Intervention de Amiral Edouard Guillaud

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 14 octobre 2010 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2011 — Audition de l'amiral edouard guillaud chef d'état-major des armées

Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées :

Tout d'abord, je remercie les élus que vous êtes pour votre présence et votre action déterminantes, très attendues et très appréciées par tous les hommes et les femmes qui participent à cette noble mission de défense de la France et de ses intérêts partout dans le monde.

Lorsque je vous avais dressé en juin un bilan de nos opérations et de notre transformation, j'avais aussi exprimé des préoccupations budgétaires suscitées par la crise financière. Il apparaît aujourd'hui qu'elles étaient fondées.

À titre liminaire, je citerai le Président de la République : « La défense est le fer de lance de notre diplomatie, de notre sécurité, de notre rang. » Concrètement, plus de 11 000 hommes sont quotidiennement engagés sur des théâtres d'opérations extérieurs et sur le territoire national, pour servir la sécurité de notre pays et de nos concitoyens. Parallèlement, nous conduisons la réforme la plus importante depuis la réforme Messmer à la fin de la guerre d'Algérie. Nous serons probablement les seuls à aller au bout de l'exercice, en serrant les dents. Le chemin n'est pas pavé de pétales de roses, la crise économique et financière complique encore la donne.

Mais je souhaite commencer par l'essentiel : nous sommes des militaires conduisant des opérations, toujours plus complexes, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, elles sont lointaines et souvent multinationales, ce qui gêne l'adhésion de la nation. Ensuite, elles sont inscrites dans la durée : le temps du verbe n'est pas celui de la résolution des crises sur le terrain ; résolution toujours politique, jamais exclusivement militaire. La bataille décisive de Clausewitz n'a plus cours aujourd'hui : nous surveillons depuis 1948 la trêve en Palestine ; nous sommes présents au Liban depuis 28 ans, au Kosovo depuis plus de 10 ans, en Côte d'Ivoire depuis huit ans. En outre, le prix du sang est moins bien accepté par l'opinion publique. Nous déplorons 19 tués et 104 blessés depuis le début de l'année. D'autre part, les moyens sont plus comptés, alors que les besoins vont croissant. Enfin, ces opérations subissent la judiciarisation croissante des sociétés occidentales, si bien que la mort d'un soldat dans la vallée d'Afghanya est traitée comme un accident de circulation sur l'autoroute. Un soldat mourant au service de son pays est considéré comme une victime, pas comme un héros. Voilà qui est déstabilisant !

Je commencerai toutefois par l'engagement sur le territoire national, où 2 000 soldats défendent chaque jour notre souveraineté nationale, protègent la sécurité territoriale et assistent nos concitoyens. La défense de notre souveraineté s'effectue tout d'abord via l'opération Harpie, combattant l'orpaillage clandestin en Guyane. En moyenne, 330 militaires y participent quotidiennement depuis deux ans, avec un certain succès. S'ajoute la lutte contre l'immigration clandestine à Mayotte. Nous contribuons à protéger le territoire national en consacrant 750 hommes par jour en moyenne au dispositif Vigipirate, mais aussi avec les 217 hommes engagés dans la posture permanente de sécurité aérienne et ceux qui exercent l'action de l'Etat en mer : 200 sur le littoral, sans compter les navires dans nos eaux territoriales. De son côté, l'opération Hephaistos mobilise chaque été 170 militaires pour combattre les feux de forêt. Enfin, nous assistons nos concitoyens démunis face à l'épreuve, lorsque les autres administrations sont débordées par l'étendue de la crise, car nous sommes les spécialistes de l'extrême et du chaos. Nous sommes là et nous serons toujours là ! Cette année, la tempête Xynthia nous a conduits à organiser 155 évacuations par hélicoptère, à rétablir sept kilomètres d'itinéraires et à reconstruire six kilomètres de digues. Quelque 150 hommes ont été mobilisés à ces fins pendant un mois. Par la suite, les inondations dans le Var ont motivé 300 hélitreuillages. Nous avons alors engagé 600 militaires pendant plus d'un mois, soit l'effectif moyen d'un régiment.

