Intervention de Christian Favier

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 2 novembre 2011 : 1ère réunion
Ouvrages d'art de rétablissement des voies — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Christian FavierChristian Favier, rapporteur :

La proposition de loi qu'il nous revient d'examiner répond à une attente très forte de la part des collectivités territoriales, puisqu'elle vise à clarifier la répartition des charges de gestion des ouvrages de rétablissement des voies lorsqu'une voie est interrompue en raison de la réalisation d'une nouvelle infrastructure de transport.

En l'absence de règles législatives ou réglementaires, les principes régissant cette matière ont été définis par la jurisprudence. En 1906, le Conseil d'État a jugé que les ouvrages d'art de rétablissement de voies interrompues par la construction d'une nouvelle infrastructure de transport sont incorporés à l'infrastructure dont ils relient les deux parties.

En d'autres termes, il incombe à la collectivité gestionnaire des voies supportées par l'ouvrage d'en assurer l'entretien, la surveillance et les éventuels travaux de rénovation et de renouvellement.

Les collectivités territoriales ignorent souvent les obligations qui leur incombent, et qui représentent une charge importante. A titre d'exemple, une commune du Calvados de 360 habitants s'est vue imposer une remise en état de deux ponts uniquement utilisés par la SNCF et Réseau Ferré de France (RFF), pour un montant de 61 000 euros, représentant les deux tiers de son budget d'équipement annuel. Les collectivités territoriales ne disposent pas toujours des ressources budgétaires suffisantes pour assumer leurs obligations ; elles sont par ailleurs désarmées face aux grands établissements publics nationaux, qu'il s'agisse de RFF ou de Voies Navigables de France (VNF). Leur responsabilité pénale peut être engagée en raison de leur inaction.

Ce constat apparaît d'autant plus alarmant que les collectivités se voient imposer la gestion d'un ouvrage d'art de rétablissement de leur voirie, alors qu'elles ne disposent d'aucun pouvoir de décision sur les projets de réalisation d'une nouvelle infrastructure de transport comme sur ceux visant à effectuer des travaux de rétablissement.

Il convient toutefois de rappeler que la jurisprudence et le pouvoir réglementaire ont défini des aménagements à ce principe général, notamment pour les autoroutes concédées et les infrastructures ferroviaires, pour lesquelles la gestion des ouvrages et la prise en charge financière n'incombent pas nécessairement au propriétaire.

En effet, pour les ouvrages franchissant les autoroutes concédées, deux directives ministérielles de 1974 et 1976 imposent aux concessionnaires d'être maîtres d'ouvrage des ouvrages de rétablissement au-dessus du domaine public autoroutier concédé.

Pour les voies ferrées, dès 1859, le Conseil d'État a jugé que « le tablier du pont reliant les deux tronçons de la rue de Stockholm à Paris relevait des dépendances du Chemin de Fer qui devait en assurer l'entretien, à l'exception de la chaussée, qui est de la compétence de la collectivité ». Cette obligation d'entretien, qui incombait à la SNCF, n'a pas été remise en cause lors de la nationalisation de celle-ci en 1937. Pourtant, une circulaire de 1985 a mis fin à cette règle de répartition de gestion, sauf pour le cas du croisement d'une voie ferrée et d'une route nationale. En d'autres termes, l'État a maintenu une règle de répartition ancienne en sa faveur mais au détriment des collectivités territoriales.

C'est pourquoi une réflexion sur le sujet s'est imposée et a conduit à la mise en place d'un groupe de travail, en 2009-2010, par l'ancien secrétaire d'État aux transports, M. Dominique Bussereau. Ce groupe a réuni l'AMF, l'ADF, VNF, RFF et les administrations centrales concernées. Deux de nos collègues participaient également à ces travaux : Mme Evelyne Didier, auteur de la présente proposition de loi et M. Francis Grignon.

La proposition de loi de Mme Didier définit un principe général de répartition des charges et des responsabilités selon lequel il incombe aux collectivités territoriales la prise en charge et la gestion des trottoirs, du revêtement routier et des joints qui en assurent la continuité. Les gestionnaires de l'infrastructure de transport nouvelle doivent, quant à eux, assurer la prise en charge de l'étanchéité, de la surveillance, de l'entretien et de la reconstruction de la structure de l'ouvrage.

En d'autres termes, la proposition de loi vise à reprendre le principe qui régit actuellement les concessions d'autoroutes et celui qui régissait, jusqu'en 1985, celui des voies ferrées. Il a également pour mérite de pouvoir s'appliquer à la diversité des situations qui peuvent intervenir entre collectivités territoriales ou entre collectivités et gestionnaires d'infrastructures de transport.

L'application de ce principe général s'accompagne de la négociation d'une convention destinée à prendre en compte les spécificités attachées à chaque ouvrage d'art. Les orientations des conventions seraient définies dès le dossier préalable à la déclaration d'utilité publique afin de permettre aux gestionnaires des infrastructures de transport nouvelles de réfléchir aux conditions de gestion de l'entretien de l'ouvrage.

Ce principe général et la négociation de la convention ne s'appliquent qu'aux futurs ouvrages d'art. La question des ouvrages d'art déjà existants est plus complexe à appréhender : l'obligation de négocier des conventions ne semble pas adaptée et le statu quo n'est pas non plus satisfaisant. C'est pourquoi la proposition de loi prévoit, d'une part, que les conventions déjà existantes continuent de s'appliquer. En cas de dénonciation par l'une des parties, une nouvelle convention devrait être négociée selon les principes et les modalités présentées précédemment. Dans le cas où aucune convention n'a été signée et en cas de litige, une convention devrait être signée selon les modalités précédentes.

La question de la négociation, en cas de désaccord, est également délicate. Le groupe de travail mis en place par M. Bussereau avait proposé, avant la saisine du juge, l'existence d'une phase précontentieuse avec l'intervention du préfet qui aurait eu une mission de médiation. Toutefois, force est de constater que le préfet, bien que garant de l'intérêt général, peut également apparaître comme partie prenante dans les litiges opposant les collectivités territoriales et les établissements publics nationaux. C'est pourquoi la phase contentieuse a été préférée sans passer par une phase de médiation et de conciliation.

La proposition de loi de Mme Didier envisage également de poser le principe d'une compensation financière, par dérogation au principe général, selon laquelle les collectivités territoriales pourraient demander de transférer la gestion de leur voirie aux gestionnaires des nouvelles infrastructures de transport. Cette dérogation apparaît contraire aux principes mêmes de la décentralisation selon lesquels les collectivités territoriales doivent assurer la gestion de leur voirie. C'est pourquoi je vous propose la suppression de cette disposition.

L'article 2 est l'article de gage financier. Enfin, l'article 3 vise à protéger les collectivités territoriales des éventuelles conséquences issues de l'application du principe général. En effet, afin de réduire leurs charges d'entretien, les gestionnaires des nouvelles infrastructures de transport pourraient être tentés de construire des ouvrages d'art « a minima » sans souci de la sécurité. Je vous propose de supprimer cet article et d'intégrer ces dispositions dans l'article 1er. Plus précisément, les dossiers préalables aux déclarations d'utilité publique pourraient être le réceptacle de ces orientations et permettre à la collectivité d'apprécier la qualité de l'ouvrage.

Les différences avec la proposition de loi de notre collègue Francis Grignon sont nombreuses. Tout d'abord, cette dernière pose le principe selon lequel chaque propriétaire doit assurer la charge d'entretien et de reconstruction de son ouvrage même s'il n'a pas décidé de le construire, une compensation financière, restant à définir, pouvant accompagner ce transfert de gestion. Ensuite, elle propose d'introduire une exception pour les collectivités territoriales de moins de 3 500 habitants : lorsque ces dernières seraient concernées par la gestion d'un ouvrage de rétablissement, le gestionnaire de la nouvelle infrastructure de transport devrait prendre en charge l'entretien, la gestion et la reconstruction de la structure de l'ouvrage. Enfin, elle propose de confier au préfet une mission de médiation, avant que le juge soit saisi, en cas d'échec de la négociation de la convention.

L'Association des maires de France et l'Assemblée des départements de France, qui représentent les collectivités principalement concernées par cette problématique, m'ont indiqué, lors de leurs auditions, être largement favorables à l'adoption de la proposition de loi de Mme Didier.

Les deux amendements que je vous propose d'adopter visent, d'une part, à réécrire les dispositions de l'article 1er afin de corriger certaines maladresses rédactionnelles, réorganiser les différents articles et y intégrer les dispositions de l'article 3.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion