Intervention de Bariza Khiari

Réunion du 9 décembre 2011 à 15h10
Exploitation numérique des livres indisponibles du xxe siècle — Adoption d'une proposition de loi en procédure accélérée modifiée

Photo de Bariza KhiariBariza Khiari, rapporteure de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les grandes civilisations ont souvent caressé le rêve d’une bibliothèque universelle, celle qui réunirait en un seul endroit tous les savoirs et toutes les créations de l’esprit humain.

Une bibliothèque universelle, c’est un lieu de mélange et de foisonnement au service du genre humain ; c’est une incarnation monumentale parfaite de la pensée des Lumières à la portée de tous.

Ce rêve, si longtemps caressé, est à portée de main grâce à l’ère numérique qui permet de rétrécir le temps et l’espace, et de favoriser l’accès de tous à tous les livres. Néanmoins, une telle entreprise ne peut se concrétiser qu’en respectant un certain nombre de principes fondateurs de notre droit et de notre culture.

Les ouvrages anciens sont tombés dans le domaine public et leur exploitation est gratuite. Ce principe est acquis, comme l’a rappelé M. Legendre. Pour autant, ce n’est pas le cas des livres plus récents, protégés par le droit d’auteur. Cela signifie, notamment, que les auteurs doivent pouvoir profiter de leur labeur grâce à la vente de leurs créations.

La question de l’exploitation numérique des livres indisponibles est ainsi au cœur de la problématique relative au respect du droit d’auteur dans les bibliothèques numériques.

Les livres indisponibles sont entrés dans le débat public à l’occasion de la tentative d’un opérateur privé, Google, de constituer une bibliothèque numérique universelle. Le principe était le suivant : Google proposait à une grande bibliothèque de numériser gratuitement les œuvres dont elle disposait, puis la firme américaine pouvait ensuite les exploiter, en donnant accès seulement à une petite partie de l’œuvre, dans le cadre du fair use américain.

Deux problèmes se posaient : Google n’avait pas les droits sur ces œuvres et les bibliothèques ne les avaient pas non plus. Ces dernières ont bien acheté des ouvrages « papiers », mais ne peuvent pas pour autant négocier l’exploitation des droits avec un tiers, que ce soit dans un format papier ou numérique. Rappelons que ce problème n’existe pas pour les œuvres anciennes libres de droits, mais se pose évidemment avec acuité pour les livres du XXe siècle protégés par le droit d’auteur.

Il se trouve qu’une grande partie de la production intellectuelle française n’est ainsi concrètement accessible que par quelques chercheurs sous une forme imprimée à la Bibliothèque nationale de France. On ne peut se satisfaire de cet état de fait, qui n’est favorable ni aux auteurs ni aux lecteurs. Le dévoilement des œuvres participerait pleinement d’une politique d’accès de tous à la culture.

Cette situation regrettable est liée à la fois aux doutes sur les titulaires des droits numériques des œuvres et à la faible rentabilité économique d’une éventuelle exploitation numérique. En effet, l’exploitation numérique des livres du XXe siècle risque d’être peu rentable, ce qui nuit à leur numérisation, car le coût de l’entreprise est assez élevé.

Par ailleurs, admettons que l’on puisse être intéressé par l’exploitation numérique des livres, ce qui semblait être le cas de Google, encore faut-il disposer des droits. Or les droits d’exploitation numérique n’ont pas été prévus dans les contrats d’édition, contrairement aux livres édités récemment, et font l’objet de débats sans fin portant sur la qualité de leurs titulaires.

La seule chance que l’on ait de pouvoir mettre à disposition du public les œuvres indisponibles du XXe siècle est en fait de confier à un acteur unique le pouvoir d’autoriser l’exploitation des droits numériques sur les ouvrages. Cette solution permettrait de réduire un certain nombre de querelles juridiques sur les titulaires de droit et de constituer un portefeuille de droits suffisamment large pour que son exploitation soit viable.

Google a essayé de devenir cet acteur unique en négociant les droits avec les représentants des auteurs, mais le juge américain a souligné que cette exploitation ne pouvait pas être concédée contractuellement par de simples représentants des auteurs. Il a considéré qu’une telle cession appelait, en fait, l’adoption d’une loi fédérale. Aux États-Unis, comme en France, seule une loi peut opérer le transfert des droits des auteurs et des éditeurs vers un acteur unique.

