Intervention de Jacques Legendre

Réunion du 9 décembre 2011 à 15h10
Exploitation numérique des livres indisponibles du xxe siècle — Adoption d'une proposition de loi en procédure accélérée modifiée

Photo de Jacques LegendreJacques Legendre :

auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre chargé des relations avec de Parlement, mes chers collègues, nous débattions il y a peu du prix unique du livre numérique. La commission de la culture de la Haute Assemblée s’est souvent préoccupée des effets de cette technique nouvelle, par exemple, sur le fonctionnement de nos bibliothèques. Nous nous étions interrogés jadis sur les propositions de Googlevisant à numériser les œuvres détenues par les principales bibliothèques nationales de nos pays.

Ces nouvelles technologies font naître préoccupations, mais aussi espérances. Il nous semble qu’il faut, sans plus tarder, tirer toutes les conséquences de la possible numérisation de l’ensemble des livres.

La disponibilité du livre au format numérique est désormais une réalité.

Les titres nouveaux sont aujourd’hui édités dans des formats électroniques natifs, permettant une commercialisation numérique. C’est le cas, par exemple, d’une grande partie des 654 romans de la rentrée littéraire de 2011, proposés conjointement sous forme imprimée et sous forme digitale.

Bien évidemment, les bibliothèques publiques souhaitent s’engager résolument dans la numérisation de leurs collections. La BNF, la Bibliothèque nationale de France, l’a fait depuis longtemps déjà avec Gallica, et l’on sait quel rôle elle joue aussi pour la réalisation du programme Europeana. Néanmoins, il s’agit d’œuvres tombées dans le domaine public, c'est-à-dire écrites entre le XVe et le XIXe siècle. Le problème auquel la présente proposition de loi entend apporter une réponse concerne le XXe siècle.

Pour des raisons de faible rentabilité économique, une grande partie des ouvrages publiés au XXe siècle n’a pas été rééditée. Les titres sont épuisés sous forme imprimée, indisponibles dans le commerce et ne sont que rarement accessibles dans les bibliothèques.

Dans ce contexte, la numérisation est la seule possibilité, voire l’unique chance à saisir, pour faire renaître cet important corpus, mais elle n’est juridiquement pas possible, car la titularité des droits numériques est incertaine. La raison en est, évidemment, que les éditeurs n’ont fait figurer des dispositions relatives à l’exploitation numérique dans les contrats qu’à partir de la fin du XXe siècle. Les droits numériques sur les œuvres déjà anciennes sont revendiqués tant par les auteurs que par les éditeurs.

Il ne semble guère possible d’adapter des centaines de milliers de contrats anciens à la réalité digitale. Hors quelques titres au réel potentiel commercial, les modèles d’affaires sous-jacents à la réexploitation numérique de ces œuvres sont peu compatibles avec les coûts de transaction qu’entraînerait la mise à jour des contrats. Les éditeurs ne peuvent pas envisager l’exploitation numérique marchande. Quant aux bibliothèques, elles ne sont pas davantage titulaires des droits numériques sur les œuvres indisponibles, même si elles estiment parfois avoir cette légitimité en raison des efforts qu’elles ont déployés pour conserver les livres.

En l’état du droit, la reproduction numérique d’œuvres protégées par les bibliothèques, sans qu’elles y soient autorisées, constitue une contrefaçon. Il faut sortir de cette situation.

Le XXe siècle, dont la pensée nous est si familière, car nous en sortons à peine, a été une période d’intense production éditoriale. C’est environ 500 000 titres qu’il s’agit de rendre de nouveau accessibles. Telle est l’ampleur de l’objectif à atteindre.

Comment pourrait-on justifier auprès du lecteur une discontinuité d’un siècle dans le corpusdes livres disponibles au format numérique ? Va-t-on faire apparaître le droit d’auteur comme une entrave au développement de la société de l’information ?

Il est indispensable de trouver une solution juridique et économique innovante au problème des œuvres indisponibles. Il faut prouver que le droit d’auteur est suffisamment flexible pour être adapté sans que ses fondements soient remis en cause.

La solution prévue par la présente proposition de loi vise à instaurer une gestion collective des droits numériques sur les œuvres indisponibles par une société de perception et de répartition des droits. Ce mécanisme nécessite une modification du code de la propriété intellectuelle ; c’est l’objet de la présente proposition de loi, qui vise deux objectifs principaux.

Il s’agit, tout d’abord, d’éviter le « trou noir » que représente le XXe siècle pour la diffusion numérique des livres français en permettant à des œuvres devenues indisponibles de trouver une nouvelle vie au bénéfice des lecteurs. La proposition de loi vise à présenter une offre légale et abondante de livres numériques pour faire démarrer ce marché naissant.

Il s’agit, ensuite, de replacer les ayants droit au premier plan de la valorisation et de l’exploitation des œuvres, en évitant toute nouvelle exception au droit d’auteur. Voilà pourquoi j’ai été étonné de lire, en réaction à cette proposition de loi, que le Sénat chercherait à attenter au droit d’auteur ! Au contraire, nous voulons faire en sorte que chacun puisse accéder à des œuvres indisponibles tout en permettant aux auteurs et aux éditeurs de se réapproprier leurs droits, afin de les exploiter selon des modèles différents du commerce des nouveautés. Grâce à internet, ce système pourra trouver une pertinence et un équilibre.

Le problème que nous entendons résoudre se rencontre partout dans le monde. Aux États-Unis, Google avait espéré conclure un accord transactionnel avec les ayants droit du monde entier pour faire valider la copie, sans autorisation, des œuvres protégées conservées par les bibliothèques. Si la présente proposition de loi devait être adoptée, la France serait le premier pays au monde à disposer d’un mécanisme moderne et efficace pour régler la question des œuvres indisponibles.

Mais, avant cela, il nous faudra répondre à de nombreux problèmes juridiques, dont nous ne pouvons passer sous silence la complexité. Je pense, par exemple, au fait que certaines œuvres indisponibles de notre patrimoine littéraire du XXe siècle sont orphelines. La recherche des ayants droit doit donc être réelle et active. Nous ferons un certain nombre de propositions en ce sens.

Les auteurs ont parfaitement le droit de ne pas souhaiter que leur œuvre soit numérisée, quitte à ce qu’elle ne soit plus portée à la connaissance du public. Ce désir doit être impérativement respecté. Pour autant, qu’en est-t-il de leurs ayants droit ? Cette question est plus délicate à trancher. Il est donc utile que la représentation nationale se saisisse du problème pour l’examiner.

Je pourrais m’étendre davantage sur les nombreuses difficultés que soulève ce texte. Mais il aurait sans doute été souhaitable que nous disposions d’un temps plus long pour examiner l’ensemble des questions qui posent problème. Nous abordons aujourd’hui notre discussion en l’absence du ministre de la culture, qui m’a écrit pour me dire combien il regrettait de ne pouvoir être présent parmi nous dans cet hémicycle pour participer à nos travaux. À cette occasion, qu’il me soit permis de vous remercier, monsieur le ministre, d’avoir bien voulu le représenter. Quoi qu’il en soit, nous avons préféré que cette proposition de loi puisse, sans tarder, entamer son parcours législatif afin de le terminer, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, avant la suspension des travaux en séance plénière en raison de la campagne électorale.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion