Cette audition nous plonge au coeur des problématiques de ce PLFSS. Vos propos sur le médicament m'ont fait sourire, non pas parce que je ne les prends pas au sérieux, mais parce qu'ils diffèrent assez largement de ceux que j'ai entendus hier lorsque j'ai auditionné le Leem. Les représentants de l'industrie pharmaceutique ont très clairement exprimé leur sentiment d'être, selon leur propre expression, « stigmatisés », sanctionnés par diverses mesures de ce PLFSS qui menacent de porter atteinte à leur attractivité industrielle. Ils ont rappelé que ce secteur contribue positivement au solde de notre balance commerciale.
Je souhaite aborder cinq points spécifiques. Tout d'abord, en quoi la nouvelle convention médicale va-t-elle véritablement améliorer la répartition des médecins libéraux sur le territoire ? Voila bien une problématique essentielle. De son côté, la Cour des comptes estime qu'il faut aller plus loin et adopter des mesures plus contraignantes. Pourquoi aucune convention n'a mis en oeuvre la possibilité offerte par le code de la sécurité sociale depuis 2000 de moduler la participation de l'assurance maladie aux cotisations sociales des médecins en fonction de leur lieu d'exercice ? Ne pourrait-on transposer la limitation de conventionnement dans les zones sur-dotées que les infirmières ont accepté d'inscrire dans leur convention dès 2005 et qu'elles ont confirmée cet été ?
Sur un autre sujet, où en est le dossier du secteur optionnel ? Pensez-vous que sa création pourra réellement limiter les dépassements d'honoraires ?
Estimez-vous que l'instauration de la franchise sur les médicaments a atteint son but de responsabilisation des patients ?
Dans son rapport sur les charges et produits, la Cnam évoque à nouveau cette année l'intérêt du développement de la chirurgie ambulatoire. Où en sommes-nous ? Comment envisagez-vous la mise en place de « centres autonomes », disposant d'un statut juridique et sanitaire précis, intermédiaire entre cabinet médical et établissement de santé ?
Enfin, la Cour des comptes estime que des marges de progrès demeurent « considérables » en termes de gestion des organismes de sécurité sociale, notamment en ce qui concerne le personnel ou l'organisation du réseau. Or, selon la Cnam, les coûts de gestion de la branche maladie ont été réduits de 9,3 % entre 2003 et 2010 en euros constants. Que répondez-vous à la Cour ? Comment améliorer encore le fonctionnement des services informatiques ?
Frédéric Van Roekeghem. - En ce qui concerne la modulation des cotisations sociales, je tiens à rappeler que la Cnam prend en charge, pour les médecins du secteur 1, la totalité des cotisations patronales de maladie, d'allocations familiales et les deux tiers des cotisations de retraite complémentaire. La modulation à la hausse serait donc limitée et ne pourrait porter que sur leur part salariale, ce à quoi je ne suis personnellement pas favorable, bien que certains dispositifs de la politique de l'emploi le fassent déjà. Une partie des cotisations doit rester à la charge des professionnels. Cette modulation ne pourrait donc se faire qu'en diminuant la prise en charge des cotisations des médecins, ce qui, compte tenu de la situation de la médecine générale, semble complexe à réaliser : aujourd'hui, 93 % des généralistes et 60 % des spécialistes exercent en secteur 1. La seule possibilité serait d'envisager, comme nous l'avons fait, un rééquilibrage qui, d'un côté, augmenterait la valeur de l'acte et de l'autre, baisserait la prise en charge des cotisations pour la grande majorité des généralistes afin de dégager des marges de manoeuvre pour moduler la participation de l'assurance maladie selon le lieu d'exercice. Face à un sujet si complexe, je regrette que la Cour des comptes n'ait pas approfondi son analyse et tenu compte de cette situation dans ses préconisations.