La proposition de loi déposée par notre collègue Jacques Legendre vise précisément à répondre à cette problématique et à prévoir l’instauration d’une gestion collective pour l’exploitation numérique de la production éditoriale française du XXe siècle.

Le mécanisme proposé repose sur un transfert de l’exercice des droits à une société de gestion collective, gérée paritairement par des représentants des auteurs et des éditeurs. Il s’agit bien d’un transfert de l’exercice du droit d’exploitation, mais pas des droits d’auteur.

Une liste des livres indisponibles est constituée. Pendant un délai de six mois, les auteurs et les éditeurs peuvent choisir de ne pas opter pour les mécanismes de gestion collective.

L’auteur peut, de droit, refuser cette exploitation. Dans ce cas, il pourra exploiter directement l’œuvre s’il dispose des droits numériques ou négocier avec son éditeur si ces droits sont partagés.

Si l’éditeur est celui qui manifeste le désir de sortir de la gestion collective, il doit bien sûr être pleinement titulaire du droit d’exploitation numérique ou, plus probablement, le négocier avec l’auteur ; il dispose de deux ans pour mettre en place cette exploitation.

C’est donc contractuellement que la répartition des droits est fixée. À défaut d’exploitation, le livre entrera dans le champ de la gestion collective. Cela permet de protéger à la fois l’auteur, qui verra forcément son œuvre exploitée numériquement, et le public, en raison du dégel des droits d’exploitation.

Si, en revanche, les auteurs ou les éditeurs ne choisissent pas de sortir du dispositif, ils entreront de droit dans la gestion collective. Deux cas sont alors envisagés.

Le principe est que la société de gestion des droits propose l’exploitation exclusive de l’œuvre à l’éditeur initial du livre. S’il accepte, il a trois ans pour exploiter les droits. Notons que la gestion de ces droits restera alors de toute façon collective, avec une répartition des sommes fixée par la société de gestion. L’éditeur ne touchera directement que la marge du vendeur. S’il n’exploite pas le livre indisponible, son exploitation sera alors proposée à tous de manière non exclusive.

Enfin, le dernier cas est celui des œuvres pour lesquelles aucun éditeur ne détient les droits papier.

Je signale à cet égard que les informations relatives aux réels titulaires des droits, qui sont aujourd’hui connues, notamment par le Centre français d’exploitation du droit de copie, le CFC, devront être mises à disposition de la société de gestion. Dans ce cas, la société de gestion confie à un tiers, de manière non exclusive, le droit d’exploitation.

Il faut souligner qu’il sera toujours possible à l’auteur qui le souhaite de sortir du dispositif de gestion collective par une simple notification.

Quatre points méritent d’être soulignés.

Ce mécanisme ne préjuge en rien de l’épuisement éventuel du livre. Si l’auteur ou un ayant droit fait constater l’épuisement en application des dispositions existantes du code de la propriété intellectuelle, il récupérera l’intégralité des droits sur l’ouvrage.

De même, le droit moral de l’auteur n’est absolument pas remis en cause. Le droit de retrait est notamment maintenu à tout moment.

Ce mécanisme traite de la question de l’exploitation des œuvres orphelines du XXe siècle, parce qu’elles sont pour la plupart incluses dans les œuvres indisponibles. Le système prévoit que c’est à la société de gestion collective d’autoriser l’exploitation numérique desdites œuvres : elle récupérera donc les droits au nom des auteurs ou ayants droit inconnus. La société ne sera agréée par l’État que si elle met en œuvre des moyens d’identification des titulaires de droits. Les œuvres orphelines postérieures à 2000 ne sont pas concernées et leur cas pourrait être traité à l’occasion de la transposition de la directive européenne sur les œuvres orphelines actuellement en préparation.

Enfin, je tiens à souligner que des situations de gestion collective existent déjà dans le domaine du livre en France avec la SOFIA, la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit, et le CFC.

Le mécanisme est donc très intéressant dans son principe et devrait permettre d’ouvrir enfin l’accès aux œuvres du XXe siècle qui ne sont plus exploitées sous forme imprimée.

La question juridique des titulaires des droits est bien traitée. Le modèle économique sous-jacent devrait permettre une numérisation rapide, notamment en profitant du grand emprunt et de l’accord passé entre le ministère, la BNF, la Société des gens de lettres, le Commissariat général à l’investissement et le Syndicat national de l’édition.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion