifs ne pourra être atteint si EDF doit subventionner ses concurrents en vendant sa production en dessous du coût de revient économique. Comment justifier que des opérateurs n'ayant pas investi et n'assumant pas les risques d'exploitation de nos centrales puissent acquérir l'électricité produite par EDF en dessous de son coût de revient ? J'ai exprimé quelques convictions fortes liées à une vision industrielle de long terme. La rédaction initiale, marquée par le seul souci de développer la concurrence à court terme, a été en partie rééquilibrée, les enjeux d'investissement pris en compte dans une certaine mesure. L'enjeu majeur pour le pays, c'est bien l'investissement.
Quel que soit le modèle de marché retenu, concurrence ou monopole, sans un certain niveau d'investissements ni la sécurité d'approvisionnement, ni la compétitivité du prix de l'électricité ne seront au rendez vous. Le projet de loi actuel incite-t-il les opérateurs à investir? Laissera-t-il à EDF les moyens d'investir? EDF est favorable à la concurrence et à un marché ouvert, pas à une répartition de force des parts de marchés. Tous les opérateurs doivent être incités à investir dans des moyens de production. Une concurrence artificielle sur la seule activité de commercialisation ne serait pas viable. Aucun commercialisateur ne dure sans être également producteur.
Or je ne retrouve pas dans le projet de loi l'exigence d'investissements au-delà des moyens de pointe. La concurrence ne sera pas équilibrée. Plus grave, la sécurité d'approvisionnement du pays sera à terme menacée. La nouvelle organisation doit maintenir la gestion intégrée du parc de production d'EDF, sans isoler le parc nucléaire, comme cela fut envisagé. S'il a été possible de faire face cet hiver, malgré la faible disponibilité des centrales nucléaires, à des situations climatiques aussi tendues, c'est grâce à l'optimisation de la production nucléaire, thermique et hydraulique, de l'achat-vente sur les marchés et des échanges avec les pays voisins. Ne désarticulons pas le parc de production ! Enfin, le prix payé pour l'accès à la production nucléaire d'EDF devra donner à ce groupe la capacité d'exploiter son parc en industriel responsable, en réalisant des investissements considérables - de maintenance, de démantèlement des installations, de prolongation de la durée de vie des centrales au-delà de 40 ans. Les références internationales sont plutôt de 60 ans.
Les échanges avec le gouvernement ces derniers mois puis l'examen par l'Assemblée nationale ont rééquilibré en partie le projet de loi. Je souhaite que l'examen par le Sénat soit l'occasion de l'améliorer encore. Quel est en effet l'objet de la loi? Il est d'organiser la disparition du tarif TaRTAM, puis des tarifs jaunes et verts, pour tenir compte des procédures européennes en cours. Mais l'Europe ne demande pas le subventionnement des fournisseurs alternatifs ; elle ne demande pas de démanteler ni d'endetter EDF ; elle demande seulement la fin des tarifs aux entreprises. Les tarifs bleus ne suscitent aucun contentieux et sont du reste confirmés par la loi.
Le dispositif retenu pour répondre à cette prescription est tellement interventionniste envers EDF qu'il doit être encadré et effectivement transitoire. Sur la question centrale, le prix de l'accès régulé à l'énergie nucléaire d'EDF, vous allez voter une loi qui va forcer mon groupe à vendre sa production à ses concurrents à un prix régulé. C'est une forme d'expropriation ! Si le prix payé pour cette énergie ne couvrait pas le coût de revient économique de chaque MWh nucléaire concerné, cela représenterait une spoliation d'EDF. Dans aucun secteur de l'économie il n'est possible d'utiliser un outil de production sans en rémunérer le coût économique complet. Or, pour couvrir le coût de revient économique du parc nucléaire, autrement dit le « coût courant économique », le prix devra représenter la somme de deux termes : le premier, variable, bien défini dans le projet de loi, correspond à la somme des coûts supportés chaque année par l'entreprise à compter de la promulgation de la loi ; le second, fixe en euros constants, correspond à la couverture et à la rémunération du capital investi dans le parc et il est fixé une fois pour toutes, ce qui nous évitera d'entrer chaque année dans une discussion sur le montant déjà amorti, les intérêts, etc.