J'en viens à nos théâtres d'opérations extérieurs.

Je commencerai par le Kosovo, un théâtre à deux heures d'avion de Paris, où le désengagement progressif a divisé notre présence par deux en un an. Nous devrions encore diminuer notre contribution de 50 % au printemps de 2011 après le passage en phase 2. Nous conserverons alors sur place une grosse compagnie française, prélevée sur la brigade franco-allemande, intégrée dans un bataillon multinational aux côtés d'une compagnie allemande, avec des soutiens communs.

Deuxième théâtre d'opérations, la République de Côte d'Ivoire semble engagée dans un cycle vertueux, puisque le premier tour de l'élection présidentielle est prévu pour le 31 octobre. Malgré les difficultés rencontrées par la logistique électorale et par le programme « désarmement, démobilisation et réinsertion » (DDR), je suis optimiste pour la suite du processus électoral. Nous disposons sur place d'un bataillon de 900 hommes, dont un escadron de gendarmerie, ce qui serait tout juste suffisant pour protéger l'évacuation de nos ressortissants en cas de crise sécuritaire grave. Qu'en sera-t-il des relations entre la France et la Côte d'Ivoire ? Je pense qu'une coopération pourrait être organisée, car des indices montrent une volonté partagée de ne pas nous voir partir.

Le Liban constitue le troisième théâtre d'opérations extérieur. La Finul a fait ce qu'elle devait faire, en obtenant quatre ans de non-belligérance - expression que je préfère, par prudence, à celle de paix. Nous devons maintenant réfléchir à son adaptation, car la routine est le plus grand poison des opérations des Nations-Unies. Le Département des opérations de maintien de la paix en est conscient. Déployant 11 000 hommes à terre, la Finul compte neuf hommes par kilomètre carré. En ajoutant les 4 000 hommes des forces armées libanaises au sud du fleuve Litani - au lieu des 15 000 promis - on arrive à douze hommes par kilomètre carré, contre cinq au Kosovo lorsque la crise était à son paroxysme. C'est une densité très élevée. Cela ne veut pas dire qu'il faut partir ou réduire mais adapter. La Finul coûte 392 millions d'euros par an à l'ONU, dont 7,56 % à la charge de la France. Progressivement, nous remplaçons les AMX-10 chenillés par des véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI) à roues. Il en sera de même pour les canons AUF1 sur châssis d'AMX -30 remplacés par des canons montés sur camions Caesar. Les chars Leclerc seront rapatriés après avoir joué leur rôle dissuasif.

Conduite par l'Union européenne, l'opération Atalante constitue notre quatrième engagement extérieur. Son succès militaire est avéré, puisque le nombre de navires victimes de la piraterie a baissé de 20 %, mais il faut relativiser ce résultat, puisque 90 % des pirates interceptés sont relâchés. En effet, leur traitement juridique est dans l'impasse : les accords régionaux s'essoufflent ; l'Union européenne peine à trouver une solution, car le droit de la mer est un sujet compliqué sur lequel les Etats s'affrontent depuis quatre siècles. La piraterie n'aura pas de solution militaire, nous sommes là pour faire baisser la pression et rétablir les voies maritimes. La solution est à terre, politique et globale pour toute la sous-région.

Un nouveau théâtre vient d'apparaître : le Sahel, région éclairée par l'actualité des otages, située sur l'arc de crise identifié dans le Livre blanc. En 48 heures, nous avons déployé un dispositif aérien de reconnaissance et de renseignement basé au Niger, avec un plot de soutien logistique au Sénégal. La montée en puissance d'Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) menace une zone plus grande que six fois la France, à cheval sur plusieurs pays dont la situation politique est difficile. Cette zone est compliquée pour nos ressortissants et nos intérêts stratégiques. Voulant éviter l'extension géographique de cette menace, nous devons nous abstenir de fournir à AQMI l'ennemi dont cette organisation a besoin pour prospérer. Là encore, la solution n'est pas uniquement militaire. Nos bases au Tchad et à Dakar nous permettent aujourd'hui d'être présents au dessus du Sahel.

