Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 14 octobre 2010 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • militaire

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Je suis heureux d'accueillir l'amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées, dans le cadre des auditions préparatoires à l'examen du budget de la défense.

Le ministre de la défense nous a présenté mardi un cadrage budgétaire triennal maintenant, dans un contexte général de contrainte très forte, un haut degré de priorité en faveur de la défense. Les arbitrages ont néanmoins conduit à revoir les dotations fixées par la loi de programmation militaire (LPM), avec un impact limité en 2011, plus sensible en 2012 et 2013, ce qui a conduit à décaler certains programmes d'équipement. Pour la suite, le ministre ne nous a pas caché qu'il faudrait soit revoir la trajectoire annuelle de nos ressources soit - plus grave - les objectifs du Livre blanc. Cette dernière hypothèse ne manque pas d'inquiéter.

Amiral, vos responsabilités budgétaires concernent le programme 178 « préparation et emploi des forces » et le programme 146 « équipement des forces », soit plus de 90 % des crédits de la mission Défense. Quelles sont les principales caractéristiques, pour ces deux programmes, du projet de budget 2011 et de la programmation triennale ? Nous voudrions savoir quels points vous donnent satisfaction et lesquels appellent une vigilance particulière. Nous souhaitons notamment connaître l'impact des contraintes budgétaires sur l'activité des forces armées, sur la disponibilité des matériels et sur les opérations qui contribuent à l'environnement des forces, notamment l'infrastructure.

Mais vos responsabilités concernent avant tout l'engagement de nos forces. Nous souhaitons donc faire le point sur les opérations cours et sur leurs perspectives d'évolution.

Debut de section - Permalien
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées

Tout d'abord, je remercie les élus que vous êtes pour votre présence et votre action déterminantes, très attendues et très appréciées par tous les hommes et les femmes qui participent à cette noble mission de défense de la France et de ses intérêts partout dans le monde.

Lorsque je vous avais dressé en juin un bilan de nos opérations et de notre transformation, j'avais aussi exprimé des préoccupations budgétaires suscitées par la crise financière. Il apparaît aujourd'hui qu'elles étaient fondées.

À titre liminaire, je citerai le Président de la République : « La défense est le fer de lance de notre diplomatie, de notre sécurité, de notre rang. » Concrètement, plus de 11 000 hommes sont quotidiennement engagés sur des théâtres d'opérations extérieurs et sur le territoire national, pour servir la sécurité de notre pays et de nos concitoyens. Parallèlement, nous conduisons la réforme la plus importante depuis la réforme Messmer à la fin de la guerre d'Algérie. Nous serons probablement les seuls à aller au bout de l'exercice, en serrant les dents. Le chemin n'est pas pavé de pétales de roses, la crise économique et financière complique encore la donne.

Mais je souhaite commencer par l'essentiel : nous sommes des militaires conduisant des opérations, toujours plus complexes, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, elles sont lointaines et souvent multinationales, ce qui gêne l'adhésion de la nation. Ensuite, elles sont inscrites dans la durée : le temps du verbe n'est pas celui de la résolution des crises sur le terrain ; résolution toujours politique, jamais exclusivement militaire. La bataille décisive de Clausewitz n'a plus cours aujourd'hui : nous surveillons depuis 1948 la trêve en Palestine ; nous sommes présents au Liban depuis 28 ans, au Kosovo depuis plus de 10 ans, en Côte d'Ivoire depuis huit ans. En outre, le prix du sang est moins bien accepté par l'opinion publique. Nous déplorons 19 tués et 104 blessés depuis le début de l'année. D'autre part, les moyens sont plus comptés, alors que les besoins vont croissant. Enfin, ces opérations subissent la judiciarisation croissante des sociétés occidentales, si bien que la mort d'un soldat dans la vallée d'Afghanya est traitée comme un accident de circulation sur l'autoroute. Un soldat mourant au service de son pays est considéré comme une victime, pas comme un héros. Voilà qui est déstabilisant !

Je commencerai toutefois par l'engagement sur le territoire national, où 2 000 soldats défendent chaque jour notre souveraineté nationale, protègent la sécurité territoriale et assistent nos concitoyens. La défense de notre souveraineté s'effectue tout d'abord via l'opération Harpie, combattant l'orpaillage clandestin en Guyane. En moyenne, 330 militaires y participent quotidiennement depuis deux ans, avec un certain succès. S'ajoute la lutte contre l'immigration clandestine à Mayotte. Nous contribuons à protéger le territoire national en consacrant 750 hommes par jour en moyenne au dispositif Vigipirate, mais aussi avec les 217 hommes engagés dans la posture permanente de sécurité aérienne et ceux qui exercent l'action de l'Etat en mer : 200 sur le littoral, sans compter les navires dans nos eaux territoriales. De son côté, l'opération Hephaistos mobilise chaque été 170 militaires pour combattre les feux de forêt. Enfin, nous assistons nos concitoyens démunis face à l'épreuve, lorsque les autres administrations sont débordées par l'étendue de la crise, car nous sommes les spécialistes de l'extrême et du chaos. Nous sommes là et nous serons toujours là ! Cette année, la tempête Xynthia nous a conduits à organiser 155 évacuations par hélicoptère, à rétablir sept kilomètres d'itinéraires et à reconstruire six kilomètres de digues. Quelque 150 hommes ont été mobilisés à ces fins pendant un mois. Par la suite, les inondations dans le Var ont motivé 300 hélitreuillages. Nous avons alors engagé 600 militaires pendant plus d'un mois, soit l'effectif moyen d'un régiment.

J'en viens à nos théâtres d'opérations extérieurs.

Je commencerai par le Kosovo, un théâtre à deux heures d'avion de Paris, où le désengagement progressif a divisé notre présence par deux en un an. Nous devrions encore diminuer notre contribution de 50 % au printemps de 2011 après le passage en phase 2. Nous conserverons alors sur place une grosse compagnie française, prélevée sur la brigade franco-allemande, intégrée dans un bataillon multinational aux côtés d'une compagnie allemande, avec des soutiens communs.

Deuxième théâtre d'opérations, la République de Côte d'Ivoire semble engagée dans un cycle vertueux, puisque le premier tour de l'élection présidentielle est prévu pour le 31 octobre. Malgré les difficultés rencontrées par la logistique électorale et par le programme « désarmement, démobilisation et réinsertion » (DDR), je suis optimiste pour la suite du processus électoral. Nous disposons sur place d'un bataillon de 900 hommes, dont un escadron de gendarmerie, ce qui serait tout juste suffisant pour protéger l'évacuation de nos ressortissants en cas de crise sécuritaire grave. Qu'en sera-t-il des relations entre la France et la Côte d'Ivoire ? Je pense qu'une coopération pourrait être organisée, car des indices montrent une volonté partagée de ne pas nous voir partir.

