Le Sénat, représentant des collectivités territoriales, est non pas le Conseil économique, social et environnemental, mais une assemblée politique.
On nous propose aujourd’hui de renoncer à ce modèle en découplant nationalité et citoyenneté et en créant deux sortes de citoyennetés : une citoyenneté nationale de plein exercice et une citoyenneté résidentielle locale.
Un ensemble politique bâti selon cette logique est en effet possible, puisqu’il en existe. À titre d’exemple, les démocraties issues de la tradition monarchique et/ou impériale entendent assurer la vie en commun non pas d’individus, d’atomes de citoyenneté, mais de communautés, de religions, de cultures différentes.
Ces modèles « multiculturels » assurent-ils mieux que le modèle républicain français la paix publique, la coexistence libre, tolérante et réellement équitable des hommes ? Les émeutes de 2001, les tentatives d’attentat de 2005 au Royaume-Uni, la brutale remise en cause aux Pays-Bas du modèle européen le plus progressiste jusque-là en font douter.
Naturellement, vous l’aurez constaté, mes chers collègues, l’Europe libérale construite autour du marché et d’une bureaucratie juridico-financière dont l’objectif est de se passer du politique et de dissoudre les nations peccamineuses ne voit qu’avantage à la citoyenneté résidentielle. Cette Europe, qui entendait unir les peuples par-delà les nations, est en train de les séparer.
La « déliaison » de la nationalité et de la citoyenneté, la citoyenneté à deux vitesses ont existé – je l’ai brièvement évoqué tout à l’heure – dans trois départements, officiellement français, en Algérie, entre 1865 et 1946, voire 1956. Rappelons-nous, les « indigènes juifs » jusqu’en 1870 et le décret Crémieux, ainsi que les « indigènes musulmans » jusqu’en 1946, pourtant de nationalité française, devaient demander à être « naturalisés » – ce terme était d'ailleurs impropre, puisqu’ils étaient déjà français – pour devenir citoyens. Un système de collèges et de quotas limitait les droits de la minorité d’« indigènes musulmans » admis à participer aux élections locales.
Le système proposé est l’image, en quelque sorte en miroir, de cette « monstruosité juridique », selon l’expression de Dominique Schnapper. Au lieu d’une nationalité sans citoyenneté, on a une citoyenneté résidentielle de deuxième rang, sans nationalité.