Intervention de Philippe Richert

Réunion du 8 décembre 2011 à 9h00
Contrôle des armes — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Philippe Richert, ministre auprès du ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration, chargé des collectivités territoriales :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, cher Antoine Lefèvre, mesdames, messieurs les sénateurs, lors de son discours devant les principaux acteurs de la sécurité, de la chaîne pénale et de l’éducation nationale, le 28 mai 2009, le Président de la République avait demandé que soit engagée une réflexion « sur les moyens d’améliorer la réglementation du commerce d’armes » afin, notamment, de « mettre fin à la banalisation du port d’armes dans la rue ».

Ce renforcement de notre réglementation, plusieurs drames récents sont venus nous en rappeler l’ardente nécessité. À trois reprises à Marseille, la semaine dernière, des criminels ont ouvert le feu. Le bilan est lourd : trois malfaiteurs tués, un autre blessé et un policier entre la vie et la mort.

Face à cette situation, nous devons tout faire pour empêcher que des armes, souvent même des armes de guerre, ne se retrouvent entre des mains mal intentionnées, celles des trafiquants et des délinquants.

L’enjeu est trop grave pour faire l’objet d’un traitement partisan, et les auteurs de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui l’ont bien saisi.

Déposée par les députés Claude Bodin, Bruno Le Roux et Jean-Luc Warsmann, ce texte est une synthèse équilibrée et juridiquement solide du débat mené avec l’ensemble des acteurs incontournables sur le sujet : les détenteurs légitimes d’armes à feux, tout d’abord – chasseurs, tireurs sportifs, collectionneurs ou armuriers –, réunis dans le comité Guillaume Tell avec lequel le ministère de l’intérieur entretient un dialogue régulier et fructueux ; la mission d’information parlementaire sur les violences par armes à feu et l’état de la législation, ensuite, dont le rapport agrégeant les points de vue des ministères de l’intérieur et de la défense, du Conseil d’État, des professionnels du secteur et des usagers d’armes à feu a été adopté en juin 2009, à l’unanimité des membres de la commission des lois de l’Assemblée nationale ; votre commission des lois, enfin, qui a abordé ce texte dans un esprit de consensus et de dépassement des clivages. Elle a fait un travail admirable dont je veux saluer ici la qualité.

Grâce à tous ces efforts combinés, nous examinons aujourd’hui un texte équilibré répondant à une double exigence : exigence de simplification du droit, d’abord, car la loi, pour être connue et appliquée par tous, doit être claire et compréhensible pour tous ; exigence de sécurité publique, ensuite, en renforçant les moyens juridiques de lutte contre le trafic d’armes.

Ce texte répond d’abord à l’impératif de simplification de notre législation sur les armes.

Comme votre rapporteur, je ne peux que constater l’inadaptation de la législation en vigueur aux enjeux actuels. Héritière du décret-loi du 18 avril 1939, notre législation sur les armes n’a pris en compte ni les évolutions technologiques ni les évolutions sociologiques de la délinquance survenues depuis lors.

Déjà texte de circonstance pris à la veille de la Seconde Guerre mondiale dans une optique de défense nationale, le décret-loi de 1939 a subi plusieurs modifications, elles aussi circonstancielles, à la suite de faits divers ayant impliqué des armes à feu. Le résultat est une réglementation complexe, manquant d’une vision d’ensemble, maîtrisée seulement par quelques spécialistes et qui complique inutilement la tâche des policiers, des gendarmes, des agents des préfectures mais aussi des utilisateurs légaux.

En plus d’être complexe, la législation actuelle manque son but : elle n’est pas suffisamment sévère à l’encontre des délinquants et des trafiquants.

Le texte que nous examinons aujourd’hui prévoit une nouvelle classification des armes, plus simple et plus accessible, qui permet aussi de mettre notre droit en conformité avec nos obligations européennes en la matière.

Le Gouvernement ne peut que saluer cette simplification, gage d’une meilleure appropriation de la législation par les différents acteurs, d’une meilleure sécurité juridique et d’un renforcement de l’effectivité des contrôles.

Au lieu des huit catégories actuelles, il y aura donc, désormais, quatre grandes catégories d’armes : les armes de la catégorie A, composée notamment des armes de guerre ; les armes soumises à autorisation ; les armes soumises à déclaration ; les autres armes soumises à enregistrement ou dont la détention est libre.

Les armes seront par ailleurs classées en fonction de leur dangerosité réelle, et non exclusivement en fonction du critère suranné du « calibre de guerre ». Toutefois, les calibres de guerre les plus dangereux resteront interdits à l’acquisition et à la détention.

Le Gouvernement ne peut que saluer cette simplification, gage d’une meilleure appropriation de la législation par les différents acteurs, d’une meilleure sécurité juridique et d’un renforcement de l’effectivité des contrôles.