Mais c'est l'Afghanistan qui forme le coeur de notre engagement opérationnel, puisque 4 000 hommes y sont déployés. Il requiert quotidiennement mon attention. Les militaires y sont engagés après six mois d'une préparation opérationnelle sans équivalent dans les autres pays. Ils y restent six mois pour conduire une guerre contre-insurrectionnelle, lente et longue, où ils paient le prix du sang. La perception de cette guerre est soumise aux incidents quotidiens, alors que l'évaluation objective exige du recul.

Il est encore trop tôt pour tirer un bilan définitif des grandes opérations lancées il y a neuf mois par la force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS), mais, n'en déplaise aux cassandres et aux autres défaitistes, nous remportons des succès, car la stratégie mise en oeuvre avec nos alliés commence à porter localement des fruits. J'en citerai trois exemples. Je me rends souvent en Afghanistan et j'observe la zone que l'hélicoptère survole. Pour la première fois en juin, j'ai constaté que les embouteillages de Kaboul - toujours aussi nombreux - étaient provoqués non plus par des convois militaires, mais par des camions civils. Le deuxième exemple concerne les faubourgs de la capitale, où l'on compte de plus en plus de briqueteries. Il y en a des centaines, avec des cheminées de 15 à 20 mètres de haut, laissant échapper un beau panache noir. C'est un bon indicateur d'une activité retrouvée et de l'espoir qui renaît pour la population de Kaboul, soit 5 millions d'habitants sur une trentaine. Enfin, on dénombre chaque année en Europe une mort violente pour 100 000 habitants. Ce taux est cinq fois plus élevé aux Etats-Unis, ce qui montre une vraie différence de civilisation. Il grimpe à 25 en Amérique latine et culmine avec 100 morts pour 100 000 habitants chaque année à Caracas. Avec les attentats, les victimes civiles collatérales et les soldats morts au combat, ce chiffre est de quatre à Kaboul et de huit pour tout l'Afghanistan.

Là encore, la recherche d'une solution exclusivement militaire serait vouée à l'échec. C'est pourquoi on parle d'approche globale. Dès le printemps 2008, la France a réclamé l'afghanisation du conflit. Nous élaborons son calendrier avec les autorités afghanes et avec nos alliés.

Nous enregistrons des signaux positifs après deux ans en Kapisa et Surobi, bien que l'insurrection reste active. Les forces françaises et afghanes ont étendu leur emprise dans la vallée de Tagab, la plus difficile, et dans celle d'Uzbeen, tristement célèbre. L'Etat afghan rétablit progressivement son autorité. Ainsi, nous avons obtenu du président Karzaï qu'il relève le gouverneur de la province de Kapisa, qui nous posait des difficultés. Lors des récentes élections législatives, seuls quatre bureaux de vote sur une centaine n'ont pas ouvert en Kapisa/Surobi. Depuis les élections précédentes, que de chemin parcouru ! Autre indice significatif : de moins en moins d'engins explosifs improvisés sont posés depuis le 1er août et plus de la moitié de ceux que nous avons relevés nous ont été signalés par la population. Il y a un an, ce taux n'atteignait pas 10 %. Il en va de même pour les caches d'armes : après la fouille d'une ferme fortifiée, il arrive qu'un Afghan isolé nous suggère d'aller voir dans tel coin. Bien sûr, lorsqu'il n'est pas seul, il ne dit rien. La situation est semblable pour la drogue. Tout cela montre que la population commence à envisager un avenir autre que celui des Talibans. Elle peut donc basculer.

Par essence de long cours, la stratégie anti-insurrectionnelle réclame de la persévérance. Nous ferons le point à Lisbonne avec nos alliés, pas seulement avec l'OTAN.

