Intervention de Ladislas Poniatowski

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 7 juillet 2010 : 1ère réunion
Nouvelle organisation du marché de l'électricité — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Ladislas PoniatowskiLadislas Poniatowski, rapporteur :

Le projet de loi NOME, adopté en Conseil des ministres le 14 avril dernier et voté en première lecture par l'Assemblée nationale le 15 juin, s'inscrit dans le contexte de l'ouverture du marché de l'électricité et du gaz, totale en France depuis le 1er juillet 2007. Dans les faits, le marché de l'énergie reste dominé par les opérateurs historiques : EDF détient 90 % des capacités de production électrique, fournit plus de 95 % des clients résidentiels et 87 % des clients industriels, signe que l'ouverture a mieux fonctionné pour ce dernier marché ainsi que pour celui du gaz, en raison d'une moindre différence entre le prix du marché et le tarif réglementé, le groupe GDF conservant 90 % des clients résidentiels. Cette situation est contestée par Bruxelles qui a engagé deux procédures contentieuses, l'une en avril 2006 considérant que les tarifs réglementés font obstacle à l'ouverture du marché, l'autre en juin 2007 au titre des aides d'Etat, considérant que les tarifs réglementés, notamment le tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché (TaRTAM), pourraient constituer des subventions publiques aux grandes et moyennes entreprises. Le gouvernement français a récusé ces griefs en faisant valoir que 80 % de notre électricité est d'origine nucléaire. Pour éviter une condamnation, il a préféré négocier. D'où ce projet de loi introduisant le mécanisme quelque peu complexe de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), que le Premier ministre a présenté dans une lettre à la Commission.

En présence du ministre Benoît Apparu, je veux regretter, après m'en être ouvert à M. Jean-Louis Borloo, que le Gouvernement n'ait pas exploré la piste de l'ouverture du capital des centrales nucléaires. Je me réjouis que la France n'ait pas fait le choix de l'Italie et de l'Allemagne : E.ON a dû céder 25 % de sa capacité de production, entre autres à EDF, et ENEL une part importante de son parc de centrales si bien que l'entreprise contrôle aujourd'hui seulement 30 % du marché italien, où l'entreprise EDF est présente via sa filiale Edison. En revanche, il aurait fallu creuser la piste de l'ouverture du capital des centrales nucléaires. D'autant qu'elle a déjà été explorée : la centrale de Tricastin est détenue par GDF-Suez à hauteur de 12,5 %, celle de Fessenheim par l'allemand EnBW à hauteur de 17,5 % et par un consortium suisse conduit par Alpiq à hauteur de 15 %. C'est aussi le cas des centrales de Flamanville et de Penly respectivement ouvertes avec une participation de 12,5 % d'ENEL et de 7,5 à 8 % de Total. A cet égard, la prolongation de dix ans de la durée d'exploitation des centrales nucléaires existantes, dont EDF a demandé l'autorisation à l'Autorité de sûreté nucléaire, constitue une opportunité. De fait, avec un coût moyen de prolongation de 500 millions par tranche nucléaire - il serait de 600 millions selon M. Henri Proglio et de 400 millions selon M. Pierre Gadonneix l'an dernier -, EDF devra investir 29 milliards d'euros ! Je souhaite qu'EDF cède des parts qui ne dépassent pas 15 %, centrale par centrale, ce qui lui conserverait sa position de propriétaire et d'exploitant de la centrale, plutôt qu'il s'endette excessivement ! Cette solution, qui présente l'avantage de répondre à l'exigence de Bruxelles, n'est pas alternative mais complémentaire du système de l'Arenh que je soutiens complètement en tant que rapporteur. Puisse ce dernier fonctionner pour les consommateurs industriels et, ce qui est moins certain, pour les consommateurs domestiques !

Venons-en maintenant au texte. Son article premier met en place le mécanisme d'accès régulé à l'électricité de base, rebaptisé accès régulé à l'électricité nucléaire historique ou Arenh par les députés. Ce système oblige EDF à céder de l'électricité aux fournisseurs alternatifs à des conditions économiques représentatives des centrales nucléaires actuellement en service pour un volume global maximal de 100 TWh par an auquel il faut ajouter un montant de 20 TWh correspondant aux pertes techniques d'électricité sur les réseaux de transport et de distribution. La commission de régulation de l'énergie (CRE) répartira les volumes entre les différents fournisseurs selon un mode de calcul précisé dans l'article. Un mécanisme d'ajustement rétroactif est prévu au cas où les fournisseurs auront demandé des capacités d'électricité dépassant le volume de consommation de leur portefeuille de clients. Cet article ne fixe pas le prix de l'Arenh, mais son mode de calcul. Celui-ci devra couvrir les coûts économiques du parc de centrales nucléaires d'EDF et, grâce à un ajout intéressant de l'Assemblée nationale, sera initialement fixé en cohérence avec le TaRTAM. A terme, ce prix sera établi sur proposition de la CRE, mais à titre transitoire, durant les trois premières années, il sera arrêté par les ministres chargés de l'énergie et de l'économie après avis motivé de la CRE. Le dispositif de l'Arenh est mis en place à titre transitoire jusqu'au 31 décembre 2025. Tous les cinq ans, le Gouvernement présentera au Parlement un bilan. Pour m'en tenir aux principales modifications apportées à cet article par les députés, citons la progression du plafond pour les pertes techniques des réseaux de transport et de distribution à 30 TWh, la possibilité légitime donnée aux distributeurs non nationalisés (DNN) de se regrouper pour disposer de l'Arenh et la suppression des contrats annuels passés entre EDF et les fournisseurs alternatifs. Pour ma part, je vous proposerai essentiellement de confier les échanges d'information à la CRE, plutôt qu'à une « entité juridiquement indépendante », mécanisme qui risque d'être complexe et coûteux, et de prendre date dans cinq ans pour une future ouverture des investissements de prolongation des centrales nucléaires d'EDF.