De nouvelles dispositions sont également prévues pour les collectionneurs, qui pourront ainsi accéder librement à de nouvelles armes et à de nouveaux matériels de guerre, en raison du relèvement à 1900 pour les armes et à 1946 pour les matériels des millésimes définissant le caractère d’armes ou de matériel de collection.

Au-delà de la simplification du droit, le texte que nous examinons aujourd’hui vise à renforcer les moyens juridiques de lutte contre le trafic d’armes.

Il s’agit, comme je le rappelais en introduction, d’un enjeu majeur de sécurité publique. La multiplication des trafics accroît en effet les dangers, non seulement parce qu’elle augmente le nombre d’armes en circulation dans notre pays, mais surtout parce qu’elle met à portée de délinquants de plus en plus jeunes des armes de plus en plus dangereuses comme la kalachnikov, arme de guerre connue pour sa fiabilité.

Ne rien faire, c’est laisser la porte ouverte aux règlements de compte, dont l’actualité nous montre qu’ils concernent trop fréquemment des délinquants à peine adultes. C’est aussi faire courir des risques importants à nos forces de sécurité. Permettez-moi, à cet égard, d’avoir ici une pensée particulière pour le policier touché la semaine dernière, à Vitrolles. Ne rien faire, c’est enfin mettre en danger nos concitoyens en les exposant aux balles perdues. Je vous rappelle que, la semaine dernière, à Saint-Ouen, un passant a été blessé dans une fusillade.

Le Gouvernement est pleinement conscient de ces dangers. La lutte contre les trafics d’armes fait partie des priorités que Claude Guéant, ministre de l’intérieur, a fixées à l’action des services. La mobilisation de ces derniers, coordonnée par l’Office central de lutte contre le crime organisé, porte ses fruits : en 2010, 2 719 armes ont été saisies, contre 1 487 pour l’année 2009, soit une augmentation de plus de 82 %. Du 1er janvier au 24 novembre 2011, on compte déjà plus de 3 335 armes saisies.

Parallèlement à cette mobilisation opérationnelle, le Gouvernement a pris trois mesures d’ordre réglementaire pour renforcer le contrôle de la circulation des armes dans notre pays.

Première mesure : les armureries sont maintenant mieux contrôlées. Par un décret du 10 juillet 2010, un régime d’autorisation administrative d’ouverture a été mis en place pour les armureries. Désormais, le préfet est en droit de s’opposer à l’ouverture d’une armurerie s’il estime que celle-ci pose un problème de sécurité publique.

Un décret du 9 novembre 2011 soumet également les armuriers à une procédure d’agrément individuel. Armurier n’est pas une profession ordinaire : il est donc normal que l’État se donne les moyens d’exercer un vrai contrôle, à la fois d’honorabilité et de compétence professionnelle des intéressés.

Deuxième mesure : nous disposons désormais, avec le fichier AGRIPPA, ou « application de gestion du répertoire informatisé des propriétaires et possesseurs d’armes », d’un outil efficace et moderne de traçabilité des armes en circulation. Ce fichier, qui existe depuis quatre ans, recense à ce stade 3, 5 millions de détenteurs d’armes.

Cet outil permet d’ores et déjà de tracer les armes soumises à autorisation, à déclaration et, depuis le 1er décembre 2011, à enregistrement pour les armes de chasse acquises à compter de cette date.

Depuis l’adoption de la proposition de loi à l’Assemblée nationale, le 25 janvier dernier, la base AGRIPPA s’est modernisée pour remédier aux imperfections signalées dans le rapport de la mission d’information parlementaire.

Tout d’abord, jusqu’à très récemment, seuls les agents des préfectures bénéficiaient d’un accès direct à cette application informatique. Les forces de sécurité, si elles avaient besoin d’un renseignement, devaient donc saisir les préfectures, avec les délais que cette procédure induit. Le rapport de la mission parlementaire avait à juste titre soulevé cette anomalie. Aussi, sur l’initiative de Claude Guéant, l’ensemble des unités de police et de gendarmerie dispose désormais d’un accès direct à AGRIPPA.

Ces chantiers se poursuivront. Ils nous permettront de disposer d’un outil moderne, fiable et efficace pour lutter contre la circulation incontrôlée des armes.

Troisième mesure : nous disposons désormais d’un fichier national des interdits d’acquisition et de détention d’armes, le FINIADA, créé par le décret du 5 avril 2011.

Notre objectif est simple. Nous voulons que des personnes présentant un danger pour autrui ne puissent plus acquérir une arme. D’ores et déjà, 18 000 personnes font l’objet d’une interdiction de détention d’armes. Ce nouveau fichier a pour objet de faire respecter plus efficacement cette interdiction.