Nous conduisons ces opérations en même temps que la réforme de fond qui bouscule nos méthodes de travail, un défi d'autant plus complexe qu'il est contraint par les compressions budgétaires. J'en viens ainsi au bilan des transformations et restructurations.

Le Livre blanc et la RGPP sont des exercices structurants pour le ministère et les armées.

Le bilan des restructurations est significatif. Ainsi, la participation de la France aux structures militaires de l'OTAN sera complète en 2012, sur un format moins ambitieux que celui initialement prévu, puisque l'OTAN a décidé de se réduire, ce qui est une bonne nouvelle. D'autre part, le schéma directeur de l'outre-mer est établi, ce qui réduira de 23 % l'effectif des forces de souveraineté à l'échéance 2020... sous réserve que les engagements interministériels soient respectés, notamment à propos des hélicoptères.

J'ajoute que les structures de commandement opérationnel et de soutien ont été rationalisées. Ainsi, des structures interarmées resserrées se sont substituées à l'organisation ancienne. Cette année est marquée par la réforme emblématique des bases de défense, avec 27 fermetures en 2009 et plus de 100 unités restructurées en 2010. Elles seront près de 120 l'année prochaine. En 2011, la France disposera de 60 bases de défense opérationnelle, 51 en métropole et 9 outre-mer ou à l'étranger.

L'infrastructure justifie une vigilance particulière, car elle conditionne le tempo de la réforme. Or, les ressources exceptionnelles n'ayant pas été au rendez-vous, des choix lourds ont pesé sur certaines infrastructures opérationnelles. Nous surveillons aussi avec attention le moral des armées, car le rythme soutenu des réformes et l'effet boomerang de la crise financière sont des motifs d'inquiétude. Je veille à ce que la transformation ne se fasse pas au détriment des forces, à un moment où le contexte économique et les restrictions apportées à la planification budgétaire triennale fragilisent un édifice en transition, donc instable.

Avant d'aborder le budget pour 2011, je voudrais revenir sur les exercices 2009 et 2010, puis évoquer la programmation budgétaire triennale 2011- 2013.

Globalement, les années 2009 et 2010 ont été conformes à la loi de programmation, avec un bilan physique et financier correct. Ainsi, la fonction « connaissance et anticipation » a été renforcée avec la création du coordonnateur national du renseignement, l'académie du renseignement et des moyens accrus. De même, la fonction « espace » est confortée avec le lancement d'Helios et de Spirale, avec les nouvelles stations au sol Syracuse et la création du commandement interarmées de l'espace. Parallèlement, l'effort sur les équipements se maintient, avec la livraison depuis 2009 de VBCI, de canons Caesar, d'hélicoptères Tigre - qui impressionnent beaucoup nos partenaires en Afghanistan, de véhicules blindés légers (VBL), de 25 Rafale, d'une frégate antiaérienne et de quatre systèmes antiaériens franco-italiens SAMP/T.

J'ajoute que le plan de relance a permis d'anticiper l'acquisition de petits véhicules protégés (PVP), d'hélicoptères Caracal et du troisième bâtiment de projection et de commandement, le Dixmude. Toutefois, il s'agit là pour l'essentiel d'une avance de crédit, qu'il faudra rembourser à partir de 2011, et non pas d'argent supplémentaire !

Enfin, deux facteurs conjoncturels auront des conséquences structurelles. Premièrement, l'absence de recettes exceptionnelles a été compensée par la mise à disposition de report de crédits arrivés en quasi extinction en 2010 et par la compression des opérations d'infrastructure à hauteur de 350 millions d'euros. Deuxièmement, des surcoûts se sont ajoutés à la loi de programmation. Je citerai à cet égard les dépenses associées à notre implantation dans les Emirats Arabes Unis, les frais de démantèlement des équipements, l'exportation des Rafale, les mises aux normes environnementales et l'imputation sur l'enveloppe des achats en urgence opérationnelle. Je n'ai aucune inquiétude quant à la réalisation de contrats d'exportation du Rafale ; il n'y a là qu'un décalage temporaire.