Le Liban constitue le troisième théâtre d'opérations extérieur. La Finul a fait ce qu'elle devait faire, en obtenant quatre ans de non-belligérance - expression que je préfère, par prudence, à celle de paix. Nous devons maintenant réfléchir à son adaptation, car la routine est le plus grand poison des opérations des Nations-Unies. Le Département des opérations de maintien de la paix en est conscient. Déployant 11 000 hommes à terre, la Finul compte neuf hommes par kilomètre carré. En ajoutant les 4 000 hommes des forces armées libanaises au sud du fleuve Litani - au lieu des 15 000 promis - on arrive à douze hommes par kilomètre carré, contre cinq au Kosovo lorsque la crise était à son paroxysme. C'est une densité très élevée. Cela ne veut pas dire qu'il faut partir ou réduire mais adapter. La Finul coûte 392 millions d'euros par an à l'ONU, dont 7,56 % à la charge de la France. Progressivement, nous remplaçons les AMX-10 chenillés par des véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI) à roues. Il en sera de même pour les canons AUF1 sur châssis d'AMX -30 remplacés par des canons montés sur camions Caesar. Les chars Leclerc seront rapatriés après avoir joué leur rôle dissuasif.

Conduite par l'Union européenne, l'opération Atalante constitue notre quatrième engagement extérieur. Son succès militaire est avéré, puisque le nombre de navires victimes de la piraterie a baissé de 20 %, mais il faut relativiser ce résultat, puisque 90 % des pirates interceptés sont relâchés. En effet, leur traitement juridique est dans l'impasse : les accords régionaux s'essoufflent ; l'Union européenne peine à trouver une solution, car le droit de la mer est un sujet compliqué sur lequel les Etats s'affrontent depuis quatre siècles. La piraterie n'aura pas de solution militaire, nous sommes là pour faire baisser la pression et rétablir les voies maritimes. La solution est à terre, politique et globale pour toute la sous-région.

Un nouveau théâtre vient d'apparaître : le Sahel, région éclairée par l'actualité des otages, située sur l'arc de crise identifié dans le Livre blanc. En 48 heures, nous avons déployé un dispositif aérien de reconnaissance et de renseignement basé au Niger, avec un plot de soutien logistique au Sénégal. La montée en puissance d'Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) menace une zone plus grande que six fois la France, à cheval sur plusieurs pays dont la situation politique est difficile. Cette zone est compliquée pour nos ressortissants et nos intérêts stratégiques. Voulant éviter l'extension géographique de cette menace, nous devons nous abstenir de fournir à AQMI l'ennemi dont cette organisation a besoin pour prospérer. Là encore, la solution n'est pas uniquement militaire. Nos bases au Tchad et à Dakar nous permettent aujourd'hui d'être présents au dessus du Sahel.

Mais c'est l'Afghanistan qui forme le coeur de notre engagement opérationnel, puisque 4 000 hommes y sont déployés. Il requiert quotidiennement mon attention. Les militaires y sont engagés après six mois d'une préparation opérationnelle sans équivalent dans les autres pays. Ils y restent six mois pour conduire une guerre contre-insurrectionnelle, lente et longue, où ils paient le prix du sang. La perception de cette guerre est soumise aux incidents quotidiens, alors que l'évaluation objective exige du recul.

Il est encore trop tôt pour tirer un bilan définitif des grandes opérations lancées il y a neuf mois par la force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS), mais, n'en déplaise aux cassandres et aux autres défaitistes, nous remportons des succès, car la stratégie mise en oeuvre avec nos alliés commence à porter localement des fruits. J'en citerai trois exemples. Je me rends souvent en Afghanistan et j'observe la zone que l'hélicoptère survole. Pour la première fois en juin, j'ai constaté que les embouteillages de Kaboul - toujours aussi nombreux - étaient provoqués non plus par des convois militaires, mais par des camions civils. Le deuxième exemple concerne les faubourgs de la capitale, où l'on compte de plus en plus de briqueteries. Il y en a des centaines, avec des cheminées de 15 à 20 mètres de haut, laissant échapper un beau panache noir. C'est un bon indicateur d'une activité retrouvée et de l'espoir qui renaît pour la population de Kaboul, soit 5 millions d'habitants sur une trentaine. Enfin, on dénombre chaque année en Europe une mort violente pour 100 000 habitants. Ce taux est cinq fois plus élevé aux Etats-Unis, ce qui montre une vraie différence de civilisation. Il grimpe à 25 en Amérique latine et culmine avec 100 morts pour 100 000 habitants chaque année à Caracas. Avec les attentats, les victimes civiles collatérales et les soldats morts au combat, ce chiffre est de quatre à Kaboul et de huit pour tout l'Afghanistan.

Là encore, la recherche d'une solution exclusivement militaire serait vouée à l'échec. C'est pourquoi on parle d'approche globale. Dès le printemps 2008, la France a réclamé l'afghanisation du conflit. Nous élaborons son calendrier avec les autorités afghanes et avec nos alliés.

Nous enregistrons des signaux positifs après deux ans en Kapisa et Surobi, bien que l'insurrection reste active. Les forces françaises et afghanes ont étendu leur emprise dans la vallée de Tagab, la plus difficile, et dans celle d'Uzbeen, tristement célèbre. L'Etat afghan rétablit progressivement son autorité. Ainsi, nous avons obtenu du président Karzaï qu'il relève le gouverneur de la province de Kapisa, qui nous posait des difficultés. Lors des récentes élections législatives, seuls quatre bureaux de vote sur une centaine n'ont pas ouvert en Kapisa/Surobi. Depuis les élections précédentes, que de chemin parcouru ! Autre indice significatif : de moins en moins d'engins explosifs improvisés sont posés depuis le 1er août et plus de la moitié de ceux que nous avons relevés nous ont été signalés par la population. Il y a un an, ce taux n'atteignait pas 10 %. Il en va de même pour les caches d'armes : après la fouille d'une ferme fortifiée, il arrive qu'un Afghan isolé nous suggère d'aller voir dans tel coin. Bien sûr, lorsqu'il n'est pas seul, il ne dit rien. La situation est semblable pour la drogue. Tout cela montre que la population commence à envisager un avenir autre que celui des Talibans. Elle peut donc basculer.

Par essence de long cours, la stratégie anti-insurrectionnelle réclame de la persévérance. Nous ferons le point à Lisbonne avec nos alliés, pas seulement avec l'OTAN.

Nous conduisons ces opérations en même temps que la réforme de fond qui bouscule nos méthodes de travail, un défi d'autant plus complexe qu'il est contraint par les compressions budgétaires. J'en viens ainsi au bilan des transformations et restructurations.

Le Livre blanc et la RGPP sont des exercices structurants pour le ministère et les armées.

Le bilan des restructurations est significatif. Ainsi, la participation de la France aux structures militaires de l'OTAN sera complète en 2012, sur un format moins ambitieux que celui initialement prévu, puisque l'OTAN a décidé de se réduire, ce qui est une bonne nouvelle. D'autre part, le schéma directeur de l'outre-mer est établi, ce qui réduira de 23 % l'effectif des forces de souveraineté à l'échéance 2020... sous réserve que les engagements interministériels soient respectés, notamment à propos des hélicoptères.

J'ajoute que les structures de commandement opérationnel et de soutien ont été rationalisées. Ainsi, des structures interarmées resserrées se sont substituées à l'organisation ancienne. Cette année est marquée par la réforme emblématique des bases de défense, avec 27 fermetures en 2009 et plus de 100 unités restructurées en 2010. Elles seront près de 120 l'année prochaine. En 2011, la France disposera de 60 bases de défense opérationnelle, 51 en métropole et 9 outre-mer ou à l'étranger.

L'infrastructure justifie une vigilance particulière, car elle conditionne le tempo de la réforme. Or, les ressources exceptionnelles n'ayant pas été au rendez-vous, des choix lourds ont pesé sur certaines infrastructures opérationnelles. Nous surveillons aussi avec attention le moral des armées, car le rythme soutenu des réformes et l'effet boomerang de la crise financière sont des motifs d'inquiétude. Je veille à ce que la transformation ne se fasse pas au détriment des forces, à un moment où le contexte économique et les restrictions apportées à la planification budgétaire triennale fragilisent un édifice en transition, donc instable.

Avant d'aborder le budget pour 2011, je voudrais revenir sur les exercices 2009 et 2010, puis évoquer la programmation budgétaire triennale 2011- 2013.

Globalement, les années 2009 et 2010 ont été conformes à la loi de programmation, avec un bilan physique et financier correct. Ainsi, la fonction « connaissance et anticipation » a été renforcée avec la création du coordonnateur national du renseignement, l'académie du renseignement et des moyens accrus. De même, la fonction « espace » est confortée avec le lancement d'Helios et de Spirale, avec les nouvelles stations au sol Syracuse et la création du commandement interarmées de l'espace. Parallèlement, l'effort sur les équipements se maintient, avec la livraison depuis 2009 de VBCI, de canons Caesar, d'hélicoptères Tigre - qui impressionnent beaucoup nos partenaires en Afghanistan, de véhicules blindés légers (VBL), de 25 Rafale, d'une frégate antiaérienne et de quatre systèmes antiaériens franco-italiens SAMP/T.

J'ajoute que le plan de relance a permis d'anticiper l'acquisition de petits véhicules protégés (PVP), d'hélicoptères Caracal et du troisième bâtiment de projection et de commandement, le Dixmude. Toutefois, il s'agit là pour l'essentiel d'une avance de crédit, qu'il faudra rembourser à partir de 2011, et non pas d'argent supplémentaire !

Enfin, deux facteurs conjoncturels auront des conséquences structurelles. Premièrement, l'absence de recettes exceptionnelles a été compensée par la mise à disposition de report de crédits arrivés en quasi extinction en 2010 et par la compression des opérations d'infrastructure à hauteur de 350 millions d'euros. Deuxièmement, des surcoûts se sont ajoutés à la loi de programmation. Je citerai à cet égard les dépenses associées à notre implantation dans les Emirats Arabes Unis, les frais de démantèlement des équipements, l'exportation des Rafale, les mises aux normes environnementales et l'imputation sur l'enveloppe des achats en urgence opérationnelle. Je n'ai aucune inquiétude quant à la réalisation de contrats d'exportation du Rafale ; il n'y a là qu'un décalage temporaire.

J'en viens au projet de budget pour 2011 et à la programmation triennale 2011- 2013.

Le ministre de la défense a souligné que la maîtrise des déficits publics touchait « à l'essentiel, c'est-à-dire à la souveraineté de notre pays ». Il est donc naturel que la défense contribue au redressement des finances publiques. C'est pourquoi les ressources budgétaires prévues par la programmation budgétaire triennale sont inférieures de 3,6 milliards d'euros au niveau défini par la loi de programmation militaire. Cette réduction devrait être partiellement compensée par la réévaluation de recettes exceptionnelles, ramenant la réduction globale des crédits à 1,3 milliard. Je souligne par ailleurs la nécessité de redoter d'environ 1 milliard d'euros les crédits de personnel du titre 2, sous plafond de ressources, excluant de facto le recours à la clause de sauvegarde inscrite dans la loi de programmation.

Pour ces raisons, la programmation budgétaire triennale impose une forte pression hors titre 2 pendant la période 2011-2013, concrétisée par la baisse de 10 % des dépenses de fonctionnement courant. Nous avons obtenu qu'on ne touche pas au soutien opérationnel. Nous devons veiller à ne pas réduire la préparation opérationnelle, afin de ne pas mettre en danger nos personnels par manque d'entraînement. Bien sûr, la préparation n'est pas identique pour l'Afghanistan et la Côte d'Ivoire. Enfin, cette contrainte oblige à décaler de nombreux programmes d'armement, sans compromettre pour le court terme ceux en cours de réalisation.

Ainsi, le projet de loi de finances pour 2011 annonce les problématiques de la programmation budgétaire pour 2011-2013, mais sans les traduire complètement. Pour 2011, hors pensions, les crédits de la mission Défense atteignent 31,2 milliards d'euros, en conformité globale avec la loi de programmation militaire. Encore faut-il que les recettes exceptionnelles réévaluées soient au rendez-vous, car ce sont elles qui compensent le gel des crédits budgétaires en 2010 et 2011.

Quatre tendances se dégagent du projet de loi de finances.