Le projet de loi prévoit une période transitoire pendant laquelle le prix sera arrêté par le gouvernement, lequel passera ensuite le relais à la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Le prix de départ sera fixé « en cohérence » et en continuité avec le niveau actuel du tarif réglementé transitoire d'adaptation du marché (TaRTAM), soit 42 euros par mégawatt-heure. Le respect de ce prix plancher de départ de 42 euros est fondamental pour EDF. C'est le prix régulé auquel nous vendons aujourd'hui notre électricité. Toute baisse représenterait une perte immédiate de recette pour l'entreprise, sans aucun bénéfice pour les consommateurs.
Il est essentiel aussi que l'accès régulé au nucléaire profite en priorité aux industriels. Ce sont eux qui vont perdre la protection des tarifs : le TaRTAM tout de suite, puis les jaunes et verts dans cinq ans, tandis que les bleus vont perdurer. L'électricité compétitive, c'est de l'emploi industriel. L'accès régulé au nucléaire, s'il est calé sur le niveau de prix du TaRTAM actuel puis évolue vers la couverture du coût économique complet du parc nucléaire existant, permettra de concilier des offres en concurrence et maintien de la compétitivité du nucléaire pour les clients.
L'accès régulé au nucléaire doit être calibré pour répondre aux attentes des industriels et non pour satisfaire aux schémas marketing des fournisseurs spécialisés sur le segment des clients résidentiels. Ni Bruxelles, ni la commission Champsaur, ni même les particuliers ne font une priorité du développement de la concurrence sur le marché des clients domestiques. Une concurrence vive peut en revanche se développer sur toutes les autres catégories de clients.
L'essentiel des volumes de nucléaire régulé qui sera mis en vente doivent donc bien être dédiés à la fourniture des entreprises. Il convient d'éviter les effets d'aubaine, voire les enrichissements sans cause au détriment d'EDF. J'en donnerai seulement deux exemples.
Il existe des énergéticiens disposant en France de moyens de production - non nucléaires - dont les coûts sont très inférieurs à ceux du parc nucléaire historique. La compétitivité exceptionnelle d'un tel fournisseur avait ainsi conduit le législateur de 2006 à ne pas lui reconnaître le droit à une compensation, considérant qu'en vendant au TaRTAM il ne subissait pas de préjudice. La loi l'a même astreint à contribuer, aux côtés d'EDF, au financement de la compensation. Comment justifier que l'on offre aujourd'hui à ce principal concurrent d'EDF l'accès régulé à la production nucléaire d'EDF sans décompter au préalable les volumes qu'il produit à un coût inférieur?
Deuxième exemple d'effet d'aubaine à encadrer : certains fournisseurs, par décision de l'Autorité de la concurrence, ont accès à des volumes d'énergie à prix régulé, sous la stricte condition de les destiner à des clients finals en France - dans le cas contraire, ils auraient à payer un complément de prix. Or la rédaction actuelle du projet de loi n'interdit pas que la même clientèle finale soit mise en avant pour obtenir un accès à la fois à cette énergie régulée et au nucléaire régulé. Une partie des volumes obtenus serait revendue sur le marché de gros, sans que le complément de prix puisse s'appliquer. Il s'agit tout de même de dix térawatts-heure...
Enfin, le caractère transitoire d'un tel système est absolument fondamental. Il importe donc d'écrire dés maintenant la phase de sortie. La décroissance progressive des volumes d'électricité fournis par l'accès régulé doit être inscrite dans la loi. Seule cette réduction programmée incitera les fournisseurs à investir ou passer des accords industriels avec des producteurs. Si aucun dispositif de sortie n'était prévu, aucun opérateur n'aurait intérêt à investir et la sécurité d'approvisionnement du pays serait mise en danger. Le paysage électrique français va donc évoluer fortement avec la loi NOME.
EDF va se retrouver amputé pendant 15 ans d'une part importante de sa production. Non pour avoir été défaillant, non pour avoir été mal géré, non pour avoir abusé d'une position dominante, mais parce qu'il est trop compétitif.
Soyons conscients que les ménages et les entreprises, en France, bénéficient de prix de l'électricité 30 à 40 % plus bas que la moyenne européenne - le prix est presque double en Allemagne. Ce que l'on qualifie de rente nucléaire est intégralement transféré aux consommateurs, toutes catégories confondues. Le maintien de cet avantage compétitif suppose de poursuivre une politique fondée sur une logique industrielle de long terme.