J'en viens au projet de budget pour 2011 et à la programmation triennale 2011- 2013.

Le ministre de la défense a souligné que la maîtrise des déficits publics touchait « à l'essentiel, c'est-à-dire à la souveraineté de notre pays ». Il est donc naturel que la défense contribue au redressement des finances publiques. C'est pourquoi les ressources budgétaires prévues par la programmation budgétaire triennale sont inférieures de 3,6 milliards d'euros au niveau défini par la loi de programmation militaire. Cette réduction devrait être partiellement compensée par la réévaluation de recettes exceptionnelles, ramenant la réduction globale des crédits à 1,3 milliard. Je souligne par ailleurs la nécessité de redoter d'environ 1 milliard d'euros les crédits de personnel du titre 2, sous plafond de ressources, excluant de facto le recours à la clause de sauvegarde inscrite dans la loi de programmation.

Pour ces raisons, la programmation budgétaire triennale impose une forte pression hors titre 2 pendant la période 2011-2013, concrétisée par la baisse de 10 % des dépenses de fonctionnement courant. Nous avons obtenu qu'on ne touche pas au soutien opérationnel. Nous devons veiller à ne pas réduire la préparation opérationnelle, afin de ne pas mettre en danger nos personnels par manque d'entraînement. Bien sûr, la préparation n'est pas identique pour l'Afghanistan et la Côte d'Ivoire. Enfin, cette contrainte oblige à décaler de nombreux programmes d'armement, sans compromettre pour le court terme ceux en cours de réalisation.

Ainsi, le projet de loi de finances pour 2011 annonce les problématiques de la programmation budgétaire pour 2011-2013, mais sans les traduire complètement. Pour 2011, hors pensions, les crédits de la mission Défense atteignent 31,2 milliards d'euros, en conformité globale avec la loi de programmation militaire. Encore faut-il que les recettes exceptionnelles réévaluées soient au rendez-vous, car ce sont elles qui compensent le gel des crédits budgétaires en 2010 et 2011.

Quatre tendances se dégagent du projet de loi de finances.

La première est le maintien de l'effort sur les équipements. Conformément à la logique de recapitalisation, 16 milliards d'euros leur seront consacrés, contre une moyenne de 15 milliards entre 2003 et 2008. Bien qu'en retrait sur la programmation, ces crédits permettent de poursuivre les investissements requis par la fonction « connaissance et anticipation » et par la protection du combattant. Ils permettront aussi de renouveler deux composantes de la dissuasion, puisque les missiles ASMP-A sont entrés en service le 1er juillet, alors que les missiles M51 viennent d'être admis au service actif. Nous améliorons les moyens du renseignement grâce à la rénovation d'un Transall Gabriel utilisé pour l'écoute électronique. Je pourrais citer aussi la rénovation de nos Awacs. En outre, les stations au sol de type Syracuse et les satellites Musis, qui succèderont à Helios II, accroissent nos capacités. Nos partenaires n'en font pas autant. L'effort se poursuit également au profit des moyens de protection et de combat, avec les véhicules de haute mobilité, les VBCI, les VBL, les PVP et le système Félin qui équipe le fantassin. Un bilan analogue concerne les systèmes d'armes, notamment les sous-marins Barracuda, les avions Rafale, les hélicoptères Tigre ou NH90 -enfin livrés-, les canons Caesar et les torpilles franco-italiennes MU90.

La deuxième tendance est la poursuite des réformes, puisque 8 415 postes disparaîtront au ministère, dont 7 742 rattachés à la mission Défense. Corrélativement, le resserrement des dispositifs, sous l'impulsion du ministre, permettra d'atteindre avec deux ans d'avance l'organisation cible de 60 bases de défense. Les mesures d'économies sur les dépenses de fonctionnement comportent un risque pour la qualité des services et le moral de nos armées. Ne l'ignorons pas ! L'effort sur les dépenses de fonctionnement concernera principalement les bases de défense, dont les crédits seront réduits de 130 millions d'euros en trois ans. Pour les armées, la rationalisation des soutiens et la continuité du service restent des enjeux majeurs, alors que le maintien des activités opérationnelles est impératif. L'équation est donc particulièrement difficile à résoudre, mais je suis un optimiste : nous saurons relever le défi !