De plus, la loi prévoit que la modulation se fait dans le cadre conventionnel. Des discussions ont bien eu lieu avec les syndicats lors des négociations de 2005 mais ils n'ont pas souhaité signer un tel accord. Il s'agit donc d'un sujet politiquement délicat, difficile à expliquer et qui pourrait être mal accueilli par les médecins en secteur 1. Les médecins de secteur 2 ne subiraient quant à eux aucune contrainte. C'est donc un dispositif séduisant en théorie mais dont la mise en oeuvre, dans le cadre actuel, se heurterait à de nombreuses difficultés.
Sur la limitation du conventionnement dans les zones sur-dotées, la mesure est évidemment transposable mais les modalités restent à définir. Tous les syndicats infirmiers ont signé l'accord qui la met en oeuvre. La Cnam a fortement encouragé sa signature car il y a une modification des conditions d'exercice des infirmiers dans les zones très dotées, comme le Sud de la France. Leur métier y évolue vers des soins de « nursing », d'accompagnement des personnes âgées. D'un point de vue macroéconomique, il y a un effet d'induction de l'offre à la demande et la concentration des infirmiers dans le Sud de la France a un impact financier important sur l'équilibre de la sécurité sociale. Réguler ces installations est une stratégie de long terme pour diminuer l'attractivité de certaines régions et aboutir à une meilleure répartition géographique de cette profession.
Je ne suis d'ailleurs pas certain que la régulation dans les zones sur-dotées permette de régler le problème des zones sous-dotées. Ce ne sont pas les mêmes personnes qui s'y installent. C'est pourquoi l'accord infirmier comporte deux volets : une désincitation à l'installation dans les zones déjà suffisamment dotées et une incitation à l'installation dans celles qui le sont moins. La direction de la sécurité sociale a réalisé un sondage auprès de jeunes médecins qui montre que les raisons pour lesquels ceux-ci s'installent dans des départements où il n'y a pas assez de médecins, comme la Corrèze, sont avant tout personnelles, liées à leur amour pour cet endroit, à l'accord de leur conjoint et à l'équilibre de vie qu'ils pourront y trouver. Les motivations ne sont pas financières, cet aspect est secondaire par rapport au cadre de vie. Les négociations conventionnelles avec les médecins étant plus difficiles qu'avec les autres professions de santé, la transposition de l'accord infirmier s'est révélée impossible. Néanmoins, un accord de même type est en cours de négociation avec les masseurs-kinésithérapeutes.
Le débat actuel sur le secteur optionnel soulève la question plus large du bien fondé de la dichotomie entre secteur 1 et secteur 2. Il y a un consensus assez large pour estimer que le secteur 2 a atteint ses limites et qu'il pose plusieurs problèmes : le reste à charge des assurés est trop élevé, ce qui crée une difficulté d'accessibilité dans les cliniques privées, dont je ne remets pas pour autant en cause la qualité. La question des différences tarifaires devra également être traitée. Le coût complet des soins dans les établissements privés, y compris les dépassements d'honoraires, est parfois inférieur au coût complet des soins, hors Migac, dans les établissements publics. Cette situation est étonnante, surtout lorsque les assurés n'ont pas, du fait de contraintes géographiques ou d'une orientation par le médecin traitant, le choix de leur établissement de soins.
Les dépassements d'honoraires constituent le problème principal. Une étude récente de la Cnam portant sur l'évolution du système sur une période longue nous a permis de montrer qu'il y avait, en 1985, 30 % des spécialistes et 22 % des généralistes qui étaient en secteur 2 ou secteur 1 avec dépassement permanent. Aujourd'hui, le taux de spécialistes en secteur 2 est passé à 41 % mais surtout le taux de dépassement a bondi puisqu'il est passé de 23 % à 54 %. A Paris, en chirurgie, le dernier décile en matière de dépassements se situe à 250 % du tarif de la sécurité sociale avec, dans certains établissements, des tarifs pouvant représenter plus de dix fois celui-ci, la HAS montrant par ailleurs que les indicateurs de qualité n'y sont pourtant pas forcément en adéquation avec les honoraires pratiqués.