L'article 2 fait obligation à chaque fournisseur d'électricité de contribuer à la sécurité d'approvisionnement nationale par son investissement dans des capacités de production ou son engagement sur le marché de l'effacement, une mesure forte et importante que j'appuie.

Les articles 4 et 5 du projet de loi confortent les tarifs réglementés de vente d'électricité. Le premier modifie la définition actuelle des tarifs réglementés en précisant qu'ils seront progressivement, et au plus tard le 31 décembre 2015, établis par addition de coûts et en tenant compte du prix de l'Arenh. Le second précise les bénéficiaires des tarifs réglementés, ce qui comblera le vide juridique actuel.

Les articles 7 et 8 adaptent les compétences et la composition de la CRE pour tenir compte de son rôle dans la mise en oeuvre de l'Arenh. Les députés ont jugé bon d'abaisser de cinq à trois le nombre des membres du collège de la CRE. Pour éviter le blocage du fonctionnement normal de la CRE, je proposerai d'en revenir au texte du Gouvernement. En revanche, il est de bon principe que les membres de la CRE soient tous des professionnels, et non des personnes dépendant des lobbies.

Les articles 9 et 10 sont relatifs à la transposition des directives du troisième paquet énergie. Je proposerai une modification rédactionnelle à l'article 9 qui transpose des dispositions relatives à la protection des consommateurs dans le code de la consommation. L'article 10, à la suite de la forte prise de position des présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, tous deux hostiles au recours aux ordonnances, a été supprimé par l'Assemblée nationale. J'attire votre attention, en présence du ministre, sur la difficulté, dans ces conditions, à respecter le délai de transposition, fixé à mars 2011...

Par ailleurs, l'article 11, qui concluait le projet de loi initial, donne utilement aux exploitants d'installations nucléaires cinq ans supplémentaires pour constituer des actifs dédiés au démantèlement des centrales nucléaires et au traitement des déchets radioactifs.

En outre, les députés ont introduit des dispositions nouvelles, portant le nombre d'articles de 11 à 17. Parmi elles, citons l'article 2 bis qui donne à Réseau de transport d'électricité (RTE) la possibilité de conclure des contrats d'effacement directement avec les consommateurs raccordés aux réseaux de distribution. Je proposerai un amendement afin d'inciter le Gouvernement à régler sans délai une difficulté soulevée dans le rapport de MM. Serge Poignant et Bruno Sido : l'interdiction faite aux consommateurs bénéficiant d'un tarif réglementé de vente de valoriser des effacements de consommation auprès d'un autre opérateur que leur fournisseur.

L'article 2 ter instaure un mécanisme d'interruptibilité immédiate afin de faire face à un risque grave entravant le fonctionnement du réseau, à l'instar des incidents survenus en Bretagne et en région PACA.

L'article 11 bis règle le cas très particulier d'une commune alsacienne au sein d'un EPCI.

L'article 12 met en conformité les taxes locales d'électricité avec le droit communautaire après que la Commission a mis en demeure la France, en mars dernier, de transposer la directive de 2003 avant le 1er janvier 2009. Le Gouvernement a négocié un délai supplémentaire, expliquant que cette réforme serait intégrée au projet de loi NOME. Les députés, ayant disposé du texte tardivement, ont manqué de temps pour l'examiner en profondeur. D'où le plus grand nombre d'amendements que je proposerai sur ce point. Désormais, la taxe est obligatoire ; une taxe nationale est créée pour les consommations professionnelles ; la taxe est assise sur les volumes consommés, et non plus sur les montants facturés ; et, enfin, le minimum de taxation est fixé à 0,50 euro par MWh pour les consommateurs professionnels.

L'article 13 ajoute la société publique locale, fruit d'une proposition de loi du groupe socialiste, aux formes juridiques proposées pour la fusion des entreprises locales de distribution. Son introduction a été votée à l'unanimité à l'Assemblée nationale.

L'article 14 confirme l'application du statut national des entreprises électriques et gazières aux activités de commercialisation.

Enfin, l'article 15 concerne l'adoption par ordonnance de la partie législative du code de l'énergie, du code des transports et du code minier. Il s'agit de surseoir à la publication du code de l'énergie afin d'y intégrer la loi NOME.

Pour ma part, je vous proposerai deux amendements importants portant article additionnel. Le premier vise à régler le problème de la croissance mal maîtrisée des coûts de raccordement des producteurs d'énergie renouvelable. De fait, l'explosion du photovoltaïque obère la capacité d'investissement de Electricité Réseau Distribution de France (ERDF), nous a expliqué Mme Michèle Bellon, sa présidente, lors de son audition. Le second étend le champ de compétences du médiateur de l'énergie aux gestionnaires de réseaux de distribution.

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