La troisième tendance budgétaire est la stricte suffisance en matière d'activité opérationnelle dictée par les engagements en cours. Entre 2011 et 2013, la pression budgétaire réduira les potentiels disponibles avec, notamment, la réduction de stocks déjà insuffisants. Sur le long terme, nous risquons une différenciation accrue entre les unités déployées et celles qui ne le sont pas. C'est un pis-aller, car il est hors de question d'avoir une armée à deux vitesses ! De même, la préservation de savoir-faire individuels et collectifs risque d'être compromise. Je pense notamment au vol sous jumelles de vision nocturne et au ravitaillement en vol. La capacité de sauvegarde maritime n'est plus honorée en Méditerranée qu'à hauteur de 20 % depuis que la crise au Sahel mobilise nos avions de surveillance maritime, les plus efficaces au dessus du désert. Cette baisse d'activité se reflète dans la plupart des indicateurs définis dans le plan annuel de performance.

Enfin, la quatrième tendance budgétaire est le maintien de l'effort d'augmentation des provisions pour les opérations extérieures (Opex), à concurrence de 70 % des surcoûts constatés ces deux dernières années. La provision passe ainsi de 570 à 630 millions d'euros. Globalement, les opérations mobilisent aujourd'hui 11 000 hommes, contre 13 500 il y a trois ans. En moyenne, déployer un homme en Afghanistan occasionne un surcoût annuel de 103 000 euros, contre moins de 62 000 pour un soldat de l'opération Licorne en Côte d'Ivoire. Par comparaison avec nos principaux partenaires, les armées françaises sont plutôt bon marché. Nous pensons que les Opex coûteront environ 870 millions cette année, un peu moins que l'an dernier. Un décret d'avance devra intervenir en sus des provisions. Dans un premier temps, il serait gagé sur les crédits du ministère, puis remboursé en loi de finances rectificative, conformément à la loi de programmation. Il faut cependant éviter que le collectif budgétaire arrive trop tard...

Avant de conclure, je souhaite revenir sur le véritable enjeu de cette programmation budgétaire triennale, car elle introduit mécaniquement une différence de 3,6 milliards d'euros avec la loi de programmation militaire. Ma responsabilité est d'anticiper les conséquences à long terme, d'autant plus qu'un programme d'armement s'étale sur une quinzaine d'années, et la formation d'un combattant prend 5 à 8 ans.

Notre pays a décidé d'avoir un outil de défense complet et polyvalent. La diversité et la complémentarité des moyens nous accordent encore aujourd'hui une liberté d'action à la mesure de nos ambitions sur la scène internationale. L'enjeu pour demain est le maintien de ce modèle garantissant notre autonomie d'appréciation, de décision et d'action. Cette question française éminemment politique concerne aussi les autres pays européens. L'Europe désarme, alors que le reste du monde réarme au rythme de 6 % par an depuis une décennie. L'Europe baisse la garde dans un contexte où les équilibres sont fragilisés, avec des tensions régionales et internationales. Les choix d'aujourd'hui engagent l'avenir de nos enfants. L'instabilité est plus grande dans un monde multipolaire que dans un monde bipolaire.

En conclusion, je rends hommage à nos soldats engagés en opérations, aux 19 militaires qui ont payé de leur vie leur engagement au service de la France, aux soldats blessés, à leurs camarades de combat, à leurs familles, à leurs amis et à toutes les associations qui les soutiennent. Je salue l'action des armées, engagées sans état d'âme dans une réforme de fond malgré des conséquences parfois lourdes pour la situation personnelle de nombreux militaires et de nombreux civils. Cette abnégation n'est pas si fréquente et mérite d'être soulignée !

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