Sur cette question des dépassements d'honoraires, il convient également de se demander si la société est prête à laisser monter les tarifs sans aucune limite. Est-ce raisonnable ? Force est de constater qu'il y a peu de propositions de réforme sur la table et que peu de gouvernements se sont sérieusement penchés sur ce problème. La raison en est son évidente complexité. Plus le temps passe, plus les écarts constatés dans les tarifs pratiqués s'accroissent, entre les régions, les départements et au niveau local du fait de l'absence de régulation. Pourtant, les chantres de la régulation critiquent le secteur optionnel en soutenant qu'il entraînerait un effet aubaine dans les départements où les tarifs sont les plus bas. Ils oublient que les tarifs de la sécurité sociale constituent eux-mêmes un effet d'aubaine pour les départements les plus pauvres et mutualisent, de fait, les revenus des professionnels de santé pour permettre aux assurés de ces départements d'accéder aux soins et d'y maintenir une offre médicale. Je trouve que les différents acteurs devraient prendre plus de recul dans ce débat sur le secteur optionnel.
C'est un élément de solution au problème des dépassements d'honoraires qui doit s'inscrire dans un cadre plus large. Cela fait plusieurs années que nous mettons le secteur 2 sous pression tarifaire. Avant mon arrivée à la Cnam, le président Spaeth avait introduit une majoration pour pratiques cliniques réservée aux praticiens du secteur 1. Le Conseil d'Etat l'avait d'ailleurs jugée conforme à la loi. En chirurgie, la politique de relèvement des tarifs s'est accompagnée de mesures destinées à limiter les écarts de revenus entre le secteur 1 et le secteur 2 en jouant sur les remboursements. Le secteur optionnel s'inscrit dans la continuité de ces initiatives et vise à convaincre les praticiens de cesser d'augmenter les dépassements à chaque fois que l'assurance maladie augmente le tarif des prestations. Ce secteur doit être construit sur la base du volontariat, mais à la condition expresse que les mutuelles y participent et garantissent l'accès des assurés aux établissements privés. Un accord s'était fait sur ce point, mais il a disparu. Peut être sera-t-il restauré plus tard. Toutefois, le secteur optionnel ne peut être attractif que pour les professionnels qui pratiquent aujourd'hui des dépassements raisonnables et devrait donc être accompagné de mesures de régulation des dépassements excessifs, par exemple en limitant la capacité des assureurs à les solvabiliser. En tout état de cause, il faut agir : l'inaction est la pire des situations. Le secteur optionnel a été proposé dès 1993 ; s'il avait été mis en place à cet époque, peut être n'en serions-nous pas là aujourd'hui. Chaque année perdue rend la réforme plus difficile. Je suis ouvert à d'éventuelles propositions alternatives, mais je n'en ai pour l'instant vu aucune de crédible.
Pour répondre à votre troisième question, concernant les franchises sur les médicaments, je ne suis pas sûr que le terme de responsabilisation soit particulièrement adapté. A l'origine, elles avaient été mises en place pour financer des investissements dans la prise en charge de pathologies lourdes, notamment la maladie d'Alzheimer. Elles ont pleinement atteint leur objectif de diminution des coûts, comme l'exemple de l'homéopathie l'illustre bien.
La France a réalisé d'importants progrès dans le domaine de la chirurgie ambulatoire. Grâce à des actions incitatives en direction des établissements et à un pilotage tarifaire adapté, nous sommes passés dans le public, entre 2006 et 2009 et sur les dix-sept gestes marqueurs considérés comme courants, d'un taux de 54 % à un taux de 69 %. Dans le privé, les chiffres sont de 62 % et 77 %. Néanmoins, le secteur public peut encore progresser au-delà de 70 %. Pour autant, les comparaisons internationales sont délicates car le champ de la chirurgie ambulatoire est souvent plus large à l'étranger qu'en France, où elle correspond à de la chirurgie « zéro jour ». De très nombreux pays ont mis en place des centres de soins plus légers pour traiter certains actes, par exemple dans le domaine de la cataracte. Si cela peut porter atteinte à la rentabilité de certains établissements, il convient tout de même d'étudier l'impact économique d'un tel dispositif. Mais force est de constater que les tarifs privés, s'ils sont trop bas sur certains actes, sont trop hauts sur d'autres, notamment la cataracte. Une réflexion sur le pilotage tarifaire des établissements de santé est nécessaire. La Cnam propose depuis plusieurs années de créer un cadre juridique approprié, au sein du code de la santé publique, pour des centres autonomes. La proposition est rejetée chaque année par le Gouvernement, ce que nous regrettons car cela pourrait renforcer l'offre de soins de proximité avec le bénéfice d'un encadrement légal et sanitaire clairement défini. Cette question mérite d'être examinée à l'aune des conséquences qui pourraient en découler pour certains établissements de santé et de l'accompagnement qu'il faudrait leur offrir pour adapter leur offre à cette nouvelle activité. D'ailleurs, une explication de l'immobilisme sur cette question est peut-être à chercher dans l'opposition de certaines branches de la fédération de l'hospitalisation privée (FHP).
Enfin, pour répondre à votre dernière question, la Cour des comptes est dans son rôle quand elle souligne que la gestion des organismes de sécurité sociale pourrait être améliorée. Je note néanmoins que les branches du régime général réalisent des gains de productivité, certes parfois modestes, et que la branche maladie est celle qui a supprimé le plus d'emplois, près de 10 000 sur 85 000 entre 2003 et 2009. Dans la récente convention d'objectifs et de moyens, nous nous sommes engagés à en supprimer encore 4 000.
Selon le Cour et l'Igas, en regardant les caisses les plus performantes et en appliquant leur ratio à toutes de manière uniforme, il est encore possible de réaliser d'importants gains en matière d'emploi. En y ajoutant les gains de productivité liés à l'informatisation, on pourrait même pousser la réflexion plus loin et, au final, ne plus garder que des ordinateurs ! Ce raisonnement est vicié car les gains de productivité actuels sont liés au déploiement de nouveaux outils informatiques qui eux-mêmes rendent possibles et supportables les suppressions de postes. Au sein de certaines caisses, la gestion des ressources humaines est désormais très fine, et les directeurs la suivent de très près. Les effectifs et les indicateurs de gestion font l'objet d'une surveillance rigoureuse. Même dans les caisses les moins productives, comme à Nanterre, des restructurations récentes ont permis d'améliorer grandement la gestion et d'engager une évolution très positive, dans un contexte de gel des embauches.
Cette course à la productivité doit connaître des limites : il est important de déterminer jusqu'où la poursuivre. Il pourrait être intéressant de développer des activités qui ont un effet de levier sur la dépense de santé pour accompagner la mutation de la Cnam. La dématérialisation massive de l'activité, liée au déploiement de la carte Vitale, a créé une rupture par rapport au fonctionnement traditionnel des caisses. Il convient donc de repositionner l'assurance maladie sur son rôle fondamental, celui d'assureur solidaire en santé. J'entends par là que le développement, dans lequel nous nous sommes engagés, de services dont l'objectif est d'améliorer le rapport qualité-prix du système, comme Sophia pour les patients diabétiques, doit se poursuivre. La Cnam développe également un service de retour à domicile après l'accouchement afin de répondre à l'insatisfaction, mise en lumière par plusieurs études de la Drees, des jeunes mères sur la façon dont elles sont prises en charge à domicile. Il doit aussi permettre de mettre un terme à des dérives observées dans certains établissements de santé qui raccourcissent au maximum les durées d'hospitalisation lors d'un accouchement mais programment aussitôt une hospitalisation à domicile. Il faut savoir supprimer des emplois lorsqu'ils ne sont pas utiles, s'ils ne produisent aucune valeur ajoutée pour les assurés, mais il ne faut pas tomber dans l'excès inverse d'un dogmatisme qui empêcherait toute initiative et gèlerait le développement de programmes qui auraient un effet bénéfique sur l'équilibre d'ensemble.