Intervention de Marie-Annick Duchêne

Réunion du 9 décembre 2011 à 15h10
Exploitation numérique des livres indisponibles du xxe siècle — Adoption d'une proposition de loi en procédure accélérée modifiée

Photo de Marie-Annick DuchêneMarie-Annick Duchêne :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’exploitation numérique des livres est devenue une réalité de notre monde moderne, même si la part de marché des livres numériques est, aujourd’hui encore, faible en France. En effet, selon le Syndicat national de l’édition, le marché du livre numérique représentait, à la fin de l’année 2010, 1, 8 % du chiffre d’affaires de l’édition.

Mais l’essor de l’offre d’appareils, avec des prix de plus en plus réduits, l’amélioration des technologies, qui rend les outils de lecture numérique de plus en plus maniables et agréables à utiliser, de même que l’arrivée des leaders mondiaux sur le marché français, avec leurs moyens publicitaires et leur culture de l’information de masse, pourraient contribuer à l’envol du marché des livres numériques à un horizon que nous espérons proche.

Parallèlement, le Président de la République a confirmé la baisse, à compter du 1er janvier 2012, de la TVA sur le livre numérique au taux réduit de 7 %, pour l’harmoniser avec le taux applicable au livre papier. Cette mesure contribuera également à faire grandir l’intérêt des consommateurs pour le numérique.

À ce jour, toute une partie des œuvres de notre patrimoine culturel ne peut pas être rendue accessible en version numérique. Pour être précis, il s’agit de livres sous droits indisponibles du XXe siècle, mais pas de tous les livres de cette époque. En effet, certains livres du début du XXe siècle sont déjà tombés dans le domaine public, tandis que d’autres sont encore commercialisés ; je pense en particulier aux classiques et au fonds de référence.

C’est d’autant plus regrettable que de très nombreux livres du XXe siècle n’ont pas été réédités pour des raisons de rentabilité et ne sont donc disponibles que dans les bibliothèques. Monsieur Legendre, vous l’avez dit : la numérisation peut offrir à ces livres une seconde vie.

N’oublions pas non plus que, d’une part, les œuvres antérieures au XXe siècle sont tombées dans le domaine public – plusieurs d’entre nous l’ont rappelé – et que, d’autre part, les œuvres postérieures sont désormais éditées directement, la question de leur accessibilité numérique ayant été réglée.

Comme l’a déclaré M. Legendre, le XXe siècle fut une période d’intense activité créatrice ; il a enrichi de manière non négligeable notre patrimoine littéraire. Il serait donc dommage que, en n’ayant pas recours au numérique, nous laissions dans un vide culturel un très grand nombre d’ouvrages publiés au cours d’un siècle et, ainsi, que nous entravions l’accès de tous à la culture.

Fidèle à ses traditions, la France mène une politique qui allie préservation de notre culture littéraire et ouverture à une nécessaire modernité. Ce pas vers le futur, il nous faut le franchir pour promouvoir le rayonnement national et international de nos œuvres.

Notre pays a su se positionner tôt sur cette voie, par la numérisation des contenus culturels. Je veux parler, comme d’autres l’ont fait avant moi, du programme Gallica de la Bibliothèque nationale de France, qui représente actuellement 1, 5 million de documents numérisés. Ce programme propose non seulement des livres tombés dans le domaine public, mais aussi 60 000 autres livres disponibles à la vente via des librairies en ligne.

Mais la France est aussi et surtout très attachée à la protection des droits des auteurs, comme nous l’avons évoqué longuement ce matin en commission. C’est pourquoi le dispositif présenté par la proposition de loi apporte diverses garanties pour respecter la volonté des auteurs.

Je ne reviendrai pas sur tous les aspects techniques du dispositif ; Mme la rapporteure les a évoqués. Je veux surtout insister sur les équilibres trouvés.

Pour les éditeurs, la solution juridique actuelle concernant les œuvres indisponibles serait de revoir les contrats anciens, afin de les adapter aux besoins numériques. Cependant, nous convenons tous que cela n’est pas réalisable, que ce soit en termes de coût ou de temps. Par conséquent, il ne s’agirait pas d’une solution satisfaisante.

La réponse qui nous est proposée par M. Jacques Legendre consiste à créer un mécanisme de gestion collective pour l’exploitation des droits numériques sur les œuvres indisponibles du XXe siècle. Un tel mécanisme est déjà connu du domaine des droits d’auteur, dans le cadre de la reproduction par photocopie notamment, ou dans celui de la gestion des droits des auteurs, lorsque le livre est mis à la disposition du public en bibliothèque.

La proposition de loi permet un transfert des droits à une société de perception et de répartition des droits, agréée par le ministre chargé de la culture. Cette société bénéficierait uniquement du transfert de l’exercice des droits et non d’une cession légale des droits. La société serait gérée paritairement par les représentants des auteurs et des éditeurs, ce qui représente une garantie de protection des intérêts des auteurs.

Le système serait le suivant : d’abord, une liste des livres indisponibles devra être constituée ; ensuite, une période de six mois s’ouvrira, pendant laquelle les auteurs et les éditeurs titulaires des droits pourront choisir s’ils veulent ou non demeurer dans ce mécanisme de gestion collective. C’est le point le plus important : le dispositif instauré dans le cadre de la proposition de loi s’attache à garantir un droit d’opposition et de retrait de l’auteur ou de l’éditeur, aux différents moments du processus, à condition qu’il soit titulaire des droits sur l’œuvre. La société de gestion collective gérera donc les droits si, et seulement si, les auteurs ou les éditeurs le permettent.

Il est expressément prévu que le dispositif ne pourra concerner que certaines œuvres. Celles-ci devront avoir fait l’objet d’une publication sous forme de livre, avant le 31 décembre 2000, faire l’objet d’une indisponibilité de nature commerciale et, enfin, être inscrites sur un répertoire public. J’ajoute que pèsera sur la société de gestion une obligation de moyens pour rechercher et identifier les titulaires de droits dans le cas des œuvres dites « orphelines », dès que l’exploitation des droits aura produit certains revenus, car, nous le savons bien, dès qu’apparaîtra une perspective de revenus, les œuvres peuvent ne pas rester longtemps orphelines.

À ce sujet, je souscris à l’amendement présenté par notre rapporteure tendant à ce qu’une partie des fonds ne pouvant être répartis par la société de gestion puisse être consacrée à l’aide à la lecture publique ou à tout organisme favorisant la lecture.

La littérature fait partie du patrimoine culturel français. Nous devons à la fois poursuivre un but de préservation et de diffusion de notre richesse littéraire, tout en assurant la protection efficiente des droits des auteurs et éditeurs d’œuvres encore protégées. Par conséquent, nous voulons éviter, par ce dispositif de gestion collective, que ne se développe un contentieux, et nous entendons protéger les droits des auteurs et des éditeurs de l’action de ceux qui seront tentés de se lancer dans la numérisation de ces œuvres. Les chiffres avancés par les professionnels semblent pour le moment confirmer une tendance : aux États-Unis, par exemple, l’essor du livre numérique, qui est déjà développé, « cannibalise » une partie du livre physique, la perte du chiffre d’affaires du livre physique n’étant pas compensée par l’augmentation de celui de l’édition numérique.

Enfin, je tiens à souligner que nous ferions aussi œuvre créatrice en adoptant ce dispositif, puisque la France innoverait en étant le premier pays au monde à disposer d’un mécanisme contemporain pour répondre à la problématique des œuvres indisponibles.

Notre groupe salue cette initiative et se réjouit qu’elle réunisse un large consensus au sein de la commission de la culture, qui s’est approprié ce texte.

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