Aujourd’hui pleinement opérationnelle, cette base nationale répertorie les personnes frappées d’interdiction d’acquisition et de détention d’armes à la suite d’une décision du préfet territorialement compétent. La gestion de ces dossiers est dévolue aux services des armes des préfectures.

Parce qu’il permet de renforcer l’information des services préfectoraux, des services de police et de gendarmerie, des services des douanes, des armuriers, de la Fédération nationale des chasseurs, la FNC, et de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, l’ONCFS, quant aux personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes, ce fichier permet d’éviter qu’une arme ne soit vendue ou qu’un permis de chasse ne soit délivré à une personne jugée inapte à détenir une arme.

J’ai proposé d’étendre ce fichier aux interdits judiciaires, en particulier à ceux qui auront été condamnés à une peine complémentaire d’interdiction d’acquisition et de détention d’armes. Ces peines vont se développer puisque nous avons prévu qu’elles deviennent automatiques pour un certain nombre de crimes ou de délits commis avec une arme.

Ainsi, la base de données couvrira progressivement toutes les personnes qui, en raison de leur comportement, présentent une menace pour la sécurité publique si elles sont mises en possession d’une arme.

Votre proposition de loi vient enfin renforcer de manière décisive les moyens de lutter contre le trafic d’armes. Outre la simplification de la classification des armes que j’ai déjà mentionnée, qui facilitera le contrôle de l’application de la législation sur les armes, je citerai quatre mesures très positives.

Première mesure : le régime des saisies administratives est renforcé.

Il s’agit de permettre aux préfets, sans attendre une décision judiciaire, de procéder d’initiative à la saisie d’armes, lorsque le comportement de leur propriétaire fait courir un danger grave pour lui-même ou pour autrui, ou lorsqu’il existe un risque de trouble à l’ordre public. La proposition de loi permettra que les deux modes de saisie administrative prévus par le code de la défense soient désormais applicables à toutes les catégories d’armes. C’est une avancée, et je m’en félicite.

Deuxième mesure : l’acquisition et la détention d’une arme deviendront impossibles à une personne qui a été condamnée pour une infraction dénotant un comportement violent, incompatible avec la possession d’une arme à feu.

Très concrètement, une vérification du bulletin n° 2 du casier judiciaire permettra de s’assurer, au moment de la vente, qu’une personne souhaitant acquérir une arme n’a pas fait l’objet par le passé d’une condamnation pour des infractions volontaires particulièrement graves, telles que vol, extorsion, atteinte à la vie, ou à l’intégrité physique ou psychique de la personne.

La nouvelle rédaction proposée par votre rapporteur ne laisse plus subsister aucune ambiguïté quant aux infractions concernées, clairement définies par référence au code pénal.

Troisième mesure : sont instaurées des peines complémentaires obligatoires, telles que l’interdiction de port d’arme à destination des auteurs de violences volontaires condamnés définitivement.

Ce texte complète le dispositif pénal en instaurant des peines complémentaires, dites automatiques, pour un certain nombre de crimes ou de délits commis avec une arme. Il nous paraît important que ce dispositif concerne les infractions les plus graves. Des ajustements seront proposés au cours de la discussion afin de concentrer cette mesure sur les auteurs de crimes et délits les plus dangereux pour notre société, qui ne doivent plus être en situation de posséder une arme.

Les principes de proportionnalité et de personnalisation de la peine seront néanmoins pleinement respectés puisque le tribunal pourra ne pas faire application de cette peine complémentaire automatique, voire ne pas opter pour la durée maximale prévue par le texte. J’approuve ce dispositif confirmé par votre commission des lois.

Quatrième mesure : les sanctions pénales prises à l’encontre des trafiquants seront durcies.

La procédure applicable à la criminalité organisée pourra être appliquée aux infractions à la législation sur la fabrication et le commerce des armes. Cette disposition permettra, par exemple, d’utiliser des techniques d’enquête propres aux affaires de criminalité organisée.

Par ailleurs, les peines applicables seront revues à la hausse. Ainsi, la cession d’une arme soumise à autorisation sans que la procédure ait été respectée fera encourir une amende de 45 000 euros, contre 3 750 euros aujourd’hui. L’absence de déclaration exigée d’une arme sera aussi sanctionnée plus sévèrement. Ces dispositions vont dans le bon sens.

Vous l’avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement soutient très largement cette initiative parlementaire et salue l’équilibre du texte qui vous est soumis, fondé sur un esprit de responsabilité et de sécurité publique.

Je me félicite des échanges très constructifs qui ont présidé à la préparation de ce texte. Je remercie également la commission de la tâche accomplie.

Mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les quelques réflexions que je souhaitais partager avec vous sur ce travail parlementaire de très grande qualité, qui a suscité un large consensus, tant à l’Assemblée nationale le 25 janvier dernier qu’au sein de votre commission des lois.

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