La première est le maintien de l'effort sur les équipements. Conformément à la logique de recapitalisation, 16 milliards d'euros leur seront consacrés, contre une moyenne de 15 milliards entre 2003 et 2008. Bien qu'en retrait sur la programmation, ces crédits permettent de poursuivre les investissements requis par la fonction « connaissance et anticipation » et par la protection du combattant. Ils permettront aussi de renouveler deux composantes de la dissuasion, puisque les missiles ASMP-A sont entrés en service le 1er juillet, alors que les missiles M51 viennent d'être admis au service actif. Nous améliorons les moyens du renseignement grâce à la rénovation d'un Transall Gabriel utilisé pour l'écoute électronique. Je pourrais citer aussi la rénovation de nos Awacs. En outre, les stations au sol de type Syracuse et les satellites Musis, qui succèderont à Helios II, accroissent nos capacités. Nos partenaires n'en font pas autant. L'effort se poursuit également au profit des moyens de protection et de combat, avec les véhicules de haute mobilité, les VBCI, les VBL, les PVP et le système Félin qui équipe le fantassin. Un bilan analogue concerne les systèmes d'armes, notamment les sous-marins Barracuda, les avions Rafale, les hélicoptères Tigre ou NH90 -enfin livrés-, les canons Caesar et les torpilles franco-italiennes MU90.

La deuxième tendance est la poursuite des réformes, puisque 8 415 postes disparaîtront au ministère, dont 7 742 rattachés à la mission Défense. Corrélativement, le resserrement des dispositifs, sous l'impulsion du ministre, permettra d'atteindre avec deux ans d'avance l'organisation cible de 60 bases de défense. Les mesures d'économies sur les dépenses de fonctionnement comportent un risque pour la qualité des services et le moral de nos armées. Ne l'ignorons pas ! L'effort sur les dépenses de fonctionnement concernera principalement les bases de défense, dont les crédits seront réduits de 130 millions d'euros en trois ans. Pour les armées, la rationalisation des soutiens et la continuité du service restent des enjeux majeurs, alors que le maintien des activités opérationnelles est impératif. L'équation est donc particulièrement difficile à résoudre, mais je suis un optimiste : nous saurons relever le défi !

La troisième tendance budgétaire est la stricte suffisance en matière d'activité opérationnelle dictée par les engagements en cours. Entre 2011 et 2013, la pression budgétaire réduira les potentiels disponibles avec, notamment, la réduction de stocks déjà insuffisants. Sur le long terme, nous risquons une différenciation accrue entre les unités déployées et celles qui ne le sont pas. C'est un pis-aller, car il est hors de question d'avoir une armée à deux vitesses ! De même, la préservation de savoir-faire individuels et collectifs risque d'être compromise. Je pense notamment au vol sous jumelles de vision nocturne et au ravitaillement en vol. La capacité de sauvegarde maritime n'est plus honorée en Méditerranée qu'à hauteur de 20 % depuis que la crise au Sahel mobilise nos avions de surveillance maritime, les plus efficaces au dessus du désert. Cette baisse d'activité se reflète dans la plupart des indicateurs définis dans le plan annuel de performance.

Enfin, la quatrième tendance budgétaire est le maintien de l'effort d'augmentation des provisions pour les opérations extérieures (Opex), à concurrence de 70 % des surcoûts constatés ces deux dernières années. La provision passe ainsi de 570 à 630 millions d'euros. Globalement, les opérations mobilisent aujourd'hui 11 000 hommes, contre 13 500 il y a trois ans. En moyenne, déployer un homme en Afghanistan occasionne un surcoût annuel de 103 000 euros, contre moins de 62 000 pour un soldat de l'opération Licorne en Côte d'Ivoire. Par comparaison avec nos principaux partenaires, les armées françaises sont plutôt bon marché. Nous pensons que les Opex coûteront environ 870 millions cette année, un peu moins que l'an dernier. Un décret d'avance devra intervenir en sus des provisions. Dans un premier temps, il serait gagé sur les crédits du ministère, puis remboursé en loi de finances rectificative, conformément à la loi de programmation. Il faut cependant éviter que le collectif budgétaire arrive trop tard...

Avant de conclure, je souhaite revenir sur le véritable enjeu de cette programmation budgétaire triennale, car elle introduit mécaniquement une différence de 3,6 milliards d'euros avec la loi de programmation militaire. Ma responsabilité est d'anticiper les conséquences à long terme, d'autant plus qu'un programme d'armement s'étale sur une quinzaine d'années, et la formation d'un combattant prend 5 à 8 ans.

Notre pays a décidé d'avoir un outil de défense complet et polyvalent. La diversité et la complémentarité des moyens nous accordent encore aujourd'hui une liberté d'action à la mesure de nos ambitions sur la scène internationale. L'enjeu pour demain est le maintien de ce modèle garantissant notre autonomie d'appréciation, de décision et d'action. Cette question française éminemment politique concerne aussi les autres pays européens. L'Europe désarme, alors que le reste du monde réarme au rythme de 6 % par an depuis une décennie. L'Europe baisse la garde dans un contexte où les équilibres sont fragilisés, avec des tensions régionales et internationales. Les choix d'aujourd'hui engagent l'avenir de nos enfants. L'instabilité est plus grande dans un monde multipolaire que dans un monde bipolaire.

En conclusion, je rends hommage à nos soldats engagés en opérations, aux 19 militaires qui ont payé de leur vie leur engagement au service de la France, aux soldats blessés, à leurs camarades de combat, à leurs familles, à leurs amis et à toutes les associations qui les soutiennent. Je salue l'action des armées, engagées sans état d'âme dans une réforme de fond malgré des conséquences parfois lourdes pour la situation personnelle de nombreux militaires et de nombreux civils. Cette abnégation n'est pas si fréquente et mérite d'être soulignée !

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

La commission s'associe à l'hommage que vous venez de rendre aux militaires victimes de leur devoir.

Vous remerciant pour votre exposé exhaustif et franc, je propose que les commissaires abordent d'abord les thèmes budgétaires avant de vous interroger sur les Opex.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

La réalité financière du plan triennal s'écarte sensiblement des chiffres inscrits dans la loi de programmation budgétaire. J'ai quelques inquiétudes sur les recettes exceptionnelles : les deux premières années ont été édifiantes, 400 millions d'euros réalisés sur 1,7 milliard de recettes immobilières prévues !

Le coût du maintien en condition opérationnelle (MCO) est en pleine dérive : comment parviendrez-vous à endiguer celle-ci ? La maintenance revient cher sur le matériel très jeune et sur le très vieux : or nous subissons actuellement un effet cumulatif. Plus grave, le coût des technologies à l'acquisition. Un secrétaire d'Etat à la Défense américain annonçait en boutade qu'en 2050, il faudrait tout le budget du Pentagone pour construire un seul avion. Nous n'en sommes pas si loin...

Le nombre des journées de préparation opérationnelle se situait historiquement à 120 jours ; aujourd'hui et demain, plutôt autour de 100... En deçà de ce chiffre, la préparation des hommes serait gravement affectée. Comment arrêter cette chute ?

Vous avez cité les surcoûts pesant sur le budget, par exemple le démantèlement des équipements, les urgences opérationnelles. Au-delà de 2014, il faudra financer l'A400M et d'ici 2012, la commande supplémentaire de Rafale, pour 800 millions d'euros. D'autres postes de dépense seront donc touchés. Je l'ai dit au ministre : l'abandon ou le report à plus de deux ans de la modernisation des Mirage 2000D ne serait pas raisonnable. Il faut 700 millions pour rénover 77 Mirage ou acheter 11 Rafale. Etes-vous certain d'avoir fait le bon choix ?

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Quels éléments vous incitent à un tel optimisme sur les exportations de Rafale ?

Debut de section - Permalien
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées

La défense consacrera en 2011 environ 2,6 milliards d'euros à l'entretien programmé du matériel. Notre matériel est en effet soit très jeune, soit très vieux, Transall, VAB, navires. Entre ces deux catégories, il n'y a pas grand-chose car pendant un certain nombre d'années, on a arrêté d'investir pour renouveler les équipements. La durée de vie moyenne d'un grand nombre de matériels dépasse les 25 ans voire atteint 45 ans pour ceux sur lesquels on pratique l'acharnement thérapeutique !

On a créé un service de soutien de la flotte, puis la Simmad pour l'armée de l'air, la marine et l'Alat ; et nous sommes en train de créer la Simmt pour le matériel terrestre. La rationalisation permet en effet d'éviter les dérives. Tout cela fait partie de la réforme du ministère et répond à la contrainte de la RGPP comme à la nécessité d'une modernisation. La priorité va aux opérations ; en Afghanistan, nos hommes disposent d'un matériel en bon état même si l'esprit français trouve toujours à redire.

Dans les années soixante et soixante-dix, la durée de vie d'un avion de combat était de vingt ans environ ; tous les quinze ans, un nouveau programme débutait, Mirage III puis Mirage F1 par exemple. C'était encore le cerveau humain qui était le coeur du système. Quinze ans, c'était aussi la durée de vie active d'une chaîne de production ou d'un bureau d'études. Puis sont apparus le Super-Etendard, le Mirage 2000, plus complexes et à durée de vie plus longue. Il se passe donc 25 ans entre deux programmes : le savoir-faire d'un bureau ou d'une ligne de production se perd entre temps. La première livraison de Rafale, avion qui représente la quatrième génération, ou quatrième « et demi », date de 2000 ; mais la déclaration du caractère opérationnel, la « full operational capability » (FOC) a été signée par l'armée de l'air en 2008 seulement ! Et le programme avait commencé en 1986.

Le premier avion de cinquième génération, le Joint Strike Fighter (JSF) américain vole à l'état de prototype ; les premières livraisons devraient intervenir en 2016 et la FOC en 2025. Arrêtons cela ! Arrêtons, nous militaires, de demander la lune, freinons les appétits de nos hommes et les rallonges de nos ingénieurs, car sur un porte-avions, 1 % de capacité supplémentaire alourdit le coût de 20 % !

Les acheteurs potentiels de Rafale attendaient de connaître ses capacités réelles, qui ne sont connues que depuis 2008. Trois Rafale sont stationnés aux Emirats Arabes Unis, d'autres participent aux exercices interalliés, ou sont déployés en Afghanistan. Nos pilotes sont ravis, les pilotes étrangers envieux, les scores dans les exercices conjoints, spectaculaires. L'avion est éprouvé donc exportable depuis deux ans. La course à la technologie, sur les drones, les futurs blindés, etc. doit être freinée, nous n'avons pas les moyens des Etats-Unis. Le délégué général pour l'armement, M. Laurent Collet-Billon, en est conscient comme moi. Les industriels sont plus difficiles à convaincre...

Le nombre des journées de préparation et d'activité opérationnelle est toujours fixé à 120...

Debut de section - Permalien
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées

La réalisation se situe aujourd'hui à hauteur de ce chiffre mais elle devrait décroître, du fait des restrictions budgétaires, vers 105. Il y a sans doute un seuil à 100... La technologie a une incidence positive et négative : les simulateurs peuvent être exploités pour l'entraînement élémentaire, et le terrain être ainsi réservé aux exercices plus complexes ; mais les matériels étant d'un coût de plus en plus élevé, on n'a pas envie de les user en exercices ! Je partage tout de même votre préoccupation.

Sur l'A400M, je n'ai pas d'inquiétude : les crédits sont prévus, provisionnés ; en revanche, il ne faudrait pas de décalages supplémentaires. Aujourd'hui, l'avion vole, c'est un bon porteur. Mais pour obtenir les systèmes à l'heure, c'est une autre affaire...Les industriels n'ont pas tous pris la mesure des efforts à accomplir...Quant à l'achat des Rafale en 2011, les 800 millions d'euros dépensés maintenant auraient dû l'être plus tard de toute façon. Mais il est vrai que Bercy n'est guère ouvert à des changements dans la chronologie des dépenses et il a donc fallu reporter la rénovation du Mirage 2000D.

Les deux sont des avions de combat de très haute intensité. On a un peu perdu de vue que 95 % des combats, s'ils sont complexes, ne sont pas de haute intensité : voyez l'Afghanistan, on s'y affronte mais ce n'est pas la ruée des chars du pacte de Varsovie. Nous avons sur-spécifié... Il faut maintenant compenser cela. Entre les deux programmes, nous avons un choix à faire dans le temps, ce qui nous place parfois dans la situation de l'âne de Buridan.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

M. Pintat souhaitait vous interroger sur les drones Male : quels sont les besoins exprimés par les armées, de combien de drones voulons nous disposer, et à quelle échéance ? Quelles sont les solutions à privilégier, en termes de délais et de coûts ?

D'autre part, la nouvelle conjoncture budgétaire risque-t-elle de remettre en cause les programmes, spatiaux notamment, de la fonction connaissance et anticipation ?

Debut de section - Permalien
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées

Il y a trois types de drones : les premiers, tactiques, drones de reconnaissance au contact (DRAC) ou Skylark, sont en quelque sorte les jumelles du XXIè siècle. Ils pèsent une dizaine de kilos et ont une heure et demie d'autonomie environ. Les deuxièmes, systèmes de drones tactique intermédiaire (SDTI), plus volumineux, ont également une vocation tactique. On en compte six en Afghanistan. Leur successeur est à l'étude à l'horizon 2013 ; il pourrait s'agir du Watchkeeper britannique, qui a tout de même un gros inconvénient : il exige une piste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gautier

Mais les Britanniques ont investi en développement 500 millions d'euros, nous les économiserions...

Debut de section - Permalien
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées

Pour les dépenser en créant deux régiments supplémentaires de génie, pour construire les pistes ?

La troisième catégorie de drones est celle des Male. Nous avons acheté des Heron, israéliens : le vecteur est importé mais la charge utile est faite en France. Le résultat est le Harfang, dont trois sont employés en Afghanistan ; le quatrième est installé à Cognac, pour l'entraînement. Ce drone a été livré avec quatre années de retard, imputable aux industriels, et il ne correspond plus aux besoins opérationnels. Nous avons engagé une coopération avec les Allemands, autour du projet Advanced UAV, mais les prix ont explosé : EADS nous a présenté une facture quatre fois plus élevée que ce qui avait été prévu par la loi de programmation. Et nos partenaires allemands ont préféré acheter sur étagère. La nouvelle version du Heron, vecteur et capteurs, ou vecteur équipé de nos capteurs, revient à deux fois le prix prévu. Enfin, Dassault conduit un groupe de sept pays, dont la Suisse, la Grèce, la Suède, et met au point un démonstrateur le « Neuron ». Les Britanniques ont acheté en leasing des Predator, comme les Italiens et les Allemands.

Aujourd'hui, cependant, il y a du nouveau avec les Britanniques et nous avons un calendrier conjoint ; la volonté politique existe des deux côtés de la Manche, la volonté industrielle également, chez BAe et Dassault-Thales. Nous pourrions aboutir à un équipement commun en 2018 ou 2020. Comment tenir, entre temps, après le Harfang ? Nous avons demandé des vecteurs supplémentaires à EADS, mais nos besoins se situent en 2013 et 2014 : si le matériel intérimaire arrive en 2015 ou 2016, la jonction ne sera pas faite. Si nous achetons aux Américains, on clamera que les armées ne soutiennent pas l'industrie française : quel dilemme ! Nos hommes, sur le terrain, attendent.

S'agissant de la connaissance et de l'anticipation, cette fonction couvre le domaine spatial, mais aussi les écoutes, les radars longue portée, etc. Le recrutement de 700 agents de haut niveau est en cours, nous ne pouvons aller plus vite faute d'un vivier suffisant ! Les satellites Helios subissent les effets des lois de Kepler et tomberont bientôt, si bien qu'en 2016, nous devrons impérativement disposer de nouveaux satellites Musis en orbite. Enfin, Spirale, Elisa sont en cours de développement. Pour la détection des départs de missiles, nous devons être autonomes. Le démonstrateur spatial d'alerte avancée Spirale va au-delà de nos espérances en qualité, précision, durée de vie. Quant aux systèmes d'observation, le programme de satellites Musis, est européen... en théorie, car nos partenaires traînent les pieds. Nous avons pour notre part provisionné les sommes nécessaires pour assurer le remplacement d'Helios, les autres s'accrocheront à notre convoi plus tard...

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gautier

Merci d'accorder la place centrale aux hommes !

Le trou financier de 2013 m'inquiète : les recettes exceptionnelles assureront le bouclage en 2011 et 2012, mais faudra-t-il en 2013 une déflation des effectifs, de 30 000 à 50 000 hommes, pour passer le cap ?

Notre travail bilatéral avec les Britanniques constitue-t-il une piste sérieuse à explorer pour dégager des gains dans les dépenses d'entretien ? Et pourquoi pas un partage du laser mégajoule ? Je ne crois plus, en tout cas, à la coopération européenne, mais plutôt au bilatéral. General Atomics a présenté son Reaper, qui sera disponible en 2013. Les caractéristiques et le budget nécessaire correspondent à nos besoins mais ce matin je m'entretenais avec le patron de Souriau, qui équipe Airbus et les Américains : pourquoi ne pas exiger des off-set en faveur d'une entreprise de chez nous quand elle est leader mondial ?

Le satellite Syracuse III pourrait être cédé en leasing, fournissant une recette exceptionnelle, mais le coût de la maintenance des services de télécommunications ne mangera-t-il pas ensuite tout le profit ?

J'aurais beaucoup d'autres questions, comme sur les drones armés, surtout après votre intervention à l'université de la défense... J'y reviendrai.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernadette Dupont

Il y a en matière de renseignement deux grands postes de dépenses, le personnel et la technologie. Quelle part ira à la formation, quelle part aux équipements ? Et pouvez-vous nous dire quelques mots de l'académie du renseignement ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Le trou de 3,6 milliards d'euros aura-t-il un effet sur les crédits de la dissuasion ou ceux-ci sont-ils sanctuarisés ? Les derniers ASMP-A seront livrés, nous avez-vous dit : nos deux escadrons seront donc équipés - mais à quelle échéance ? Quel est le calendrier de livraison des M51 ?

Nous ne pouvons faire toutes les guerres, nous devons les faire accomplir par d'autres qui, sur place, peuvent les gagner. Pouvez-vous nous parler de l'accueil des élèves étrangers dans nos écoles militaires ? Ce seront des cadres précieux pour stabiliser les régions du monde.

Quel est le montant de notre contribution à l'Otan ? Où trouverez-vous les « petits » crédits de la défense anti-missiles balistiques ? (Rires)

Debut de section - Permalien
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées

Sur le post-2013, j'ai des inquiétudes. Dés la rédaction du Livre blanc en 2007-2008, sa réactualisation a été prévue, tous les cinq ans. Les futurs gouvernements, après les prochaines élections, vérifieront si l'analyse géostratégique alors effectuée reste valide - je crois pour ma part que tel est le cas. A Dieu ne plaise que nous perdions 30 000 effectifs, cela changerait non seulement notre modèle mais aussi notre niveau d'ambition !

Dans la trajectoire jusqu'à 2013, la dissuasion n'est pas touchée - je n'aime pas le mot « sanctuarisée » qui vous vaut aussitôt les critiques des jaloux. J'en suis un ardent promoteur, elle est notre assurance-vie, sans laquelle on ne peut rien construire !

Les livraisons d'ASMP-A, des différentes versions de M51, nouveaux vecteurs, puis nouvelles têtes en 2015, se poursuivent. Le Terrible reçoit actuellement son chargement de missiles M51. Le calendrier sera tenu, aussi bien pour les M51.1 en 2010 que les M51.2, équipés de têtes de nouvelle génération en 2015.

Pour la composante aéroportée, le Rafale équipé d'ASMP-A a été déclaré opérationnel en juillet dernier. Les derniers ASMP-A seront livrés en fin 2011. On passera de trois à deux escadrons, un de Mirage 2000 dotés d'ASMP-A, l'autre de Rafale. Pour l'instant, le calendrier est tenu. Si une marche apparaît, on verra s'il faut ou non la combler, mais le choix sera fait en toute lucidité. La période est compliquée, il serait très déstabilisant de subir un deuxième coup de rabot !

Vous évoquez les discussions avec les Britanniques, pardonnez-moi de rester discret sur les aspects nucléaires... Les armées et la DGA y sont associées. Une volonté forte existe des deux côtés de la Manche : c'était déjà le cas sous le gouvernement travailliste de M. Brown, mais alors que nous nous interrogions sur ce qu'allait faire M. Cameron, le processus s'est accéléré. Il n'y a aucun tabou. Nous avons convergé sur la maintenance commune de l'A400M, la lutte contre les mines navales ; pour l'entraînement des pilotes, la convergence est plus difficile. Une utilisation partagée des ravitailleurs en vol ne doit pas se traduire par un surcoût pour nous ! Quoi qu'il en soit nous avons des réunions bihebdomadaires et je parle une fois par semaine au téléphone avec mon homologue. Nos deux pays partagent la même analyse géostratégique, la même volonté politique et le même sentiment d'urgence. Un sommet franco-britannique se tiendra le 2 novembre en Grande-Bretagne, où nous lancerons une action de longue haleine. « It's a rosy perspective, but in the long term », comme le résume mon homologue d'outre-Manche avec flegme - il est vrai que notre voisinage, foi de Normand, est ancien.... Les technostructures militaires, aussi puissantes que les civiles, pourraient freiner les choses, chez nous comme chez nos partenaires. Mais nous savons manier le fouet quand il le faut...

Si nous décidons de passer commande auprès de General Atomics, nous aurons du mal à obtenir des off-set car nous devrons déjà dépasser tous les autres clients dans la file d'attente...

Debut de section - Permalien
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées

Le délégué général pour l'armement vous répondra mieux que moi, mais sachez que nous négocions la possibilité d'intervenir sur la charge utile, afin de préserver notre savoir-faire. Le leasing, pour Syracuse III, doit faire l'objet d'un calcul très précis, qui n'est pas simple. Nous nous renseignons auprès des Britanniques afin de savoir jusqu'où ne pas aller : la facture finale ne doit pas excéder le gain à court terme. Là-dessus, la franchise britannique est parfois rude.

Pour le renseignement, il est difficile de répondre sur la part de la formation et celle de la technologie ; je vous rappelle que la DGSE relève du ministère de la Défense mais travaille à 10 % pour les armées, à 90 % pour le civil. La direction recrute des spécialistes, au prix du marché, qui n'est pas celui de l'administration...

Debut de section - Permalien
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées

Le ministère a créé une procédure il y a déjà quelques années afin de pouvoir recruter des IHN, ingénieurs de haut niveau.

Quant à l'académie du renseignement, quels que soient les services, il existe des besoins fondamentaux communs : telle est la raison d'être de l'académie. Prenons l'exemple des langues étrangères : il n'est pas si simple de recruter des agents connaissant parfaitement l'ourdou, et la DCRI, la DGSE, la DRM, la DPSD, les Douanes et d'autres en ont besoin.

Debut de section - Permalien
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées

Bien sûr et M. Fillon a inauguré la nouvelle structure en septembre.

Nous consentons un gros effort de formation des stagiaires étrangers. Ceux-ci représentent un tiers des effectifs dans les écoles de guerre, ce qui est un maximum, au-delà, il faudrait craindre une dilution. Les pays africains nous envoient des élèves, mais aussi les pays du Golfe et d'autres. A Saint-Cyr, les promotions, d'environ 160 élèves, comprennent une vingtaine d'étrangers, africains, allemands, marocains...

Debut de section - Permalien
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées

Les choses sont plus compliquées entre nos deux pays - mais pas entre leurs militaires...

C'est difficile aussi avec les Britanniques, tant leur formation, très vite en unité, est différente.

La participation française s'élève à 11,62 % des budgets militaires de l'OTAN. Le surcoût lié à notre participation pleine et entière à l'Otan se monte à environ 60 millions d'euros. Si nous allions au maximum de nos droits ouverts en termes d'effectif, le total serait proche de 80 millions. Mais pour les effectifs, aucun grand pays ne fournit totalement son quota, d'autant que la structure de commandement devrait être ramenée de 11 000 à 8 000 hommes et j'ai bien l'intention de conserver le même ratio de satisfaction des postes, afin que la facture ne s'alourdisse pas.

Nous sommes très prudents sur les financements communs car ils ont tendance à déresponsabiliser l'ensemble des pays : chacun en fait le minimum et compte sur l'autre pour payer.

J'en viens à la défense antimissile. Avant de savoir s'il faut tirer, il faut savoir s'il y a quelque chose sur quoi tirer. D'où le programme Spirale et les radars très longue portée. Nous avons toujours accepté de réfléchir à une défense antimissile de théâtre précise. En revanche une défense antimissile globale devrait être étanche ; or elle se contourne, par exemple avec un ASMP non balistique, autrement dit au ras du sol. Il faut réagir en quelques minutes et la décision n'est pas si simple. Une remarque : on oppose souvent défense antimissile et dissuasion, mais c'est opposer un outil et un concept !

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Badinter

Que devient le deuxième porte-avions ? L'Union européenne désarme pendant que les autres réarment, avez-vous dit : qui sont les autres et de quelle ampleur est ce mouvement ?

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

Que pense le chef d'état-major des deux tribunes parues dans Le Monde, l'une de M. Charles Kupchan, qui fut membre du Conseil national de sécurité américain et appelle à une Europe plus ambitieuse, l'autre de M. Anders Fogh Rasmussen, secrétaire général de l'Otan, qui plaide pour une défense antimissile du territoire européen ? L'Europe commune s'est construite d'abord sur le charbon et l'acier. La défense peut-elle être un moyen de relancer aujourd'hui le processus ? Une harmonisation des demandes entre les armées des pays membres pourrait en être le point de départ. Avez-vous avec vos homologues des relations fructueuses et confiantes ?

Debut de section - PermalienPhoto de Bernadette Dupont

Je me suis rendue au Liban avec d'autres parlementaires. Nous avons rencontré le ministre de la Défense, qui s'émeut de ce que le Hezbollah est plus riche en armes que son pays. Le Liban désire commercer avec la France, racheter du matériel, hélicoptères, VAB, missiles Hot...

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Vous êtes beaucoup plus optimiste que la moyenne des intervenants sur l'Afghanistan, qui sont sujets à la sinistrose. Le ministre nous a indiqué hier qu'il est envisagé de transférer aux Afghans la responsabilité du district de Surobi, c'est-à-dire la zone sud de notre secteur. Est-ce possible ? Quelle est la fiabilité de l'armée afghane pour prendre le relais dans cette zone ?

Debut de section - Permalien
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées

Je suis un fervent partisan du second porte-avions, instrument de projection de la puissance aérienne : 90 % de la population mondiale vit à moins de 500 kilomètres des côtes et la course vers la mer s'intensifie. Le président de la République a indiqué que la question du second porte-avions se poserait en 2011 ou 2012. La version conventionnelle de ce bâtiment coûte 2,5 milliards d'euros, soit 250 millions par an pendant dix ans. Des coupes claires dans d'autres budgets seraient indispensables.

Nous sommes prêts à développer un projet avec les Britanniques, mais ils rencontrent des problèmes financiers. Nous attendons... On ne peut envisager de navire commun mais le bâtiment pourrait être utilisé alternativement par les uns et par les autres. Le processus sera long, car il faut d'abord que tous les matériels soient compatibles - le décollage vertical pratiqué par les Britanniques, par exemple, pose problème. Mais je souhaite ardemment un second porte-avions !

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Badinter

Comment concevoir une défense avec un seul porte-avions ?

Debut de section - Permalien
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées

Je ne sais pas ! Le nôtre a été arrêté un an et demi, par chance il n'y a pas eu d'opérations urgentes, mais l'histoire ne nous attendra pas toujours...

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Badinter

Il en faut un deuxième sinon, autant tout arrêter !

Debut de section - Permalien
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées

Le monde, hors l'Europe, réarme. L'augmentation moyenne annuelle des dépenses d'armement est évaluée à 6 % par an ; elle est estimée à 18 % pour les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine). Les chiffres russes et chinois, comme naguère, sont difficiles à appréhender. Le budget américain est de 550 milliards d'euros (soit environ 4 % du PIB), contre 220 pour les 27 partenaires européens. Ceux-ci ont des convictions inquiétantes : « le budget de la défense est une variable d'ajustement » ; « les autres me protégeront ». Nos dépenses de défense sont de 2 % du PIB ; nous n'avons sans doute pas besoin de les porter à 4 % mais certains pays européens ont un budget de défense inférieur à 1 % du PIB !

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Badinter

Et en réaction les Etats-Unis maintiennent leur niveau de dépenses militaires. Il n'y a que l'Europe pour ne pas se sentir menacée...

Debut de section - Permalien
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées

M. Rasmussen est dans son rôle, dans l'article que M. Reiner a mentionné. Pour ma part la défense antibalistique globale m'inspire plus de prudence. Les gouvernements successifs depuis le début des années 90 ont tous fait preuve de la même prudence.

Sur l'attitude des Européens par rapport à la défense, notre difficulté consiste à faire comprendre que le monde est dangereux. Le centre d'intérêt des États-Unis est en train de basculer vers leur ouest, notre Extrême-Orient.

Tous les chefs d'états-majors européens se connaissent et se reçoivent à titre privé. Eprouvant tous les mêmes inquiétudes, nous sommes tous disposés à fournir certains efforts, allant jusqu'à contraindre nos technostructures. Mais aucun CEMA ne peut agir sur les volets industriel ou politique : il y a toujours un élu pour défendre telle ou telle implantation territoriale. La volonté militaire existe ; il en va presque de même dans les services d'armement ; c'est déjà plus compliqué avec les firmes concernées, surtout lorsqu'elles sont purement nationales. On sait ce qui arrive lorsqu'on touche aux questions budgétaires : les retards de l'A400M sont imputables à l'option prise de confier à chaque pays des morceaux d'avion qu'il ne savait pas construire, afin qu'il apprenne.

J'en viens au Liban. Ce pays souhaitait disposer, pour ses hélicoptères, de missiles Hot qui n'étaient pas de la dernière génération. Nous avons fait valoir aux Israéliens, mécontents, que le Liban était un Etat reconnu par la communauté internationale, qui devait survivre.

En Afghanistan, la solution ne sera pas seulement afghane, mais afghano-pakistanaise.

Nous avons créé en Afghanistan une cellule civile de stabilisation, avec des spécialistes de diverses disciplines, comme le micro-crédit ou l'agriculture. Basée en Kapisa, elle est placée sous les ordres d'un diplomate dont le rang est identique à celui de notre général commandant des forces françaises sur place. Les deux travaillent ensemble, car l'aspect militaire est la condition sine qua non d'une reprise économique, mais il faut aussi l'irrigation, les semences et les ponts.

Depuis l'embuscade organisée en 2008 contre nos marsouins, la situation s'est calmée en Surobi, qui est un district de la province de Kaboul. La sécurité pourra y être bientôt transférée aux forces armées et à la police afghanes. C'est déjà fait à Kaboul depuis l'été 2009. L'extension à la Surobi illustrerait la théorie de la tache d'huile du général Petraeus. Ne me demandez pas de date précise, car je l'ignore. En outre, toute annonce de retrait alimente l'insurrection. Je pense toutefois raisonnable d'envisager le courant de l'année 2011. Nous en parlerons lors de la conférence de Lisbonne.

L'insurrection afghane est formée de trois composantes assez nettement distinctes. Viennent d'abord les Talibans, Pachtouns à 99 %. C'est à eux que s'adresse le président Karzaï. Nous trouvons ensuite la tribu Haqqani, qui fournit les candidats au suicide. Le troisième mouvement est le HIG, dirigé par Gulbuddin Hekmatyar. Son aile politique, le HIA, bénéficie d'une reconnaissance parlementaire. En forte perte de vitesse sur le plan militaire, Gulbuddin Hekmatyar est un bon tacticien politique.

Sur place, nous avons à faire aux trois mouvements, qui s'affrontent parfois entre eux, ce dont nous ne nous plaignons pas. Les Talibans recherchent avant tout le partage du pouvoir. Quant aux Haqqani, ils défendent exclusivement leurs propres intérêts.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Il me reste à vous remercier pour nous avoir consacré une large partie de votre temps, que je sais précieux.